UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
1.2.3.2 La modification des statutsLa reconnaissance des comités locaux passe nécessairement par la modification des statuts. Il s'agit d'un processus relativement complexe145(*). Tout d'abord, il faut que le C.A propose une modification qui soit votée à la majorité des deux tiers des membres présents146(*). L'Assemblée générale extraordinaire est alors convoquée, elle ne peut délibérer qu'à la seule condition que les deux tiers des membres soient présents ou représentés147(*). Enfin, les décisions relatives à la modification des statuts doivent être prises à la majorité des deux tiers148(*). De nombreuses conditions rendent donc la modification improbable. Bernard Cassen rappela, d'ailleurs, lors de la réunion du C.A du 11/11/2000, qu'il existe de nombreuses « difficultés à surmonter pour une éventuelle modification des statuts »149(*). De plus, comme le remarque Thomas, la modification des statuts est rendue d'autant plus difficile que la proposition, avant d'être soumise à l'AG, doit être adoptée par les deux tiers du C.A. Or, les membres fondateurs étant majoritaires ils peuvent bloquer toute proposition150(*). Les enquêtés estiment que les membres fondateurs ont bloqué les statuts lors de la création de l'association (Julie estime que les statuts sont « bouclés »). D'ailleurs, comme le rappelle Luc, très souvent le C.A ne s'en défend pas. Il s'agirait d'un moyen utilisé afin d'éviter l'entrisme151(*). Toutefois, Luc estime que cela témoigne, avant tout, du fait que les dirigeants « craignent une prise de pouvoir des comités locaux sur association ». Il craint d'ailleurs que les militants isérois ne soient pris pour des dissidents. Etant les principaux concernés par les décisions prises par le national, les militants d'Attac estiment qu'il est légitime que les comités locaux soient reconnus. Il leur apparaît donc nécessaire de modifier les statuts. Thomas : Après il y a des organisations, associations, syndicats qui sont représentés et des journaux qui ont une voix et ce collège des membres fondateurs est représenté par 18 sièges. Et après tu as des représentants, entre parenthèses, géographique des comités locaux, qui sont au nombre de 12... Si mes souvenirs sont bons. Mais ils ne représentent par les comités locaux, dans le sens où il n'y a pas d'élections et il n'y a pas eu de candidature de chaque comité... Ça c'est fait un peu de manière informelle, on a regroupé par région. Par exemple les comités locaux de la région Rhône-Alpes et c'est une personne de Lyon. Mais on a décidé comme ça, il n'y a pas eu d'élection. Ils n'ont pas de pouvoir, si tu veux. Ils sont là uniquement pour faire le lien entre les comités locaux de leur région et le Conseil d'administration nationale. Et s'il y a une décision à prendre, elle est prise à la majorité du Conseil d'administration nationale et donc des dix-huit membres fondateurs, par contre il y a une discussion avec les représentants régionaux qui est uniquement consultative. Ils n'ont pas de droit de vote. Julie : Vous connaissez les statuts d'Attac ? Dans les statuts d'Attac c'est bouclé, il y a les membres fondateurs qui sont 18 et il y a douze représentants des comités locaux. F.E: Et le fait que les comités locaux ne soient pas reconnus dans les statuts, vous l'interprétez comment ? Luc : Cette volonté de ne pas modifier les statuts, comme le dit Cassen, c'est pour éviter l'entrisme. Il l'a dit et il l'a répété, c'est comme ça que ça a été prévu à l'origine et ils ont verrouillé volontairement. Il y a un certain nombre d'adhérents qui craignent ce qu'ils appellent le parlementarisme, c'est-à-dire qu'il y ait des débats entre les comités locaux qui ne soient pas d'accord, qu'il y ait plein de débats qui fassent perdre le temps. Je ne sais pas trop ce que ça recouvre ? Pour moi ils craignent une prise de pouvoir des comités locaux sur leur association [...] C'est ce qu'ils craignent au niveau national et c'est ce que nous craignons si on met en place cette coordination des comités locaux, on craint d'être pris pour des séparatistes alors que ce n'est pas du tout le cas. Afin d'engager une réforme des statuts, une coordination informelle, entre certains comités locaux, s'est alors mise en place de façon progressive. Luc explique de quelle manière il s'est mis en relation avec quelques comités locaux dont les revendications étaient similaires. Une liste internet « fermée » a été créée qui permet aux membres de cette coordination de diffuser des informations relatives au C.A national et de constituer des propositions communes. C'est ainsi que pour l'AG de St Brieuc, une motion a été proposée au C.A national en coordination avec d'autres comités locaux152(*). Celle-ci fut par ailleurs refusée. En revanche, le jour de l'AG, deux voeux ont été déposés avec l'accord des responsables nationaux. Ces deux voeux firent ensuite l'objet d'un vote en C.A153(*). Le premier voeu portait sur l'organisation de Conférences nationales des comités locaux (CNCL) et le second voeu visait à organiser une commission afin d'étudier l'opportunité de réformer les statuts. Cette commission est composée de douze membres du C.A et de douze représentants des comités locaux154(*). Luc : L'année dernière, j'ai assisté à l'université d'été et il y a eu quelques échanges sur Attac local et on a commencé à se créer une sorte de liste Internet fermée. Par fermée à tout le monde mais entre nous, pour qu'on puisse discuter collectivement et qu'on puisse faire passer des choses à l'assemblée générale nationale, étant donné qu'il y a des comités locaux qui sont complètement à côté de cet aspect des choses. Ils ne veulent pas de ça. Il y a d'ailleurs eu un débat lors de la dernière CNCL... Sur Attac local on avait vu un certain nombre de positions qui se rapprochaient des autres et durant l'université d'été on a rencontré des gens qu'on sentait à peu près sûr de nos positions. C'est là qu'on a arrêté une motion, un premier projet de motion, entre nous et en disant qu'il faut qu'on fasse passer ça sur l'ensemble. On envoyait ça sur Attac local, en disant voilà ce qu'on cherche mais ça n'a pas été possible de trouver un consensus là-dessus, tous les comités locaux discutaient chacun dans leur coin et il n'y a pas eu de consensus, sauf avec Attac Rennes avec qui on a dit au bout d'un certain temps : ras-le-bol, parce que l'assemblée générale nationale allait bientôt arriver et on a envoyé un document officiel signé par Attac Rennes et Attac Isère sur la liste. Pour Rennes, ça s'est passé comme nous. Avec Attac Rennes, on est sur des positions similaires. Thomas : Et on a mis ça sur la place publique, parce qu'on n'a rien à cacher, il y a d'autres comités locaux qui ont aussi une prise de position et qui se sont associés à cette démarche et qui ont fait des avancées aussi de leur côté sur des problèmes particuliers. Et donc on a été parmi les promoteurs de ce qu'on appelle un voeu à l'Assemblée nationale de Saint-Brieuc sur la modification... Enfin l'éventuelle opportunité d'une modification des statuts, pour aller vers plus de démocratie au sein d'Attac. Et donc la représentation des comités locaux [...] C'était une des motions de l'Assemblée générale. C'est un mandat qu'a reçu l'Assemblée générale de Saint-Brieuc en octobre 2000 et qui en train de se mettre en place. C'est un mandat. On va demander lors de l'Assemblée générale de 2001, elle va avoir lieu à Marseille je crois. C'est vraiment quelque chose sur lequel on est très vigilant et Luc est quelqu'un qui connaît bien le sujet et qui est en lien avec les autres participants à ce collectif de comités locaux pour lesquels toutes les questions de démocratie sont importantes. F.E: Et la motion s'était faite avec d'autres comités locaux ? Thomas: Oui avec d'autres comités locaux mais c'est nous qui l'avons présenté [...] Alors, il y avait des comités locaux parisiens, il y avait Rennes, il y avait l'Aveyron, il y avait les Yvelines je crois, Montpellier ou Toulouse [...] On a eu beaucoup d'échanges par mail et puis lors des réunions... Lors des conférences nationales on a prit la parole, et il y a des liens qui se créent et puis on voit qu'on va dans le même sens, on se répond. Et puis on se réunissait pour en parler un peu et ainsi de suite quoi. L'élaboration de l'ordre du jour en commun par exemple, l'élaboration de l'ordre du jour en commun qui est intéressant par exemple parce que tu arrives avec des propositions... Luc: Et quand je vois ce qui se déroule actuellement [dans la commission de réforme des statuts] je me dis que j'avais bien raison de ne pas y aller. Ils se sont réunis un certain nombre de fois et à chaque fois que quelqu'un dit dans la commission « il faudrait changer cela ou cela » on lui répond que ce n'est pas possible de changer les statuts. Il y en a quand même quelques-uns dans la commission qui essaient de changer les statuts, toutes les informations officieuses que j'ai eues c'est par une de ces personnes. Il existe dans Attac certains problèmes de coordination entre le local et le national. Les militants isérois estiment qu'ils ne bénéficient pas de la reconnaissance qui leur est du au sein de l'association. Ils figurent d'ailleurs parmi les « frondeurs » qui ont permis la constitution d'une instance de rencontre entre les comités (la CNCL). Ces remarques nous encouragent à s'intéresser plus longuement aux problèmes de « démocratie interne » qui existent au sein de l'association. Par ce terme, il faut entendre toutes les procédures (officielles et officieuses) qui ont lieu et qui peuvent prêter à un débat ou une contestation. Comment les responsables d'Attac ont ils été remis en cause et pour quels motifs ? Quels sont les rapports qu'entretiennent les militants isérois avec les dirigeants ? Le comité isérois ne présente t-il pas lui même des dysfonctionnements ? * 145 Cf., « Organigramme du processus de réforme des statuts », annexe n°3, p. 9. * 146 Cf., annexe n°8, Article 10-9, p. 22. * 147 Ibid., article 10-7, p. 22. * 148 Ibid., p. 22. * 149 « Il [Bernard Cassen] signale, par ailleurs, les difficultés à surmonter pour une modification éventuelle des statuts, en raison des quorums très élevés requis à chaque étape. Avec les effectifs actuels, par exemple, il faudrait que plus de 14 000 membres votent sur première convocation, et plus de 11 000, sur la seconde convocation. Or à St-Brieuc, ils n'ont été que 4200 à voter... ». Attac France, « Rapport du Conseil d'administration », 11/11/2000, p. 3. * 150 Par ailleurs, il faut rappeler que ce sont les membres fondateurs qui ont initialement écrit les statuts de l'association. Ils sont donc à la fois juges et parties. * 151 Une publication de la direction nationale précise que « Cette disposition [la composition du C.A] a été prévue pour assurer la pérennité et le pluralisme d'Attac, en décourageant par avance toute tentative d'entrisme par une minorité organisée. Les membres fondateurs, dont la très grande majorité sont des personnes « morales », constituent la garantie utile du pluralisme d'Attac ». Attac Franc, « Tout sur les assises de la Ciotat. Elections : mode d'emploi », Lignes d'Attac. Paris, n°3, 09/1999, p. 3. * 152 Les comités locaux du Var, de Rennes et de Paris ont critiqué, lors de l'AG, le mode de fonctionnement de l'association eu égard au manque de démocratie. Cf. Forcari (Christophe), « Attac en pleine crise de croissance », Libération, 30 octobre 2000. * 153 Attac France, « Rapport du Conseil d'administration du 11/11/2000 », p. 3. * 154 Les travaux de cette commission semblent pour l'instant s'orienter sur l'idée qu'une réforme des statuts n'est pas souhaitable. |
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