B - La contrôlabilité de la
concentration
Une fois cette approche du marché pertinent
validée, il faut encore apprécier si les seuils de
contrôlabilité sont en l'espèce franchis. A cet
égard, l'art.38 de l'ordonnance inclue, pour le calcul du seuil, les
entreprises qui sont parties à l'acte, et «celles qui leur sont
économiquement liées ». Une discussion s'est donc
engagée sur les relations qui unissent The Coca-Cola company et une
autre société, Coca-Cola enterprises, qui assure l'embouteillage
des produits. En effet, la barre des 25% du marché est indiscutablement
dépassée si l'on prend en considération les positions des
2 sociétés réunies. Les juges n'ont eu aucune
hésitation pour reconnaître que ces 2 entreprises sont
économiquement liées au sens de l'art. 38, la première
détenant une part significative du capital social de la seconde, ainsi
que ses droits de propriété intellectuelle. Les moyens
tirés de la législation américaine ont été
considérés comme inopérants.
L'observation de la conjoncture, sous le prisme de la notion
du marché pertinent, a donc permis de déduire que l'ordonnance de
1986 est applicable et que l'acquisition d'Orangina constitue bien une
concentration contrôlable.
La primauté est donc bien donnée au
marché, la loi ne fixant que des seuils pour canaliser ses
« débordements » . Mais l'appréciation
de sa légalité demeure du ressort du gouvernement : le droit
de la concurrence est un instrument flexible qui permet de trouver un juste
équilibre entre le respect de la liberté du commerce et de
l'industrie, largement invoquée par Coca-Cola et Pernod-Ricard, et
l'impératif de préserver une libre concurrence loyale et
effective (fer de lance de la plaidoirie de l'avocat de Pepsi-Cola).
La légalité de la concentration dépend
donc largement de l'observation du conseil de la concurrence sur l'état
du marché. Cette entité de régulation, pôle de
surveillance objectif et impartial doté d'un pouvoir extraordinaire, est
révélatrice de la mutation du rôle de l'Etat dans
l'économie, qui délegue en quelque sorte sa souveraineté
à des organes indépendants plus proches de la
réalité concrète des faits économiques et
ultraspécialisés pour être efficace. La devise
« Agir moins pour agir mieux » implique 2
observations :
En premier lieu, sur le rôle de cette autorité
administrative : sa mission a pour finalité de défendre
l'ordre public économique. En aucune manière elle n'intervient
pour défendre les intérêts d'une partie (ce n'est pas un
organe juridictionnel) . Le désistement de Coca-Cola qui l'avait
initialement saisi est impossible. L'auteur de la saisine n'a pas la
maîtrise de la procédure ainsi engagée. Le fait que le
retrait de plainte soit sans effet sur la décision rendue (CA Paris,
1ere ch ;section H ; 8 sept.1998) nous éclaire sensiblement
sur la nature de cette AAI.
De la même façon, c'est la fin de la
suprématie de la notion classique de loi en tant q' émanation
exclusive de l'Etat. Si celui-ci impose un cadre rigide et contraignant de
l'exterieur, la solution qui en résulte provient de la conjoncture, qui
seule permet d'évaluer l'impact concurrentiel du comportement fautif
d'une entreprise. La stabilité de la loi est devenue sa
mutabilité face au comportement qu'elle vise à sanctionner.
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