UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
1.3 Une « démocratie interne » contestéeLes militants qui ont été interviewés évoquent fréquemment les problèmes de « démocratie » interne 155(*). Ils l'utilisent rarement à propos du fonctionnement du comité local. La plupart des enquêtés s'y réfèrent pour critiquer la direction nationale. C'est ainsi par exemple que Thomas qualifie le fonctionnement national d'Attac de « caricature de démocratie », Luc regrette qu'Attac « prétende revitaliser la démocratie [mais] a un fonctionnement qui n'est absolument pas démocratique ». Le terme de « démocratie » renvoie, dans leurs discours, à plusieurs significations : à un mode de fonctionnement collectif, et d'autre part, au refus d'une personnalisation des dirigeants.1.3. 1 La remise en cause du « directoire national »1. 3. 1. 1 Un mode de fonctionnement collectifLe terme de « démocratie » désigne avant tout pour les enquêtés un mode de fonctionnement qui soit collectif. Ils privilégient ainsi, dans leurs discours, la participation collective des adhérents (« les représentants élus », « au nom de leur comité local », « le mandat d'expression ») à celle qui est faite de façon individuelle (« à titre individuel »). Les prises de position qui sont faites au nom du comité (et qui sont adoptées de façon collective) sont jugées plus légitimes que les positions individuelles. A ce propos, Julie explique que la participation au C.A ou à l'A.G en tant que comité, permet aux adhérents de tenir tête à la direction. Luc observe qu'en tant que président, il exerce un travail de « coordination » afin de « trouver un consensus » entre les adhérents156(*). D'ailleurs, il note que, lorsqu'il était responsable syndical de son entreprise, il a « toujours travaillé avec l'ensemble des travailleurs et avec l'ensemble des salariés [et] les décisions ont toujours été prises collectivement ». De plus, il semblerait également que les militants accordent une grande place au vote. Ils le qualifient comme étant le mode décisionnel le plus adéquat. Luc regrette d'ailleurs qu'il n'y ait pas plus de votes lors de l'AG nationale. Julie : Ce qu'on souhaite c'est la reconnaissance de la présence des comités locaux au sein du Conseil d'administration, en tant que représentant de collectifs, parce que ça n'existe pas et les personnes qui sont là-bas qui sont des personnes qui y sont à titre individuel [...] Bernard Cassen s'il y a une décision qui le gêne, il peut lui dire qu'il est là à titre individuel le non s'il y est à titre de représentants de collectifs on a plus de poids. Luc : Pour moi le rôle du président c'est d'essayer à chaque fois de trouver un consens entre les gens qui sont là, je pense que c'est un de mes objectifs principaux. Tout ce que je fais dans un groupe c'est toujours en tant que simple exécutant, je ne cherche pas à faire autre chose. Sur les problèmes de coordination, j'essaie de trouver à chaque fois un compromis quand il y a des bagarres internes. Les enquêtés sont très critiques quant au fonctionnement de l'association. Ils désapprouvent tout d'abord les décisions prises lors des Assemblées générales. Le mode de délibération, n'est, selon eux, pas suffisamment collectif. Les enquêtés qualifient les débats et les votes qui ont lieu d' « anti-démocratiques ». Par exemple, lors de la CNCL du 6 décembre 2000, les membres de la commission des statuts ont été désignés. Cette nomination faite par Cassen s'apparentait, selon Thomas et Luc qui représentaient le comité isérois, à une « caricature de démocratie ». F.E: Lors de la première conférence nationale des comités locaux, il y a eu un groupe de réforme des statuts qui a été créé ? Luc : Ah oui ! Là aussi la manière dont ça s'est passé, ça s'est déroulé en fin de journée, lors du dernier quart d'heure et en plus c'est Cassen, tout seul, qui a décidé de la manière dont se constituait ce groupe [...] Donc, il a dit, il faut douze représentants des comités locaux. Comment on va les trouver ? Qui est volontaire ? Moi à l'époque, je me suis mis dans les volontaires, on devait être une vingtaine. Donc tous les volontaires vont au pied de la tribune et en plus au niveau symbole ça n'est pas neutre parce que se trouver sous Cassen qui est au-dessus. À ce moment-là il y a quelqu'un dans la salle qui a eu une intervention en disant :« Il faudrait quand même qu'il y ait la parité ». Je ne lui reproche par d'avoir dit ça, mais ce que je reproche c'est à Cassen d'être rentré dans ce jeu en disant « Allez les six femmes sont retenues ! », après il reste une quinzaine de personnes, comment on les choisi ? Tous ceux qui sont intervenus dans le débat avant ! Il y en a six qui ont levé la main et les six ont été retenus. Le débat portait sur l'opportunité de modifier les statuts et c'était un débat qui était complètement hors sujet parce qu'on a repris le débat de l'Assemblée nationale avant, qui parlait faut-il modifier les statuts ou est-ce que ça n'est pas important ? Je n'étais pas intervenu dans ce débat et c'est pour ça qu'on n'a pas été retenu, alors qu'on était à la tête de la contestation, et puis la manière dont ça c'est fait, je n'aurais vraiment plus envie d'y aller. Thomas : L'ordre du jour a été voté comme ça puis [...] on a parlé de l'élection des représentants à la commission, ce qu'on appelle la commission des statuts et ça c'est fait de manière carrément caricaturale... Et la nomination des représentants s'est faite d'une manière pour le moins cavalière [...] C'était Bernard Cassen qui a dit il faut dix personnes, bon moi je propose qu'il y ait... Et c'était dans le brouha le plus total, c'était en fin de séance, c'était six heures moins le quart, moi je propose qu'il y ait dix personnes... Bon alors il y a un qui a dit ça serait bien qu'il y est Paris 13... Ah oui Paris 13 alors parmi les gens, combien... Levez le droit... Qui est-ce qui veut ?... Cinq femmes alors oui cinq femmes et les autres ce sera untel, untel, tout le monde est d'accord allez bon ! Moi j'étais écoeuré. On a réagi par la suite, j'ai envoyé un courrier à Bernard Cassen et on m'a répondu que non, il ne fallait pas que je vois les choses comme ça parce que je me disais que c'était une caricature de démocratie et puis bon... Les enquêtés regrettent également que certaines prises de décision n'aient pas lieu de façon publique et soient exécutées par le national de façon autonome. Par exemple, à l'occasion de l'AG de Saint-Brieuc les deux voeux qui ont été votés ont été présentés avec l'accord de la direction. Luc explique que l'essentiel des négociations ont eu lieu à la dernière minute, de façon informelle et que sans cela les voeux n'auraient pas pu être adoptées. Luc : Donc pendant l'Assemblée générale, la veille, on s'est réuni de manière officieuse entre comités locaux avec la présence parachutée, parce qu'on l'attendait pas, de Pierre Khalfa [membre du bureau] qui a été envoyé par Cassen. Il a fait des propositions, en disant « voilà on peut proposer quelque chose mais il n'est pas question de faire une motion, c'est trop tard pour faire une motion. Impossible de faire une motion dans les statuts. Il n'y a que le Conseil d'administration qui peut décider d'une motion ». [...] On a eu cette réunion avec Pierre Khalfa, il disait qu'on pouvait proposer une conférence nationale des comités locaux. Moi je pensais qu'il ne fallait pas une conférence mais une coordination, et surtout on a assisté à cette réunion en disant qu'il fallait aussi une commission sur les statuts. Il faut modifier les statuts. Et le lendemain, durant l'Assemblée générale, discussions dans les couloirs - je n'aime pas ce genre de choses mais on était obligé- proposition de faire passer deux voeux, un sur la création de la conférence nationale des comités locaux, et un autre pour la création d'une commission mais Cassen était d'accord à condition qu'on rajoute qu'il s'agisse d'une commission pour discuter de l'opportunité de modifier des statuts. Ça a été négocié dans les couloirs, moyennant quoi il était d'accord pour faire voter des voeux car c'est lui qui mène l'Assemblée générale, on a voté ces deux voeux qui ont été présentés par Attac Isère. C'est comme ça que ça s'est passé [...] Pour que ce soit voté, il fallait que le Conseil d'administration donne son accord car c'était des voeux et pas des motions. Il a fallu que ce soit voté avec l'accord du bureau, étant donné que ça été négocié avant. * 155 On peut noter que les enquêtés prennent, parfois, une certaine distance avec l'usage qui en est fait. Julie précise qu'il s'agit pour elle d'un terme « galvaudé », Lionel préfère parler de « république représentative : « Je pense que c'est un système antidémocratique, d'ailleurs nos sommes pas dans une démocratie car il n'y a pas la participation de tous. Nous sommes dans une république représentative. J'ai des réticences aussi à utiliser le mot des citoyens, il est tellement galvaudé qu'il ne signifie plus grand-chose ». * 156 On peut observer que la conception de la direction (qui est perçue comme une « coordination ») développée par Luc et celle des dirigeants nationaux est la même. |
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