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La Cour internationale de justice et la problématique des droits de l'hommepar Parfait Oumba Université Catholique d'Afrique Centrale - Master en droits de l'homme et action humanitaire 2005 |
Paragraphe 2 : La consolidation du droit à la santéNous examinerons d'abord la reconnaissance du droit à la santé (A), avant de voir l'apport de la CIJ en la matière (B). A- La reconnaissance du droit à la santéLa reconnaissance du droit de tout être humain au meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre dans le cadre du droit international relatif aux droits de l'homme implique une série d'aménagements sociaux - normes, institutions, lois, environnement favorable - qui permettent au mieux la jouissance de ce droit. La meilleure interprétation du droit à la santé se trouve dans l'article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui , en mai 2002 avait été ratifié par 145 pays. Cet article dispose que : « 1- les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre. 2- Les mesures que les Etats parties au présent Pacte prendront en vue d'assurer le plein exercice de ce droit devront comprendre les mesures nécessaires pour assurer :
Le droit à la santé a été évoqué pour la première fois dans la constitution de l'OMS (1946) et réaffirmé dans la Déclaration d'Alma Ata de 1978 et dans la Déclaration mondiale sur la santé adoptée par l'Assemblée mondiale sur la santé en 1998. Le droit à la santé a été consacré avec force dans un grand nombre d'instruments internationaux et régionaux des droits humains. La Cour internationale de justice pour sa part n'est pas restée en marge de cette consécration, et elle tend aujourd'hui par sa jurisprudence de consolider ce droit émergent. Nous nous appuierons essentiellement sur l'avis du 8 juillet 1996 sur les armes nucléaires pour montrer l'implication de la Cour dans l'évolution du droit à la santé. B- L'apport de la CIJ en matière de la santéIl convient tout d'abord de rappeler que le 8 juillet 1996, la Cour avait rendu deux décisions ; la première concernait le refus de répondre à la demande d'avis de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la seconde répondait à la demande d'avis de l'Assemblée générale. La Cour en fait avait refusé de répondre à la demande de l'OMS parce qu'elle avait estimé que sa question ne portait pas sur des problèmes juridiques se présentant dans le cadre de l'activité de cette organisation, comme l'exigeait l'article 96, paragraphe 2, de la Charte des Nations Unies155(*), même si l'OMS s'occupait des armes nucléaires depuis 1983. En effet, l'utilisation des armes nucléaires porte atteinte tant à l'intégrité physique des êtres humains qu'à l'intégrité territoriale des Etats tiers. Cela peut s'expliquer par les radiations, l'impulsion électro-magnetique et les poussières radioactives qui ne connaissent pas de frontières. Parmi les arguments hostiles à la licéité de l'emploi des armes nucléaires, la Cour a écarté ceux fondés sur l'interdiction d'employer des armes chimiques ou empoisonnées156(*). La Cour constate en effet que la convention du 13 janvier 1993 interdisant les armes chimiques a été négociée et adoptée « dans un contexte propre et pour des motifs propres »157(*). Elle rappelle qu'au cours des négociations, qui ont précédé l'adoption de cet instrument, il n'a jamais été question d'armes nucléaires. Il serait donc abusif d'y chercher la source d'une interdiction de la menace ou de l'emploi des armes nucléaires. Ce raisonnement est correcte, car il reflète la réalité. En revanche, on est plus sceptique quand la Cour dit que l'article 23 a/ du Règlement de la Haye de 1907 (qui interdit l'emploi des armes empoisonnées) et le protocole de Genève de 1925 (qui interdit l'emploi des armes nucléaires). Car ces textes ne définissent pas ce qu'il faut entendre par « armes empoisonnées » et par « matières ou procédés analogues » (protocole de 1925)158(*), comment peut - elle ensuite oublier que ce rayonnement, qui est spécifique aux seules armes nucléaires159(*), n'affecte que la matière vivante, ce qui est la diffusion même des armes chimiques ? Or, les effets de l'arme nucléaire qui découlent de la radioactivité initiale et induite sont analogues à ceux du poison, ainsi que cela a été reconnu par les milieux scientifiques et par les Etats eux-mêmes, lorsqu'ils ont défini l'arme nucléaire comme étant « toute arme qui contient, ou est conçu pour contenir ou utiliser un combustible nucléaire ou des isotopes radioactifs et qui, par explosion ou autres transformations nucléaires non contrôlées ou par radioactivité du combustible nucléaire ou des isotopes radioactifs, est capable de destruction massive, dommages généralisés ou empoisonnement massifs »160(*). Autrement dit, même si les effets premiers de l'arme nucléaire sont des effets de souffle et de chaleur, elle n'en produit pas moins des effets subséquents d'empoisonnement ; elle est donc interdite en vertu de l'article 23 a/ du Règlement de la Haye au même titre qu'une flèche ou une balle empoisonnée, dont l'effet premier est pourtant de blesser le corps de la victime, n'en délivre pas moins du poison qui la fait tomber sous le coup de l'interdiction. De manière générale, il faut reconnaître que dans cette affaire, la Cour a brillé par plusieurs lacunes d'interprétation des conventions internationales. Mais si sur le plan de l'application des traités, la décision de la Cour s'est caractérisée par un non liquet, cela n'a pas été le cas sur le plan des principes. La Cour déclare qu' « il est donc interdit d'utiliser des armes leur causant de tels maux ou aggravant inutilement leurs souffrances supérieures aux maux inévitables que suppose la réalisation d'objectifs militaires légitimes »161(*). La majorité des juges n'ont pas craint d'être moins circonspects, et ont formulé une évaluation générale. Ainsi, le juge Fleischhauer déclare que de telles « incommensurables souffrances » reviennent à « la négation des considérations humanitaires qui inspirent le droit applicable aux armés »162(*). Le Président Bedjaoui affirme que ces armes « causent (...) des souffrances inutiles »163(*) et le juge Herczegh estime que les principes fondamentaux du droit humanitaire interdisent l'emploi des armes nucléaires164(*). Le juge Koroma, après avoir décrit les effets des armes atomiques à Hiroshima, à Nagasaki et dans les Iles Marshall, déclare que puisque les effets radioactifs sont pires que ceux des gaz toxiques, « les constatations qui précèdent auraient dû nécessairement amener la Cour à conclure que tout emploi d'armes nucléaires est illicite en droit international »165(*). Le juge Weeramantry est encore plus ferme : « les faits(...) sont plus que suffisant pour établir que l'arme nucléaire cause des maux superflus excédant de beaucoup ce qu'exigent les buts de la guerre »166(*). En définitive, la contribution de la Cour en matière de santé s'est beaucoup plus avérée sur le plan des principes proclamés que sur les décisions prises. * 155CIJ, Op. cit., §20 et suivant. * 156CIJ, Op. cit., §54-57. * 157CIJ, Op. cit., §57. * 158CIJ, Op. cit., §35. * 159Etude d'ensemble des armes nucléaires, Rapport du Secrétaire général, doc. ONU. A/45/373,18 septembre 1990, p. 90, §327. * 160Protocole III des Accords de Paris du 23 octobre 1954 sur le contrôle des armements, Annexe II, dans RGDIP, 1963, p. 825. * 161 Opinion principale, §78. * 162 Opinion individuelle du juge Fleischhauer, §2. * 163 Déclaration de M. Bedjaoui, président, §20. * 164 Déclaration de M. Herczegh. * 165 Opinion dissidente du juge Koroma. * 166Opinion dissidente du juge Weeramantry. |
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