2.2- De l'inversion qui dissimule une ressemblance
à
l'humaine monstruosité, une réflexion sur ce
qui
fait l'Humanité.
Chez Carpenter, la menace n'est jamais loi, dissimulée
dans l'ombre, prête à
surgir pour s'emparer du héros carpentérien (ainsi,
dans Assaut, lorsque Bishop effectue son tour de reconnaissance dans la
ville au début du film, il n'entend pas sa radio énoncer des
informations inquiétantes, comme un indice de l'explosion de violence
à laquelle nous assisterons par la suite. ) Mais en allant plus loin,
n'y a t-il pas une frontière des plus mince qui sépare le
héros carpentérien de ce qui le menace ? Ainsi, en regardant
bien, héros et menaces, une fois soumis à
l'analyse, semblent dangereusement se rapprocher, presque se confondre parfois.
On a déjà parler de l'étrange ressemblance de Plissken et
de Myers, tous deux entre deux mondes, ni tout à fait vivants ni tout
à fait morts. Même cas de figure entre Jack Crow et Valek qui
finissent par se rejoindre dans leur manière de n'exister qu'à
travers leurs quêtes respectives. Carpenter l'admet lui-même
(79) : « finalement Jack Crow et Valek ne forment qu'une seule
et même personne. Ils sont si fortement impliqués dans une
même quête ! Les similitudes entre les bons et méchants
donnent un peu de piment au scénario de Vampires. A l'instar de
La Horde Sauvage d'ailleurs. Dans ce western les bandits sont les
héros et vice-versa. J'en ai assez du manichéisme radoteur des
vieux films de vampires. » Dans le même ordre d'idée,
Bertrand Rougier (80) constate que « aucun personnage dans
Vampires ne peut revendiquer le rôle de good guy. C'est
contre la figure héroïque incarnant généralement les
valeurs de la collectivité américaine que l'attaque de Carpenter
porte le plus ardemment. Pouvant laconiquement être définis comme
une fratrie d'assassins dénués d'âme, tous les personnages
du film offrent l'image d'une intégrale négativité. (...)
Valek n'est pas un dandy hautain mais un animal enragé, aveuglé
par sa haine et son ambition. Tony Montoya n'est pas l'inébranlable bras
droit de Jack Crow, mais un vulgaire pantin se désarticulant dès
que son maître l'abandonne. Les pontifes du clergé ne sont
évidemment pas les représentants d'une foi altruiste, mais de
vils hypocrites animés par une vanité sacrilège :
devenir immortels. Quant à Jack Crow, c'est une brute
dénuée de spiritualité, un être
viscéralement, voire exclusivement, violent. » Ainsi donc, les
deux côtés de la barrière se rejoignent, les extrêmes
s'unissent et en viennent à se confondre, en une bouillie de
valeur où les repères traditionnels de Bien et de Mal n'ont plus
de valeur.
Pour Carpenter la ligne qui sépare les bons et les
méchants dans ses films est « comme dans la vie bien
ténue. Les flics et les voleurs sont les mêmes » (81).
Pas étonnant donc qu'ils s'associent (Bishop / Wilson dans
Assaut ; Mélanie Ballard / Désolation Williams dans
Ghosts of Mars). Pour rendre sensible cette atténuation, voire
cette disparition de la frontière entre les deux mondes, Carpenter
convoque l'image du miroir : le miroir, très présent dans Le
Prince des Ténèbres, c'est qui renverse mon image tout en la
renvoyant quasiment à l'identique. Exactement comme peuvent l'être
Crow et Valek, inversés (camps différents, quêtes
opposées...) mais identiques dans une même violence, une
même brutalité et surtout un même déficit d'existence
en dehors de leur traque réciproque. En un sens, ils n'existent qu'en
tant qu'ils se combattent...
Carpenter souligne encore la minceur de ce qui sépare ses
héros des forces maléfiques en employant justement et
volontairement des anti-héros. John Nada par exemple en est
l'archétype même. John Carpenter remarque à ce sujet
(82) : « John Nada est un individu sans grande motivation,
quelqu'un de complètement banal. (...) Du point de vue de la
société il n'est rien (nada en espagnol signifie
littéralement rien. Vous savez pour les riches les pauvres sont
invisibles. Ils n'existent pas. » Carpenter va même plus loin
dans sa volonté de brouiller les pistes (et les valeurs) en
créant des figures du mal capables d'adopter la forme même de
l'Humanité : Michael Myers affiche un visage humain derrière
lequel toute humanité est décédée tandis que la
chose se montre capable de reproduire tout être humain dans ses moindres
détails : voix, déplacements, physique... Dans un mouvement
inverse, comme nous l'avons vu Carpenter fait du référent
même du spectateur (Mac-Ready dans The Thing) une menace
potentielle. Dans cette confusion des places et des statuts où `on ne
peut savoir à qui se fier, que reste-t-il à défendre pour
l'Humanité ?Peut-être pas son apparence qui peut être
copiée et imitée, mais sûrement ses valeurs et ses
principes, et en particulier le combat éthique qu'elle peut mener contre
elle-même afin de contenir le Mal qui se trouve en chacun de nous.
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