L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
(3) La suppression de la référence aux capitaux propres et à l'expertise91. - Les sociétés cotées n'ont pas été tenues à l'écart du mouvement de simplification engendré par l'ordonnance. Dans le même souci d'assouplir les règles applicables aux augmentations de capital par appel public à l'épargne de sociétés dont les titres de capital ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, l'ordonnance supprime l'exigence que le prix d'émission soit au moins égal à la part de capitaux propres par action ou à un prix fixé à dire d'expert217(*). 92. - L'article L. 225-136, 2° du Code de commerce prévoit désormais que l'assemblée générale extraordinaire aura totale liberté pour déterminer le prix d'émission sur rapport du conseil d'administration ou du directoire et sur rapport spécial du commissaire aux comptes. Ce texte s'applique également aux émissions par des sociétés cotées de titres de capital non assimilables218(*). (4) La fixation du prix des augmentations de capital réservées à personnes dénommées ou à catégories de personnes identifiées93. - L'ordonnance amende l'article L. 225-138 du Code de commerce relatif aux augmentations de capital réservées à personnes dénommées ou à catégories de personnes répondant à des caractéristiques déterminées. Elle confirme ainsi les avancées introduites par la loi de sécurité financière219(*), notamment sur la possibilité de réserver une augmentation de capital à une ou plusieurs catégories de personnes déterminées. 94. - Outre une réorganisation marginale de l'article L. 225-138220(*), l'ordonnance supprime la possibilité pour l'assemblée générale de déléguer au conseil d'administration ou au directoire la possibilité de fixer le prix d'émission. La délégation est désormais limitée à la fixation de « la liste des bénéficiaires au sein de cette ou de ces catégories et le nombre de titres à attribuer à chacun d'eux ». L'objectif de cette modification est d'assurer une meilleure protection des actionnaires221(*). 95. - Dès lors, l'assemblée générale peut soit fixer le prix, soit donner les modalités de fixation du prix qui serait alors ultérieurement fixé par le conseil d'administration ou le directoire sur délégation en application de l'article L. 225-129. L'ordonnance n'encadre pas les modalités pouvant être retenues par l'assemblée générale, qui peut alors bénéficier d'une grande liberté comme, par exemple, celle de prévoir la référence à un prix fixe ou à une moyenne de cours ou à un prix pouvant ressortir d'un processus de confrontation de l'offre et de la demande tel que la construction d'un livre d'ordres dans le cadre d'un placement public, avec ou sans décote. (iii) La flexibilité de rémunération des apports de titres96. - L'ordonnance ajoute un sixième alinéa à l'article L. 225-147 du Code de commerce relatif aux apports en nature qui permet à l'assemblée générale extraordinaire d'une société dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé de déléguer à ses organes de direction, pour une durée maximale de 26 mois et dans la limite de 10% de son capital social, le pouvoir de réaliser une augmentation de capital en vue de rémunérer des apports en nature de titres de capital ou de valeurs mobilières donnant accès au capital consentis à la société, lorsqu'une offre publique d'échange ne peut être réalisée222(*). Le contrôle des commissaires aux apports reste entier, leur rapport devant être mis à la disposition du conseil d'administration ou du directoire, selon le cas, lors de sa décision de réaliser l'augmentation de capital. 97. - Cette nouvelle disposition apporte une solution efficace et novatrice pour favoriser les opérations de croissance externe des sociétés cotées. Les délais de réalisation des apports soumis à la convocation d'une assemblée générale des actionnaires sont en effet relativement longs et ont pu conduire à l'impossibilité pour certaines sociétés de participer efficacement à des processus de mise aux enchères privées de sociétés. Couplée avec l'utilisation des actions auto-détenues, cette disposition donne une souplesse certaine aux émetteurs. 98. - Certaines questions peuvent être soulevées. S'agissant de l'assiette des 10 %, la même conclusion que celle visée pour les augmentations « au fil de l'eau » s'impose223(*). Sur le rapport du commissaire aux apports, l'ordonnance renvoie à l'article 169 du décret du 10 février 2005. Le texte dispose que le rapport décrit les apports, indique le mode d'évaluation adopté et pourquoi il a été retenu et affirme que la valeur des apports correspond bien au moins à la valeur nominale des actions à émettre augmentée éventuellement de la prime d'émission, en le justifiant. Curieusement, l'article 169 dispose que le rapport doit être remis en tout état de cause au moins huit jours avant la date de l'assemblée générale, ce qui ne tient pas compte de la délégation au conseil d'administration ou au directoire. Il est pourtant clair, aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 225-147, que le rapport est émis pour les besoins de l'utilisation de la délégation par le conseil d'administration et par conséquent, lors de son utilisation, et non lors de l'assemblée générale octroyant la délégation. Cette dernière hypothèse n'aurait d'ailleurs pas de sens, les titres apportés n'étant pas encore identifiés. On ne peut que considérer que le rapport des commissaires aux apports doit être remis au conseil d'administration ou au directoire au plus tard à la date de la réunion décidant l'augmentation de capital. Ce point pourrait être utilement corrigé224(*). * 217 Ancien art. L. 225-136 C. com. * 218 Tel est le cas des sociétés dont une catégorie de titres est admise aux négociations sur un marché réglementé qui se propose d'émettre une nouvelle catégorie de titres par appel public à l'épargne. * 219 H. LE NABASQUE, « Commentaires des principales dispositions de la loi de sécurité financière intéressant le droit des sociétés », Bull. Joly 2003, p. 859, § 185. * 220 La durée de validité de la délégation par l'assemblée générale est réduite à dix-huit mois ; elle était de deux ans dans l'ancien article L. 225-138, III du Code de commerce. L'ordonnance précise en outre que le rapport du conseil d'administration ou du directoire rendant compte à la prochaine assemblée des conditions définitives de l'opération doit désormais être certifié par le commissaire aux comptes. * 221 Selon le rapport au Président de la République, rapp. préc., p. 4 : « Ces simplifications restent toutefois protectrices pour les actionnaires, dans la mesure où l'ensemble de ces conditions sont soumises à la décision de l'assemblée générale ». * 222 Le texte s'applique en cas d'apport de titres « lorsque les dispositions de l'article L. 225-148 ne sont pas applicables ». Cette formulation permet de rémunérer (i) des titres de sociétés cotées apportés dans le cadre d'une offre publique d'échange qui ne serait pas régie par l'article L. 225-148 (par exemple, une offre publique d'échange sur des titres qui ne seraient pas admis aux négociations sur un marché réglementé d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou membre de l'Organisation de coopération et de développement économique), (ii) des titres admis aux négociations sur un marché réglementé d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou membre de l'Organisation de coopération et de développement économique mais dont l'acquisition ne ferait pas l'objet d'une offre publique d'échange (par exemple dans le cadre d'un apport de bloc qui ne conduirait pas au dépôt d'une offre publique obligatoire et n'aurait pas fait l'objet d'une offre publique volontaire) et (iii) aux titres non cotés. * 223 V. supra n° 88. * 224 En ce sens, P.-Y. CHABERT, « Les augmentations de capital après l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales », art. préc., n° 73. |
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