Langage & Politique en Catalogne : La définition d'une politique scolaire sur un marché linguistique compétitifpar Jean-Philippe SOL Université Paris Dauphine - DEA 126 2001 |
2 - Les origines romantiques de l'identité catalane
Comme le souligne Alberto Balcells5(*), le point de départ d'une aspiration intellectuelle et culturelle proprement catalane remonte au milieu du XIXe siècle et les racines de cette aspiration sont à rechercher dans l'élan romantique qui touche alors une large partie des intellectuels européens. Le mouvement catalan, baptisé Renaissance (Renaixança), s'étend sur une quarantaine d'années, à dater (pour Balcells) de la publication de La Oda a la Pàtria du poète Aribau, publiée en 1833. Issues d'un cénacle d'intellectuels fortement inspirés par la vague romantique6(*), les oeuvres issues de cette période dérivent d'une volonté de récupération d'une culture et d'une histoire proprement catalane avec, comme médiation première, l'utilisation de la langue catalane. Ainsi, dans le prologue précèdant le corps de ses poésies, publié en 1843, Joaquim Rubio i Ors soulignait une ambition limitée politiquement : "la Catalogne peut encore aspirer à l'indépendance, non la politique (...) mais l'indépendance littéraire"7(*). Si l'impact de la Renaixença demeura sur le coup politiquement limité, il n'en reste pas moins qu'elle suscita une relecture romantique du passé de la Catalogne comme en témoigne l'oeuvre de Victor Balaguer, Historia de Cataluna y de la Corona de Aragon, un travail que Josep R. Llobera n'hésite pas à qualifier : "de melange invérifiable de légendes et de faits, écrit dans le souci patriotique de rappeller une histoire de liberté et de progrès injustement oublié"8(*). Un travail que l'on peut rapprocher, de par sa nature d'oeuvre "inventée", de l'ouvrage des frères Allan, Vestiarum Scoticum, paru en 1842 et proposant une relecture imaginée du passé écossais9(*). Le mouvement catalan (socialement conservateur) n'est alors qu'un simple mouvement régionaliste, aux effectifs limités, et que l'on peut comparer au mouvement félibrige de Frédéric Mistral10(*), revendiquant l'expression et l'utilisation de "marqueurs" linguistico-culturels11(*) comme le montre la réactivation des Jocs Florals en 1859. Par un hasard de l'histoire judicieusement orienté, les intellectuels catalans furent d'ailleurs influencés par la philosophie du common sense de l'écossais Walter Scott12(*), dont on connaît la place et le rôle qu'il joua dans la "reconstruction" du passé écossais. Cette philosophie du common sense, associée à l'idée de Volksgeist, principe spirituel transcendant l'âme d'une nation13(*), va permettre aux intellectuels catalans de poser les bases de l'identité catalane puis de passer du registre culturel au registre politique, en donnant une définition de la nationalité catalane. L'agitation proto-nationaliste va prendre de l'ampleur et de la consistance à la fin du siècle avec l'émergence d'un corpus de textes portant sur l'identité politique et culturelle de la Catalogne ainsi que l'apparition d'institutions dédiées à la consécration d'enjeux catalans.
* 5 - BALCELLS, A., El nacionalismo catalan, Historia 16, Madrid, 1991. * 6 - LLOBERA, J.R., "Volksgeist in Catalan Nationalist Ideology", Ethnic and Racial Studies, 1983, Vol.6, n°3, pp.332-350. * 7 - BALCELLS, A., Ibid, p.22. * 8 - LLOBERA, J.R., Ibid, p.341. * 9 - HOBSBAWM, E. & RANGER, T., The Invention of Tradition, Cambridge U-Press, Cambridge, 1983. * 10 - CONVERSI, D., "Language or race ? : the choice of core values in the development of Catalan and Basque nationalisms", Ethnic and Racial Studies, 1990, Vol.13, n°1, pp.71-90. * 11 - HOBSBAWN, E. , Nations et nationalismes, Gallimard, 1992, p.138. * 12 - HOBSBAWM, E. & RANGER, T., Ibid. * 13 - LLOBERA, J.R., Ibid, pp.332-333. |
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