CHAPITRE 2 : La substitution intégrale du
juge par l'informatique, une étape à ne pas franchir
La mise en place de nouvelles technologies tel que les
logiciels de travail partagés peut faciliter le
délibéré. Techniquement en effet, il paraît
aisé de mettre en ligne des éléments figurant dans les
dossiers : pièces produites, arguments des parties et conclusions
des avocats. Ainsi, tout ce qui est dans le débat constitue un
environnement partagé. Mais cette simplification de la procédure
par l'utilisation de procédés informatiques peut-elle aller
jusqu'à substituer le juge par l'informatique ? Certes, le jugement
n'est que le point d'orgue de la procédure, mais il peut paraître
artificiel de le dissocier.
Dès lors, comment analyser l'immixtion des nouvelles
technologies dans le travail du magistrat du siège ? La technique
permet-elle simplement au juge de le seconder ou peut-elle le
remplacer ?
En considérant dans un premier temps que l'utilisation
impropre des procédés techniques risque fortement de bouleverser
le rôle du magistrat dans sa fonction de meneur de débat et de
preneur de décision (section 1), il convient d'exposer l'idée
selon laquelle les nouvelles technologies peuvent l'assister favorablement
(section 2).
SECTION 1 - L'appréciation humaine de
l'opportunité d'une décision
Les nouvelles technologies peuvent-elles remplacer le juge en
tant qu'être humain ? Les débats oraux menant à la
décision tout comme le jugement lui-même peuvent-ils être
échangés par une automatisation de la procédure ?
L'utilisation de la technique ne semble pas pouvoir substituer
le cheminement de pensée conduisant à la décision (I)
comme la réalisation d'un jugement équitable (II).
I. La nécessaire sauvegarde des relations humaines
entre le juge et le justiciable
Le procès civil demeure au fond, la chose de parties
malgré le rôle accru de nos jours reconnu au juge. L'initiative
appartenant aux parties, la procédure civile reste accusatoire. Les
articles 1 à 5 du Nouveau Code de procédure civile ne laissent
aucun doute sur cette idée. Seules les parties introduisent l'instance
et ont la liberté d'y mettre fin avant qu'elle ne s'éteigne par
l'effet d'un jugement ou en vertu de la loi. De plus, ce sont leurs
prétentions respectives qui déterminent l'objet du litige. Le
juge, quant à lui, a pour fonction de veiller au bon déroulement
de l'instance et de se prononcer sur tout ce qui est demandé.
Dès lors, même si un système informatique
peut gérer une partie de la procédure civile et faciliter la
discussion collective dès l'enrôlement de l'affaire, le citoyen
attend dans certaines situations que le juge l'écoute vraiment,
c'est-à-dire sans intermédiaire humain ou technique. En effet,
au-delà de la question relative à la perte
d'égalité entre les justiciables qu'une procédure
intégralement automatisée pourrait engendrer, l'usager a sans
doute besoin d'être rassuré par des paroles, une écoute,
une présence physique. Souvent néophyte en droit, perdu dans le
système judiciaire, il risquerait d'être totalement noyé si
une telle procédure venait à être créée. Le
citoyen attend donc que le juge lui accorde le temps nécessaire à
la compréhension des faits qui lui sont soumis parce qu'à
côté de celle de décider, l'une des missions les plus
importantes du juge est bien de permettre aux parties d'entendre leur parole,
la voix de leur contradicteur et d'en admettre la légitimité afin
de rechercher ensemble des solutions qui ne peuvent être mises en oeuvre
que si elles ont été acceptées dans une moindre mesure.
Ce travail d'audition, de maniement du débat et de
décision parait donc difficile s'il est réalisé dans un
cadre qui ne met pas en présence les différents acteurs.
L'écoute n'est pas tout à fait la même à
l'égard de ceux qui sont présent à l'audience et ceux qui
sont loin ou dont les propos ont été enregistrés ou
retranscrits. La qualité du débat risquerait donc d'être
altérée par la mise en place d'un système
intégralement automatisé, sans intervention de l'homme. De plus,
les parties doivent garder encore la possibilité d'entendre leur avocat
plaider, les questions ou remarques du juge. Une procédure civile
entièrement technique entraînerait une déshumanisation de
la justice qui n'est pas souhaitable car la croyance d'une bonne administration
de notre système judiciaire, fondé par les hommes et encré
dans nos esprits ne pourra plus être défendue : le gain de
temps procuré par les nouvelles technologies mettra en péril le
principe du dialogue.
Aussi et surtout, il serait illusoire de penser que tous les
usagers de la justice pourront un jour être informatisés.
Dès lors, on ne peut imaginer que la justice prive les justiciables de
l'accès à leur droit à être jugé. Le
débat peut donc dans une certaine mesure être informatisé
mais l'intégralité de l'instruction d'un dossier ne peut se faire
avec cette technique puisque d'une altération de la qualité du
débat, nous passerons à une absence totale de débat.
Il convient donc de distinguer là encore, ce qui gagne
à être véhiculé par des moyens techniques et ce qui
reste dans les relations directes entre les individus. A cet égard, il
semblerait possible de permettre et de développer des échanges
par voie électronique entre les professionnels du droit (avocats,
huissiers de justices, notaires, greffiers, magistrats) afin que la gestion du
dossier soit facilitée, mais il serait déraisonnable d'effacer le
dialogue entre le juge et le justiciable pour les raisons
susmentionnées. Néanmoins, les problèmes demeurent les
mêmes pour les professions judiciaires : toutes ne sont pas
intégralement informatisées et il n'est pas imaginable de les
contraindre à le faire. Ainsi, l'instauration d'un « tout
informatique » entraînerait des dysfonctionnements importants
dans le système judiciaire puisque même les techniciens du droit
ne pourraient assurer leurs devoirs. Il convient donc de doser de
manière judicieuse l'utilisation des nouvelles technologies afin que les
débats ne soient pas dénaturés, voire qu'ils ne
disparaissent pas.
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