L'existence d'une conception des droits de l'homme propre aux états musulmanspar Peggy Hermann Faculté de Droit de Montpellier 1 - DEA de Droit International 1999 |
§ 3 : Les Etats musulmans subordonnés à la Loi islamiqueLa Loi imposée par la volonté divine s'impose et prévaut sur celle posée par l'homme. La Loi posée n'est légale et légitime que dans la mesure où elle traduit la Loi islamique, se conforme à ses prescriptions ou est compatible avec elle. Tous les pouvoirs publics sont, donc, limités dans leur volonté et dans leur action par la Shari'à, Loi islamique. C'est dire que le droit étatique n'a pas d'autonomie ou de légitimité propre. Cette situation est, de manière générale, celle des législations en Arabie saoudite, en Iran, au Soudan et au Pakistan. A- Le cas de l'Arabie saoudite Il n'y a pratiquement pas dans le statut fondamental du pouvoir ou dans le texte instituant le Conseil consultatif- qui datent tous deux du 1er mars 1992- de dispositions qui s'éloignent, de par leur contenu ou leur portée, de la Loi islamique. Selon le statut, la Constitution de l'Arabie saoudite est le Coran et la Sunnah (article 1er). Selon l'article 7, la source du pouvoir est constituée par le Coran et la Sunnah. Cette disposition prévaut sur toutes les autres dispositions du statut ainsi que sur l'ensemble des autres règles. Les fondements de la société saoudienne et des droits de l'Homme sont déterminés par la Loi islamique et le droit positif ne peut y déroger. La justice indique l'article 6 se conforme à la Loi islamique. Contrairement aux Etats dont la législation est affranchie de la Loi islamique, les Etats subordonnés à la Loi islamique gouverne tout le système législatif du pays. La subordination n'est en rien relative, comme le demeure l'affranchissement de certains Etats musulmans B- Le cas de l'Iran Le concept de laïcité, que les livres saints ignorent, est jugé par le pouvoir en place en République islamique d'Iran, comme étant la négation tout à la fois de l'Islam et de la Constitution de la République d'Iran. Le Cheik Mohamed Shabistari, professeur de philosophie islamique à l'université de Téhéran s'exprime en choisissant ses mots : " En Islam, il n'existe aucune forme contraignante d'institutions étatiques. Autant un gouvernement s'inspirant des valeurs suprêmes de l'Islam est légitime, surtout dans un pays profondément croyant et traditionnel comme le nôtre, autant un Etat islamique est un non-sens au regard des textes sacrés. Notre Constitution, à laquelle j'adhère par devoir civique, juxtapose les droits divins et les devoirs des citoyens. Ce mélange des genres est la source de nombre de nos problèmes. Il faudra bien un jour échapper à ces contradictions en nous adaptant à la modernité...".30(*) On observe que l'oscillation entre l'ouverture à la modernité et la fidélité à la Loi islamique caractérisent les Etats musulmans affranchis de la Loi islamique, se retrouve dans un Etat musulman se disant subordonné à la Loi islamique. Il convient tout bonnement de rendre compatible les enseignements de la démocratie, et des droits humains, avec les enseignements de l'Islam. Mais comment? Le philosophe musulman Abdel Kerim Souroush, dont les idées, dit-on " sont au pouvoir" depuis l'élection du Président Mohamed Khatami, qui est un rénovateur audacieux puisqu'il s'écarte résolument des textes saints, précisément au nom de la modernité. " Il nous revient à nous, intellectuels du tiers-monde, de les rendre compatibles". " Tout simplement en essayant d'imaginer ce que seraient les prises de position du Prophète s'il devait revenir sur terre pour vivre parmi nos contemporains. Il saura, lui, faire la distinction entre les principes fondamentaux du Coran, très peu nombreux, et la foule de jugements conjoncturels qui correspondaient, il y a quatorze siècles à une société bien différente de la nôtre".31(*) D'après Souroush, sont caduques les institutions de droit divin (le Velayat Faguih), les sanctions pénales dites islamiques, la mise à mort des apostats (allusion entre autre, au cas de Salman Rushdie), l'inégalité entre les hommes et les femmes, les discriminations exprimées à l'égard des non-musulmans ( les Dhimmis) au sein de l'Etat musulman. La "cohabitation à l'iranienne" entre le président Kathami, figure de chef de l'opposition libérale et l'ayatollah Khamenei, chef du gouvernement, est la source des nombreux problèmes que rencontre la République Islamique d'Iran. Elle a pris les allures d'une guerre de positions dans laquelle les interprétations contradictoires de l'Islam ne sont que l'un des aspects. Les médias constituent l'arène centrale de la confrontation. Face à la radio, à la télévision, aux nombreuses publications, contrôlées par les conservateurs, une multitude de revues et de quotidiens militent pour un aggiornamento. La riposte du pouvoir à ces défis a pris diverses formes : suppression de publications, qui renaissent aussitôt sous de nouvelles appellations, arrestations de journalistes et de chroniqueurs, qui reviennent à la charge dès leur libération, campagnes médiatiques d'intimidation, agressions physiques... En juillet 1999, le régime iranien est pris de court par la révolte étudiante en faveur de la démocratie. Chronologiquement, ce sont la fermeture du quotidien réformiste Salam , l'accusation par le tribunal du clergé de son directeur Mahammad Mousavi-khoeiniha (reconnu coupable selon divers chef d'accusation dont ceux de diffamation, de désinformation, de publication de document confidentiel), proche du Président réformateur Mohamed Khatami, et l'adoption concomitante par le Parlement des grandes lignes d'un projet de Loi très restrictif sur la presse, qui furent à l'origine de cette révolte. Force est de constater que suite à ces événements, "la cohabitation à l'iranienne" se caractérise plutôt par un déséquilibre structurel qui oppose un pouvoir absolu à une légitimité populaire. Quant aux Lois, nombre d'entre elles sont d'une ambiguïté qui permet toutes manipulations. La liberté d'expression, par exemple, est garantie à condition qu'elle " ne porte pas atteinte à l'Islam", ou mieux encore, qu'elle ne soit pas " utilisée pour semer la confusion dans les esprits". La législation iranienne est gouvernée par la Loi islamique. Mais la double victoire remportée par les réformistes aux élections présidentielles et municipales reflète de profondes mutations intervenues dans la société. 75 % de la population n'a pas participé à la Révolution de 1969. Elle a grandi à l'ère des satellites et d'Internet ; elle aspire à des moeurs modernes, européennes ou américaines, avec toutes les libertés publiques que celles-ci comportent. Cette volonté d'ouverture vers la modernité leur apparaît compatible avec leur fidélité à l'Islam. * 30 Rouleau (Eric), En Iran ,islam contre Islam, Le Monde Diplomatique, juin 1999, pp.20-21 * 31 Rouleau (Eric), En Iran ,islam contre Islam, Le Monde Diplomatique, juin 1999, pp.20-21 |
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