2- L'APPLICATION DE L'ORDONNANCE DE 1986 OU
L'ADMINISTRATION DE L'ECONOMIE AU NOM DE LA PRESERVATION D'UNE CONCURRENCE
EFFECTIVE
Il s'agit bien du retour d'une économie
administrée, mais d'un troisième type. L'ordonnance de 1986 sur
la libéralisation des prix consacre l'empire de la liberté
d'entreprendre et de concurrence. S'il est bien connu qu'un excès de
liberté est par lui-même liberticide, il revient à l'Etat
de souverainement arbitrer le terrain de jeu du marché, ou se
confrontent l'offre et la demande. Reniant ainsi les thèses
ultraliberales d'un équilibre spontané du marché (Hayek),
ou d'une main invisible déterminant l'intérêt
Général (A.Smith), l'Etat se doit d'intervenir pour compenser les
lacunes du marché : il lui appartient de réguler les
comportements pour préserver le libre fonctionnement de celui-ci(A). En
effet, seul l'Etat dispose de cette force contraignante permettant de
sanctionner les abus pour maintenir un équilibre optimal et redistribuer
les ressources de façon équitable. Ce qui confère aux
autorités économiques une certaine liberté
d'appréciation, néanmoins subordonnée, comme le principe
de légalité l'exige, au contrôle des décisions
administratives. (B)
A- L'objectif d'une libre concurrence effective
Le conseil de la concurrence a émis un avis
défavorable à la concentration car celle-ci aurait pour effet
d'évincer Pepsi-Cola, le principal concurrent, du marché hors
domicile.
Si le marché de la consommation à domicile via
le circuit de la grande distribution n'est pas directement concerné, le
conseil a néanmoins souligné l'existence d'un effet de
contamination des atteintes à la concurrence relevées sur le
marché du hors domicile : même si les bars et les machines ne
représentent que 20% des ventes, ce marché est néanmoins
très stratégique en tant qu'il façonne les nouvelles
habitudes alimentaires. De plus, la position d'un petit commerçant est
incomparable avec celle des grands distributeurs qui disposent d'un pouvoir de
négociation important vis à vis des producteurs, ainsi que d'une
surface de linéaire suffisamment importante pour proposer tous les
produits (sans compter qu'il relève de leur intérêt de
proposer un plus large choix possible à leur clientèle). Les
commerçants, au contraire, ne disposent que de peu d'espace pour stocker
et distribuer leurs produits. En s'approvisionnant, ils sont tenus de faire des
choix entre les marques pour ne retenir en général que les plus
renommées. Les titulaires de ces marques disposent ainsi d'un fort
levier pour imposer la distribution de leurs autres produits.
En effet, les géants des boissons gazeuses ne
produisent pas seulement des boissons au goût de cola, mais ont chacun
à leur actif une gamme de 3 boissons différentes : Un cola,
une boisson gazeuse à l'orange, et une limonade.
Les ministres ont estimé qu'avant la concentration, 2
ensembles complets de produits étaient proposés : le
premier, offert par Coca-Cola, comprenait donc le Coca-Cola, plus une boisson
à l'orange -Fanta-, plus encore une boisson gazeuse claire
-Sprite- ; l'autre ensemble proposait, en raison d'un accord de
distribution entre Pernod-Ricard et Pepsi-Cola, du pepsi-cola, de l'orangina et
enfin de seven-up. En France, les 2 marques jouissant d'une grande
réputation sont incontestablement Coca et Orangina. Les 2 concurrents
s'affrontaient alors à armes égales, puisque chacun disposait
d'un «produit phare ». Des lors, permettre l'acquisition
d'orangina par Coca, revenait à priver la seule gamme concurrente
(pepsi) d'une de ses composantes essentielles.
Estimant que cet effet de gamme ou de portefeuille constituait
un atout essentiel, il revenait aux ministres d'éviter de rompre
l'équilibre concurrentiel du marché -fait inévitable si
l'on brise l'un des 2 ensembles de produits en réunissant Coca cola et
orangina-. Compte tenu des barrières a l'entrée
élevées qui caractérisent les marchés en cause, ces
risques ont paru de nature à évincer Pepsi-Cola des
marchés et à interdire à de nouveaux producteurs de s'y
implanter. A titre significatif, schweppes a essaye de pénétrer
le marché en 1989 en débloquant des frais de marketing
dantesques, et enregistre aujourd'hui une baisse de 5%.
Ce à quoi Coca a opposé que Virgin parvenait
très bien à se frayer une place au soleil, en lançant des
produits tels que « virgin-pulp » ou
« virgin-cola ». Mais l'on connaît la taille et la
notoriété de cet investisseur...
Plus sérieusement, la requête de Coca-Cola a
vigoureusement contesté la légitimité de l'utilisation de
la notion d'effet de gamme ou de portefeuille en se plaçant sur 2
terrains :
Au plan théorique, la prise en compte de cet effet
serait contradictoire avec la définition retenue du marché
pertinent. Il est vrai que par ce raisonnement, les ministres prennent en
compte des produits qui ne relevent pas du marché pertinent tel qu'il a
été préalablement défini : l'effet de
portefeuille implique de considérer la renommée du Coca-Cola,
alors que le marché pertinent retenu n'englobe pas les boissons au
goût de cola. Le Conseil d'Etat a néanmoins
considéré que la contradiction n'était qu'apparente :
reconnaître que le marché des boissons au goût de cola est
distinct du marché des autres boissons gazeuses parce que les produits
n'y sont pas substituantes n'empêche pas de relever que les 2
marchés demeurent voisins, et qu'il peut y avoir des interactions
concurrentielles entre les 2. La notion d'effet de portefeuille permet au
contraire de conceptualiser une vision pragmatique de la réalité
des marchés. Si elle ne constitue pas une notion juridique
consacrée par la loi ou le règlement, elle semble pouvoir
être regardée comme un outil d'analyse adéquat, d'ailleurs
reconnu en doctrine et régulièrement utilisé par les
autorités de concurrence Européennes.
Au-delà de la contestation théorique s'ajoute la
contestation de l'application concrète de la notion : Coca-Cola
soutenant qu'elle ne disposerait pas de marques renommées au point
d'entraîner un tel effet... Cela n'a pas convaincu : il suffit de
constater qu'en l'état actuel du marché et des habitudes des
consommateurs, la gamme des 3 produits est toujours homogène, qu'il
s'agisse de la restauration rapide ou des fontaines automatiques. Coca cola, de
même qu'orangina sont donc indubitablement des produits phares dont la
notoriété est de nature a tirer la gamme dans laquelle ils
s'insèrent.
Même si Pepsi ne détient pas Orangina et que la
longévité de cet ensemble n'est pas certaine dans le long terme,
le contrat qui les lie date de 1993, a été reconduit en 1996,
avec des perspectives d'élargissement jusqu'en 2007. Coca-Cola
réfute ici que les ministres confondent accord de distribution et
propriété : ils raisonnent comme si Orangina appartenait
à Pepsi, or Orangina appartient à Pernod-Ricard. Pour l'avocat,
il n'y a aucun lien de causalité entre les soit-disantes
difficultés de Pepsi et le rachat par Coca-Cola...
Toujours est il qu'au regard de la conjoncture actuelle du
marché et de la présumée solidité de l'entente
entre Pepsi et Orangina (d'ailleurs, dans la foulée de la signature du
protocole d'accord entre Coca-Cola et Pernod-Ricard, le 19 décembre
1997, le PDG, le directeur juridique et le directeur des ressources humaines
d'Orangina ont démissionné, se sentant trahis par Pernod-Ricard
après avoir mené une longue bataille contre
l'hégémonie de Coca-Cola) ; Les ministres ont donc pu
légalement constater que le rachat d'orangina par Coca-Cola constituait
une atteinte décisive a la concurrence au sens de l'ordonnance de
1986.
En dernier lieu, l'argument tenant au détournement de
pouvoir des ministres dont la décision n'aurait eu pour seul but de
protéger la position acquise de Pepsi sur le marché a
été rejetée : En effet, les ministres n'ont agit que
dans le seul but de préserver une concurrence effective, ce qui revient
à évidemment préserver la survie de la seule gamme
concurrente. Décision qui relève uniquement de leur pouvoir de
contrôle des concentrations.
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