3- l'humain à dimension fantastique, le
fantastique à dimension politique.
3.1- un nouveau décentrement: la logique de
domination successive.
Le combat, la résistance, la survie est l'enjeu principal
du cinéma carpentérien. Mais survie contre qui, contre quoi? Gang
de Los-Angeles dans Assaut, extra-terrestres dans The Thing ou
bien Invasion Los-Angeles, l'Anti-Dieu dans Prince des
Ténèbres, vampires dans... Vampires, fantômes
revanchards dans Fog ou bien Ghosts of Mars, écrivain
démiurge et démoniaque dans l'Antre de la Folie. Qu'est-ce
qui unie toutes ses menaces? Tout simplement la volonté d'imposer sa
domination en soumettant le personnage carpentérien, ouvrant ainsi la
voie à l'instauration d'un nouvel ordre renversant, parfois à
l'exact opposé de celui établi.
Dans Vampires, Valek cherche à
récupérer un artefact qui lui permettrait, à lui et aux
siens, de "marcher le jour", faisant de lui un prédateur complet. En
effet, en l'état, Valek est maître la nuit et traqué le
jour comme un animal ainsi que le démontre la scène d'ouverture
où Jack Crow et ses comparses arrachent les vampires à leur
repère et les exposent sauvagement à la lumière du jour.
Au début du film, de manière surprenante, c'est donc plus Jack
Crow (l'homme) qui représente une menace pour Valek (le vampire) que
l'inverse. Mais avec cet artefact, Valek ferait de la terre un gigantesque
terrain de chasse, l'homme se trouvant réduit au rang de gibier et
perdant de ce fait son statut d'être supérieur de la
création. Après le premier décentrement que constitue la
rencontre avec "l'alter-ego", il s'agit là d'un nouveau
décentrement tout aussi fondamental, car désormais l'être
humain est mis à bas de son piédestal, est déchu de son
statut de figure centrale et dominante de la création, mis en
concurrence (et bien sûr à son désavantage) avec d'autres
formes d'existence. Dans Ghosts of Mars par exemple, les humains se
trouvent confrontés aux esprits de Mars, et le final, pour être
ouvert, laisse bien entendre que le rapport de force risque d'être
déséquilibré, tout comme dans The Thing: si la
chose est battue pour cette fois (et au vu du final choisi par Carpenter on
peut en douter), ce n'est que partie remise, car comment lutter contre une
force qui se répand et que l'on ne peut identifier?
De la même manière, dans Prince des
Ténèbres, l'avènement de l'Anti-Dieu signifierait
l'avènement d'un nouvel ordre parfaitement opposé, en
témoigne les sans-abris qui entourent l'église: mis au service de
l'Anti-Dieu ils seraient les premiers à profiter de ce bouleversement
total. Pourquoi des sans-abris? Peut-être justement parce que ce sont des
marginaux, Carpenter instaurant là un décentrement d'un nouveau
type, et politiquement très subversif: paraphrasant une phrase biblique
très célèbre, avec la victoire de l'Anti-Dieu les derniers
seront les premiers et inversement. Dans ce décentrement, c'est la
majorité, celle de l'intégration et de la réussite
sociale, qui se trouve menacée par la minorité, celle des exclus
et des laissés pour compte, dans un bouleversement total des valeurs et
des repères... On peut facilement imaginer la résonance qu'un tel
propos peut avoir dans une société américaine championne
toutes catégories de la fracture sociale!
Si dans un film comme Prince des Ténèbres
le renversement total des valeurs n'est que suggéré (même
fortement: en tout cas, le décentrement évoqué, s'il se
fait, se fera en dehors de l'espace filmique, dans l'extrapolation que se fera
le spectateur de "l'après-film" tout comme dans Ghosts of Mars),
dans d'autres films il est véritablement mis en image: ainsi le final de
l'Antre de la Folie qui voit l'humanité décimée au profit
d'une force obscure, et qui voit surtout, dans un renversement par rapport au
début du film, le personnage de Trent d'abord considéré
comme fou, avoir raison dans les paroles prophétiques qu'il avait
lancé. Désormais, ce sont les fous, ou considérés
comme tel, qui détiennent la vérité. Parfois même ce
renversement des valeurs est posé comme norme dès le début
du film et non seulement traverse tout le film mais le structure même:
dans New-York 1997, la ville de New-York, fleuron et fierté de
l'Amérique, est devenue un pénitencier peuplé des pires
criminels, et dans Los-Angeles 2013, la ville de Los-Angeles, devenue
une terre d'exclusion pour tous les inadaptés de la
société américaine, est paradoxalement le dernier espace
de liberté. Dans Invasion Los-Angeles, le décentrement qui
menace traditionnellement le héros carpentérien est cette fois-ci
réalisé avant même le début du film: s'il a
confiance en le monde dans lequel il vit, John Nada ne sait pas encore que les
extra-terrestres ont (temporairement) gagné et qu'ils ont pris le
pouvoir. Beau (et subtil) miroir tendu par le cinéaste à la
société américaine d'ailleurs: les nantis humains
méprisant les exclus sans se douter qu'ils sont eux-mêmes les
exclus d'une race supérieure et dominante... Dès lors la mission
du héros carpentérien n'est plus d'éviter le
décentrement, mais de renverser le renversement déjà
opéré en rétablissant ainsi l'ordre originel... Sans pour
autant, et c'est cela aussi l'ironie carpentérienne, que cela change
quelque chose aux inégalités sociales aussi
caractéristiques de la société humaine que de celle mise
en place par les extra-terrestre... Une fois les envahisseurs chassés,
fondamentalement que cela changera-t-il? peut-être tout. Sûrement
rien. Enfin, en s'attardant sur Ghosts of Mars, on remarquera que c'est
cette fois le décentrement qui menace le héros
carpentérien (les esprits de Mars dominant les humain) qui vient
pourtant rétablir un ordre originel: en effet cette terre de Mars
appartient aux esprits puisqu'ils étaient là avant les hommes, il
ne font finalement que reprendre leurs droits. Comme si les esprits des indiens
d'Amérique se réveillaient et venaient "botter les fesses" du
cow-boy en somme...
Ainsi Carpenter ose menacer le statut même de l'Homme en
posant la possibilité, sinon la certitude, que l'être humain est
voué à être remplacé par "quelque chose d'autre" que
ce soit fantômes, extra-terrestres ou quoi que ce soit d'autre... Comme
l'Homme a succédé aux dinosaures, quelque chose d'autre, de
supérieur lui succédera. Et ce pour la simple et bonne raison que
l'Homme porte en soi les germes de sa propre destruction...
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