UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
2 La part associative de l'engagement« « Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant. » Tel est le problème fondamental dont le Contrat social donne la solution. Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l'acte, que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet » Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, I, ch 6. Attac, est une association de loi 1901. Pourtant, à l'origine, la proposition de Ramonet qui fut publiée dans le Monde Diplomatique évoquait la constitution d'une Organisation non gouvernementale (ONG). Ainsi il suggéra en décembre 1997 de « créer, à l'échelle planétaire, l'organisation non gouvernementale Action pour une taxe Tobin d'aide aux citoyens -Attac »173(*). Au cours de la rencontre qui eu lieu le 16/03/1998 entre les futurs membres fondateurs le projet d'une ONG avait encore été évoqué174(*). Toutefois, le projet d'une ONG se transforma en mai 1998 en une « association internationale »175(*). Lors du dépôt des statuts, le « A » de l'acronyme qui se référait initialement à l' « Action » signifia désormais l' « Association ». Par la suite, l'idée d'une ONG ne fut plus évoquée officiellement. Bernard Cassen rappelait, lors du C.A du 17 février 1999, qu'Attac n'était pas une ONG mais une « organisation française internationaliste »176(*). A l'occasion de l'AG 1999, il était précisé qu'à terme, « il est possible de construire, avec d'autres, la grande ONG internationale qui saura exprimer les besoins des peuples, s'opposer à la dictature des marchés, démontrer qu' « un autre monde est possible »177(*). D'après ce document du bureau, l'idée d'une ONG resterait le but visé. Il s'agit, d'ailleurs, d'une revendication qui est soutenue par certains adhérents. Ils proposent qu'Attac devienne une ONG afin que, par exemple, il soit possible de déduire fiscalement les donations qui sont faites. Peut-être la forme associative a t-elle été privilégiée en raison de sa flexibilité ? Il est imprudent de spéculer sur le fait qu'Attac soit devenu une association et que le projet initial d'ONG ait échoué. Toutefois, en quoi l'engagement des enquêtés a t-il un lien avec la forme associative du mouvement ?. Il est nécessaire pour cela d'identifier la représentation de la forme associative, telle qu'elle apparaît au cours des entretiens. 2.1 Les vertus associativesMartine Barthélémy explique l'engouement pour l'engagement associatif par le fait que l'association représente un ensemble de valeurs auprès des militants. La principale vertu de l'association serait la liberté. La notion de liberté recouvre ici deux phénomènes. L'association serait, tout d'abord, l'organisation dans laquelle l'adhérent disposerait d'une liberté d'action supplémentaire en comparaison avec les formes plus hiérarchisées (syndicats et partis politiques). Il s'agit de la « liberté individuelle dont la démarche associative permet l'expression »178(*). D'autre part, l'association serait perçue, contrairement aux structures partisanes, comme un mode d'organisation facilitant la diversité des opinions. C'est l'idée d'une « liberté de l'association, fondée sur le « pluralisme » et la « diversité » des idées qui s'y échangent et des individus qui s'y rencontrent »179(*). Qu'en est-il au sein d'Attac Isère ? En quoi l'engagement des enquêtés a t-il un lien avec la forme associative du mouvement ? Y- a t'il une représentation homogène de l'association parmi ceux ci, qui serait semblable à celle que décrit Martine Barthélémy ? 2.1.1 Une liberté d'action supplémentaire2.1.1.1 Le refus d'un fonctionnement hiérarchique et centraliséTout d'abord, les enquêtés sont assez réfractaires aux syndicats et aux partis politiques, eu égard à leur centralisme. Il s'agit selon eux, d'organisations qui sont le plus souvent « bureaucratiques » et « centralisées ». Luc, qui a milité depuis les années soixante-dix dans la CFDT, regrette qu'un dualisme croissant soit apparu au sein des syndicats entre la « base » et la « tête ». Par ailleurs, il se définit, lui même, comme un « militant à la base » et déclare avoir tenté de travailler jusqu'à sa démission avec « la base ». Sa participation syndicale est restée essentiellement au niveau de son entreprise. Au terme de son militantisme, il considère que la CFDT ne lui a jamais véritablement apporté son soutien, et qu'elle se limitait à percevoir les cotisations. Luc estime que les responsables syndicaux ne se situent pas dans une stratégie de défense des salariés mais qu'ils sont « inclus dans les problèmes de pouvoir ». Il déclare, par ailleurs, au cours de l'entretien, que l'originalité d'Attac est de se situer à l'extérieur des problèmes de pouvoir, c'est-à-dire en position de « contre-pouvoir ». Laurent perçoit également cette coupure entre les militants et les responsables au sein des partis politiques. Les partis ne correspondent pas à des « mouvements d'idées » mais à des « écuries » en faveur des dirigeants. Laurent reste perplexe devant le fait que certains individus puissent militer dans les partis puisqu'ils n'ont aucun bénéfice direct à en attendre. Certains enquêtés rejettent la structure syndicale et politique car ils critiquent son mode d'organisation vertical où la « base » est dépourvue d'un réel pouvoir180(*). Stanislas Varennes, au cours d'une étude consacrée au militantisme associatif, a pu remarquer que les personnes qui privilégient la structure associative souhaitent, avant tout, un mode d'engagement qui aille à l'encontre du centralisme syndical ou politique. Il s'agirait de « pallier la défaite de la démocratie représentative par le développement de la « démocratie participative » »181(*). Face à la rigidité des structures syndicales et politiques, organisée de façon verticale le modèle associatif est présenté comme une structure souple et non hiérarchisée, permettant à chacun de participer182(*). Qu'en est-il au niveau de l'engagement au sein d'Attac ? Luc : C'est là que je me suis rendu compte d'un certain nombre de problèmes qui se posent au niveau syndical... Enfin c'est une analyse de la société que je fais quand je dis ça. D'une part, entre les spécialistes syndicaux qui sont à la tête et la base, il y a des spécialistes qui se sont transformés en experts et qui ne tiennent pas du tout compte de la base [...] Les syndicats sont de plus en plus sur une position néo-libérale, ils sont complètement intégrés au système. Parce que les gens qui sont à la tête des syndicats, je parle des syndicats majoritaires et je ne parle pas uniquement de la CFDT, ce sont des gens qui sont inclus dans les problèmes de pouvoir, qui se battent et qui discutent avec les politiques mais comme les politiques ! Laurent : C'est une question de personnes car la politique en général ça m'interpelle et jusqu'à maintenant je n'avais jamais franchi le pas d'adhérer un mouvement. Les mouvements politiques sont pour moi un peu trop des écuries, il ne me semble pas que se soient des mouvements d'idées. En tout cas je ne retrouverais pas à militer vraiment pour un parti [...] Alors moi du coup j'aimerais bien parler à des militants du parti socialiste pour savoir pourquoi ils militent à leur niveau, il mouillent leur chemise, ils vont coller des tracts alors que directement ils n'ont rien à y gagner... Sauf si vraiment ils croient en la personne... Peut-être que c'est ça. * 173 Ramonet (Igniacio ), « Désarmer les marchés », art.cit, annexe n°10, p. 26 * 174 Un article paru dans le Monde Diplomatique résume les conclusions de cette rencontre : « La réunion a mis en évidence le très fort intérêt pour la création de cette ONG internationale répondant aux objectifs proposés par Igniacio Ramonet dans son éditorial du mois de décembre 1997 ». « Attac », Le Monde diplomatique, 04/1998, p. 2. * 175 « Attac », Le Monde diplomatique, 05/1998, p. 14. * 176 Cf., Attac France, Compte rendu du C.A du 17/02/1999. * 177Cf., Chantal Aumeran, , Pierre Tartakowsky, Rapport d'activité, Assemblée générale d'Attac La Ciotat, 23 octobre 1999. * 178 Barthélémy (Martine), Les associations : un nouvel âge de la participation, op.cit, p. 222. * 179 Ibid., p. 222. * 180 Jacques Ion désigne ces critiques par le terme de dénonciation des « pratiques d'appareils ». Il remarque, d'ailleurs, qu'un changement sémantique du terme « appareil » a eu lieu. Il est doté aujourd'hui d'une connotation péjorative. Il s'apparenterait à ce qui relève du « superficiel et du rigide ». Ion (Jacques), La fin des militants, op.cit, p. 67. * 181Pallard (Jacques), « Rapports sociaux, stratégies politiques et vie associative », Sociologie du travail, n°3, 07-09/1981, p. 323. Cité dans Varennes (Stanislas), Le militantisme associatif : participer autrement, op.cit. * 182 Philippe Theyr note que l'une des vertus principale de telles organisations [associations] serait d'être fortement mobilisatrices, tout en étant faiblement hiérarchisées et contraignantes » in Theyr (Philippe), « Réflexions sur le développement associatif », Revue d'économie sociale, 04-06/1985, p.130. Cité dans Varennes (Stanislas), op.cit. |
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