2.1.2 Le respect du pluralisme
2.1.2.1 Le refus du
conformisme
Les organisations traditionnelles sont également
perçues comme étant une limite à la liberté
d'opinion. Cette critique est beaucoup plus fréquente à propos
des partis que des syndicats. Selon les adhérents, les partis occupent
dans la vie politique un rôle de mouvement d'idées qui n'est plus
rempli actuellement. C'est ainsi que Fabien qualifie la vie politique
française de « platitude ». Il exprime
également son inquiétude vis-à-vis du rapport
qu'entretiennent les jeunes avec la politique. Il considère qu'il n'y a
plus suffisamment d' « effervescence au niveau des
idées » pour que les jeunes puisent s'engager politiquement.
Laurent affirme, à plusieurs reprises, qu'il se sent interpellé
par « la politique ». Toutefois, les partis ne
correspondent pas, selon lui, à des « mouvements
d'idées » mais à des
« écuries ».
Fabien : Ce n'est pas au niveau des partis politiques que
l'on peut trouver de l'effervescence au niveau des idées. Ils sont un
peu, je n'ose pas dire sclérosés, mais enfermés dans un
certain confort intellectuel. Moi ce qui me paraît grave, c'est que la
vie politique à l'heure actuelle doit avoir énormément de
mal à intéresser les jeunes [...] Ce qui m'énerve, c'est
que dans les partis politiques, quels qu'ils soient, il y a beaucoup de
platitude, il n'y a rien de moins enthousiasmant. Et si j'ai une
inquiétude à manifester, c'est que je ne vois pas comment les
jeunes peuvent véritablement être motivés par des
intérêts d'ordre politique.
Laurent : C'est une question de personnes car la
politique en général ça m'interpelle et jusqu'à
maintenant je n'avais jamais franchi le pas d'adhérer à un
mouvement. Les mouvements politiques sont pour moi un peu trop des
écuries, il ne me semble pas que ce soient des mouvements
d'idées. En tout cas je ne retrouverais pas à militer vraiment
pour un parti.
Cette dévalorisation des organisations syndicales et
politiques s'assortit d'une critique de l'engagement militant. Fabien estime
que l'engagement syndical est « borné ». Il regrette
que les prises de position de la direction soient suivies de façon
stricte sans regard critique. Il existe, selon lui, un conformisme intellectuel
au sein de ces structures. Il explique, d'ailleurs, qu'à l'occasion des
mouvements de grève de 1995, il avait participé à une
réunion syndicale au cours de laquelle il avait soutenu le plan
Juppé sous les critiques des syndicalistes présents. Peu de temps
après, des membres de F.O (Force ouvrière) lui avaient
avoué que malgré leur accord, ils étaient contraints par
leur syndicat à afficher leur désapprobation. Fabien
considère que ses collègues syndicalistes
étaient « affligeants ». A l'inverse, il se
décrit comme étant quelqu'un
d' « indiscipliné » et
d' « indépendant ». Il justifie, par ailleurs,
le fait qu'il soit professeur d'université par l'autonomie que lui
confère son travail. Laurent dévalorise également le
militantisme syndical ou politique qui suppose, selon lui, de
« mettre des oeillères ». L'adhésion a un
parti lui semble « étrangère » car cela
suppose d'adhérer totalement à une
« idéologie » ou une
« doctrine ». L'engagement politique relève, selon
lui, de la même croyance que l'engagement religieux; le militant se situe
dans des « chapelles » trop contraignantes. On pourrait
s'attendre à ce que cette représentation ne soit pas
partagée par ceux qui militent dans des organisations politiques.
Toutefois Cécile, qui milite à la LCR, partage une conception
similaire. Elle avoue avoir peur d'être sujette, au sein de son
organisation, à un « endoctrinement ». C'est pour
éviter « d'arrêter de
réfléchir », qu'elle souhaite militer dans une autre
organisation. Elle privilégie pour ce second choix, une association
puisqu'elle militait auparavant à Ras l'Front de 1996 à 1999 et
qu'elle a adhéré à Attac en janvier 2000. Ce second
engagement lui permet de ne pas militer « en vase clos »
dans la LCR et de garder un « esprit critique ».
Fabien : Je ne sais pas si vous vous rappelez de toutes
ces manifestations qui ont eu lieu au moment du plan Juppé [...] J'y
voyais toute une série d'aspects positifs. Je trouvais que ce plan
allait plutôt dans le bon sens. J'ai été le dire assez
librement et les gens qui étaient là, notamment du syndicat Force
Ouvrière, étaient farouchement contre le plan Juppé et je
me suis trouvé très fortement contesté. C'était une
assemblée générale qui avait eu lieu à la
faculté de sciences économiques. L'amphithéâtre
était plein et on était plusieurs à s'exprimer. On m'a
beaucoup critiqué et deux jours plus tard je rencontre des gens du
brain trust de Force Ouvrière à Paris, et ils me disent
« Dans le fond ce plan Juppé, il n'est pas si mal que ça
mais on ne peut pas se permettre de le dire. Dans le fond on le trouve pas mal.
Mais sur la place publique on est obligé de dire qu'on le trouve mauvais
». De même que quand la CSG avait été mise en place,
j'avais un collègue qui était au service économique de la
CGT, la CGT était partie complètement en guerre contre la
contribution sociale généralisée, qui au fond
n'était pas si mal que ça. Et ce collègue me dit « Au
fond, on est pas si contre mais il faut qu'on dise qu'on est contre car la
direction l'a dit ». Et ça je ne comprends pas [...] Dans les
syndicats il y a beaucoup de sclérose. J'aime bien les syndicats [...]
mais il y a des formes de militantisme qui sont un peu bornées et ce
sont souvent celles-là qui tiennent un peu le haut du pavé.
Fabien : J'ai appartenu à un syndicat
d'enseignants, le Syndicat National d'Enseignement Supérieur, le SNESUP.
J'y ai adhéré mes premières années d'enseignement
à l'université. J'ai commencé en 1970 et j'ai y
été pendant près de dix ans. J'ai adhéré
d'abord au SNESUP, puis j'étais agacé. Il y a un corporatisme
excessif, un manque de raisonnement. C'est un peu le propre d'un syndicat, mais
il y a plusieurs degrés. Là c'était vraiment du
corporatisme, le nez sur le guidon. Je me suis rapidement lassé, et puis
mes collègues étaient très bornés. Il y en avait
qui étaient affligeant. Participer aux réunions était
devenu pour moi un calvaire. Quand la littérature syndicale vous
paraît répétitive et très automatique dans ces
réactions...
Fabien : Je suis quelqu'un d'assez indépendant
j'ai du mal à me canaliser dans un parti, la discipline de parti est
quelque chose qui m'est insupportable. Je suis quelqu'un de très
indiscipliné et ça me pèse d'être encadré par
un parti. C'est un certain nombre de choses qui font que je n'aurai plus
l'impression de me sentir suffisamment libre, si j'étais adhérent
à un parti politique. Je n'arrive pas à prendre position d'un
côté ou de l'autre. On aboutit à des absurdités
totales, aussi bien au sein des partis que des syndicats [...] Et souvent quand
on est encadré par des partis politiques, on est obligé de faire
des concessions. Si je suis universitaire, c'est parce que c'est un des
métiers qui permet une des plus grandes libertés de penser. C'est
pourquoi je n'ai pas envie d'aller militer dans des structures où j'ai
peur d'être trop canalisé.
Laurent : Ça a longtemps été une
source de velléité, je m'intéresse à la politique
mais en même temps j'ai une sorte de conscience cette lucidité,
pour s'engager dans un mouvement je pense que quelque part il faut être
un peu con dans le sens où il faut être un peu borné. Dans
tout ce qui est politique il n'y a pas de vérité absolue et c'est
tout le temps une question de perspectives. Et choisir une perspective c'est
quand même se mettre des oeillères, même si on le fait
lucidement, il n'y a pas de vérité. Pour s'engager quelque part
il faut être un peu con, les militants purs et durs je ne les aime pas
bien [...] Du coup tout en ayant une sorte de volonté de m'impliquer en
tant que citoyen, je ne l'ai jamais vraiment fait car je n'ai pas envie de
m'enfermer [...] Quand j'étais étudiant j'avais rencontré
des gens qui étaient adhérents aux jeunesses communistes et je
les regardais comme des gens étranges, ils m'interpellaient car je me
demandais qui ils sont. Pour moi ce sont des gens différents et je les
sens très loin de moi, je ne comprenais pas comment on pouvait
adhérer au Parti communiste. Ça me semblait étrange parce
qu'ils sont dans une chapelle avec une idéologie, une religion. De
même titre que les gens qui croient en dieu, en tant que personne ils
m'interrogent car je me dis comment ils font, c'est un peu la même chose
au fond. En tout cas il y a des points communs entre la doctrine qu'elle soit
religieuse ou laïque, moins maintenant.
Cécile : Moi j'ai toujours eu très peur par
rapport à la Ligue d'arrêter de réfléchir,
c'est-à-dire que c'est un parti qui a une énorme tradition
politique et il y a un certain nombre de gens qui ont un positionnement
politique très clair vis-à-vis des choses et ils sont capables de
t'enfoncer. Le fait que je voie d'autres choses par ailleurs et que j'ai
d'autres réflexions ça m'empêche de rester dans la ligne.
J'ai une certaine méfiance par rapport à ça, par rapport
à l'endoctrinement. Je ne vais pas militer qu'en vase clos à la
Ligue parce que c'est vrai que si je me fichais complètement de ce qui
se fait au niveau du monde militant et je ne pourrais plus avoir un esprit
critique vis-à-vis de la Ligue. Militer ailleurs ça me permet
d'avoir un positionnement critique vis-à-vis de mon propre parti. J'ai
quand même les idées de la Ligue par ailleurs que j'ai envie de
d'y diffuser ailleurs dans le monde associatif et donc aller militer ailleurs.
|