La règlementation des contenus illicites circulant sur le reseau internet en droit comparépar Caroline Vallet Université Laval de Québec - 2005 |
Paragraphe 2 : Le désir d'identification sur le réseauUn des points noir d'Internet est qu'il est difficile de le surveiller pour de multiples raisons toutes plus valables les unes les autres. Toutefois, la motivation des législateurs de le contrôler est avant tout la protection des mineurs, puis évidemment, l'arrêt des infractions commises. Le problème est que le réseau permet à n'importe quel individu de s'exprimer ou faire ce qu'il veut sans avoir peur des retombés de ses actes ou de ses paroles. En effet, l'absence d'identification sur le réseau, alimentée par l'utilisation d'un pseudonyme (nickname), entraîne un sentiment de pouvoir et de liberté qui pousse les internautes à aller plus loin dans leurs propos que dans la vie réelle. Ils oublient ainsi les « limites imposées par le droit dans l'exercice de la liberté d'expression »493(*). La transparence pourrait résoudre beaucoup de problèmes. Mais, l'identification des internautes apparaît difficile, d'autant plus que l'anonymat est un corollaire de la liberté d'expression (A) et que, même si les nouvelles lois montrent une tendance à vouloir identifier les personnes connectées (B), de nombreux individus s'élèvent contre, en alimentant le débat. A) L'anonymat : corollaire de la liberté d'expressionL'anonymat constitue donc un corollaire de la liberté d'expression. Il s'agit d'une partie intégrante de cette dernière. En effet, l'anonymat permet à de nombreuses personnes de s'exprimer librement sans crainte de représailles ou du « que dira-t-on ? ». Ces dernières se sentent plus légères et protégées par ce fameux anonymat. D'ailleurs grâce à ce dernier et à la liberté d'expression, les sites racistes ou négationnistes ne sont pas près de disparaître du réseau. Cet anonymat est garanti par plusieurs textes européens et français. En effet, ce principe est reconnu par les articles 8 et 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Selon ces textes, chaque individu a le droit au respect de sa vie privée et à sa correspondance et « il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi » et qu'elle constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique. Elle énonce également que toute personne a droit à la liberté d'expression, droit qui comprend la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans l'ingérence d'une autorité publique et sans considération de frontière. C'est ainsi que toute personne est libre de communiquer ce qu'il lui plaît sans craindre que les pouvoirs publics viennent contrôler ses propos car cela empiéterait sur sa vie privée. Les internautes ont donc le droit de ne pas s'identifier sur le réseau et ainsi de s'exprimer librement. D'ailleurs, le Conseil de l'Europe a reconnu un certain droit à l'anonymat afin d'assurer une protection contre les surveillances en ligne et de favoriser l'expression libre d'informations et d'idées494(*). Toutefois, en raison de l'augmentation des contenus illicites circulant sur le réseau Internet, il semblerait qu'une tendance à l'identification se développe. Ce droit à l'anonymat est également garanti par les lois françaises notamment par la Loi relative à la sécurité quotidienne495(*). Effectivement, cette loi rappelle le principe général d'anonymisation énoncé dans l'article 29 modifiant l'article L32-3 du Code des postes et télécommunications. Ce dernier dispose que « les opérateurs de télécommunications (...) sont tenus d'effacer ou de rendre anonyme toute donnée relative à une communication dès que celle-ci est achevée ». En outre, l'anonymat est un droit protégé par le Code civil français à l'article 9 lequel dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Mais également par différentes lois telles que la Loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978496(*). Elle énonce dans son article premier que l'informatique ne doit « porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ». Les données personnelles doivent être protégées et contrôlées. L'anonymat est donc une partie intégrante de la dimension de la protection de la vie privée au même titre que la liberté d'expression. Toute personne doit pouvoir être libre de ne pas se nommer et ses données nominatives n'ont pas à être utilisées malencontreusement par n'importe qui ou pour n'importe quoi. Le Québec possède également une réglementation sur la protection de la vie privée fondée sur le Code civil497(*) et la Charte des droits et libertés de la personne498(*). Les renseignements personnels ne sont pas divulgués généralement, à moins que le gouvernement ou l'autorité judiciaire n'en ait le droit. Toutefois, des incertitudes résident dans la discrétion du fournisseur. En effet, certains se posent la question suivante : « qu'en est-il du fournisseur de services Internet qui a communiqué à un tiers le code d'usager, le mot de passe et l'adresse IP statique de son client sans sa permission ? »499(*) En principe, ces informations font partie de la vie privée car elles permettent de recueillir des renseignements personnels sur l'internaute. C'est la raison pour laquelle ces données ne peuvent être communiquées qu'à une autorité judiciaire, garante des libertés individuelles. Un fournisseur ne peut donc communiquer à des tiers des données à caractère personnel relatives à ses abonnés, sauf dans le cadre d'une procédure judiciaire. Cette interprétation respecte les droits des personnes et plus particulièrement le droit à la vie privée. De nos jours, la technologie permet de récupérer très facilement des données personnelles sur le réseau à notre détriment. Il est donc important de faire attention et de cacher le plus possible toute donnée présentant un caractère personnel. Les hackers ou autres pirates informatiques peuvent récupérer ces informations et les utiliser de manière illicite. Être anonyme peut s'avérer un moyen sécuritaire pour éviter ces désagréments. D'ailleurs, le réseau fournit tous ce qu'il faut pour naviguer de manière anonyme sur la toile. Peu importe que nous soyons novice ou un expert de l'informatique, il y a toujours quelqu'un, soit un site soit un internaute, pour nous aider en cas de difficulté. Sur Internet, les internautes pensent que l'usage de l'anonymat fait partie intégrante de l'exercice de la liberté d'expression notamment sur les forums de discussion. Toutefois, une décision de la Cour suprême de l'État de Virginie a rappelé que « le Premier Amendement de la Constitution américaine, consacrant le principe de la liberté d'expression, ne garantissait pas l'anonymat de la personne »500(*). Pour les États-Unis, la liberté d'expression n'est pas le corollaire de l'anonymat et au contraire, elle aurait pour corollaire la responsabilité. D'ailleurs, une question s'est posée de savoir s'il fallait considérer l'anonymat comme ne permettant plus l'application du régime d'exonération. En principe, le premier responsable est l'auteur du contenu mais s'il n'est pas identifiable, subsidiairement, la responsabilité du PSI sera recherchée. L'anonymat constituerait donc l'un des facteurs déclenchant de la responsabilité501(*). C'est ainsi qu'est apparu l'idée que le réseau avait besoin de plus de transparence et de traçabilité afin de combattre les contenus illicites. * 493 A. LEPAGE., « Liberté d'expression, responsabilité et forums de discussion », loc. cit., note 466. * 494 Le Conseil de l'Europe précise néanmoins que les États membres peuvent prendre des mesures pour retrouver la trace de ceux qui sont responsables d'actes délictueux : Étienne WÉRY, Le Conseil de l'Europe émet une déclaration sur la liberté de communication sur l'Internet, 19 juin 2003, en ligne sur : droit et nouvelles technologies <http://www.droit-technologie.org> (site visité le 11 février 2004). * 495 Loi relative à la sécurité quotidienne, précitée, note 96. * 496 Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, en ligne sur : Légifrance < http://www.legifrance.gouv.fr> (site visité le 11 février 2004). * 497 Voir C.c.Q,, art. 35 et suiv. * 498 Charte québécoise, précitée, note 79, art. 5. * 499 Sébastien LAPOINTE, « Votre fournisseur Internet est-il discret ? », (2003) 35 J. du B. 13. * 500 Supreme Court of Virginia, America Online, Inc. v. Nam Tai Electronics, Inc, nov. 01, 2002, en ligne sur: <http://www.valawyersweekly.com > (site visité le 11 février 2004); Voir l'article A. LEPAGE., « Liberté d'expression, responsabilité et forums de discussion », loc. cit., note 466, 20. * 501 En effet, certains auteurs indiquent que le fournisseur doit fournir l'identité du propriétaire du site incriminé aux autorités judiciaires pour échapper à sa responsabilité. Sinon, il encourage le développement des activités illicites sous le couvert de l'anonymat. Il en va de même sous l'article 14 de la Directive sur le commerce électronique. En effet, le fournisseur d'hébergement bénéficie de l'exonération de responsabilité s'il s'en tient strictement à son rôle car en abritant des sites anonymes, il excède son rôle. (Voir SANTIAGO CAVANILLAS et a., op. cit., note 214, p.44 ; voir également C. ROJINSKY, L'approche communautaire de la responsabilité des acteurs de l'Internet, loc. cit., note 15). Il semble donc que l'anonymat soit l'un des facteurs déclencheur de la responsabilité des prestataires d'hébergement. (Voir l'arrêt TGI Nanterre, 8 décembre 1999, précité, note 159 ou Gaz. Pal. 2000.2, note Hubert BITAN ; Décision réformée en appel par un arrêt de la Cour d'appel de Versailles en date du 8 juin 2000, précité, note 162). Par contre, pour d'autres, le fournisseur d'hébergement continue de bénéficier de l'exonération même s'il n'assure pas l'identification des responsables des sites hébergés. (Voir T. VERBIEST et É. WERY, « La responsabilité des fournisseurs de services Internet : derniers développements jurisprudentiels », loc. cit., note 161, 169). |
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