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L'existence d'une conception des droits de l'homme propre aux états musulmans


par Peggy Hermann
Faculté de Droit de Montpellier 1 - DEA de Droit International 1999
  

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§ 2 : La législation affranchie de la Loi islamique

De nombreux Etats musulmans ne prévoient pas dans leur Constitution, de rapport entre la Loi islamique et la législation. Il en est ainsi en Algérie, au Cameroun, à Djibouti, au Burkina Faso, en Gambie, en Guinée Bissau, en Irak, au Mali, au Maroc, au Niger, au Sénégal, au Tchad, en Tunisie, en Turquie. La législation dans ces Etats est juridiquement libérée de toutes références islamiques, implicites ou explicites. Il faut préciser que tout affranchissement à la Loi islamique dans les Etats musulmans demeure relatif. Afin de limiter notre étude nous mettrons l'accent dans nos références sur deux Etats musulmans particuliers qui font partis du Maghreb.

A- Le cas de la Tunisie

La Tunisie, tout en reconnaissant un statut Constitutionnel à l'Islam n'en tire aucune conséquence au niveau de la législation et sa Constitution observe un mutisme total par rapport à la Loi islamique. Dès l'indépendance de la Tunisie, les constituants ont veillé à écarter la formule de la religion d'Etat au profit du simple constat que l'Islam est la religion du pays.

L'article 1er de la Constitution tunisienne de 1956 stipule :

" La Tunisie est un Etat libre, indépendant, souverain, sa religion est l'Islam, sa langue est l'arabe et son régime la République".

Il paraît intéressant de s'attarder sur le cas de la Tunisie où le code du statut personnel a cette double particularité d'être inspiré de la Loi islamique d'un côté et de s'en écarter de l'autre.

La spécificité du cas tunisien nous ramène également à la personnalité de Bourguiba et à ses réformes qui l'ont amené ponctuellement à malmener la symbolique religieuse, faisant apparaître la Tunisie comme un Etat laïque en contexte musulman. Un réajustement du système législatif par rapport au système religieux s'est opéré dans les dix dernières années de présidence de Bourguiba, avant de voir la Tunisie s'inscrire dans une perspective fidèle aux traditions arabo-islamiques et néanmoins ouverte à la modernité27(*).

Rompant avec l'attitude jusque-là libérale, la ré-inscription de l'Islam s'est prolongée au niveau de la législation. C'est ainsi que l'article 5 de Code du statut personnel relatif aux conditions de mariage fit l'objet d'une interprétation plus restrictive, dans le courant des années soixante-dix. Une circulaire ministérielle datée du 5 novembre 1973 invita les magistrats à refuser tout mariage d'une musulmane avec un non-musulman. Cette circulaire heurte de front la liberté au mariage telle qu'est définie par la Convention de New York sur le consentement au mariage de 1962 dont la Tunisie est partie. On ajoutera que les réserves à l'égard de certaines dispositions de la Convention sur les droits de l'enfant de 1989 sont dictées par des considérations en relation avec la Loi islamique et que dans bien des domaines, l'affranchissement à l'égard de la Loi islamique connaît des limites.

Le successeur de Bourghiba, Ben Ali a voulu inscrire la Tunisie dans une perspective fidèle aux traditions islamiques et néanmoins ouverte à la modernité.

La nouvelle ère s'ouvre en 1987 avec l'accession ou pouvoir de Zine el Abidine Ben Ali. Le premier signe visible du changement opéré: le fait que la déclaration du 7 novembre 1957 débute par la traditionnelle invocation: " Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux". C'est ainsi que le régime de 1987 redore le blason de la religion28(*).

Sur le plan international, la Tunisie a adhéré aux principales conventions internationales protectrices des droits de l'Homme dont, les Pactes des Nations-Unies des Droits Civils et Politiques d'une part et sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels d'autre part. Plus spécifiquement, en ce qui concerne les femmes, la Tunisie a ratifié la Convention sur les droits politiques de la femme de 1952, la Convention sur la nationalité de la femme mariée de 1957, et la Convention de New York sur le consentement au mariage de 1962. Mais l'affranchissement à l'égard de la Loi islamique demeure relatif.

B- Le cas du Maroc

Le règne du nouveau monarque du Maroc, Mohamed VI se retrouve face au défi de la modernité. Après la mort de Hassan II, le nouveau roi du Maroc doit rapidement s'atteler à des problèmes complexes, dont font partis les droits de l'Homme. La légitimation du système législatif du Maroc oscille entre un système moderne et un système qui, au fond, reste traditionnel, donc opposé aux principes modernes de la démocratie. La Constitution confère au Monarque des pouvoirs quasi-absolus, mais par ses prises de positions en faveur d'une monarchie inspirée des modèles anglo-saxons ou espagnols, le roi Mohamed VI est devenu, la référence de ceux qui veulent moderniser le régime.

Selon une première interprétation, Le Maroc se serait donné une Constitution moderne et occidentale, plus ou moins calquée sur celle de la Vème République française. Cette Constitution romprait avec le passé et introduirait de nouvelles procédures ; l'influence occidentale serait importante, surtout en ce qui concerne l'affranchissement à l'égard de la Loi islamique.

La deuxième interprétation donnée, serait que la Constitution marocaine resterait dans la ligne des anciennes traditions : le sommet de l'Etat est conforme au modèle du califat et le système juridique du califat imprègne les normes juridiques "modernes". En un mot, la question est de savoir si la législation actuelle du Maroc repose sur une base islamique ou sur une base démocratique à l'occidentale ?

Il est impossible de trancher cette controverse en partant du texte de la Constitution, car la contradiction décrite ici se trouve dans les formulations même du texte. L'article 1er de la Constitution dit que le Maroc est une " une monarchie Constitutionnelle, démocratique et sociale", l'article 29 dit que " la souveraineté appartient au peuple"29(*).

Il reste que de nombreux problèmes internes et externes attendent le nouveau souverain, qui devra jongler entre ces deux visions du système législatif et politique de son pays. En exemple, sur le plan interne, le Maroc souffre des maux qui frappent les pays en développement sans distinction de régime. L'indépendance de la justice est encore un voeu pieux. La corruption salit le système social à tous les étages, les prisons marocaines regorgent encore des pensionnaires condamnés dans des conditions obscures, à l'image de Mohamed Serehane, journaliste qui réclame justice depuis des années. Le responsable de la Ligue de droits de l'Homme, après des nombreuses enquêtes sur place, dénonce au Maroc du non-respect des droits de l'Homme et appelle de ses voeux l'instauration d'une réelle démocratie.

On en revient à la même conclusion que pour la Tunisie, à savoir que tout affranchissement à l'égard de la Loi islamique demeure relatif.

* 27 Frégosi ( Franck), les rapports entre l'Islam et l'Etat en Algérie et en Tunisie: de la revalorisation à leur contestation, Annuaire de l'Afrique du Nord, XXXIII ( 1994), Ed. C.N.R.S, pp.103ss

* 28 Ibid

* 29 Wolff ( Jurger H.), la pensée politique dans l'Islam, la légitimation du pouvoir et la démocratie moderne: le cas du Maroc, Annuaire de l'Afrique du Nord, XXXII (1993), Ed. C.N.R.S, pp. 361ss

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