Paragraphe II
: L'apport de la
Convention n°182
Vingt ans après avoir adopté la convention
n°138, de portée générale, le Bureau international du
travail change donc de stratégie, en estimant qu'il serait
irréaliste de vouloir agir sur tous les fronts à fois. Il lui a
donc semblé préférable d'offrir une certaine marge de
manoeuvre aux Etats, en leur proposant de ne traiter dans l'immédiat
qu'une partie du travail des enfants ; néanmoins, le pari du Bureau
international du travail est d'ouvrir ainsi la voie à un processus
d'élimination touchant à terme toutes les formes du travail.
Cette convention fut discutée pendant la
Conférence internationale du Travail en juin 199841(*), et les grandes questions qui
y furent débattues concernaient essentiellement l'obligation de
l'élimination « immédiate » des pires formes
de travail des enfants, la définition de ces formes, et le rôle
des organisations non gouvernementales et des autres groupes concernés
par la convention. Le texte du projet de cette convention examinée
pendant la conférence utilisait l'expression « formes
extrêmes de travail des enfants », mais les membres
travailleurs ont suggéré de remplacer le terme
« extrêmes » par le terme
« pires » estimant que celui ci serait plus
compréhensible pour le grand public et traduirait l'idée que
certaines formes de travail des enfants sont pires que d'autres. D'autres
délégués estimaient quant à eux que le terme
« pires » était trop vague et que la mention
« extrêmes » offrirait une base plus solide pour
opérer des jugements et veiller à ce que tous les travaux
revêtant un caractère extrême soit repris. La
Conférence a convenu finalement de retenir l'expression « des
pires formes de travail des enfants », et de définir sa
signification et son contexte dans la Convention. Les membres de la
Conférence, durent ensuite se mettre d'accord sur la forme que devait
revêtir ce projet ; ils ont décidé qu'il y aurait une
convention assortie d'une recommandation qui compléteraient les
instruments de base de l'OIT en matière de travail des enfants, à
savoir la convention et la recommandation sur l'âge minimum de 1973. De
nombreuses interventions ont mis l'accent sur la nécessité
d'adopter une convention brève, précise et comportant des
principes de base susceptibles d'être ratifiés et effectivement
appliqués dans les pays tant développés qu'en
développement. Compte tenu de la gravité du problème, et
de l'urgence à intervenir, une préférence marquée a
été exprimée pour une convention juridiquement
contraignante et une recommandation complémentaire qui pourrait
faciliter la mise en oeuvre de la convention et offrir des lignes directrices
plus détaillées quant aux mesures pratiques.
La Conférence a pris également des
décisions importantes en ce qui concerne la définition des pires
formes de travail, formulée de manière à inclure toutes
les formes d'esclavage des enfants, d'utilisation des enfants aux fins de
prostitution ou d'activités illicites, et les travaux dangereux qui
mettent en péril la santé, la sécurité et la
moralité des enfants. La mention d'activités illicites a
été préférée à celle
d'activités illégales, afin de s'aligner sur les traités
des Nations Unies sur les stupéfiants42(*). De plus, malgré la volonté de
centaines d'organisations de travailleurs et de certains gouvernements, la
convention ne cite pas de types spécifiques de travail dangereux et
n'intègre pas dans la convention de critères spécifiques
permettant de déterminer les travaux dangereux. En effet, si la liste de
la convention était trop précise, elle pourrait être
limitative et rapidement dépassée, ou ne pas tenir compte de
manière suffisante des niveaux différents de technologie et de
pratiques en matière de sécurité dans les divers pays. Par
là même, son efficacité pourrait alors être
menacée, du fait d'un excès de zèle de ses
rédacteurs.
La Conférence de 1998 a conclu que des consultations
devraient avoir lieu avec les organisations d'employeurs et de travailleurs en
vue de mieux spécifier les travaux dangereux au niveau national et de
définir et mettre en oeuvre les programmes d'action que la convention
réclame.
La Conférence générale de l'Organisation
internationale du Travail a donc adopté le 17 juin 1999 la convention
n°182 sur les pires formes de travail des enfants. Elle y rappelle en
préambule, « la nécessité d'adopter de nouveaux
instruments visant l'interdiction et l'élimination des pires formes de
travail des enfants », et que l'élimination effective des
pires formes du travail des enfants exige une action d'ensemble
immédiate. On voit dès le préambule, que cette convention
ne prétend pas être une solution miracle au problème du
travail des enfants, car celui-ci est « pour une large part
provoqué par la pauvreté et que la solution à long terme
réside dans la croissance économique soutenue menant au
progrès social, et en particulier à l'atténuation de la
pauvreté et à l'éducation universelle » mais
néanmoins, elle servira à définir les formes
intolérables du travail des enfants qui devront être interdites
immédiatement43(*).
Comme pour les autres conventions internationales, le terme d'enfant
s'appliquera à toute personne âgée de moins de 18 ans et la
convention doit leur être appliquée même si la
législation nationale prévoit que l'enfance se termine plus
tôt. L'article 3 énumère les différentes formes
intolérables de travail des enfants, à savoir :
« toutes les formes d'esclavage(...), telles que la servitude pour
dettes et le travail forcé ; l'utilisation, le recrutement ou
l'offre d'un enfant à des fins de prostitution (...)ou
d'activités illicites, notamment la production ou le trafic de
stupéfiants ( ...) ; et enfin les travaux qui par leur nature,
ou les conditions dans lesquelles ils s'exercent, sont susceptibles de nuire
à la santé, à la sécurité ou à la
moralité de l'enfant ». Cette dernière forme
intolérable de travail, étant une notion assez vague, devra
être définie précisément par la législation
nationale. La Convention énumère donc certaines des pires formes
du travail des enfants en laissant au niveau national une certaine latitude
pour déterminer quels sont les dangers qui font qu'un travail
relève de la catégorie des pires formes.
Cette convention fut adoptée à
l'unanimité des 174 Etats membres de l'Organisation internationale du
Travail et est entrée en vigueur le 19 novembre 2000. La Recommandation
sur les pires formes du travail des enfants qui accompagne la Convention
exhorte les Etats membres à faire des pires formes de travail des
enfants énumérées dans la convention, des infractions
pénales et à prendre des sanctions pénales. Cette
recommandation définit les travaux dangereux comme « les
travaux qui exposent les enfants à des sévices physiques,
psychologiques ou sexuels ; les travaux qui s'effectuent sous terre, sous
l'eau, à des hauteurs dangereuses ou dans des espaces
confinés ; les travaux qui s'effectuent avec des machines, du
matériel ou des outils dangereux ou qui impliquent de manipuler ou
porter de lourdes charges ; les travaux qui s'effectuent dans un milieu
malsain pouvant, par exemple, exposer des enfants à des substances, des
agents ou des procédés dangereux, ou à des conditions de
température, de bruit ou de vibrations préjudiciables à
leur santé ; les travaux qui s'effectuent dans des conditions
particulièrement difficiles, par exemple pendant de longues heures, ou
la nuit, ou pour lesquels l'enfant est retenu de manière
injustifiée dans les locaux de l'employeur ».
Monsieur Somavia, Directeur général du Bureau
international du Travail, en se réjouissant de l'adoption de cette
convention, estimait qu'avec celle-ci, le Bureau « avait
désormais les moyens de faire de l'éradication urgente des pires
formes de travail des enfants une nouvelle cause mondiale » et que
« cette cause devrait désormais se traduire, non par des mots
mais par des actes, non par des discours mais par des politiques et des
lois ». En effet, cette convention n°182 sur les pires formes de
travail des enfants, est de force contraignante pour les Etats signataires,
mais pas la recommandation qui la complète. Or, on peut remarquer que
l'injonction faite aux Etats d'ériger les pires formes de travail des
enfants en infractions pénales et de prendre des sanctions
pénales à l'encontre de ceux qui s'en rendent coupables, ne se
trouve pas à l'intérieur de la convention qui elle laisse le
libre choix entre des sanctions pénales ou « le cas
échéant, d'autres sanctions »44(*), mais dans la recommandation.
Par conséquent, cette obligation très importante, et même
essentielle pour la mise en oeuvre effective d'une politique efficace de lutte
contre le travail des enfants, n'a pas vocation à être obligatoire
pour les Etats signataires ce que l'on peut déplorer.
Cette convention n° 182 vient donc compléter
l'arsenal juridique dont dispose la communauté internationale pour
lutter contre le travail des enfants, et notamment la convention n° 138
sur l'âge minimum. La convention n° 182 est axée sur une
partie du travail des enfants dont traitent la convention n° 138 et aussi,
dans une moindre mesure, la convention n° 29 sur le travail forcé,
ainsi que d'autres instruments internationaux visant l'abolition de l'esclavage
et des pratiques analogues, et sur la Convention des Nations Unies relative aux
droits de l'enfant. Cependant, elle va plus loin et est plus précise que
la convention n° 138 sur certains aspects : par exemple, elle est
plus spécifique quant aux types de travail des enfants qui sont
interdits pour les moins de 18 ans, en ce qu'elle énumère
explicitement, comme pires formes de travail des enfants, l'esclavage et le
recrutement ou l'offre d'enfants à des fins d'activités
illicites. De plus, contrairement à la convention n°138, le
convention n° 182 ne comporte pas d'exception pour certains secteurs de
l'activité économique. Par conséquent, les pires formes de
travail des enfants doivent être interdites et éliminées
dans tous les secteurs d'activité, ce qui est conforme au souhait de
traiter des types de travail qui sont intolérables pour tous les pays,
quel que soit leur niveau de développement et leur
spécificité de production. Enfin, cette nouvelle convention
diffère également de la convention n° 138 en ce qu'elle
exige l'élimination immédiate des pires formes de travail des
enfants dans des dispositions explicites axées sur des mesures
concrètes, notamment celles qui imposent la définition et la mise
en oeuvre de programmes d'action, de mesures de prévention, de retrait
des enfants aux pire formes de travail, de réadaptation et de
réintégration sociale, et en ce qu'elle demande que des mesures
soient prises pour instaurer une coopération et une aide internationale
dans le cadre de l'élimination des pires formes de travail des
enfants45(*).
Cependant, même si cette convention est beaucoup trop
récente, pour que l'on ait une idée de son application
concrète, il semble difficile de croire et d'espérer que ces
termes seront respectés à la lettre par des Etats qui ont
déjà signé des conventions internationales, mais qui n'ont
toujours pas les moyens de les appliquer. Il faut parallèlement à
cette convention, continuer à agir sur le terrain pour améliorer
la situation des enfants.
* 41 BIT, l'Abolition des
formes extrêmes de travail des enfants, dossier d'information,
Genève, 1998.
* 42 Convention unique sur les
stupéfiants, 1961 ; Convention des Nations Unies contre le trafic
illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, 1988.
* 43 Article 1 convention
n°182 sur les pires formes de travail des enfants, 1999.
* 44 Article 7 alinéa 1
Convention n° 182 sur les pires formes de travail des enfants.
* 45 Article 7 Convention
n° 182 sur les pires formes de travail des enfants.
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