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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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2.1.3 Une liberté contestée

Le mode associatif semble doté au regard des militants d'un ensemble de vertus. Toutefois, la perception du mode associatif n'est pas homogène chez les enquêtés. Pour certains, il représente un signe de démocratie en comparaison des partis politiques et des syndicats. En revanche, certains interviewés affirment que la forme associative est un cadre trop exigu qui restreint la participation des adhérents. Par exemple, Lionel considère que la forme associative n'était pas nécessaire au niveau local car elle est déjà présente au niveau national. C'est pourquoi Lionel ne milite au sein du comité que depuis octobre 1999, alors qu'il a adhéré à l'association nationale en juillet 1998. Il cherchait un regroupement dont le fonctionnement soit plus « informel » et dont le développement puisse être plus « spontané » et « imprévisible » qu'une association. Il pensait militer dans le comité Savoie qui ne s'est pas constitué en association. N'ayant pu y adhérer (pour des raisons professionnelles), il a rejoint le comité isérois « sur la pointe des pieds » presque un an après sa création. Lionel a beaucoup hésité puisque Attac Isère est une association loi 1901. La forme associative représente pour lui une organisation de groupe « rodée » et qui impose à ses participants, un « cadre » et un « carcan ». Depuis, son adhésion Lionel a refusé de participer aux groupes thématiques de réflexion qui existent dans le comité. Il n'a également pas souhaité intégrer le Conseil d'administration, en dépit du fait qu'il figure parmi les plus anciens militants du comité.

Lionel : J'ai adhéré très rapidement à Attac, dans le mois qui a suivi sa création sur le plan national. J'ai commencé à aller voir en Savoie comment ça se passe, parce que j'ai un travail là-bas [...] Je savais qu'à Grenoble se créait une association Attac et je n'y ai pas été tout de suite en raison du cadre même de l'association avec des élus, un bureau, président. Je suis relativement prudent. En Savoie, il y avait eu des discussions auxquelles j'avais assisté et ils se demandaient s'il fallait créer une association ou un comité et ils ont en fait pencher plutôt pour un type de fonctionnement de comité, c'est-à-dire qui n'est pas une organisation avec un cadre de fonctionnement officiel. L'association c'est déjà une organisation qui est largement pensée et rodée, une organisation de groupe. Ça impose un cadre avec tout ce que ça implique, c'est-à-dire un carcan. Je pensais davantage m'inscrire dans quelque chose de plus spontané, dans une création plus imprévisible dans l'organisation. Parce qu'on est dans quelque chose qui est à créer et à instituer. On était plusieurs à penser que le cadre associatif n'était pas nécessaire parce qu'il est déjà établi sur le plan national. Cette représentation officielle elle existe actuellement mais ce qu'on pouvait vivre à petite échelle pouvait être différent [...] Je les ai rejoints plus de six mois après la création. C'était la forme associative qui me freinait un peu, et puis, je suis venu sur la pointe des pieds. Je suis venu pour une manifestation organisée par Attac en octobre 1999, pratiquement un an après la formation d'Attac Isère. Je voulais quand même essayer de rejoindre ou de rencontrer des personnes qui adhéraient à Attac et qui a priori partageaient des idées communes avec moi..

Les critiques qui sont formulées à propos du fonctionnement d'Attac semblent aller à l'encontre du modèle associatif. L'association, comme le note Stanislas Varennes, représente un mode de fonctionnement « souple » qui facilite la participation des adhérents. Contrairement au centralisme des structures fortement hiérarchisées, l'association se caractérise par un modèle horizontal où le pouvoir est diffus. Pourtant, il existe, selon les enquêtés, au sein de la structure nationale d'Attac, une forte concentration du pouvoir. Un « directoire national» exercerait, selon Thomas, un contrôle unilatéral sur le fonctionnement de l'association. Nous sommes donc loin du fonctionnement « souple » et « ouvert » qu'évoquaient certains adhérents. Les mêmes reproches ont été formulé à l'encontre du fonctionnement du comité isérois. La prises de décision s'effectueraient uniquement au sein du C.A et laisseraient à l'écart la plupart des membres. La structure associative n'est pas appropriée, selon certains enquêtés, pour un comité local car elle suppose un fonctionnement trop rigide. Plusieurs enquêtés considèrent qu'il existe un formalisme trop important au sein du groupe isérois. Cécile insiste à plusieurs reprises sur les difficultés qu'elle a rencontrées dans son militantisme. Elle a adhéré dans le but de mettre en place un groupe spécifique pour le campus mais qui soit lié au comité isérois. Elle s'est heurtée, explique t-elle, à plusieurs obstacles dans le fonctionnement du groupe. Par exemple, Cécile a eu l'idée, en février 2001, de publier un journal propre au groupe campus qui s'intitule Trat'Attac. Le C.A, qui a été très méfiant, souhaitait avoir un droit de regard sur les articles qui étaient publiés. Après la parution du premier journal, qui n'avait pas été soumis à l'approbation du C.A, les militants du campus furent très critiqués. Il fut alors décidé que tout document devrait être soumis au C.A. Cécile regrette que le C.A souhaite contrôler la totalité du comité. Il en résulte, selon elle, un manque de confiance qui constitue un frein à l'engagement des adhérents. Elle explique qu'elle a rencontré d'autant plus de difficultés, qu'elle disposait d'une précédente expérience associative au sein de Ras l'Front, où elle avait participé au lancement d'un journal lycéen. La direction n'exerçait aucun contrôle sur la publication. Cécile constate que le fonctionnement au sein d'Attac Isère n'est pas aussi souple.

Cécile : Oui, oui c'était en début d'année, on s'est dit : « cela fera une activité régulière, sur le campus; on va faire un journal » [...] Quand on a sorti le premier journal, c'est moi, qui les ait appelés en leur disant : « Voilà on sort notre premier journal » mais on ne leur a pas montré. C'est vrai que cela a été super dur, car moi, à ce moment-là je ne pouvais pas aller au C.A, c'était un copain qui était allé au C.A pour dire qu'on avait fait un journal. Il s'était fait incendier par les membres du C.A mais alors d'une façon vraiment grave. Il en était sorti super choqué par rapport à ce qui s'était passé.

F. E. Ils avaient lu le journal ? C'était en fonction du contenu ?

Cécile : Non ! Ce n'était même pas en fonction du contenu ; c'était en fonction de la démarche. On n'était pas passé par le C.A. Et ils ont très peur de tout ce qui est récupération, tout ce qui est éclatement au sein d'Attac qui ferait qu'on ne pourrait pas avoir le contrôle sur tout ce qui se fait au sein des groupes. Ils ont dit : « Tout document doit passer par le C.A avant d'être publié ».

Cécile : Au début, comme je te le disais, c'était difficile et notamment cela a été difficile car on a fait des sujets sans l'accord du C.A, parce que nous, dans notre tête, on avait une expérience associative et on avait aussi un groupe lycées, on faisait pareil, on tirait 12 000 tracts par mois et c'était jamais lu par un membre du bureau. Il n' y avait pas de vérification, il y avait une confiance entre les groupes. Il n'y a jamais eu de problèmes. Comme c'était un groupe lycée, on était quarante à la meilleure époque [rires], donc, comme il y avait du monde, on considérait que c'était le fruit d'un travail collectif et qu'il n'y avait pas besoin de repasser derrière pour voir si c'était en accord avec les idées du groupe. Tandis qu'à Attac, il ne nous ont pas fait cette confiance là.

Le formalisme du comité isérois aboutit, selon Cécile, à des « blocages » dans le fonctionnement de l'association. Tout d'abord les réunions seraient ancrées dans une forme trop rigide187(*). Par exemple, Cécile explique que récemment le C.A, auquel elle participe, a abordé une question matérielle relative à l'achat d'une armoire. La discussion a débordé sur la gestion de la trésorerie et a duré un peu moins d'une heure. Chaque chose étant soumise à l'accord des membres du C.A, les préoccupations matérielles occupent une place centrale dans les débats. De plus, des blocages surviennent également lors des mobilisations. Par exemple, Cécile précise, avec ironie, qu'à l'occasion de la manifestation du 1er mai 2001, le groupe campus a été « mandaté » par le C.A afin de réaliser une banderole. Des blocages sont également survenus lorsque des actions ont été menées avec des organisations dont le fonctionnement est plus souple. Ce fut le cas notamment à l'occasion du Festival de Résistance Anti-Kapitaliste (FRAKA) qui eu lieu sur le campus. Le FRAKA est une association composée d'une quarantaine d'étudiants et qui a un fonctionnement très souple et peu hiérarchisé (pas de C.A, décisions prises au consensus). Attac a participé au festival qui s'est déroulé en avril 2000. Toutefois, les membres du FRAKA avaient annulé une intervention sans en avertir le comité. Les membres du C.A en furent contrariés. De plus, les militants isérois avaient invité José Bové sur le campus lors du déroulement du festival. Les militants du FRAKA avaient annoncé l'événement dans leur plaquette sans pour autant avoir participé à l'organisation. Cela fut très mal accepté par le comité local qui décida de ne plus participer au festival. Toutefois, en 2001, Cécile, qui fréquente les membres du FRAKA, désira y participer. Pour cela, elle décida d'adopter une démarche très formelle auprès du C.A qui fut contraint d'accepter la participation du groupe campus.

Cécile : Et puis il y a des blocages. Par exemple à la dernière réunion on a discuté pendant trois quarts d'heure s'il fallait une armoire pour Attac Isère pour ranger les documents dans le local FSU. Au départ il ne fallait pas de meubles dépareillés par rapport à son mobilier, on les comprend, donc ils devaient forcément acheter une armoire qui allait avec leurs meubles. Cette armoire devait coûter 2400 F. Cela nous a entraîné avoir un débat plus large sur la trésorerie et comme la trésorière avait des difficultés.

Cécile : Et cette année, on a tenu une table d'Attac campus, car la relation en entre le FRAKA et Attac Isère était un peu compliquée. En fait, c'est parce qu'Attac Isère n'a pas apprécié la façon dont le FRAKA les a sollicités. Déjà l'an dernier, une personne d'Attac Isère devait faire une intervention pour le FRAKA; or le FRAKA avait trouvé quelqu'un d'autre et ils n'avaient pas prévenu. Elle avait commencé son travail. C'est ce qui explique les mauvaises relations actuelles, car Attac c'est vraiment un organisme très réglementé, on ne peut pas faire n'importe quoi, ni annuler n'importe comment, il faut passer par le C.A avant de faire quelque chose. Du coup, le mode de fonctionnement des deux organismes était difficilement compatible. Eh oui ! Ce qui s'était passé c'était à propos de José Bové. Le FRAKA avait demandé à José Bové de venir sur le campus, mais ils n'avaient pas obtenu de réponse et ils ont appris par ailleurs, que le collectif avait invité José Bové. Comme ils étaient contrariés, ils avaient mis la venue de José Bové dans leur plaquette, pour annoncer l'organisation. Or, comme ils n'étaient pas encore co-organisateurs, Attac s'était énervé en disant que cela était scandaleux qu'ils l'écrivent dans leur plaquette. C'est vraiment de petites querelles [...] Donc, ce qui se passe, maintenant c'est qu'on a bien pigé le truc, et on les ennuie avec des sujets supers formalistes, la fois où j'y suis allée, c'était pour leur dire qu'on voulait prendre en charge la table à FRAKA. J'ai demandé à Cristina la présidente du FRAKA de m'écrire une lettre, signée la présidente du FRAKA : « Nous vous invitons à venir... etc ». Je leur ai présenté la lettre et cela les ennuyaient, car finalement, ils sont sur des principes, mais dans la réalité ils appliquent des principes supers formalistes.

Le fonctionnement du comité isérois et de l'association nationale semblent aller à l'inverse des valeurs qu'incarne le mode d'organisation associatif. Le mode de fonctionnement des organisations, quelles qu'elles soient, qui se sont développées en France depuis la IIIe République, se caractérisait, selon Jacques Ion, par un important formalisme juridique. L' « attachement extrêmement minutieux aux règlements » et le « fétichisme des statuts » témoignent du « souci constant d'élaborer anonymement une volonté commune »188(*). Ce formalisme tendrait, selon lui, à disparaître. Et « quand bien même les règles juridiques continuent à s'imposer, c'est sur un autre registre [...] elles ne sont respectées que par obligation »189(*). Ce constat ne s'applique vraisemblablement pas au fonctionnement de l'association Attac. Au contraire, les militants attachent beaucoup d'importance aux règles qui régissent le déroulement des réunions et des mobilisations. La place qui est accordée aux statuts, comme nous l'avons vu précédemment, va également à l'inverse de cet abandon du juridisme. Le comité Attac Isère semble donc aller à l'encontre des évolutions que connaissent actuellement les organisations.

Cette observation doit être nuancée par une remarque. Les statuts du comité imposent qu'un tiers des membres soient présents lors du déroulement de l'Assemblée générale. Toutefois, lors de l'AG du 24 février 2001 au cours de laquelle le C.A fut élu, ce quorum n'était pas réuni. C'est ainsi que, tandis que le comité comporte plus de 800 adhérents, seuls 165 membres étaient présents190(*). L'attachement des militants envers les statuts est donc plus prégnant dans leur discours que dans leurs pratiques effectives191(*).

L'engagement des militants semble motivé par un ensemble de valeurs qui sont incarnées par la forme associative. Comme le remarque Martine Bathélémy, au sein des représentations militantes, le substrat de l'association est la liberté. A l'inverse, les organisations partisanes sont perçues comme des cadres rigides retreignant l'initiative individuelle. L'engagement associatif, qui est plus parcellaire, apparaît comme un échappatoire aux discours globalisants tenus par les « appareils ». C'est ce qui explique, selon Patrick Lecomte, que « l'engagement se porte de préférence vers des associations à buts spécialisés plutôt que vers des organisations politiques qui prétendent régir l'ensemble de la société »192(*). Toutefois Attac soutient des revendications sur de nombreux domaines. Comment expliquer que le champ des revendications soit si large sans qu'il soit perçu pour autant comme contraignant ? Le discours tenu par Attac pourrait alors s'apparenter à celui d'un parti politique. Quelles limites, les militants posent-ils aux prises de positions de l'association ?

* 187 Le déroulement des réunions publiques s'effectue au sein du comité selon un processus strictement réglementaire. Un ordre du jour a été précédemment établi par le C.A. Les prises de parole ont lieu à tour de rôle et il est interdit de couper la parole à l'intervenant en cours. De plus, en vue de respecter un planning horaire, chaque intervention est délimitée dans le temps.

* 188 Ion (Jacques), op.cit, p. 68.

* 189 Ibid, p. 69.

* 190 Cf., Attac Isère, « Compte rendu de l'Assemblée générale d'Attac Isère-38 », Grenoble, 24/02/2001.

* 191 Peut-être est-il possible d'expliquer ce paradoxe, comme nous l'avons déjà fait précédemment, par le fait que les militants isérois souhaitent la reconnaissance du comité dans les statuts nationaux. La démarche vis-à-vis du national (le respect des statuts) implique que les militants adoptent la même position au sein du comité isérois. Toutefois, il s'agirait davantage d'un attachement formel que d'une réelle conviction.

* 192 Cf., Denni (Bernard), Lecomte (Patrick), Sociologie du politique, 1990, p. 159.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams