2- une normalité effrayante: le paradoxe
carpentérien.
2.1- le travail de détournement du quotidien et des
institutions.
Un des talents que l'on peut certainement reconnaître
à Carpenter, c'est sa capacité à travailler sur des
éléments du quotidien, donc des éléments a priori
rassurants, pour les rendre a posteriori terrifiants. Les rues d'un petit
"suburb" américain moyen, un commissariat de police, un village, un
chien qui court dans la neige... Autant d'éléments, d'images qui
dans n'importe quel film traditionnel sembleraient anodines et qui prennent un
tout autre sens pour les spectateurs de Carpenter. Cela peut paraître
surprenant, mais comme le précise Carpenter (65) "certaines des choses
les plus terrifiantes pour moi et pour pas mal de gens, ce sont les trucs qui
ont l'air en apparence tout à fait normal. Une personne, un quartier...
Mais sous le vernis ils ne sont pas comme vous et moi.". A propos de quartier,
on a déjà beaucoup parlé d'Halloween et de la
capacité de Michael Myers à se fondre dans l'espace urbain
d'Haddonfield, petite ville de l'Illinois: c'est également un moyen pour
Carpenter de brouiller tous les repères traditionnels de Laurie Strode,
de l'étouffer dans cet espace qui est le sien depuis toujours et qui
devrait la rassurer. Ainsi toute la mise en scène de Carpenter va
travailler soit à la "perdre" dans l'espace (utilisation du scope, et de
plans d'ensemble accompagnés d'une focale extrêmement courte,
presque déformante qui isolent Jamie Lee Curtis et semblent la mettre
à la merci de son prédateur) soit à l'y enfermer avec des
cadres très composés où arbres, voitures, maisons, fil
à linge (toutes les composantes d'un ville en somme) viennent
créer des lignes et des cadres dans le cadre qui emprisonnent le
personnage en limitant ses possibilités de déplacement, donnant
le sentiment d'interdire toute tentative de fuite. L'espace urbain quotidien,
loin d'être rassurant, devient par le travail de découpage une
menace pour le personnage de Laurie. Dans cette même perspective de
détournement, on pourra citer le plan du chien déjà
évoqué dans The Thing, lorsque celui-ci, regarde par la
fenêtre le retour de Mac-Ready ramenant avec lui une preuve de
l'existence de la chose: un chien regardant par la fenêtre, voilà
bien une image qui semble a priori bien peu effrayante. Pourtant, quelque chose
vient susciter le malaise du spectateur: est-ce cette façon de regarder
par la fenêtre comme s'il comprenait réellement les enjeux de ce
qui est en train de se passer? Peut-être, mais pas seulement. C'est aussi
le travail très précis de mise en scène du
réalisateur qui vient donner une force particulière au plan. Il y
a déjà, comme nous venons de le dire, et aussi surprenant que
cela puisse paraître, un travail de "direction d'acteur" sinon de
dressage: cette fixité du chien, le corps tendu, en arrêt
constitue déjà une perturbation pour le spectateur qui ne peut
alors s'empêcher d'effectuer un rapprochement avec la séquence
d'ouverture du film où l'on voyait le chien se faire poursuivre par un
hélicoptère. Il se passe définitivement quelque chose avec
ce chien: mais quoi? Enfin, Carpenter, choisit de filmer ce chien en deux plans
qui entrecoupent au montage l'action de Mac-Ready, Carpenter liant les deux
propositions (le chien / le retour de Mac-Ready) comme si le chien avait bel et
bien un rapport direct avec ce qui est en train de se jouer,
c'est-à-dire la découverte de la menace extra-terrestre :
or, comme nous le découvrirons par la suite, c'est effectivement le cas.
De plus, le choix de cadre du 1er plan du choix est
significatif : Carpenter décide de placer la caméra
derrière le chien, avec celui-ci en amorce, plaçant le spectateur
dans la perspective de l'animal, type de cadrage que l'on emploie en
général pour un personnage humain puisqu'il souligne une
observation consciente et raisonnée, le tout contribuant à
conférer au plan un sous-texte qui deviendra évident lorsque le
chien placé dans le chenil se révélera être le
corps-véhicule de "la chose". Dernier exemple de ce travail de
détournement, les envahisseurs du Village des Damnés:
Carpenter s'attaque ici à un tabou essentiel puisque il choisit des
enfants pour incarner une nouvelle figure du Mal! Comme le précise
Carpenter (66), "la métaphore du Village des Damnés est
effectivement assez complexe et touche un des points les plus sensibles des
sociétés urbaines actuelles: qu'arrive-t-il quand les enfants
deviennent des tueurs froids et sans remords?" Comment s'y prend-il alors pour
rendre ses enfants effrayants? Et bien il va effectuer tout un travail de mise
en scène reposant sur l'uniformisation: uniformisation physique bien
évidemment avec tous ces enfants aussi parfaitement identiques
qu'identiquement parfaits, tous blonds aux yeux bleus dans une
réminiscence de fantasmatique nazi; uniformisation de réaction
ensuite comme par exemple lorsque l'un des médecin blesse
accidentellement l'un des enfants avec du produit oculaire et que nous voyons
tous les autres enfants attendant dans le couloir se lever d'un coup et se
tourner vers la salle (les enfants semblent réagir physiquement à
la douleur de l'un des leurs, comme autant de composantes d'un même et
unique corps); uniformisation des déplacements enfin, avec ces
nombreuses séquences où l'on voit les enfants traverser le
village à un rythme exactement synchronisé, dans une
espèce de parodie de démarche militaire (et la comparaison n'est
pas anodine: sous leur apparence, ces enfants sont-ils finalement autre chose
que des "soldats" envoyés pour nous envahir? Carpenter développe
d'ailleurs volontiers dans sa mise en scène un champ lexical militaire
lorsque les enfants sont représentés à l'écran,
notamment le fait que les envahisseurs en viennent petit à petit
à véritablement "occuper" la ville...). Mais c'est
peut-être avant même que les enfants ne fassent leur apparition que
Carpenter montre le plus de talent pour détourner les images
quotidiennes; examinons ainsi comment le réalisateur nous donne à
voir toutes les étapes de la grossesse des femmes du village de Midwich:
Carpenter nous montre les images traditionnelles d'une préparation de
naissance, mais renverse complètement notre perspective par
l'intermédiaire d'un principe très simple, le principe de
répétition. Nous voyons ainsi tout d'abord des femmes se
succéder chez le Dr Chaffee, apprenant leur grossesse les unes
après les autres, le Dr sous-entendant par la suite que strictement
toutes les femmes du village ayant la capacité de procréer
attendent un "heureux" évènement. Premier malaise: en
généralisant de manière surréaliste cette vague de
grossesse, Carpenter lui ôte tout aspect personnel créant une
première fracture avec l'image traditionnelle de la grossesse heureuse,
attendue et préparée. Il ne va cesser par la suite, toujours
suivant ce même principe de répétition, d'utiliser des
images vues mille fois mais qui cette fois-ci prennent une tournure
foncièrement malsaine: on citera la vague de rêves frappant au
même moment toutes les femmes sans exception durant leur grossesse (et le
même rêve, répété strictement à
l'identique: l'angoisse pré-natale traditionnelle prenant là une
tournure bien plus menaçante) ou bien encore les gestes
préparatoires à l'accouchement répétés par
une multitude de couples de tous âges regroupés dans un petit
espace, cette négation de l'individualité surréaliste,
presque absurde, achevant de renverser notre perspective de spectateur comme
celle des personnages: voir le visage des "pères", complètement
dépassés par le non-sens de la situation s'observant les uns les
autres. Ce travail trouve son apothéose lors de la scène de
l'accouchement même, où dans un hôpital de fortune
dressé par l'armée, un long travelling passe devant cette
multitude de femmes en plein travail (exactement au même moment!),
transformant l'hôpital en gigantesque usine à bébés:
les limites de l'absurde sont ici atteintes, mais alors que la scène
pourrait prêter à rire ce n'est absolument pas le cas, car avec
cette parfaite négation de l'individualité, et de
l'humanité donc, c'est aussi les limites de l'horreur qui sont
atteintes... On notera également rapidement qu'au centre de cette
uniformisation des envahisseurs Carpenter travaille à isoler un enfant
en particulier, David, cette identité qui se dégage du groupe ne
prenant alors que plus d'importance: pour Rafik Djoumi, (67) "le petit David
devient, par la force des choses l'élément principal qui renvoie
à la fragilité de ce groupe d'envahisseurs, offrant au
cinéaste l'occasion de jouer à plusieurs reprises sur la
désynchronisation (tout en conservant le rythme de marche du groupe, le
petit David s'en détourne pour pénétrer dans le
cimetière)". Or, si David est un élément perturbateur,
c'est parce qu'il est "orphelin, à cheval entre deux mondes". Personnage
d'une ambiguïté extraordinaire en somme, talon d'Achille des
envahisseurs de par son humanité sûrement, fossoyeur de
l'humanité peut-être car il reste malgré tout un
envahisseur (cf le final où la voiture s'éloigne avec le petit
David à son bord, la musique sous-entendant que cette histoire est loin
d'être terminée).
Cette attaque directe au tabou de la maternité montre
bien que Carpenter n'hésite donc pas à égratigner les
institutions: par institutions nous entendons les choses instituées
(règles, usages, organismes...) auxquelles, par définition, on ne
touche pas, les lois fondamentales régissant la vie politique et sociale
d'un pays. Première institution mise à mal dans l'oeuvre de
Carpenter, la police, et la notion de forces de l'ordre en particulier. Une
image pourrait résumer le sentiment de Carpenter à l'égard
de la police, celle du cauchemar de Trent dans l'Antre de la Folie,
où il voit, dans une ruelle étroite un policier frapper à
mort un sans-abris. Lorsque le policier se retourne vers Trent pour le menacer,
il expose un visage bouffi et déchiré, cette corruption physique
faisant directement référence à une autre forme de
corruption, mentale cette fois-ci. Carpenter vit à Los-Angeles: comment
ne pas voir dans cette image une référence (à peine)
dissimulée aux violences policières et notamment à
l'affaire Rodney King datée de 1992, où des agents de Los-Angeles
se virent filmés alors qu'ils s'en prenaient à un
afro-américain innocent, des émeutes raciales éclatant par
la suite dans toute la ville? L'image de la police n'est pas plus reluisante
dans New-York 1997 et Los Angeles 2013 ou bien encore dans
Invasion Los-Angeles, le problème principal étant que
cette police est une force de l'ordre, autrement dit un bras armé au
service de l'ordre établi, sans possibilité de jugement ni de
réflexion, y compris si celui-ci se révèle moralement
discutable comme peuvent l'être les régimes fascisants des films
cités, où sont progressivement gommés capacités
d'initiatives et libertés individuelles des citoyens (voir ainsi la
bande annonce de Los-Angeles 2013, où une voix
énumère les règles à suivre dans les
cinémas, les ordres devenant progressivement ceux qu'il faudra suivre en
2013: "interdiction de parler, de fumer, de manger de la viande rouge, de
choisir sa religion, de se marier sans le consentement du département de
la santé..."). Carpenter boulverse donc encore une fois les
repères du spectateur en faisant de la police (au sens large du terme,
comme garantie d'un ordre établi) non plus une présence
rassurante mais une menace, une de plus, pour le héros
carpentérien: Snake Plissken est arrêté par la police, ce
qui contribuera à l'envoyer derrière les murs du
pénitencier de New-York (dans une scène d'introduction finalement
coupée au montage de New-York 1997, on voyait Plissken se faire
arrêter et son complice se faire abattre), John Nada est poursuivi par
les forces de l'ordre tandis que "Justiceville", le refuge des laissés
pour compte, est mis à sac dans un triste reflet des exactions
policières courantes aux Etats-Unis. Chez Carpenter, la police est donc,
au pire, une menace, au mieux inefficace, comme dans Assaut où
Bishop attendra désespérément des renforts qui ne
viendront jamais ou dans Halloween, avec cette figure du policier de
banlieue complètement transparente et inutile...
L'Eglise, et surtout la hiérarchie ecclésiastique,
est également une cible de choix pour Carpenter, en particulier dans sa
volonté permanente de dissimuler pour mieux contrôler: dans
Prince des Ténèbres, c'est l'existence de l'Anti-Dieu qui
est dissimulée afin d'éviter un contre-poids qui pourrait nuire
à la domination de la religion traditionnelle sur les hommes. Mais
Carpenter va encore plus loin dans Vampires, puisque Jack Crow,
engagé par l'Eglise pour éliminer les créatures de la
nuit, va découvrir que c'est son employeur même qui est
responsable (par une ambition démesurée) de l'existence de Valek,
ce qu'elle a toujours cherché à cacher! Ainsi les deux
extrêmes (l'Eglise / les vampires) finissent par se rejoindre en une
espèce de boucle bouleversant les repères traditionnels du bien
et du mal: en effet, poussant la métaphore vampirique jusque dans ses
derniers retranchements, Carpenter unit les deux opposés par une
même et inextinguible soif, soif de sang pour Valek, soif de pouvoir pour
les hommes de Dieu... Mais Valek, lui, ne peut lutter contre cette sombre part
de lui-même, car son avidité est physique et condition de sa
survie: s'il n'a physiquement pas le choix, peut-on encore juger sa soif de
sang en terme de bien ou de mal? Fait-il autre chose que consommer pour
survivre, soit l'équivalent de ce que nous faisons chaque jour avec les
matières premières de notre planète au risque d'en
épuiser les ressources? D'autant que comme l'explique Bertrand Rougier
(68), "l'existence de Valek est littéralement infernale. A peine est-il
sur pied qu'il lui faut courir après sa subsistance, guetter ses
victimes, les séduire, les absorber. Valek est perpétuellement
menacé par le dessèchement de ces sangs volatils, ces mauvais
sangs faisant de lui un éternel sursitaire de la mort. Sa soif, aveugle
et irrépressible, est celle de vivre" (69) Pourquoi cette acharnement
contre l'institution religieuse, plus précisément l'institution
catholique? Carpenter nous en livre peut-être une clef dans un de ses
entretiens: à la question "êtes-vous une personne
religieuse?", il répond "non, je ne crois pas au surnaturel. La
seule place où il existe c'est sur un écran. La vraie vie est
telle qu'elle est: nous sommes assis dans ce café, il y a des voitures
dehors, il n'y a pas de fantômes autour de nous, il n'y a pas d'Ovni
au-dessus de nos têtes, je ne vais pas me transformer en loup-garou et
vous n'êtes pas un vampire. Si nous étions dans un film, tout ceci
pourrait arriver." (70).Voici donc peut-être l'explication de ce rapport
conflictuel: Carpenter reprocherait à la religion catholique, non pas de
mentir puisque le mensonge est une donnée fondamentalement
cinématographique, mais de mentir dans le but d'exercer un
contrôle sur l'Homme. Ainsi dit-il encore dans le même entretien
(71), alors que le journaliste remarque qu'il n'est pas très tendre avec
les autorités catholiques dans Vampires: "j'ai été
élevé dans le protestantisme, chez les méthodistes pour
être plus précis. Les méthodistes composent une branche
très particulière de la religion protestante: ils ne
reconnaissent pas la culpabilité comme une valeur sacrée. Tout le
contraire du catholicisme qui, justement, repose sur la notion de
culpabilité, de péché. Le catholicisme est très
étrange à mes yeux. D'autant plus qu'il accorde une place
importante à l'apparat, aux costumes, aux ornements, à tous ces
symboles rituels. Je ne comprends pas cette manière d'habiller une
religion. Tout ce decorum rend le catholicisme très suspect. Je m'en
méfie." Apparat, culpabilité, autant d'armes de
l'Eglise pour asseoir sa position de supériorité et
contrôler les foules...
Enfin, dernière cible, et pas la moindre, de Carpenter:
l'institution politique. Que ceux qui nous dirigent soient manipulateurs (les
extra-terrestres d'Invasion Los-Angeles qui asservissent la masse humaine par
l'intermédiaire de messages subliminaux), inefficaces (dans Ghosts of
Mars, malgré l'interrogatoire de Mélanie Ballard qui annonce
la menace, le matriarcat est incapable d'organiser une défense et se
trouve débordé comme le suggère la fin du film: les
esprits gagnent la civilisation), assoiffés de pouvoir (les militaires
du Village des Damnés qui font de Midwich un laboratoire
d'observation en espérant en tirer des informations avant de se faire,
encore une fois, déborder) ou bien héritiers d'une
culpabilité originelle (Janet Leigh qui joue le rôle d'une maire
dans Fog, commémorant l'anniversaire d'une ville -Antonio Bay-
fondée dans le crime et le sang), il est clair que Carpenter n'accorde
pas une confiance aveugle aux instances dirigeantes. Probablement parce qu'il a
fait l'expérience, en tant qu'homme, des injustices du système
dans lequel il évolue: ainsi dit-il, "j'ai vu comment l'Homme est
traité par la grande machine capitaliste et comment ceux qui la
contrôlent n'ont absolument rien à faire des autres. J'ai du mal
à comprendre cela. Je suis né en 1948, et j'ai grandi dans cette
époque de grande espérance. On croyait alors que le
système était amical et qu'il tenait compte de chacun. En
grandissant, je me suis rendu compte que ce n'était pas le cas, et cela
m'a plongé dans une terrible colère." (72) Ainsi, à sa
manière, Carpenter est ce que l'on pourrait appeler un véritable
(et grand) cinéaste politique, malheureusement sous-estimé. Mais
un cinéaste politique au sens premier du terme: étymologiquement,
le terme "politique" vient du grec "polis" (= la cité). La politique
c'est donc ce qui concerne la vie de la cité, et que fait Carpenter si
ce n'est observer la "cité" dans laquelle il évolue,
c'est-à-dire la société américaine? Mais cette
observation, Carpenter la fait avec un certain recul, presque lointainement,
sans jamais vraiment se livrer, et bonne chance à celui qui tentera de
cerner le personnage! Stéphane Moïssakis et Rafik Djoumi (73) se
sont risqué à ce difficile exercice, dressant un portrait en
forme de kalédioscope à partir de sa filmographie: Carpenter est
"un narrateur (cartésien), un cadreur perfectionniste
(mathématicien), un naïf pessimiste et anarchiste (individualiste
mais socio-capitaliste), un monteur-compositeur-interprète à la
rythmique infaillible (et sa rock'n'roll attitude) et un fidèle
conservateur des grandes traditions, un amoureux dévolu à
l'entité cinéma, bref Carpenter le cinéaste!". Mais,
reconnaissent-ils tous deux, "tous ceux qui s'intéressent à son
cas lui reconnaissent une certaine constance, assimilent sans peine le
personnage à ses films, lui font porter de multiples casquettes plus ou
moins militantes, sans pourtant s'accorder sur une définition
satisfaisante de ce qu'est "John Carpenter". Anarchiste ou gauchiste pour
certains, réactionnaire pour d'autres voire même les deux à
la fois (pour Jan Kounen, "on retrouve dans ses films des idées à
la fois provocatrices et sociales (Invasion Los-Angeles) mais aussi des
côtés plus réactionnaires, sécuritaires
(Assaut, qui est pour [lui] un chef-d'oeuvre)" (74)), Carpenter est le
cinéaste de tous les partis et d'aucun à la fois (parlant
d'Invasion Los-Angeles, il qualifie le film de "révolte contre la
gauche, la droite, la censure et le politiquement correct" (75) et pour lui
Los-Angeles 2013, "n'attaque pas un parti en particulier, il tape sur
tout le monde. Plus que de servir la soupe aux républicains ou aux
démocrates, [ce film] dit tout simplement que le pays abandonne
actuellement la liberté au profit de l'ordre. Un pas de plus vers le
fascisme. Notre société se trompe, se berce d'illusion." (76)),
pour finir souvent mal aimé "car les gens ne savent pas comment [le]
considérer, [l']aborder." Et il est d'autant plus difficile à
"considérer" qu'il n'hésite pas à se contredire,
contribuant à rendre son image encore plus insaisissable! Il critique
ainsi "la grande machine capitaliste", avant de reconnaître: "je
mentirais si je vous disais que je ne me suis jamais soucié de l'argent.
C'est important, je suis un capitaliste, je suis Américain! Si quelqu'un
débarquait avec beaucoup d'argent je serais facilement à sa
merci." (77)... Pour ma part, si je devais m'engager sur ce terrain glissant de
la définition, forcément réductrice, je dirais que John
Carpenter est un réalisateur libertaire, et profondément
indépendant, dans son travail comme dans ses opinions, très
proche finalement de son personnage de Snake Plissken, comme il le
reconnaît volontiers lui-même (78): "il y a effectivement du John
Carpenter en lui. A Hollywood on me perçoit comme un hors-la-loi. Je
suis un rebelle comme Sam Peckinpah l'était par le passé. Je
revendique ce titre. Et c'est vrai que c'est ce qui m'a attiré dans le
personnage de Snake Plissken". Alors, Plissken-Carpenter, même combat?
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