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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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1.3.1.3 Les contradictions du comité isérois

Si l'on observe le fonctionnement interne du comité isérois, il semblerait, en dépit des discours tenus par les militants, que la prise de décision s'effectue sur des modes similaires à la structure nationale. Luc explique qu'avant que la prise de décision ne soit clarifiée, les membres de la réunion publique étaient parfois amenés à voter sans que cela soit pour autant représentatif de l'ensemble des adhérents. Suite à un incident (un groupe de non-adhérents étaient survenus dans une réunion publique afin de peser sur les décisions du comité), les décisions ont désormais uniquement lieu au sein du Conseil d'administration. Toutefois, cela ne satisfait pas tous les adhérents. Par exemple, François, qui a milité dans plusieurs organisations, estime que l'Assemblée n'est là que pour « entériner » les décisions qui ont été adoptées auparavant lors du C.A. De plus, on peut mettre en doute la représentativité du C.A quand on sait que seuls moins d'une dizaine de membres160(*) y participent. La décision « collective », qui est faite au nom des 800 adhérents du groupe, est donc le résultat d'une discussion et d'un vote qui ont lieu entre un petit groupe de militants. Luc avoue d'ailleurs ne pas savoir qui il représente au sein du comité. Son élection, est selon lui le signe d'un accord des adhérents isérois avec les prises de position du comité.

Le mode électif, auquel semblent attachés les militants isérois lorsqu'il s'agit du mode de fonctionnement national, occupe une place très restreinte au sein même du comité. Luc reconnaît d'ailleurs que le vote est très rarement utilisé lors du C.A. Il explique que le consensus est privilégié et qu'il fait en sorte que suffisamment de débats aient lieu. Le vote n'est requis qu'à deux occasions : pour mettre fin à un débat lorsque des conflits de personnes apparaissent et pour être mandaté du comité, ce qui représente une source de légitimité au sein d'un débat national. Il est légitime de s'interroger sur la représentativité des prises de position qui sont faites au nom du comité. Lors de l'AG iséroise 2000, certains adhérents ont critiqué les membres du C.A pour leur opposition au national161(*). Cécile explique que les militants du comité « reprochent à Attac national de faire des sujets sans le consentement des comités locaux. Or, le C.A d'Attac Isère fait un maximum de sujets sans le consentement des adhérents d'Attac Isère ! ».

Luc : Il y a eu tout un problème de décision au sein d'Attac Isère. Parce qu'à l'origine, je n'y étais pas encore et ça c'est clarifié il y a quelques mois, qui prend les décisions au sein d'Attac Isère ? Est-ce le Conseil d'administration, ou est-ce la réunion mensuelle ? Il y a eu des ambiguïtés pas possibles. Maintenant on a dit nous on parle au nom du Conseil d'administration d'Attac Isère élu durant une Assemblée générale. L'esprit c'est ça. Le Conseil d'administration est élu et il prend des décisions au nom du Conseil d'administration, il est hors de questions que l'Assemblée mensuelle et ça, ça a été clarifié, prenne des décisions, parce que ça c'est tout l'aspect anarchique, il y a des anarchistes à Attac qui disaient la décision est prise collectivement. Mais ça veut dire quoi collectivement alors que dans les réunions mensuelles nous sommes une cinquantaine et nous ne serons jamais les 700 ? Ca n'est pas plus représentatif, au contraire ce sont des gens qui ne sont pas élus. En plus, on a assisté au niveau de notre histoire... On a voulu faire une action pour la Tunisie et c'est moi qui l'avait pris en charge, et en plus une action auprès du consulat tunisien à Grenoble, on a eu une réunion mensuelle avant. Dans celle-ci il y a plein de gens du consulat de Tunisie qui sont venus dans la réunion mensuelle pour peser sur notre décision. Parce que dans ces réunions publiques on discute librement. Il n'y avait pas eu de votes. Maintenant on peut faire des votes lors des réunions, mais on dit que ce sont des votes indicatifs. Et puis maintenant on dit qui a sa carte d'Attac ? Parce que n'importe qui peut venir pour voter lors d'une réunion publique. Ce problème de démocratie est maintenant clair, on prend plus de décisions en réunion mensuelle [...] Il n'y avait pas de compte-rendu de Conseil d'administration avant. Comment était prise la décision ? C'était flou. Les seules décisions qui étaient prises de manière claires, c'étaient celles qu'on a mise sur Internet et qui sont sur le site Attac 38.

François : L'Assemblée générale n'est là que pour entériner. Par exemple le Conseil d'administration d'Attac Isère se réunit avant et vient à l'Assemblée générale et dit ce qu'il a décidé.

F.E : Tout à l'heure vous me disiez que dans le Conseil d'administration d'Attac Isère il y a peu de vote...

Luc : Il y a peu de vote et par exemple hier, quand il y a eu un vote c'était pour arrêter la discussion parce qu'à mon avis ça tournait dans le vide, donc pour arrêter j'ai fait un vote. Mais de manière générale il n'y a pas de vote formel, on arrive souvent à un accord. Parfois, par exemple par rapport à la coordination nationale, où j'ai demandé un vote formel, pour être mandaté sur quelque chose, pour que je sois mandaté officiellement et clairement sur quelque chose. Je dis « Je demande un vote formel là-dessus ». La plupart du temps lors des votes, il y a une ou deux personnes qui ne sont pas d'accord ou qui s'abstiennent. Il faut dire qu'on débat pas mal, et je pense que l'ensemble des gens sont assez différents.

Luc : Je pense qu'on a certainement les mêmes contradictions au sein d'Attac Isère, il y a des gens qu'on ne voit jamais, et c'est en cela que je dis qu'on ne sait pas ce qu'on représente. Je le sais si on est réélu ou pas. Ces problèmes de la démocratie sont posés partout.

Cécile : Moi je me rappelle très bien à l'A.G. des adhérents, où il y avait encore eu la question des relations avec le national qui avait été mise sur le tapis, et où finalement il y avait un adhérent qui était intervenu pour dire : « Moi je viens d'apprendre qu'Attac Isère est en opposition avec Attac national, je ne le savais pas du tout, je ne connais pas du tout les termes du débat ! ». Donc l'adhérent avait adhéré à Attac, parce qu'il était d'accord avec Attac national parce que c'est Attac national qu'on voit et il se sentait un peu pris en otage par les prises de position un peu polémique d'Attac Isère. Quelquefois il y a un côté un peu impatient par rapport au national pour plus de démocratie dans Attac, mais il faut peut-être balayer devant sa porte d'abord [...] Non mais c'est vrai, quand tu es dans un groupe, que tu as un adhérent qui dit : « Moi je ne comprends pas la position d'Attac Isère vis-à-vis d'Attac national ». Quand on reproche à Attac national de faire des sujets sans le consentement des comités locaux ! Or, le C.A d'Attac Isère fait un maximum de sujets sans le consentement des adhérents d'Attac Isère !

Lionel : Il y a eu un problème lors du rapport moral de l'année 2001, c'est-à-dire après l'Assemblée générale de Saint-Brieuc où avait eu lieu la fronde des comités locaux. Des gens avaient reçu un courrier de l'Isère et ils ne comprenaient pas cette friction avec le national et le bureau avait été très critiqué par des gens qui viennent pas souvent et qui reçoivent l'information. Il ne comprenait pas pourquoi il y avait eu autant de problèmes [...] Ils ont quand même été pas mal critiqué même à l'intérieur de l'Isère. Des gens qui sont venus dire « Vous critiquez beaucoup mais vous n'êtes pas parfaits dans la façon dont vous fonctionnez ! ».

La conception de la « démocratie » interne qui est présente dans le discours des interviewés exclut la personnalisation du pouvoir. Toutefois, il semblerait que le comité local soit pris, quant à son fonctionnement, dans les mêmes contradictions que le national. Les délibérations du C.A n'engagent souvent qu'une dizaine de membres de l'association. Lors des réunions générales, auxquelles assistent entre 50 et 60 personnes, les intervenants sont le plus souvent les membres du C.A. François considère ainsi que « plus il y a du monde et plus ce sont les grandes gueules qui prennent la parole et moins c'est démocratique en termes [...] de prise de décision ». Cécile considère que le comité n'est animé que par trois ou quatre militants. On peut d'ailleurs noter qu'au sein d'Attac Isère, parmi les 33 postes de responsables de groupes, 23 sont occupés par des membres du C.A. Certains militants sont présents en tant que membre du C.A, référent d'un groupe et responsable d'un comité de réflexion thématique. Il y a une concentration des postes qui est donc très forte. La participation politique, comme le note Bernard Denni, se caractérise par une forte concentration au profit de quelques uns et elle s'effectue sur un modèle pyramidale (cumul des adhésions et des responsabilités)162(*). Toutefois, on peut noter que ceux qui occupent le nombre le plus important de fonctions ne sont pas des militants « professionnels ». Par exemple, Julie, qui occupe quatre postes dans l'association n'est pas adhérente d'une autre organisation. Elle a un passé militant relativement faible163(*). A l'inverse les enquêtés qui cumulent les adhésions dans d'autres organisations (Cécile, François) n'occupent pas des postes à responsabilité dans le comité ou ne s'investissent pas dans ceux-ci164(*).

François : Parce que dans les Assemblées générales comme celle d'Attac par exemple on voit que plus il y a du monde et plus ce sont les grandes gueules qui prennent la parole et moins c'est démocratique en termes d'information et de prise de décision.

Cécile : Il y a des gens dans Attac Isère qui sont au courant de tout ce qui se passe à un moment sur tous les groupes ; il y a trois quatre personnes du C.A qui sont engagées et qui vraiment animent Attac Isère.

Les militants isérois semblent attachés aux procédures de délibérations collectives. Or, selon Jacques Ion, on assisterait depuis la fin des années soixante à une remise en cause des procédures électives. Le vote, c'est le moyen qui permet au sein d'une organisation de « dégager une expression unique et donc de faire de la volonté majoritaire la loi de tous »165(*). Cette vertu du vote qui était auparavant exalté serait aujourd'hui devenu un vice. Désormais il apparaîtrait, comme un « moyen trop souvent utilisé pour freiner les processus de discussion et de délibération »166(*). Toutefois, la préférence des enquêtés pour ce mode décisionnel contredit cette évolution. L'usage qui est fait du vote au sein du comité, tout comme au sein de l'association nationale, semble aller dans un sens qui est contraire aux observations de Jacques Ion. Le vote n'a pas ici, uniquement un rôle délibératif. Il sert à clore un débat ou encore à être mandaté, c'est-à-dire à agréger les volontés individuelles et à légitimer leur représentation. Il existe donc un paradoxe entre le souci démocratique d'une meilleure légitimité et d'une meilleure participation dont témoignent les adhérents et les modes de délibération qui ont lieu au sein du comité. Il semblerait que les militants isérois soient confrontés aux mêmes contradictions que la direction nationale. Alors qu'ils portent un discours où la « démocratie » (entendu comme la participation collective) est centrale, le mode de fonctionnement de l'association semble échapper à ce principe. Comment interpréter ce paradoxe ?

On peut supposer que les fréquentes évocations du thème de la démocratie témoignent, non seulement, d'un réel attachement à la notion de participation collective mais également d'une rhétorique permettant de critiquer la direction nationale. Si les militants attachent tant d'importance à la représentation collective, c'est peut-être afin de pouvoir jouer un rôle plus important dans le fonctionnement national de l'association. Le conflit qui oppose la direction de l'association aux militants isérois, témoigne d'une volonté d'être reconnu au sein des statuts, en tant que comité local, afin de disposer d'une place plus importante. La valeur qu'accordent les militants au mode de désignation électif et à la participation collective serait alors un moyen de légitimer leurs revendications.

Ces contradictions ont été montrées du doigt à plusieurs reprises. De toute évidence, l'attitude du comité Attac Isère ne fait pas l'unanimité au sein de l'association. Il est, d'ailleurs, réputé pour être l'un des comités le plus radical à l'encontre de la direction nationale. Cette relation fait l'objet de débats entre comités mais également entre les adhérents isérois.

* 160 Le précédent C.A comportait neuf élus. Il est précisé dans le rapport d'activité que « cinq [sont] présents effectivement aux réunions ». C'est pourquoi, le nouveau C.A élu le 24 février 2001 comporte désormais 18 membres. Attac Isère, Rapport d'activité, 2001.

* 161 Pour répondre aux critiques formulées lors de l'Assemblée générale du 24 février 2001, une motion présentée par le C.A fut adoptée en vue de la préparation d'une Assemblée générale extraordinaire : « L'AG d'Attac-Isère réunie ce 24 février 2001constatant les difficultés rencontrées en 2000 pour mandater les représentants à l'Assemblée générale d'Attac-national sur une position reconnue par la majorité des adhérents, demande la convocation d'une Assemblée générale extraordinaire dans le mois qui précédera l'Assemblée générale nationale, afin d'élaborer une position majoritaire. Cette Assemblée générale extraordinaire, se transformera en Assemblée ordinaire pour les exercices suivants ». Attac Isère, Lettre aux adhérents, 05/2001.

* 162 Denni (Bernard), « L'engagement politique », in Grawitz (Madelaine), Leca (Jean), Traité de science politique, Paris, PUF, Tome III, 1985, p. 361.

* 163 Cf., Tableau « Présentation biographique des enquêtés ».

* 164 Cécile est membre du C.A. Toutefois, elle reconnaît y participer très rarement.

* 165 Ion (Jacques), op.cit, p. 71.

* 166 Ibid., p. 71.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984