La règlementation des contenus illicites circulant sur le reseau internet en droit comparépar Caroline Vallet Université Laval de Québec - 2005 |
TITRE IILES ENJEUX DE L'APPLICATION DE LA CENSURE COMME MOYEN DE RÉGULATIONLe réseau Internet est inévitablement un vecteur idéal pour la prolifération de contenus illicites. D'ailleurs, ces contenus causent des dommages plus ou moins sérieux aux internautes qui doivent entamer des actions judiciaires à l'encontre des PSI puisque le véritable auteur est trop souvent non identifiable. Pour ces raisons, les législateurs, européen et québécois, ont élaboré un système autorisant l'exercice de la censure afin de limiter la présence des contenus illicites sur le réseau et ainsi limiter la responsabilité des PSI. Cette censure est apparue comme la solution aux problèmes. Toutefois, il ne faut pas oublier que cette dernière nécessite des conditions d'application exigeantes afin d'éviter tout abus potentiel. En effet, elle apparaît comme une solution inadéquate et excessive pour des pays qui se disent démocratiques et libres (Chapitre I). Il existe, néanmoins, des palliatifs qui permettent certains ajustements quant à son exercice (Chapitre II). CHAPITRE 1L'EXERCICE DE LA « CENSURE ÉTATIQUE » : UNE SOLUTION EXCESSIVELes États ont dû intervenir pour réglementer le réseau Internet par le moyen de nouvelles lois. Ces lois étaient nécessaires puisqu'il fallait clarifier de nombreux points et surtout, limiter la trop grande latitude prise par les internautes qui pensent, encore aujourd'hui que, Internet est un lieu où tout est permis. Pourtant, le droit s'y est toujours appliqué. Les nouvelles législations ont donc pour objectif d'éclaircir les rôles des PSI, dont les fonctions apparaissent parfois un peu imprécises. Leurs rôles sur le réseau leur permettent pour certains du moins, d'avoir indubitablement un certain contrôle sur les contenus circulant sur leur serveur. Cette possibilité d'intervenir sur ces messages susceptibles d'occasionner des troubles a renforcé leur responsabilité. En effet, il semblerait que désormais, les PSI vont devenir les «juges» ou les «policiers» des contenus diffusés sur Internet (I). Ces extensions de pouvoirs, et plus spécialement les atteintes apportées au droit à la vie privée par l'utilisation de la censure «juridique» ou «étatique», peuvent apparaître véritablement nécessaire et légitime, même dans des pays démocratiques et libres (II). Section I : Les PSI : les « juges » ou « policiers » des contenus diffusés sur InternetLes nouvelles législations ont dégagé un principe de responsabilité fondé sur le trinôme « pouvoir - savoir - inertie »358(*) qui octroie aux différents PSI des pouvoirs qui peuvent apparaître comme surprenants pour de simples prestataires (§1). En outre, ces lois, malgré leur utilité indéniable dans l'éclaircissement des rôles respectifs des différents intervenants sur le réseau Internet, ne sont pas pour autant très satisfaisantes. En effet, elles comportent de nombreuses limites et parfois compliquent plus qu'elles ne précisent (§2). Paragraphe 1 : Un rôle extraordinaire pour les PSILes PSI se retrouvent dans une position assez inconfortable depuis la mise en place des nouvelles législations. En effet, les législateurs leurs ont attribué le pouvoir de juger en leur imposant une obligation de réaction359(*). Il semblerait donc que ces PSI soient devenus les « juges des contenus »360(*) ou les « policiers du réseaux »361(*) (A). Ce nouveau rôle leur permet, grâce à l'appui de la loi, d'exercer un acte grave et contraire à tout principe d'une société libre et démocratique, la censure (B). Toutefois, les dérives et les abus orchestrés par les internautes, et plus particulièrement par les jeunes, ne justifient-ils pas de telles mesures? A) Les « juges des contenus » ou la « police des réseaux »Les nouvelles législations imposent aux PSI d'agir dès qu'ils ont connaissance de l'illicéité d'un contenu sur leur serveur en le retirant ou en le bloquant sans aucune intervention judiciaire362(*). Ils doivent donc apprécier le caractère licite ou non de ces informations363(*). Ils se substituent ainsi aux juges364(*) ou « se [voient] conférer, bon gré mal gré, une sorte de rôle policier, qui n'est le [leur] »365(*). Or, ces prestataires ne sont pas en mesure de procéder à une appréciation juridique de ces contenus, puisque cela ne relève en aucune manière de leur rôle. En effet, il faut prouver ce caractère illicite et l'illicéité ne s'évalue pas dans l'absolu. Il est donc difficile pour de simples prestataires d'établir la frontière entre ce qui est licite et ce qui ne l'est pas366(*). Ce flou peut conduire à des dérives, voire à des abus de la part de ces prestataires dont les valeurs morales personnelles seront sollicitées même implicitement367(*). Par exemple, ils peuvent être amenés à supprimer un ou des contenus pouvant engendrer des troubles à un ou des internautes alors qu'un juge n'aurait peut être pas pris une telle décision368(*). Malgré cela, il ne faut pas oublier que la présence de contenus illicites circulant sur le réseau Internet constitue un problème, notamment pour les jeunes qui y voient un moyen de voyeurisme et de défoulement impressionnant. Les législateurs ont essayé d'y remédier en érigeant les fournisseurs en « juge des contenus »369(*). Cette solution n'est peut être pas satisfaisante, mais vue l'ampleur des dégâts effectués sur le réseau aussi bien par les sites racistes que pédopornographiques, il semblait nécessaire d'intervenir rapidement370(*). La seule personne qui peut faire le policier et ainsi agir diligemment sur Internet est incontestablement le PSI. Toutefois, il doit être encadré pour diminuer les potentiels abus. L'autorité judiciaire n'est pas totalement absente dans ce nouveau système. En effet, le juge pourra intervenir, notamment pour faire cesser tout dommage, soit en interrompant le stockage de l'information, soit en bloquant l'accès371(*). De plus, il ne faut pas oublier que bien souvent le juge interviendra pour « statuer sur l'adéquation du comportement de l'hébergeur à la situation et, en dernier lieu, sur le caractère licite ou illicite des données mises en cause »372(*). L'autorité judiciaire garde donc, tout de même, un certain contrôle a posteriori sur tout ce que peut effectuer un PSI sur le réseau. Par conséquent, les nouvelles législations ont transformé les PSI de facto en pseudo censeurs373(*). Cette solution peut, à première vue, apparaître comme étonnante puisque l'exercice de la censure reste un acte grave dans une société libre et démocratique. * 358 Voir pour plus d'informations le texte de M. VIVANT intitulé « La responsabilité des intermédiaires techniques de l'Internet », loc. cit., note 285 ; Michel VIVANT et Christian LE STANC (dir.), Lamy Droit de l'informatique et des réseaux, Paris, Lamy, 2002, n 2811, p. 1587 et M. CAHEN, La responsabilité civile des fournisseurs d'accès, loc. cit., note 185. * 359 Voir A. LEPAGE, « La responsabilité des fournisseurs d'hébergement et des fournisseurs d'accès à l'Internet : un défi nouveau pour la justice du XXIe siècle ? », loc. cit., note 194, 16. * 360 Expression empruntée au discours du premier ministre français Jean-Pierre RAFFARIN à l'EBG, Voir ASSOCIATION VIVRE LE NET, Les fournisseurs d'accès et hébergeurs seront juges du contenu de l'Internet, 13 novembre 2002, en ligne sur : News Vivre le Net < http://www.vivrele.net/node/900.html> (site visité le 15 janvier 2004). * 361 Expression empruntée à G. et al., LE FOYER DE COSTIL, op. cit., note 242. * 362 ASSOCIATION VIVRE LE NET, Les fournisseurs d'accès et hébergeurs seront juges du contenu de l'Internet, loc. cit., note 360. * 363 Il est donc mis à la charge de ces prestataires une « obligation de qualification des contenus » : F. LESORT et L. SZUSKIN, loc. cit., note 236. * 364 « L'article [43-8], comme la directive, investissent l'hébergeur d'une mission qui n'est pas simple à exercer, en lui demandant d'apprécier, alors qu'il n'est ni professionnel du droit ni un magistrat, la licéité des contenus qu'il héberge » : Rapport n°608 de Mme M. TABAROT, op. cit., note 201. * 365 M. VIVANT et C. LE STANC (dir.), op. cit., note 358, n°2814, p. 1589. * 366 Cela sera beaucoup plus facile pour les contenus dont l'illicéité est flagrante ou manifestement illicite (comme par exemple les sites pédophiles) : SANTIAGO CAVANILLAS, op. cit., note 214, p. 44 à 46 ; A. LEPAGE, « La responsabilité des fournisseurs d'hébergement et des fournisseurs d'accès à l'Internet : un défi nouveau pour la justice du XXIe siècle ? », loc. cit., note 194, 17 ; G. et al., LE FOYER DE COSTIL, op. cit., note 242. * 367 Le PSI « n'est pas à l'abri d'une erreur en toute bonne foi. Or, sans préjuger de la qualité desdits prestataires, il est fort à parier que certains d'entre eux commettront de temps à autre des erreurs d'appréciation qui aboutiront à des suppressions non justifiées, appelant ainsi les foudres de leurs clients alors même que leur seul objectif serait de satisfaire aux exigences de la loi ; d'un autre côté ils pourront être amenés en toute bonne foi à continuer d'héberger des contenus préjudiciables mais sur lesquels ils ne pourront en pratique apprécier la réalité (en cas de contrefaçon par exemple) » ; Propos d'Éric BARBRY, Le projet de loi relatif à l'économie numérique passé au crible, 14 janvier 2003, en ligne sur : Le Journal du Net < http://www.journaldunet.com/juridique/juridique030114_1.shtml> (site visité le 15 janvier 2004). * 368 A. DEVILLARD, loc. cit., note 239. * 369 Le fournisseur Free a anticipé l'application du Projet de LEN en s'autorisant à couper l'abonnement d'un utilisateur sur simple notification des ayants droit. De plus, 95% des internautes cèdent à la pression d'un avertissement lorsque le contenu est jugé illicite. Les internautes semblent avoir peur du gendarme. Voir l'article de Estelle DUMOUT, Responsabilité des hébergeurs: Free anticipe la loi depuis longtemps, 16 janvier 2004, en ligne sur : ZDNet France < http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39137258,00.htm> (site visité le 15 janvier 2004). * 370 A. LEPAGE, « La responsabilité des fournisseurs d'hébergement et des fournisseurs d'accès à l'Internet : un défi nouveau pour la justice du XXIe siècle ? », loc. cit., note 194, 16 : « Les dommages commis sur l'Internet peuvent être fulgurants, et une réaction immédiate de l'hébergeur sera donc la bienvenue pour contrer l'illicite, quitte à attendre ensuite du juge une confirmation de la mesure ». * 371 Projet LEN, précité, note 227, art. 2 bis, I-8 : « L'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à tout personne mentionnée aux 1 et 2 (les prestataires techniques), toutes mesures propres à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication publique en ligne, telles que celles visant à cesser de stocker ce contenu ou, à défaut, à cesser d'en permettre l'accès ». * 372 Rapport n°608 de Mme M. TABAROT, op. cit., note 201. Pour préciser, le juge interviendra toutes les fois où l'hébergeur manquera à son devoir de retrait afin de sanctionner les défaillances de ce dernier, mais aussi pour assurer sa protection, s'il est confronté à une demande abusive de retrait de la part d'un internaute. * 373 E. DUMONT, Responsabilité des hébergeurs : la polémique est ravivée, loc. cit., note 238. |
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