L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
b) Les augmentations de capital sans droit préférentiel de souscription72. - Les innovations principales de l'ordonnance en matière de procédure d'augmentation de capital résident finalement dans le régime applicable aux émissions de titres de capital sans droit préférentiel de souscription. 73. - La possibilité de supprimer le droit préférentiel de souscription est maintenue par l'ordonnance, étant entendu que cette suppression peut concerner tout ou partie de l'augmentation de capital183(*). L'ordonnance modifie à la marge les conditions de suppression du droit préférentiel de souscription. Selon l'article L. 225-135 modifié du Code de commerce, lorsque l'assemblée générale décide la suppression du droit préférentiel de souscription, elle doit statuer sur le rapport des commissaires aux comptes184(*). En revanche, lorsqu'elle autorise l'augmentation de capital, déléguant au conseil d'administration ou au directoire, selon le cas, le pouvoir de la décider, le rapport du commissaire aux comptes n'est plus nécessaire lors de l'assemblée générale185(*) ; il doit être produit lors de la décision d'émission prise par l'organe de direction. 74. - L'article L. 225-135-1 du Code de commerce règle avec certitude le sort des émissions sursouscrites, qu'il y ait maintien ou suppression du droit préférentiel de souscription186(*). En revanche, il n'en va pas de même de l'article L. 225-134 relatif à l'insuffisance des souscriptions187(*). Stricto sensu, celui-ci ne paraît applicable qu'aux seules augmentations de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription ; néanmoins, sur le fondement des textes anciens, la Commission des opérations de bourse avait permis aux émetteurs de mettre en place des systèmes de « rallonge » en fixant un montant d'opération inférieur à celui qu'ils entendaient obtenir sans avoir à annuler l'opération si la souscription était insuffisante, quitte à augmenter si nécessaire le montant initial de l'opération. Le raisonnement de la Commission des opérations de bourse ayant été élaboré dans un contexte textuel différent, la question reste entière de savoir si l'article L. 225-134 du Code de commerce est applicable en cas d'émission avec suppression du droit préférentiel de souscription188(*). 75. - Ces observations faites, il convient se pencher sur les modifications apportées par l'ordonnance, avec la légalisation du délai de priorité (i), l'assouplissement des règles de prix minimum (ii) et l'introduction de la flexibilité de rémunération d'apports de titres hors offre publique d'échange (iii). (i) La légalisation du délai de priorité76. - L'ordonnance légalise le principe du délai de priorité pour les sociétés dont les titres de capital sont admis aux négociations sur un marché réglementé189(*). Le droit de priorité est une invention de la pratique qui organise, de manière contractuelle et volontaire, les modalités de souscription à une augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription ; il est accordé à l'ensemble des actionnaires et leur permet de souscrire, par priorité aux tiers et de manière proportionnelle à leur part de capital, à l'augmentation de capital proposée, pendant une période de temps courte190(*). La raison de cette pratique déjà ancienne est donc de permettre aux sociétés cotées d'échapper aux délais inhérents aux augmentations de capital avec droit préférentiel de souscription et d'assurer la primauté de l'actionnaire dans l'hypothèse d'une émission par appel public à l'épargne avec suppression du droit préférentiel de souscription. 77. - On peut s'interroger sur les raisons de cette législation. Les autorités de marché, la doctrine et les praticiens en avaient reconnu la validité depuis plus de vingt ans. L'ordonnance n'ouvre aucune flexibilité nouvelle pour le droit de priorité qui aurait pu requérir son intervention191(*). L'article L. 225-135, alinéa 2 du Code de commerce se borne à préciser que l'utilisation du délai de priorité peut être décidée par l'assemblée générale extraordinaire ou par le conseil d'administration ou le directoire si l'assemblée lui a délégué ce pouvoir. L'ordonnance prévoit également un délai minimum qui est de trois jours de bourse192(*). Cette exigence répond au souci identifié dans le passé d'assurer un délai suffisant pour permettre aux actionnaires d'avoir connaissance de l'opération et prendre leur décision d'exercice du droit de manière raisonnable193(*). 78. - Plusieurs questions se posent à propos de ce texte. La première est relative à l'étendue du délai de priorité. Certes, il ne se conçoit que stipulé à titre irréductible, faute de quoi il n'existerait pas, mais rien n'interdit qu'il le soit également à titre réductible194(*). Cependant, il faut noter que la Commission des opérations de bourse s'y est opposée naguère195(*), sans doute parce que l'instauration d'un second tour augmenterait trop la durée de l'opération. Une autre question tient à la nature du délai. Les auteurs étaient divisés sur ce point, certains y voyant une faculté par nature non négociable, n'étant pas institutionnellement liée aux actions196(*), d'autres admettant à l'inverse que, s'agissant d'un diminutif du droit préférentiel de souscription, le droit prioritaire serait un démembrement de la valeur mobilière, qui pourrait donc être stipulé négociable197(*). En précisant que la priorité qui peut être instaurée dans les sociétés cotées est un délai, l'article L. 225-135 du Code de commerce conduit, semble-t-il, à ne pas y voir un droit. Cependant, ainsi que l'avait noté un auteur, le fait que le texte se borne à mentionner un délai de priorité n'empêche pas qu'il soit un droit de priorité, obligation étant faite à la société de le respecter à peine de sanction198(*). Pour autant, faute d'être incorporé dans un titre199(*), il ne paraît pas négociable et serait donc simplement cessible dans les formes du droit civil, sauf stipulation contraire200(*). 79. - On voit dans cette légalisation toute l'ambiguïté actuelle du régime applicable aux augmentations de capital, qui souhaite à la fois concilier le souci de la protection des actionnaires existants en leur donnant un droit de souscrire aux augmentations de capital et l'exigence de rapidité d'exécution pour faire face aux contraintes de marché. C'est ainsi que l'ordonnance essaie de pallier certaines carences du régime des augmentations de capital avec droit préférentiel de souscription en légalisant et remettant en avant le droit de priorité qui apporte une plus grande flexibilité dans la gestion du calendrier et donc permet de réduire l'exposition de l'opération au risque de marché201(*). L'application des règles de prix minimum pourrait toutefois rester un frein à l'utilisation de ce droit qui n'a été que peu utilisé depuis l'évolution du marché vers les bons de souscription d'actions202(*). * 183 Art. L. 225-135 C. com. * 184 V. infra n° 390. * 185 L'assemblée générale doit toujours statuer au vu d'un rapport du commissaire aux comptes pour les autorisations réservées à des personnes dénommées ou des catégories de personnes répondant à des caractéristiques déterminées (art. L. 225-138 C. com.), les autorisations d'augmenter le capital « au fil de l'eau » (art. L. 225-136, I, al. 2 C. com.), les augmentations de capital réservées aux salariés (art. L. 225-138-1 C. com.), et l'octroi d'options de souscription d'actions (art. L. 225-177 C. com.). * 186 Supra n° 60. * 187 Supra n° 60. * 188 En faveur de cette transposition, A. COURET et H. LE NABASQUE, Valeurs mobilières - Augmentations de capital - Nouveau régime - Ordonnance des 25 mars et 24 juin 2004, op. préc., n° 216. * 189 Art. L. 225-135, al. 2 C. com. * 190 Le droit de priorité reposant sur une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription, la règle du prix minimum décrite infra n° 81 et s. s'applique. * 191 J.-M. DESSACHÉ, « Les règles propres aux sociétés cotées : l'assouplissement des règles d'émission », in Le nouveau droit des valeurs mobilières après la réforme du 24 juin 2004, art. préc. * 192 Art. 165, III, du décret n° 67-236 du 23 mars 1967, introduit par le décret n° 2005-112 du 10 février 2005. * 193 Le délai de priorité était généralement de dix jours calendaires dans les années 1980, puis s'est raccourci au fil du temps. Les opérations réalisées depuis 1995 reposent sur des délais de priorité généralement compris entre cinq et sept jours. La COB a pris pour position en 1987 que le délai de priorité devait être d'au moins cinq jours calendaires (Bull. COB 1987, n° 202, p. 7). * 194 En ce sens, P. D'HOIR, La réforme des valeurs mobilières & des augmentations de capital, op. préc., p. 21 ; « Réforme du régime des valeurs mobilières », Banque & Droit 2004, n° 97, p. 64. * 195 Bull. COB 1990, n° 239, p. 5. * 196 S. DANA-DESMARET, « Capital social », Rép. soc Dalloz, n° 149. * 197 G. ENDRÉO, « Le droit prioritaire de souscription aux titres de capital », Rev. dr. bancaire 1987, 114. * 198 G. ENDRÉO, « Le droit prioritaire de souscription aux titres de capital », art. préc, 118. * 199 H. Causse, Les titres négociables, Litec, coll. Bib. de droit de l'entreprise, 1993. * 200 En ce sens, P. D'HOIR, La réforme des valeurs mobilières & des augmentations de capital, op. préc., p. 21 ; « Réforme du régime des valeurs mobilières », Banque & Droit 2004, art. préc. * 201 L'augmentation de capital avec droit de priorité peut être réalisée en une semaine contre trois semaines pour l'augmentation de capital avec droit préférentiel de souscription. * 202 Seules trois opérations ont été réalisées depuis le début de l'année 2001 sur le Premier marché avec délai de priorité, dont deux portant sur des ABSA et non des actions ordinaires et la troisième dans un contexte particulier de recapitalisation au-dessus du cours de bourse. |
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