Les paradis fiscauxpar Aude Rousselot et Samuel Sciences Po - 2003 |
- Quelques exemples18(*)Les techniques de blanchiment ou d'évasion fiscale sont souvent très complexes (c'est d'ailleurs toute leur force). On se limitera donc ici à quelques exemples simples. On retiendra cependant que le blanchiment suit habituellement trois étapes : Ø Le placement, ou prélavage, consiste à transférer argent liquide et devises du lieu d'acquisition vers les établissements financiers de différentes places, ventilés sur une multiplicité de comptes. Ø L'empilage, ou brassage, rend impossible de remonter à l'origine des profits illicites grâce à de nombreux virements entre comptes - chaque compte étant lui-même éclaté en sous-comptes -. Le brassage fait largement appel aux systèmes électroniques de transmissions tels que Swift ou encore aux marchés dérivés. Ø Enfin, dernière étape, l'intégration planifiée des capitaux blanchis, regroupés sur des comptes de banques sélectionnées, et prêts à être réutilisés en toute légalité. i. Les fourmis japonaises Il s'agit d'un dispositif très « manuel » ne faisant appel à aucune technique complexe. Les fourmis japonaises le trafiquant remet aux fourmis l'argent à blanchir et des billets pour Paris. . les fourmis se rendent à Paris et y achètent des produits de luxe : maroquinerie, parfumerie, joaillerie..... les fourmis retournent au Japon pour déposer leurs achats et reçoivent une commission les objets sont commercialisés au Japon comme des objets importés de Paris, dans des boutiques appartenant aux trafiquants Ce circuit en trois étapes illustre une pratique rudimentaire mais efficace : « placement » de l'argent sale auprès des faux touristes, « empilement » lorsqu'ils diffractent les sommes en faisant leurs achats à Paris, « réintégration » des valeurs par la vente des objets à Tokyo. Des japonais sont envoyés à Paris avec de l'argent sale en liquide. Ils y achètent des produits de luxe qu'ils ramènent au Japon et livrent contre une commission. Ces objets sont alors commercialisés dans des boutiques appartenant au commanditaire du blanchiment... ii. Le blanchiment à l'envers Le blanchiment à l'envers
La mafia russe détourne du pétrole sibérien et le vend sur le marché libre de Rotterdam pur 40 millions de dollars. L'argent est déposé sur un compte dans une banque londonienne La mafia russe à travers les banques qu'elle contrôle, passe commande billets neufs à une banque privée de New-York Londres verse les 40 millions de dollars à la banque privée new-yorkaise la banque de New-York achète au Federal Reserve Board pour 40 millions de billets neufs La FED livre les billets neufs qui sont acheminés vers des banques sous contrôle mafieux à Moscou. Ces billets peuvent servir ultérieurement pour des opérations illégales en liquide. Dans son rapport du 28 juin 1996, le GAFI écrivait « ... au cours de 18 derniers mois, environ 100 millions de dollars en espèces ont été rapatriés vers la Russie chaque jour, essentiellement par deux banques américaines, en réponse à des demandes de banques russes. Compte tenue des montants élevés d'espèces commandés, il est concevable qu'une partie au moins des fonds soit utilisée pour fournir les besoins du crime organisé russe... » Quel autre besoin en effet les banques russes pourraient-elles avoir de billets neufs de 100 dollars enfermés dans leurs coffres ? On a ici affaire à un dispositif plus évolué, utilisé notamment par la mafia russe pour blanchir l'argent du pétrole détourné. La somme provenant de la vente du brut est placée sur un compte à Londres. Une banque russe contrôlée par la mafia passe commande de billets neufs à une banque new-yorkaise et paie cette commande par un virement depuis Londres. Les billets neufs sont rapatriés en Russie et peuvent être utilisés pour toute opération en liquide...
Accenture est l'ancienne branche conseil-IT du géant de l'audit Arthur Andersen, actuellement en cessation d'activité. L'entreprise a acquis son indépendance en s'introduisant en Bourse courant 2001. Accenture, avec ses 75 000 employés appartient aux plus grandes entreprises de son secteur et réalise un chiffre d'affaire d'environ 12 milliards de $. Avant l'introduction en Bourse, l'entreprise appartenait exclusivement à un groupe d'associés. Ceux-ci détiennent toujours actuellement 80% du capital. Pour optimiser fiscalement et opérationnellement l'introduction, les associés ont fait le choix du montage suivant : Ø la holding de tête, Accenture Ltd. est une société basée aux Bermudes Ø cette holding contrôle une holding de second niveau, Accenture SCA, société luxembourgeoise Ø Accenture SCA, à son tour, contrôle les différentes entités nationales composant Accenture. La raison officielle donnée aux journalistes pour le choix d'implantation aux Bermudes est la flexibilité offerte pour le passage de la structure du partenariat à celle de l'entreprise cotée. Il semble qu'en fait bien d'autres aspects soient intervenus : Ø Absence d'impôt sur les bénéfices aux Bermudes. Mieux, Accenture a négocié un accord avec le ministre des finances des Bermudes : en cas de changement législatif, la situation d'Accenture restera identique au moins jusqu'au 28.03.2016 ! En contrepartie Accenture doit verser une taxe maximale annuelle de ... 27.825$ ! Ø Protection juridique : Il semble qu'un jugement prononcé aux Etats-Unis contre Accenture (comme cela a été le cas contre Andersen) aurait peu de chances d'aboutir hors des USA une fois la société installée aux Bermudes. Il semble en effet peu probable que les tribunaux locaux ne suivent les tribunaux américains. Aucun traité ne l'impose. Ø Enfin, Accenture se protège contre ses nouveaux actionnaires: dans les entreprises de droit bermudien, les actionnaires minoritaires n'ont en général aucune prise sur les dirigeants de l'entreprise. En d'autres termes, les associés garderont complètement le contrôle. Ø Le droit commercial des Bermudes autorise certaines opérations de rachat d'actions favorables aux associés. * 18 Les deux premiers exemples sont extraits de Un monde sans loi. |
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