UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
2.1.3.2 L'investissement personnelL'implication personnelle est un processus de valorisation de l'individu. Le militantisme associatif, comme l'a mis en évidence Eric Agrilolansky, contribue à l'estime de soi433(*). Ce phénomène est plus prégnant dans le militantisme humanitaire dans lequel l'individu s'efface derrière la cause qu'il défend. Ce bénéfice est moins visible au sein d'Attac. En effet, la cause au nom de laquelle ils justifient leur engagement n'est pas reconnue comme légitime par tous les acteurs de la société. A l'inverse, l'idéologie mobilisatrice des ONG réalise un consensus au sein de la population. Parmi les enquêtés, le discours du désintéressement est assez peu présent. En revanche, Eric Agriloanski note également que le militant acquiert par son investissement une « bonne conscience » envers lui-même. Plusieurs enquêtés évoquent ce bénéfice qu'il est possible de retirer du militantisme. Toutefois chaque interviewé ne l'utilise pas à propos de soi mais à propos des autres. Lionel reconnaît qu'il existe une « dimension affective » dans le militantisme qui s'exprime par « une volonté de s'investir pour se sentir bien ». Toutefois, il ajoute que cela ne s'applique pas à lui. De même, Isabelle explique que l'investissement personnel « est une forme de déculpabilisation »434(*). Laurent, en revanche, estime, après avoir expliqué que l'investissement répond à un besoin personnel, que son engagement obéit à la même logique. De plus, il met en comparaison son engagement au sein d'Attac avec la contribution qu'il apporte à un centre d'accueil pour SDF. Il décrit la culpabilité qu'il éprouve face à la misère de ceux qu'il rencontre. Le fait d'apporter son appui lui permet de rendre « plus acceptable » cette misère. Il explique que sa participation à Attac relève, entre autres, du même raisonnement. En militant dans Attac, Laurent estime qu'il contribue à ce que « les gens vivent mieux », on peut alors supposer que son engagement rende « plus acceptable » les inégalités économiques contre lesquelles il lutte. L'investissement personnel permet ainsi de valoriser l'individu par l'image qu'il lui procure et qu'il diffuse à l'extérieur de l'association. Toutefois, des processus de valorisation existent également au sein de l'association. Daniel Gaxie a remarqué par exemple que l'existence d'une hiérarchie au sein des partis politiques constituait une « rémunération symbolique » de l'investissement militant435(*). Il n'existe pas au sein d'Attac une hiérarchie aussi développée que dans les organisations partisanes. Toutefois, d'autres processus de valorisation de la personne sont présents. Par exemple, Julie évoque la très grande qualité d'écoute dont témoignent les militants au cours des réunions. Il n'est pas rare qu'un individu ayant préparé un document de travail soit félicité par l'ensemble des militants436(*). Les prises de parole publiques à l'occasion des actions tenues par l'association sont autant d'occasions d'être reconnu et valorisé437(*). Ces processus internes mettent en évidence le fait que les associations sont avant tous des lieux de sociabilité auxquels prennent part les militants. Lionel : Mais ça c'est dans toutes associations ou il y a une dimension affective, il y a beaucoup de gens qui militent parce que ça remplit aussi leur existence, ce n'est pas tout le temps pour la dimension intellectuelle, c'est aussi pour la dimension affective. C'est toujours de l'affectif mais parfois c'est plus une volonté de s'investir pour se sentir bien. Moi je ne peux pas dire ça. Je comprends que je trouve ça intéressant car c'est la vie sociale ! Isabelle : S'investir, c'est bien sûr quelque chose de bien, mais je ne pense pas que ce soit essentiel. C'est essentiel, si la personne en a le besoin, alors pourquoi pas ? C'est une démarche très personnelle. Je pense que c'est relatif au vécu de la personne. Je ne pense pas qu'il faille se contenter d'un engagement intellectuel, mais c'est déjà pas mal ! C'est bien de s'investir. Un engagement intellectuel, c'est aussi un premier pas... Après je dis aussi les gens qui ont le temps et qui ont besoin ils le font, ils s'investissent. Après quand on est étudiant, c'est vrai qu'on a aussi d'autres choses à vivre, simplement le fait d'adhérer... Je pense que c'est un premier pas. Il y en a, c'est quelque chose qui leur apporte personnellement en termes de bien-être, en termes aussi de déculpabilisation, vis-à-vis des événements extérieurs, c'est une forme de déculpabilisation. Laurent : Mais de toute façon je crois que les gens qui s'investissent ne se posent pas la question de l'utilité, je pense que le ressort de l'implication dans un mouvement comme ça ils sont plus intérieurs ils relèvent de la personnalité et le fait d'efficacité je ne crois pas que ce soit une vraie réalité qui soit présente chez eux, il ne me semble pas. Si les gens ils s'investissent c'est qu'ils ont besoin de le faire, et que ce soit efficace ou pas ils le font. Peut-être que certains disent que c'est efficace mais au fond de ce n'est pas ce qui leur importe, c'est avant tout un engagement individuel. Moi je crois que les gens ils se motivent eux-mêmes et c'est plutôt eux qui prennent quelque chose et qui ont une satisfaction. C'est comme le fait du don chez l'Abbé Pierre ou mère Teresa, c'est une satisfaction propre et d'eux même et c'est pour ça ils le font, ils le font parce qu'ils y trouvent quelque chose. Et les ressorts de l'engagement politique au niveau comme du mien, pas comme d'autres qui ont peut-être de perspectives de carrière, mais pour les militants de base, il ne s'agit pas de carrière et peut-être que les ressorts de l'investissement ne sont pas au niveau de l'efficacité mais juste le besoin de s'engager [...]Je suis sûr en sociologie le profil des militants a dû être étudié et que c'est des gens qui s'épanouissent à travers le fait d'entraîner des autres et Thomas c'est vrai que c'est quel qu'un qui est bien pour ça car il est entraînant [...] Et puis j'ai le plaisir de m'investir [...] Disons, je pense qu'on se réalise au fur et à mesure qu'on agit en tant que personne et en tant qu'individu. On se réalise dans l'action et le fait de s'investir ça m'apporte une satisfaction. Laurent : La misère des autres ça me gêne beaucoup [...] car quand je rencontre un SDF dans la rue ça me rend malade. J'interviens à Point d'Eau, c'est un centre d'accueil pour les SDF, on propose des services d'immédiateté, c'est-à-dire des douches, les gens peuvent laisser les bagages et peuvent y prendre des affaires, on leur propose le téléphone, la machine à laver et un service de petite infirmerie et d'orientation. L'équipe que je rencontre là-bas ce n'est pas pour les aider car je pense que je n'en suis pas capable, ce que je fais ce que j'essaye de les rencontrer car c'est une réalité qui est tellement éloignée de saveurs qu'on peut connaître. Et là c'est pareil, c'est comme pour les pauvres en Afrique, ça me dérange beaucoup. Moi ça m'apporte quelque chose... Ça me permet d'être moins malade quand je vois un SDF car pour moi ce ne sont plus des étrangers, je les reconnais en tant qu'individus. Le fait de les croiser sur un lieu précis où il y a une réalité concrète et une action, c'est une aide très pragmatique mais au-delà de ça je ne peux pas les aider [...] Ils n'en sortent pas et ce n'est pas moi qui vais les aider à en sortir, j'ai une aide très précise sur eux, ça leur permet d'être présentables. Mais ils sont quand même dans la merde [...] Cette misère-là elle me gêne aussi beaucoup. Tu vois quand je disais que quand on adhère il y a des ressorts intérieurs, c'est au-delà de l'idée même, c'est le besoin de s'impliquer pour que ce soit acceptable. Car si jamais je ne m'implique pas, à la limite, je ne peux pas me regarder dans une glace. Ça me dérange et je me sens responsable. Je pense que ça rentre en compte dans mon adhésion dans Attac parce que le but ultime c'est de faire en sorte que les gens vivent mieux et qu'on trouve un système plus efficace. Julie : C'est peut-être complètement utopique mais je me dis que l'avantage d'Attac c'est que c'est quelque chose qui débute et qui se construit au jour le jour avec des choses super sympa, une qualité par exemple au niveau d'Attac Isère dans les groupes de travail, une qualité d'écoute que je trouve très impressionnante, une reconnaissance... F.E : Cette reconnaissance au sein des commissions ça vous a étonné ? Julie : Etonnée, je ne sais pas... Oui, en tous cas elle m'a plu. * 433 « L'engagement représente une dimension déterminante de l'image qu'ils [les militants] perçoivent d'eux même et qu'ils renvoient à d'autres autres [ainsi] la participation, même très indirecte, à une activité politique constitue une pratique nécessaire à l'estime de soi » Agrilolansky (Eric), La Ligue des droits de l'Homme (1947-1990). Pérennisation et transformation d'une entreprise de défense des causes civiques, thèse de sciences politiques pour doctorat, IEP Paris, Favre (Pierre), 1997. * 434 Nous supposons que le discours tenu par Isabelle visait à justifier le fait qu'elle ne soit pas très impliquée dans l'association. * 435 Op.cit., Gaxie (Daniel), pp. 131-132. * 436 On peut évoquer, par exemple, la présentation de la taxe Tobin qui a été faite par une militante, qui par ailleurs est professeur d'économie, lors de la réunion plénière du 22/05/2001, ou encore la présentation du mécanisme de l'AGCS par un militant lors de la réunion du groupe de réflexion consacré au « Service publique ». * 437 Par exemple, lors du C.A du 7/04/2001, Luc, le président d'Attac Isère, a proposé de présenter la conférence faite par à l'occasion du prochain salon du naturel qui aura lieu à l'Albenc en septembre 2001. Thomas insistait pour que ce soit « une dame » qui le fasse. |
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