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L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004


par Julien Carsantier
Université Paris Dauphine - DEA 122 2005
  

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(1) Le droit de veto

161. - La question qui se pose est de savoir si les actions de préférence peuvent bénéficier d'un droit de veto autorisant leurs titulaires seuls à s'opposer à certaines décisions, même adoptées par l'assemblée générale des actionnaires à la majorité requise ou au sein du conseil d'administration ou de surveillance.

162. - Les développements infra n° 163 et suivants ne concernent que les SA et les SCA. Ces règles de fonctionnement sont en effet inapplicables à la SAS, comme en dispose l'article L. 227-1, alinéa 3 du Code de commerce. Aussi, il est possible de prévoir, dans cette forme de société, un droit de veto aussi bien pour les décisions des organes de gestion que pour les décisions collectives des associés332(*).

163. - Il convient dans un premier temps d'envisager un droit de veto aux assemblées générales.

L'utilité d'un droit de veto pour le titulaire de l'action de préférence peut se concevoir dans plusieurs hypothèses. Par exemple, pour éviter d'encourir les responsabilités d'un administrateur, le titulaire des actions de préférence - par hypothèse un investisseur en capital investissement - pourrait choisir un droit de veto s'appliquant exclusivement en assemblée générale ; ou encore, les titulaires d'actions de préférence - par hypothèse minoritaires - pourraient empêcher l'adoption d'une résolution supprimant le droit préférentiel de souscription.

164. - Les règles de quorum et de majorité selon lesquelles délibèrent les assemblées d'actionnaires333(*) constituent des dispositions d'ordre public334(*) dont le non-respect est du reste sanctionné par la nullité des délibérations prises335(*). Or, attribuer à l'actionnaire titulaire d'une action de préférence le droit de s'opposer à telle décision de l'assemblée générale, c'est enfreindre les dispositions légales précitées et porter atteinte au droit de vote des autres actionnaires.

La loi s'attache à limiter les droits susceptibles d'être attribués aux actions de préférence en matière de vote336(*). Il en résulte que, s'il existe et lorsqu'il s'exerce, le droit de vote attaché aux actions de préférence doit respecter les règles qui régissent le droit de vote dont bénéficient toutes autres actions.

Dès lors, il serait illicite d'instituer au profit des actions de préférence un droit de veto aux assemblées générales, même limité à certaines opérations et temporaires337(*).

165. - On peut alors penser que l'alternative serait d'appliquer le droit de veto aux décisions du conseil d'administration ou de surveillance.

Le rapport du MEDEF de mai 2001 sur les actions de préférence338(*) mentionne la possibilité d'accorder un tel droit lorsque les titulaires de ces actions sont associés au pouvoir de décision par l'attribution d'un certain nombre de sièges au sein du conseil. Ceci suppose donc naturellement au préalable que soit organisée la représentation nécessaire des porteurs d'actions de préférence dans l'organe collégial concerné339(*).

166. - Les textes applicables aux SA offrent plus de souplesse pour aménager les règles de vote au conseil d'administration ou de surveillance qu'à l'assemblée générale. En effet, si les règles de quorum pour les réunions du conseil d'administration340(*) ou de surveillance341(*) sont impératives, les statuts peuvent en revanche aménager les règles de majorité en prévoyant une majorité plus forte que celles des membres présents ou représentés342(*).

167. - Les auteurs sont unanimes sur l'impossibilité, pour le droit particulier conféré par une action de préférence, de consister en un droit général et définitif de s'opposer aux décisions du conseil d'administration ou de surveillance. En effet, l'expression du vote au conseil relève de l'ordre public et il semble impératif que chaque administrateur dispose d'une voix343(*) ; accorder un droit de veto définitif et général reviendrait à remettre en cause ce principe de vote individuel et égalitaire.

168. - En revanche, les auteurs sont très divisés sur licéité d'un droit de veto cantonné à certaines décisions du conseil précisément définies.

L'ANSA et le MEDEF considèrent qu'un tel droit est licite344(*), et pourrait notamment prendre l'une des formes suivantes : majorité renforcée ou unanimité au conseil d'administration ou de surveillance pour les décisions concernées345(*) ; droit d'obtenir une nouvelle délibération, celle-ci devant intervenir dans un délai raisonnable (par exemple, dans la limite de l'exercice en cours)346(*) ; accord préalable de l'assemblée spéciale des porteurs d'actions de préférence pour les décisions portant atteinte à leurs intérêts347(*). L'ANSA précise que ces solutions doivent néanmoins respecter certaines conditions : le droit de veto accordé ne doit pas être contraire à l'intérêt social et il doit être cantonné à certaines décisions précisément définies. Certains auteurs conçoivent également cette possibilité, bien qu'émettant des réserves348(*)

Une partie de la doctrine émet des doutes sur la possibilité d'un droit de veto au sein du conseil d'administration en raison du caractère collégial de cet organe, car, dans cette hypothèse, la volonté d'un seul administrateur suffirait à paralyser le fonctionnement du conseil349(*) .

Plus nuancé, un auteur admet l'attribution d'un droit de veto, mais uniquement sur les questions relevant de la protection des droits particuliers attachés aux actions de préférence350(*).

De leur côté, certains auteurs expliquent que, dès lors que la loi autorise les statuts à exiger l'unanimité pour la prise de décision du conseil d'administration ou de surveillance, on peut être tenté de penser qu'il est facile d'instituer un droit de veto par ce biais ; mais ils précisent que l'efficacité de la mesure supposerait de prévoir l'unanimité des membres en fonction et non des membres présents ou représentés. Or, une telle stipulation serait réputée non écrite puisqu'elle aurait pour effet d'enfreindre les dispositions impératives qui fixent le quorum351(*). En outre, la stipulation d'une majorité renforcée incluant nécessairement le vote de tel administrateur représentant les titulaires d'actions de préférence paraît très contestable parce qu'indirectement elle revient à modifier la règle du quorum. Il sera donc nécessaire de prendre des mesures supplémentaires et notamment des règles de convocations strictes ; mais on touche déjà aux autres droits politiques.

* 332 V. B. MERCADAL et Ph. JANIN, Sociétés commerciales, op. préc., n° 1832.

* 333 Art. L. 225-96 et L. 225-98 C. com.

* 334 En ce sens, par exemple, Lamy sociétés commerciales 2005, n° 3704 et 3734 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Sociétés commerciales, op. préc., n° 11089.

* 335 Art. L. 225-121, al. 1er C. com.

* 336 Supra n° 154 et s.

* 337 ANSA, Comité juridique, avis n° 05-002 du 5 janvier 2005 ; A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens », art. préc., p. 1162. 

* 338 Rapp. préc., p. 7.

* 339 Infra n° 76.

* 340 Art. L. 225-37, al. 1er C. com.

* 341 Art. L. 225-82, al. 1er C. com.

* 342 Art. L. 225-37, al. 2 et L. 225-82, al. 2 C. com.

* 343 ANSA, Comité juridique, avis n° 05-002 préc. ; A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens », art. préc.,p. 1162; A. COURET et H. LE NABASQUE, Valeurs mobilières - Augmentations de capital - Nouveau régime - Ordonnance des 25 mars et 24 juin 2004, op. préc., n° 516. 

* 344 ANSA, Comité juridique, avis n° 05-002 du 5 janvier 2005.

* 345 De cette façon, le titulaire des actions de préférence ne peut se voir imposer une décision contre son gré.

* 346 Autrement dit, ce droit de veto ne permet en réalité que de suspendre une décision du conseil et de la soumettre à une nouvelle délibération, qui devrait intervenir dans un délai raisonnable, par ex. dans la limite de l'exercice en cours.

* 347 Par exemple, la décision de céder le secteur d'activité sur lequel s'exercent les droits des porteurs.

* 348 M. BANDRAC, P. BIROTHEAU, C. DEBIN, J.-P. DOM, S. GAILLET, F. LE ROQUAIS et M. SUPIOT, « Le régime et l'émission des valeurs mobilières après les ordonnances de 2004 », art. préc., p. 13 : « se posent, comme auparavant lors de la stipulation de tels droits dans les actes extra-statutaires, les questions relatives à l'immixtion des bénéficiaires dans la gestion de la société (dirigeant de fait) et au respect par ces derniers de l'intérêt social de la société ».

* 349 B. MERCADAL et Ph. JANIN, Sociétés commerciales, op. préc., n° 18184 ; A. COURET et H. LE NABASQUE, Valeurs mobilières - Augmentations de capital - Nouveau régime - Ordonnance des 25 mars et 24 juin 2004, op. préc., n° 516 : « la formule nous paraît problématique car elle aboutit à conférer à un membre du conseil un pouvoir contraire à la loi. Il est difficile d'admettre que le fonctionnement d'un organe collégial soit paralysé par une seule volonté ».

* 350 A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1532, qui admet un droit de veto sur les actes concernant les actifs dont dépendent les droits financiers des actions de préférence.

* 351 A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens », art. préc., p. 1162.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo