UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
2.2.2.2 La recherche d'un mode de protestation légitime« Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité et ne servent qu'à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l'irriter encore plus »Pascal, Les provinciales, 12éme lettre2.2.2.2.1 Répondre à la violenceLes conflits sociaux internationaux tels que Seattle ou Gênes ont contraint les militants d'Attac à rechercher un mode d'action spécifique. En effet, ils furent confrontés au cours de ces mobilisations à des groupes qui incluent la violence dans leurs répertoires d'actions. L'action violente est une donnée qui a souvent été occulté, à tort, de l'analyse des mobilisations495(*). Charles Tilly est un des premiers auteurs a avoir intégré la violence dans sa réflexion, non pas en tant que fait spécifique mais en tant que modalité de la protestation collective496(*). La prise en compte de la violence apparaît essentielle, au sein d'Attac, dans la compréhension des formes de l'action militante. Lors des contre sommets, une grande diversité d'acteurs politiques est représentée. Outre les acteurs traditionnels (associations, ONG, partis politiques, syndicats), des groupes anarchistes ont pris part à ces mobilisations. Tandis que les premiers s'inscrivent dans une perspective légaliste, les seconds sont, souvent, partisans d'un mode d'action plus violent. Par exemple, les mouvements autonomes qui se réclament du black bloc sont reconnus comme étant les plus violents lors des contre-sommets497(*). D'autres groupes, qui se réclament comme non violents, développent des stratégies d'action plus protestataires (blocage des voies d'accès, interposition directe face aux policiers) tels que Reclaim the streets, les Tutte bianche ou Ya basta. Au fil des contre-sommets, la violence fut de plus en plus présente de part et d'autre. D'importants dispositifs de sécurité furent installés dans les villes servant de lieux de réunion aux instances internationales. Par exemple, à l'occasion du sommet du G8 de juillet 2001, la ville de Gênes se transforma en un quasi-blockhaus498(*). Toutefois, les violences se multiplièrent. Après ces événements, les responsables de l'association adoptèrent une position face à la violence. En réponse au sommet de Göteborg, le Bureau d'Attac publia un communiqué de presse par lequel ils se désolidarisa « totalement des groupes de provocateurs qui ont saccagé le centre-ville de Göteborg pendant le contre-sommet » et affirma la volonté d'Attac « à agir de manière non violente »499(*). Toutefois les positions des dirigeants de l'association sont plus ambiguës que ne pourrait le laisser penser ce discours « langue de bois ». On peut distinguer, vis-à-vis de la violence deux tendances contraires au sein d'Attac. Tout d'abord, Susan Georges pris position de façon très nette contre la violence et les groupes qui la pratiquent500(*). A l'inverse, certains, tel que Christophe Aguiton, tendent à accorder une place à la violence au sein des mobilisations sans pour autant la légitimer de façon claire501(*). Ce refus de condamner la violence suscita de vives polémiques au sein de l'association, d'autant plus que Christophe Aguiton dispose, selon certains, d'un passé militant «paramilitaire »502(*). Son organisation politique (la LCR) fut également accusée d'inciter les militants à la violence503(*). Suite au contre-sommet de Gênes, certains représentants d'Attac, tel que Ricardo Petrella, président d'Attac Italie et journaliste du Monde Diplomatique, considérèrent ces violences comme une réponse « inévitable » aux provocations policières504(*), ce qui revient à les légitimer. Le comité isérois fut déjà confronté au problème de la violence. Par exemple, la mobilisation de Nice en décembre 2000 fut très mal vécue par certains militants. D'ordinaire, l'organisation des contre-sommets se fait par la direction nationale de l'association, tandis que les comités locaux constituent les troupes des mobilisations. Toutefois, à l'occasion du contre sommet de Nice la direction nationale n'appela pas à participer à l'encerclement du palais des congrès. Des comités Attac, dont celui de l'Isère, s'étaient mobilisés mais aucune organisation n'encadrait leur action. Les comités se dispersèrent parmi les manifestants et des militants de retrouvèrent mêlés à des groupes d'anarchistes. Cécile explique que la manifestation fut très violente et que beaucoup de militants d'Attac venus manifester pacifiquement furent très surpris du déroulement des événements. Au sein du comité isérois, Luc nous précise, qu'il est possible de trouver cette divergence d'opinions parmi les militants. Suite aux violences de Nice, certains militants avaient refusé que le Conseil d'administration du comité appelle à manifester pour le contre-sommet de Gênes. A l'inverse, d'autres militants étaient partisans d'une action plus violente destinée à forcer la zone de démarcation. La position des enquêtés relève de la même ambiguïté que les propos de Christophe Aguiton. Ils refusent de soutenir la violence et se désolidarisent des casseurs mais ils ne les condamnent pas pour autant. Ils se positionnent dans une stratégie de démarcation vis-à-vis de la violence505(*). Les militants du comité refusent d'être amalgamés avec les groupes jugés plus radicaux. L'expression de Lionel (« Pas pour moi !») résume cette prise de distance. On peut peut-être expliquer cette réaction, de même que celle de Susan Georges, par la prise en compte de l'image du mouvement qui pourrait pâtir de la confusion. Cécile : Je n'avais jamais vu une manifestation aussi violente. Les gens d'Attac qui étaient venus pour voir, s'attendaient à une manif fun, cool, genre carnaval, ils ont été surpris, mais sont restés. Mais je ne suis pas sûre, que les gens d'Attac se réinvestiraient dans une manif de ce genre surtout celle contre le G. 8, en juillet, qui s'annonce aussi violente [...] Mais surtout sur cette manif, c'est qu'il n'y avait pas eu de préparation collective de la part d'Attac Isère. Dans d'autres villes, il y avait eu une préparation, en disant ce qu'il fallait faire si on était arrêté, on pouvait appeler tel numéro d'avocat; que faut-il faire si on se trouve dans un poste de police ? [...] Je suis très critique sur Attac Isère ! On a du mal à organiser des réunions collectives et à donner des directives pour que les choses fonctionnent. Par exemple, pour Nice on n'a pas pu organiser de car; comme la réunion se déroulait sur trois jours, on a donné la possibilité aux gens de venir quand il voulait, le matin ou le soir. On avait organisé des covoiturages, on se donnait des rendez-vous sur le parking de Grand-Place à Grenoble à une heure matin. On ne savait même pas si on trouverait des voitures pour transporter les gens. On ne sait pas combien sont venus et les gens n'étaient même pas au courant, pour entrer dans Nice et où était la réunion.. Luc : La fois d'avant, par rapport à Gênes, on n'avait aucune information sur la manière dont ça allait se passer. Il y avait une peur d'intervenir à Gênes, parce qu'il y a eu l'expérience de Götegerg avec un mort, il y a eu l'expérience de Nice où on a tous étés relativement mal à l'aise parce qu'il n'y avait pas d'organisation et il n'y avait pas de moteurs. On n'avait pas envie que ça se reproduise. Donc dans le Conseil d'administration on a pu retrouver les deux tendances, la tendance Aguiton et la tendance Susan Georges, il y avait une tendance qui disait il faut aller démolir le mur autour de Gênes, une tendance extrême, il y avait tendance qui disait, compte tenu des problèmes de violence et des risques par rapport à la presse, il surtout ne pas Aller à Gênes, et puis une troisième tendance dont je faisais partie, qui disait « attendons d'avoir plus d'informations ! ». Pour moi en devait décider quand on n'avait plus information. On a passé huit heures là-dessus.. Alors on a attendu d'en savoir plus pour se décider à organiser quelque chose pour y aller. Parce que quelqu'un disait est-ce qu'on prend la responsabilité d'organiser quelque chose par rapport aux gens qui vont y aller ? Julie : Peut-être qu'on aura une révolution, peut-être qu'il faut passer par là, il y a des soulèvements de plus en plus important, il faut voir ce que l'on veut, est-ce qu'on veut un soulèvement où on met des bombes partout où est-ce qu'on cherche à réagir et se mobiliser et réfléchir ensemble ? Je ne me vois pas aller poser des bombes et donc il faut bien faire autrement. Lionel : Je n'avais pas été à Nice car c'était surtout sur l'Europe et je voyais ça moins important, c'est moins le rôle d'Attac. C'est un peu plus le rôle des syndicats. Il y avait eu pas mal de violence avec les Italiens et les Espagnols. Ma position est assez mitigée par rapport à la violence à savoir s'il faut l'utiliser ou pas. Je la comprends mais je dis « Pas pour moi !» Ça me renvoie un peu à mon passé. F.E : Pourquoi votre passé ? Lionel : Je n'avais pas participé à mai 68 mais au début des années 70 j'avais participé à des manifestations qui étaient dans la lignée de mai 68. C'était un peu une revanche sur mai 68 qu'on a pris là. * 495 « L'action violente [...] est habituellement écartée des analyses de la participation, soit qu'on la considère comme d'une autre nature, soit que les indicateurs utilisés ne permettent pas sa prise en compte. Pourtant, la violence constitue selon nous un recours, virtuel, présent à l'état potentiel dan s l'action collective [...] La mesure de la part tenue par l'action violente dans les modes de participation doit être au centre de l'interrogation sur la nature du comportement protestataire ». in « La manifestation comme indicateur de changement politique », p. 114-139. * 496 Cf., op.cit, Lafargue (Jérôme), p. 35. * 497 Le black bloc n'est pas à proprement parler une organisation mais un mode d'affrontement et de protestation. Les groupes autonomes désignés par ce terme sont apparus en 1992 lors de violences dirigées vers la Banque mondiale. Cf., Losson (Christian), « Des anti-mondialisation dans la tactique de l'affrontement. Des mouvements anars radicalisent la contestation », Libération, 18/06/2001, p. 3. * 498 Un périmètre de sécurité avait été délimité au sein de la ville de Gênes. Un mur grillagé en rendait l'accès impossible aux manifestants. Dubois (Nathalie), « Pendant le G8, Gênes coupé du monde. L'Italie a prévu de nombreuses mesures de sécurité pour encadrer le sommet du 20 juillet », Libération, 18/06/2001, p. 4. * 499 « Ce comportement [de violence] est triple à rejeter. D'abord, il constitue une violation des pratiques de concertation démocratique des coordinations qui se mettent en place à l'occasion des grands rassemblements contre les politiques néo-libérales des institutions internationales et européennes. Ensuite, par l'attention prioritaire que lui accordent les médias, il permet de passer sous silence les enjeux et l'ampleur de ces mobilisations. Enfin, et plus grave encore, il fournit opportunément des arguments à tous ceux [...] qui, inquiets à juste titre du rejet populaire que suscitent leurs politiques, croient y trouver une parade en tentant de criminaliser la contestation d'un ordre social profondément injuste ». Attac France, « Déclaration du Bureau d'Attac France : après les incidents de Göteborg », 19/06/2001. Document disponible sur le site http://www.attac.org/tra/asso/doc/doc.62.htm. * 500 « C'est la loi des rendements décroissants. Si les actions violentes se répètent trop, notre travail en souffrira [...] Pour quelques cons ingérables, on passe pour des anticapitalistes primaires, anti-européens violents. Ces violences d'anars ou de casseurs son plus antidémocratiques que les institutions qu'ils combattent soi disant ». Cf., Losson (Christian), op.cit, p. 3. * 501Cf., Losson (Christian), « Christophe Aguiton, un des responsables d'Attac : « On doit comprendre l'impatience et les frustrations des militants », Libération, 18/06/2001, p. 4. * 502 « Christophe Aguiton, secrétaire général d'Attac et porte parole d'AC !, a une biographie bien remplie : militant LCR depuis 28 ans (durant les années 1970, il a même été responsable su service d'ordre( !) de la Ligue); expulsé de la CFDT en 1988, il fonde Sud. Passionné de stratégie militaire, c'est un vrai dur ». Cf., Lecaussin (Nicolas), « Taxe Tobin : la taxe pour les esprits faibles », op.cit, p. 9. * 503 Un militant d'Attac a publié sur un internet un message dans lequel il accusait la LCR d'entrisme : « En clair [...] la LCR disposerait d'un service d'ordre clandestin, qui s'auto-institue pour encadrer les adhérents d'Attac et les conduire dans des situations critiques, non discutées collectivement et préalablement. On comprend mieux la « compréhension » bienveillante d'Aguiton [...] pour les violences à Göteborg. Ces violences font partie du spectacle officiel. Elles sont prévues inévitables, voire préméditées et souhaitées, par l'appareil trotskiste, à l'insu des militants d'Attac ». Douillard (Luc), « Attac jouet de la LCR ? », message diffusé sur Attac-talk, 24/06/2001. * 504 « En revanche, depuis quelques années, les affrontements sont devenus une sorte de rituel, apparemment inévitable, selon un scénario que l'on décrirait à l'avance. Chaque fois, les forces de l'ordre des villes où va se tenir le grand rendez-vous transforment les lieux de passage et de travail des participants officiels en une zone de haute sécurité, sous le contrôle de milliers de policiers anti-émeutes, et, pratiquant une sorte de surenchère préventive, prennent des mesures draconiennes d'interdiction d'accès aux périmètres ainsi protégés, voire aux villes elles-mêmes, comme ce fut le cas à Québec, et de manière encore plus caricaturale, récemment à Gênes ». Petrella (Ricardo), « Criminaliser la contestation », Le Monde diplomatique, août 2001, p. 6. * 505 Cette position est d'ailleurs celle de plusieurs adhérents d'Attac qui soutiennent la violence. Par exemple un militant déclarait sur internet : « Je pense que les violences nous rendent plus visibles du grand public, et poussent de plus en plus de gens à s'informer auprès d'organisations comme Attac. De plus [...] s'il y a des violences on nous tends le micro pour le déplorer, et s'il n'y en a pas on ne nous tend pas le micro [...] Pourquoi ne pas demandez aux Black Blocs (et autres) de revendiquer toutes leurs actions violentes [...] Cela permettrai de faire clairement la part des choses, d'un côté ce qui est imputable à des manifestants (dont on continuera à déplorer les méthodes) et ce qui ne l'est pas [...] Et cela évitera des amalgames malheureux... ». Goareguer (Pascal), « Götebog suite, et un peu de politique », Attac talk, 06/07/2001. |
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