Conclusion
L'introduction d'un instrument nouveau dans un domaine jusque
là réservé à l'esprit humain engendre souvent un
rejet quasi général. Puis, passée la méfiance
initiale, il est possible d'observer une phase d'engouement non moins excessive
pour arriver à une approche raisonnable.
Introduire les nouvelles technologies dans le procès
civil n'est pas un projet aisé. Le bouleversement des mentalités
ancrées autour de la culture papier, des comportements et
méthodes de travail des praticiens du droit est loin d'être un
mythe. Néanmoins, l'usage de ces outils n'entraîne pas un
véritable désordre dans la pratique judiciaire puisqu'il est
gouverné par des Directives Européennes, lois et décrets
d'application garantissant la sécurité juridique ainsi que la
bonne application des règles déontologiques de chaque profession
judiciaire et protégeant les données personnelles des
utilisateurs. A ce titre, il suffit de se pencher simplement sur
l'actualité judiciaire pour comprendre combien ces instruments sont
encadrés par des normes: de nombreux textes et programmes ayant pour
objectif premier de sauvegarder la sécurité du système
civil procédural sont en voie d'être appliqués, notamment
le décret du Conseil d'Etat pris en application de la loi du 13 mars
2000 relatif à la signature électronique, à
l'établissement et à la conservation des actes authentiques
électroniques. Les nouvelles technologies ont dès lors pu
convaincre les plus réservés quant aux atouts qu'elles comportent
pour la procédure civile. La célérité de la justice
comme la productivité dans la gestion des dossiers semblent
assurées par ces outils. Les profits que peuvent retirer les
professionnels du droit comme les justiciables du développement de ces
instruments dans la sphère civile procédurale ne peuvent
être méprisés. A cet égard, la méthode de la
certification atteste d'un avenir prometteur. Reposant sur le mécanisme
de la cryptographie et contrôlé par un tiers indépendant,
l'échange de données dématérialisées
s'effectue de manière sécurisée répondant ainsi aux
exigences de confidentialité et d'authenticité. En raison des
garanties procédurales qu'il offre aux utilisateurs, ce mécanisme
renferme sans doute de sérieux enjeux pour l'utilisation future des
nouvelles technologies dans la procédure civile.
Cependant, le parcours vers une procédure totalement
dématérialisée est semé d'embûches et il faut
être conscient des problèmes de faisabilités et de
sécurité juridique. Ce sont d'abord des obstacles techniques qui
doivent être dépassés afin que la communication
électronique s'opère en toute quiétude. A ce titre,
l'archivage des données électroniques et la durée de la
conservation des documents numérisés présentent des
difficultés dont il convient de remédier : les actes, qu'ils
soient authentiques ou sous-seing privé, doivent pouvoir être
conservés conformément aux exigences légales. Mais
à cet égard, la technologie avançant à une vitesse
fulgurante, il est possible que ces risques soient maîtrisés
à l'avenir, à supposer que d'autres ne viennent pas s'ajouter
à ceux connus. Ensuite, et surtout, le danger majeur de l'instauration
d'une procédure civile intégralement informatisée concerne
l'équité judiciaire. En effet, la question de l'étendue
des nouvelles technologies quant aux conséquences qu'elle pourra avoir
pour le droit d'accès à la justice de l'usager doit être au
coeur des débats. Si le système judiciaire parvient à la
société du « tout électronique », un
certain nombre de problèmes sont à envisager : le clivage
entre les individus disposant d'outils informatiques et les autres, la perte
de l'égalité entre les citoyens devant la justice, le
déclin des professionnels du droit non informatisés, et le non
respect des principes fondamentaux. Enfin, à cette menace s'ajoutent les
risques de parvenir, d'une part, à une surconsommation judiciaire,
puisque la simplification excessive de l'engagement d'une action civile pourra
entraîner un engorgement des tribunaux, d'autre part, à une
dépersonnalisation dans le traitement des dossiers, étant
donné que les relations humaines pourront disparaître au profit
d'une unique communication par voie électronique, et enfin, à une
perte de l'appréciation souveraine du magistrat pour les
décisions d'opportunité, dans le cas où la machine
viendrait à remplacer le juge.
Le « tout électronique » dans la
procédure civile, comme dans les autres secteurs judiciaires et
juridiques, constitue donc une utopie même s'il peut correspondre
à une ardente ambition des personnes intéressées. Ce
constat est préférable au vu des risques que l'intégrale
informatisation de la sphère procédurale pourrait comporter. Loin
d'être un échec, il est le reflet d'une prudence honorable
s'expliquant par le souci de ne pas aboutir à une discrimination dans le
traitement judiciaire. Dès lors, il convient de rester à une
utilisation modérée des nouvelles technologies en ne proposant
des échanges dématérialisés qu'à ceux qui
disposent de ces nouveaux outils, et ce, afin d'éviter de créer
un « fossé numérique ».
A l'avenir, la justice pourra très bien fonctionner
selon un mode alternatif, comme c'est le cas à moindre mesure
actuellement: d'un côté, la présence physique, de l'autre
côté, l'immatériel. Loin d'être substituée
à l'homme, la machine restera un outil d'aide et de simplification des
démarches procédurales.
L'objectif primordial est de trouver un équilibre dans
l'usage des instruments électroniques afin que la sécurité
juridique soit sauvegardée. Même si la pression tacite
exercée par la société actuellement nous conditionne tous,
dans la vie privée comme dans la vie publique, à nous
équiper de nouvelles technologies, il faut que l'utilisation de
celles-ci reste un choix pour le justiciable ainsi que pour les professionnels
du droit, et non une nécessité. Ces derniers doivent conserver le
droit de pouvoir se servir ou non d'instruments ou de préférer
le support papier au support électronique.
Cette conception « citoyenne » de
l'utilisation des nouvelles technologies est une préoccupation que tous
les acteurs du procès civil doivent partager. Dès lors, si la
perception de l'usage de ces outils modernes est envisagée de
manière équilibrée, celui-ci pourra promettre un avenir
satisfaisant.
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