L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
b) Le droit d'information des actionnaires de préférence365. - Aux termes de l'article L. 228-19 du Code de commerce, « les porteurs d'actions de préférence, constitués en assemblée spéciale, ont la faculté de donner mission à l'un des commissaires aux comptes de la société d'établir un rapport spécial sur le respect par la société des droits particuliers attachés aux actions de préférence. Ce rapport est diffusé à ces porteurs à l'occasion d'une assemblée spéciale ». Il ne s'agit pas ici d'un droit particulier661(*). Ce texte confère aux porteurs d'actions de préférence constitués en assemblée spéciale un véritable droit d'audit permanent de la société émettrice quant au respect par celle-ci des prérogatives particulières attachées aux actions de préférence. 366. - Le rapport spécial du commissaire aux comptes comprend son avis sur le respect par la société des droits particuliers attachés aux actions de préférence et indique, le cas échéant, la date à partir de laquelle ces droits ont été méconnus662(*). Les frais relatifs à l'établissement du rapport son à la charge de la société663(*). 367. - Le souci de protection des porteurs que manifeste l'article L. 228-19 du Code de commerce est assurément louable. Cependant, en octroyant une telle prérogative aux actionnaires de préférence, les rédacteurs de l'ordonnance n'en ont, semble-t-il, pas envisagé toutes les conséquences. Sa mise en oeuvre risque en effet de susciter la controverse. Tout d'abord, rien n'est dit de la périodicité de cette mesure, ce qui peut donc autoriser l'assemblée spéciale à lancer périodiquement une telle mission d'investigation, sauf pour la société à invoquer l'abus de droit, dans la ligne de la jurisprudence récente sur les questions écrites des actionnaires664(*), et à solliciter du juge qu'il soit fait défense au commissaire aux comptes de déférer à l'injonction de l'assemblée spéciale des actionnaires de préférence. 368. - Ensuite, la décision de l'assemblée spéciale est discrétionnaire ; elle n'a pas à invoquer une irrégularité ou un soupçon d'irrégularité dans le service des droits particuliers attachés aux actions de préférence ou une insuffisance dans l'information des porteurs. Ceci est de nature à faciliter d'éventuelles dérives, particulièrement lorsque les actions de préférence seront dépourvues de droit de vote et donc leurs porteurs privés de moyens d'expression dans les assemblés générales d'actionnaires. A l'inverse, le commissaire aux comptes, choisi librement par l'assemblée en cas de pluralité de commissaires, ne se voit reconnaître aucune liberté d'appréciation et, sauf à engager sa responsabilité, il ne saurait décliner l'invitation de l'assemblée spéciale. 369. - Une autre source possible de discorde est la définition très large que l'article L. 228-19 du Code de commerce donne de la mission : « établir un rapport spécial sur le respect par la société des droits particuliers attachés aux actions de préférence ». Or, dans le cas de droits financiers complexes, indexés sur le résultat de branches d'activité ou d'autres paramètres financiers, cela peut exiger des investigations approfondies pouvant s'étendre aux décisions de gestion ayant pu affecter ce résultat ou ces paramètres. 370. - Un autre silence couvre la durée de la mission. Le bon sens conduit à ménager au commissaire aux comptes un délai raisonnable pour l'exécution de la mission, le « raisonnable » dépendant de la nature et des difficultés de l'enquête sollicitée. 371. - Enfin, le texte se garde de prévoir les suites éventuelles du rapport, au-delà d'une diffusion en assemblée spéciale, ce qui oblige par conséquent à réunir une nouvelle assemblée de manière à permettre aux actionnaires de préférence de discuter du contenu du rapport et d'arrêter les initiatives à prendre. Parmi ces initiatives, on peut imaginer une action en responsabilité contre la société, engagée non par l'assemblée spéciale665(*) mais par les actionnaires de préférence agissant individuellement ou en se groupant, selon les modalités prévues par l'article 199 du décret du 23 mars 1967. 372. - L'avenir dira si la mesure prévue par l'article L. 228-19 du Code de commerce n'a pas plus d'inconvénients que d'avantages. Le souci de protection des porteurs d'actions de préférence est, plus qu'une préoccupation honorable, une nécessité. Toutefois, il faut prendre garde à l'excès de protection ou à la protection mal adaptée, lesquelles risquent de s'avérer, dans certains cas, nuisibles. La même remarque vaut pour la protection des actionnaires relativement aux augmentations de capital. * 661 Supra n° 169. * 662 Art. 206-7, al. 1er du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005. * 663 Art. 206-7, al. 2 du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005. * 664 T. com. Paris, 11 mai 2004 : JCP E 2004, 1154. * 665 Il n'y a pas, comme pour les obligataires (art. L. 228-54 C. com.), de représentant « de la masse des actionnaires de préférence » et donc de possibilité d'action par un tel représentant au nom de l'ensemble des porteurs d'actions de préférence. |
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