Les paradis fiscauxpar Aude Rousselot et Samuel Sciences Po - 2003 |
B. Des OFC qui perturbent économiquement et éthiquement- Une spoliation organisée de la sociétéLa fuite de capitaux est le premier phénomène pathologique de la chaîne. o Le blanchiment de l'argent du crime, de la drogue et des détournements de fonds cause des dégâts immenses aux économies fragiles. Ainsi, la crise russe de 1998 a été provoquée par la stupéfiante évasion de capitaux provenant de l'aide et des crédits internationaux en direction de centres offshore comme Nauru. Quelques gros pontes de la mafia russe auraient transféré pas moins de 70 milliards de dollars pour l'année 1998 dans ce caillou perdu au milieu du Pacifique). o Sans forcément suivre la rhétorique parfois amusante d'Attac à ce propos27(*), on peut considérer que les OFC comme plaques tournantes des flux d'argent sont extrêmement représentatives de la fluidification des capitaux et de la spéculation28(*), en droite ligne de l'esprit du capitalisme conservateur et de la mondialisation financière. François Chesnais, auteur d'un article sur la Mondialisation Financière dans l'Economie Politique d'avril 2000, identifie la déréglementation, le décloisonnement des marchés et la désintermédiation comme caractéristiques de cette fameuse mondialisation financière, qui pousse à la création de nouveaux outils de jeu financier : on peut citer le smurfing, qui consiste à éclater en permanence les sommes en blanchiment pour qu'elles perdent toute trace de leur origine, avant qu'elles achèvent leur parcours sur un même compte. On peut aussi parler du jeu sur les différentiels de développement et de fiscalité (ou « dumping fiscal »). De toutes les manières, plus la flux est diversifié dans ses natures (devise, vente de produits physiques et/ou de services, investissement...) et ses parcours les plus licites possibles, plus il est indétectable. [cf. en annexe les recettes de maquillage de l'ONU, et les schèmes de Jean de Maillard] Le manque à gagner pour la société est dénoncé par trois sortes d'acteurs : les scientifiques, les intellectuels et les citoyens. o Les scientifiques signalent l'instabilité financière entretenue par ces flux opaques autour du globe : ils rappellent le phénomène de gonflement de bulles financières de plus en plus mobiles, indiscernables et imprévisibles, car l'ensemble des fonds placés dans les OFC atteindrait 6 milliards d'€ en 2000, et serait en augmentation de 12 % par an29(*) ; ainsi que la déstabilisation de la sécurité de recouvrement par l'action de banques fantaisistes : on peut créer sa banque personnelle et imprimer ses propres chèques au Monténégro avec un capital social de 18 000 € . o Les intellectuels dénoncent le paradoxe d'Etats qui font de leur plus bel attribut - la souveraineté - une marchandise, Bertrand Badie allant jusqu'à parler de « marchéisation de la souveraineté », ayant la possibilité d'écrire leurs propres lois. A ce propos, on peut s'interroger sur le développement de la situation timoraise : ce petit Etat récemment passé à l'indépendance, et qui est en tain d'écrire sa constitution, a tous les caractères d'un futur paradis fiscal (ancien comptoir colonial, petite taille, accès à la mer autorisant la délivrance de pavillons de complaisance, rareté des ressources naturelles, localisé dans la sphère hyper-capitaliste et musulmane de l'Asie du Sud-Est...). Il sera intéressant de l'étudier quand sa législation fiscale sera complète. Les chercheurs décrivent aussi la logique absolue dont les pays à fiscalité hyper-concurrentielle font preuve, en s'inscrivant dans la mouvance économique et idéologique du monde en modernité. o Les citoyens savent qu'évidemment, cette fuite de capitaux est un manque à gagner fiscal pour l'Etat, qui n'alimente pas les caisses nationales et réduit les possibilités de services publics. D'ailleurs, au moins un point négatif, la protection sociale est évidemment très mauvaise dans les paradis fiscaux ! Les mouvements associatifs comme Attac dénoncent la vampirisation par les grands capitalistes et la corruption des agents publics, qui handicape « les économies nationales, compromet les démocraties ou retarde leurs mises en places » 30(*) Les institutions nationales depuis peu s'élèvent aussi contre ces Etats ou territoires complices. A cet égard, la Mission Parlementaire qu'a créé la France est une nouveauté d'une grande hardiesse, les missionnés s'étant physiquement rendus dans quatorze de pays entre juin 1999 et avril 2002. Ayant rencontré l'ensemble des acteurs de la lutte anti-blanchiment en Europe, ils ont pu légitimement appeler à l'instauration par le biais du Gafi d'une obligation de vigilance, d'exigences de traçabilité des flux et de sévérité contre le laxisme institutionnel y compris à l'encontre de pays aussi `politiquement corrects' que le Lichtenstein, le Luxembourg ou le Royaume Uni. > Il semble donc que l'interpénétration des sphère licite / illicite soit l'élément le plus frappant du fonctionnement des paradis fiscaux, selon une logique d'adaptation à la globalisation financière et une surenchère d'outils inévitable au fil du temps31(*). C'est ce que l'on pourrait déjà appeler l' « historicité » du phénomène des OFC. * 27 « la généralisation de l'idéologie libérale - qui fait du marché la référence suprême, et de l'argent la mesure de tout - tend à renforcer les tendances mercantiles et à affaiblir les valeurs morales. Les êtres humains ne sont plus jugés en fonction de leur valeur personnelle, mais uniquement à raison de leur puissance : argent et pouvoir » p. 20 * 28 que le volume des transactions a été multiplié par 10 dans les années 1980 et qu' à l'époque à peine 3 % représentaient des échanges réels de marchandises * 29 Libération 8 mars 2000 * 30 cf. Rapport d'ATTAC p. 23 * 31 PALAN : « en prostituant leurs droits de souveraineté, les paradis fiscaux servent d'importante plate-formes légales pour la globalisation de toutes sortes de services, en particulier bancaires... » « la stratégie de dumping fiscal et la commercialisation de la souveraineté sont endémiques au fonctionnement de l'Etat moderne » |
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