2- Menace suggérée et principes
d'évitement.
2.1- des personnages construits sur le mode de
l'observation:
comprendre avant d'affronter.
Un des premiers principes d'évitement que l'on peut
constater chez Carpenter, c'est sa manière bien particulière de
retarder l'affrontement entre le héros et la menace qui pèse sur
lui. Et ce tout simplement parce que le personnage carpentérien doit
d'abord effectuer un travail d'étude et d'observation afin de saisir (au
sens intellectuel du terme) son ennemi ; c'est en effet au prix de cette
étude que l'affrontement pourra tourner à son avantage. La
première étape consiste à accepter de voir la menace en
tant que telle, Carpenter jouant sur l'importance toute
cinématographique du regard : dans Halloween, si Laurie
Strode ressent la menace Myers sans jamais la voir pendant plus de la
moitié du film, c'est aussi parce qu'elle refuse d'accepter la
possibilité que le Mal puisse exister. Il n'est pas étonnant de
constater que seuls les enfants voient d'abord le tueur, car ce qui les
caractérise c'est l'absence de préjugés sur la
réalité et la capacité de croire à
l'impossible : en l'occurrence ici le croquemitaine. Au contraire, Laurie
répète inlassablement que « le croquemitaine
n'existe pas », autant pour rassurer les enfants que pour se
convaincre elle-même. Il faudra qu'elle fasse l'expérience d'une
attaque directe de Michael Myers pour enfin bousculer ses certitudes d'adulte
et accepter de remettre en question sa perception de la réalité,
pour qu'elle aille, fondamentalement, chercher en elle ses peurs d'enfant. On
retrouve la même chose dans Fog : si le petit Andy Wayne (Ty
Mitchell) trouve le morceau du bateau maudit échoué sur la plage,
c'est parce qu'en tant qu'enfant il accepte de croire aux manifestations de
l'irrationnel. Carpenter remarque d'ailleurs (38) que « ce n'est pas
si innocent si dans ces deux films (Halloween et Fog), les
enfants jouent un grand rôle. D'une certaine manière, l'histoire
est racontée à travers eux. »
Même question du regard dans Invasion Los-Angeles :
en chaussant cette paire de lunette spéciale qu'il trouve dans un
carton, John Nada découvre l'envers du décor, ou comment
l'entière société est manipulée par des
envahisseurs. Mais Nada, s'il ne fait pas le choix de voir (le fait qu'il
trouve cette paire de lunette est un pur hasard scénaristique) fait au
moins celui de croire. Il accepte presque immédiatement ce
bouleversement de ses certitudes et de ses repères et choisit
immédiatement son camp, celui de la résistance, en tentant
maladroitement d'éliminer à lui seul tous les envahisseurs. Il
accepte donc un double danger ; le premier, d'après
Hélène Frappat (39), est celui d'être vu (par les
extraterrestres s'entend), puisque John Nada va découvrir
« qu'apprendre à voir, c'est prendre conscience d'être
vu. Le regard est toujours réversible : je vois pour autant que je
suis vu. Et être vu, c'est risquer d'être tué
(...) ». Le second, c'est celui d'être « mal
vu » : en effet, les humains ne disposant pas des moyens de
comprendre la démarche de Nada, celui-ci ne peut être perçu
autrement que comme un fou furieux (notamment lorsqu'il entre dans la banque et
abat froidement les envahisseurs à l'apparence humaine), ce qui ne peut
que contribuer encore à renforcer son statut de paria et d'exclu social.
Franck, au contraire, va lui dans un premier temps refuser de voir : il
faudra un combat homérique avec Nada pour que, équipé
à son tour de la fameuse paire de lunettes, il accepte de voir le monde
tel qu'il est. Hélène Frappat (40) souligne qu'il s'agit
« d'un renversement crucial au coeur d'Invasion Los-Angeles, mais
aussi de toute l'oeuvre de John Carpenter dans ce qu'elle a de
subversif : renversement de l'aveugle qui acquiert un regard, de
l'individu passif qui décide de faire un choix, de l'esclave qui devient
libre - bref, de l'individu asservi qui parvient à changer les
règles du jeu. A l'issu de ce combat interminable, John Nada peut
conclure : « mon frère, une nouvelle vie commence
pour nous ». » Cette première étape du
regard est donc une étape essentielle d'après John Carpenter.
Laissons-le conclure à ce sujet : « la vue est sans aucun
doute l'un des sens les plus importants. Mais les sens, quels qu'ils soient,
peuvent produire une sensation de réalité étrange. Les
hallucinations ou les troubles de la vue sont autant de
phénomènes qui peuvent conduire l'homme à apercevoir
quelque chose de différent. Au cinéma, le regard est, à
l'évidence, quelque chose de fondamental. » (41)
Enfin, il s'agira pour le héros carpentérien
d'identifier clairement la menace, de comprendre
« scientifiquement » son mode de fonctionnement pour mieux
la combattre. C'est parce qu'il a compris que le miroir est le point de
traversée entre le monde de l'Anti-Dieu et le nôtre que le
père Loomis, en le brisant, peut stopper temporairement son
avènement (Le Prince des Ténèbres). C'est parce
qu'il ont identifié ses particularités biologiques que Mac-Ready
et Blair (Wilford Brimley) peuvent mettre au point un test sanguin à
même de déceler la présence de la chose (The Thing).
C'est parce que Nada et les résistants ont compris que les envahisseurs
utilisent des ondes radio afin d'asservir les humains qu'ils peuvent, en
s'attaquant à leur antenne émettrice, dévoiler leur vrai
visage à la population (Invasion Los-Angeles). C'est parce que il
s'est occupé de Myers pendant quinze longues années que le Dr
Loomis sait de quoi cette figure du Mal est capable et comment l'affronter
(Halloween). C'est enfin parce que le Dr Allan Chaffee a observé
patiemment les enfants-envahisseurs de Midwich qu'il pourra leur
résister en dressant un véritable mur mental contre leurs
pouvoirs télépathiques (Le Village des Damnés).
Celui qui tente d'affronter la menace sans avoir pris le temps de
l'étudier ne peut alors que rencontrer l'échec, et de ce fait, la
mort : ainsi, toujours dans Le Village des Damnés, lorsque
la police tente de d'éradiquer les enfants retranchés dans la
grange, ils se mettent rapidement à s'entretuer, manipulés par
les pouvoirs télépathiques des envahisseurs.
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