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L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004


par Julien Carsantier
Université Paris Dauphine - DEA 122 2005
  

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(1) Les droits connus

134. - Dividende prioritaire, cumulatif ou non. Il s'agit du dividende attribué avant tout autre, mais ne donnant aucun avantage à son bénéficiaire en cas de bénéfice suffisant pour permettre de distribuer le même dividende aux autres actions. L'avantage naît donc dans le cas où les bénéfices s'avèrent insuffisants pour égaliser le dividende servi à toutes les actions existantes.

Ce droit est accentué lorsqu'il est stipulé cumulatif, c'est-à-dire lorsqu'il est susceptible d'être prélevé sur les bénéfices des exercices ultérieurs si ceux d'un exercice sont insuffisants.

135. - Dividende préciputaire, cumulatif ou non. Cela revient à un exemple de partage inégal de bénéfices ; les actions de préférence reçoivent un dividende dont seront privées les autres actions275(*), quand bien même les bénéfices seraient suffisants.

Le dividende préciputaire peut être stipulé cumulatif, à l'instar du dividende prioritaire.

136. - Dividende - variantes. Le dividende peut être assorti d'autres modalités, cumulatives le cas échéant ; il peut ainsi être déterminé ou déterminable, progressif ou dégressif, certain ou conditionnel, forfaitaire ou variable.

137. - Remboursement prioritaire en cas de dissolution de la société émettrice. Ceci signifie qu'un premier prélèvement est fait sur le produit de la liquidation de la société pour assurer le remboursement du nominal des actions de préférence, avant celui des autres actions. Si le total à répartir est suffisant, tous les titres de capital reçoivent la même somme.

138. - Répartition inégalitaire du boni de liquidation. Il s'agit d'attribuer aux actions de préférence un droit dans le boni de liquidation proportionnellement supérieur à la quote-part du capital qu'elles représentent276(*).

139. - Droit à amortissement. L'amortissement du capital277(*) consiste, pour la société, à rembourser le nominal de toutes les actions composant le capital ou celui de chaque action d'une même catégorie, au moyen de sommes distribuables. Les actions intégralement amorties deviennent des actions de jouissance278(*).

On pourrait envisager que les actions de préférence, et elles seules, soient stipulées amortissables, en une ou plusieurs fois.

(2) Les droits « nouveaux »

140. - Exonération partielle des pertes. La prohibition des pactes léonins279(*) interdit d'exonérer totalement un associé de sa contribution aux pertes. Dès lors, une action de préférence peut conférer un droit d'exonération d'une partie seulement des pertes sociales280(*). Il reste à en déterminer les modalités.

Dans une société qui limite la responsabilité des associés au montant de leur apport, la clause est appelée à s'appliquer soit en cas de réduction de capital motivée par des pertes, soit en cas de liquidation. Dans la première hypothèse, une difficulté semble naître de la règle selon laquelle la réduction du capital ne peut, en aucun cas, porter atteinte à l'égalité des actionnaires281(*) ; or, cette disposition, ne serait-ce que parce qu'elle est sanctionnée pénalement, même modestement282(*), appartient sans doute au bloc impératif du droit des sociétés. Néanmoins, la portée de cette contrainte ne doit pas être exagérée283(*) ; en effet, d'une part, par nature, les actions de préférence induisent une inégalité de traitement entre les actionnaires ; d'autre part, il est traditionnellement admis que l'égalité se mesure au sein d'une même catégorie d'actions284(*). Du reste, d'une manière plus générale, il est admis que le principe d'égalité cède devant l'accord des « actionnaires auxquels un sacrifice est demandé »285(*) ; ainsi, par exemple, une réduction de capital peut être supportée seulement par une partie des associés s'ils acceptent de faire ce sacrifice. Si, en principe, il paraît donc possible d'attribuer un avantage aux actions de préférence dans la contribution aux pertes, la clause ne doit pas les exonérer totalement et à l'avance de toute participation à une réduction de capital pour cause de perte. On pourrait imaginer que soient seulement visées les opérations décidées dans un délai déterminé. A défaut, l'on pourrait craindre la sanction des pactes léonins.

Une autre modalité paraît également licite : celle où la contribution aux pertes des actionnaires de préférence serait limitée à la moitié de leur apport286(*). En ce cas, la prohibition des pactes léonins ne semble pas applicable287(*).

On peut imaginer d'autres modalités, telle une simple priorité dans l'ordre d'imputation des pertes en cas de réduction du capital. Les actions ordinaires viendraient à l'opération avant les actions de préférence, celles-ci n'étant concernées que si la première imputation est insuffisante.

141. - Clause anti-dilutive. En cas d'augmentation de capital, les titulaires d'actions de préférence bénéficient, comme tous les autres actionnaires, du droit préférentiel de souscription. Si des actions ordinaires sont émises, leur droit s'applique normalement sur ces actions ; mais ils peuvent souhaiter bénéficier plutôt d'actions de préférence assorties des mêmes droits que les titres d'origine.

La situation la plus souvent prise en compte est celle où l'augmentation de capital est réservée à des personnes autres que les titulaires d'actions de préférence. Pour éviter leur dilution, ceux-ci sont alors tentés de demander que leur soit également réservée une tranche de l'augmentation de capital, telle qu'elle leur permette de conserver leur part de capital. Un tel droit pourrait être institué, sous certaines réserves288(*).

Cette analyse peut également s'appliquer au cas d'attribution d'actions [de préférence] gratuites en représentation d'une incorporation de bénéfices, réserves ou primes.

142. - Clause ratchet. Les entreprises procédant à des levées de fonds se trouvent systématiquement confrontées à la demande des investisseurs de pouvoir corriger leur position dans le capital de la société en vue de réduire le risque de surévaluation de la valeur de l'entreprise. En effet, la valorisation fixée lors de leur entrée au capital est souvent assise sur un business plan dont la réalisation est incertaine. Les praticiens du capital-investissement ont donc développé des mécanismes permettant d'ajuster le prix de leur entrée au capital ainsi que les conditions de leur sortie.

Parmi ces mécanismes, très sophistiqués, il en est un très fréquent : la clause dite de ratchet, qui consiste à permettre aux investisseurs de se « reluer » si la valorisation de la société à l'occasion de tours de table ultérieurs était inférieure à celle qui a servie de base à leur entrée au capital. Aussi, la société émet des bons de souscriptions autonomes (BSA) ou des actions à bons de souscriptions d'actions (ABSA) au bénéfice des investisseurs, leur permettant de souscrire au nominal un nombre d'actions variable en fonction, soit de la valorisation retenue pour le tour suivant (full ratchet), soit de la valorisation moyenne du tour initial et du tour suivant (average ratchet).

Avec les actions de préférence, d'autres solutions peuvent être envisagées par les investisseurs. La plus simple étant peut-être la suivante : les investisseurs du premier tour souscrivent à des actions de préférence, lesquelles reçoivent comme droit particulier celui d'être converties en actions ordinaires sous la condition de l'émission d'actions à un prix inférieur dans un délai déterminé, sur la base d'un rapport de conversion déterminable en fonction du deuxième prix. Par exemple, une action de préférence serait convertie en deux actions ordinaires dans le cas où l'investisseur du premier tour aurait payé l'action à 100 € alors que celui du second tour l'aura payée à 50 €.

143. - Actions reflets ou traçantes. Il s'agit d'actions donnant droit à un dividende lié aux résultats d'un secteur d'activité ou d'une filiale de la société émettrice. Seule l'activité ou la filiale précisée est prise en compte pour le droit et le calcul du dividende. Ce type d'action est techniquement une action de la société-mère émettrice ; elle ne donne donc pas de droit de vote sur les décisions de la filiale qu'elle est censée représenter. Cependant, en cas de cession de l'activité ou de la filiale concernée, le porteur d'actions traçantes a droit à une part de plus-value ou à une indemnisation. Ces actions permettent à leur émetteur de conserver un contrôle total sur la filiale tout en extériorisant une valeur pour le marché et en offrant un outil de paiement pour des acquisitions.

En France, on en trouve une première - et semble-t-il unique - illustration, en 2000, sous la forme d'actions de priorité. L'émetteur était Alcatel (Optronics)289(*). Conçues sous la forme d'actions de priorité, les actions traçantes peuvent aujourd'hui s'inscrire parmi les actions de préférence.

144. - Droit privilégié sur le produit de cession d'un élément d'actif. Les actions de préférence peuvent bénéficier d'un droit privilégié sur le produit de cession d'un élément d'actif, dont les modalités peuvent varier.

Il pourrait s'agir d'une attribution prioritaire du produit de la cession sous forme de distribution exceptionnelle de dividendes ou par voie de réduction de capital - bien que, dans ce dernier cas, la rupture de l'égalité entre les actionnaires appelle les mêmes remarques que dans le cas d'une clause d'exonération partielle des pertes jouant suite à une réduction de capital motivée par des pertes290(*).

Les modalités peuvent aussi prendre la forme soit d'une conversion en action ordinaires ou en actions de préférence d'une autre catégorie, le rapport de conversion étant fonction du prix de cession de l'actif concerné, soit d'un rachat des actions de préférence moyennant un prix déterminable selon le même critère291(*).

Toutes ces clauses ne sont pas critiquables tant qu'elles n'ont pas pour effet de porter atteinte à la prohibition des pactes léonins292(*).

145. - Conversion en actions ordinaires. Parmi les droits financiers susceptibles d'être attachés aux actions de préférence, le rapport au Président de la République cite expressément la « conversion en actions ordinaires ». Il semble donc licite de créer des actions de préférence avec pour droit particulier attaché, le seul droit à la conversion en actions ordinaires dans des conditions prédéfinies. Encore faut-il dans ce cas que l'émetteur et les souscripteurs acceptent la publicité293(*).

146. - Ces droits - dont l'énumération est non exhaustive - peuvent être isolés ou cumulés le cas échéant, de même durée ou de durées différentes294(*). On peut encore raffiner en concevant des particularités à durée variable, certaines éphémères, d'autres au long cours, voire des périodes de suspension des droits singuliers pour tenir compte de l'évolution de la santé économique et financière de l'entreprise.

(ii) Les droits particuliers en matière de droit de vote

147. - Jusqu'à maintenant, deux principes majeurs régissaient le droit de vote de l'actionnaire. D'une part était posé le principe d'une connexion entre les prérogatives financières et les prérogatives gouvernementales : chaque actionnaire disposait en principe d'un droit de vote295(*). D'autre part, l'article L. 225-122 du Code de commerce posait clairement un principe de proportionnalité : une action, une voix. Ce principe était particulièrement fort en droit des sociétés et les hypothèses où une action pouvait donner lieu à l'attribution de plusieurs droits de vote étaient également limitées296(*).

Jusqu'à récemment, le législateur semblait attaché à ces deux principes. La loi NRE avait ainsi supprimé la disposition qui permettait aux statuts de subordonner la participation des actionnaires aux assemblées générales ordinaires à la détention d'un certain nombre d'actions.

148. - Ces deux principes font aujourd'hui place à un principe révolutionnaire, celui de la liberté dans l'aménagement du droit de vote des actions de préférence. L'article L. 228-11, alinéa 2 du Code de commerce dispose que « le droit de vote peut être aménagé pour un délai déterminé ou déterminable. Il peut être suspendu pour une durée déterminée ou déterminable ou supprimé ».

Cette liberté pourra être utilisée par l'actionnaire majoritaire accueillant un investisseur financier à son capital pour lui permettre de conserver la majorité des droits de vote, et donc le contrôle de l'entreprise, alors que les fonds nécessaires à son développement l'ont conduit à réaliser une augmentation de capital au terme de laquelle les investisseurs détiennent plus de 50 % du capital social. On peut ainsi y voir la consécration de la distinction entre l'actionnaire de contrôle et l'actionnaire bailleur de fonds.

Les possibilités en matière de droit de vote revêtent une grande variété, tant dans le cadre de sa suppression (1), de son exercice ou de son aménagement (2).

* 275 Ex. 1 000 actions de préférence bénéficient d'un dividende préciputaire de 20 % de leur nominal supposé égal à 100 euros ; il existe 9 000 autres actions. Pour un montant distribuable de 100 000 €, en l'absence de dotation, l'affectation est la suivante : 20 000 € sont d'abord distribués à titre de dividende préciputaire aux actions de préférence, le solde (80 000 €) étant réparti dans la proportion de chaque catégorie de capital, soit 8 000 € pour les actions de préférence (10 % du capital) et 72 000 € pour les autres actions (90 % du capital). Au final, les actions de préférence reçoivent 28 000 € et les autres actions 72 000 €, la part des premières représentant 28 % de la distribution pour 10 % du capital.

* 276 Par exemple, si l'on reprend l'exemple cité note 275, les actions de préférence qui représentent 10 % du capital reçoivent pour avantage l'attribution de 28 % du boni de liquidation. Autre exemple : le nominal et la prime d'émission versée lors de l'émission des actions de préférence sont remboursés prioritairement, le solde pouvant être réparti égalitairement entre tous les titres de capital.

* 277 Art. L. 225-198 à L. 225-203 C. com.

* 278 Actions qui conservent tous leurs droits, sauf le droit au premier dividende et, naturellement, le droit au remboursement de leur nominal.

* 279 Art. 1844-1, al. 2 C. civ.

* 280 V. ANSA, Comité juridique, avis n° 04-079 du 1er décembre 2004 ; « Droits particuliers attachés aux actions de préférence », BRDA 10/05.

* 281 Art. L. 225-204 C. com.

* 282 Art. L. 242-23 C. com.

* 283 En ce sens, A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1531.

* 284 M. GERMAIN, Traité de droit commercial, t. 1, vol. 2, LGDJ, 2002, p. 324 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Sociétés commerciales, Mémento Lefebvre sociétés, 2005, n° 18150.

* 285 B. MERCADAL et Ph. JANIN, Sociétés commerciales, op. préc., n° 12171.

* 286 Toutefois, la stipulation peut avoir des effets limités en cas de liquidation si l'insuffisance d'actif ne permet pas le remboursement, même limité à la moitié du nominal, de certaines actions.

* 287 En ce sens, A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens », art. préc.

* 288 Un tel droit pourrait être institué dans la limite des droits de souscription irréductibles. Il signifie que l'assemblée générale extraordinaire est tenue de voter deux tranches d'augmentation de capital, l'une composée d'actions ordinaires, l'autre d'actions de préférence. A titre de mesure de prudence, les rapports circonstanciés des organes d'administration et de contrôle doivent lui être soumis comme dans le cas général de création d'actions de préférence.

* 289 L'assemblée générale mixte d'Alcatel du 18 avril 2003 a cependant décidé de supprimer ces actions et de les transformer en actions ordinaires, leur cours étant passé de 85 à 8 €. Aux Etats-Unis, ces actions, qui ont rencontré un certain succès, sont connues sous le nom de « tracking stocks ».

* 290 Supra n° 140.

* 291 Infra nos 305, 307, 327.

* 292 Infra n° 253.

* 293 Supra n° 129.

* 294 Art. L. 228-13 C. com.

* 295 Les hypothèses d'actions sans droit de vote étaient très limitées (par exemple, pour les certificats d'investissement). Même pour les actions à dividende prioritaire sans droit de vote, le droit de vote n'était pas réellement supprimé ; il était suspendu, puisque l'actionnaire pouvait le récupérer s'il ne recevait pas les dividendes prioritaires.

* 296 Par ex, les actions à droit de vote double prévues par l'article L. 225-123 du Code de commerce.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984