La règlementation des contenus illicites circulant sur le reseau internet en droit comparépar Caroline Vallet Université Laval de Québec - 2005 |
c) Un projet de loi transposant la Directive sur le commerce électronique (pour la confiance de l'économie numérique) : une polémique importanteLa transposition de la Directive sur le commerce électronique s'avère être un travail fastidieux et de longue haleine. En effet, ce projet a débuté par un premier Projet intitulé Loi sur la société de l'information226(*), qui finalement a été abandonné et remplacé par le Projet LEN227(*) présenté par le Gouvernement au Conseil des ministres le 15 janvier 2003. Ce projet est venu combler les lacunes du précédent et constitue le premier texte du Plan pour une République numérique dans la Société de l'information (Plan RE/SO 2007)228(*) présenté par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin le 12 novembre 2002. Il vise à favoriser le développement des technologies de l'information en simplifiant les règles en vigueur sur Internet, en restaurant la confiance des usagers notamment, et en clarifiant les responsabilités des différents acteurs de la société de l'information. Dans son discours, le Premier ministre déclare que trois textes vont venir expliciter les règles du jeu de la société de l'information d'ici la fin du premier semestre 2003. Ce plan RE/SO 2007 a d'ores et déjà donné lieu à la présentation de textes. En effet, le premier texte est donc le Projet LEN229(*) adopté en Conseil des ministres le 15 janvier 2003 qui devrait prochainement faire son entrée dans le système juridique français. Le deuxième texte a été présenté par la ministre déléguée à l'Industrie, Nicole Fontaine, le 31 juillet 2003 devant le Conseil des ministres. Il s'agit du Projet de loi sur les communications électroniques et les services de communication audiovisuelle230(*). Le Projet LEN231(*) propose de nombreux changements, notamment sur le droit des consommateurs ou de publicité par courriel, il régit également la libéralisation des logiciels de cryptographie, et amende la Loi de 1986 sur la liberté de communication232(*). Une question inquiète plus particulièrement les différents acteurs du réseau, il s'agit de celle concernant leur responsabilité. En effet, la polémique sur ce point est relancée. De nombreuses associations dénoncent ce texte et le jugent liberticide au point de faire de nouvelles propositions233(*). Que peut bien prévoir ce Projet LEN pour susciter autant d'intérêt ? L'article 43-8 énonce que les personnes qui hébergent des informations sur leurs serveurs « même à titre gratuit », peuvent voir leur responsabilité civile engagée « si, dès le moment où elles ont eu la connaissance effective de leur caractère illicite, ou de faits et circonstances mettant en évidence ce caractère illicite, elles n'ont pas agi avec promptitude pour retirer ces données ou rendre l'accès à celles-ci impossible ». Cette disposition est directement issue de la Directive sur le commerce électronique234(*), et il en va de même pour la responsabilité pénale. En effet, les PSI ne verront leur responsabilité pénale engagée « que si, en connaissance de cause, ils n'ont pas agi promptement pour faire cesser la diffusion d'une information ou d'une activité dont ils ne pouvaient ignorer le caractère illicite »235(*). Ces deux dispositions mettent donc en place un nouveau dispositif de mise en jeu de responsabilité qui peut, effectivement, susciter quelques désagréments pour les différents acteurs du réseau Internet236(*). En effet, ce Projet LEN implique qu'une simple présomption d'illicéité permettra à un hébergeur sur demande d'un tiers, de retirer une information ou de rendre son accès impossible. Malgré la présence d'un garde fou en cas d'abus237(*), les hébergeurs craignent de devoir se substituer aux juges pour décider si tel ou tel contenu est illicite ou non238(*). Cette difficulté sera développée plus loin dans notre étude. Pour le moment, nous pouvons nommer comme premier élément de réponse, les propos de Pascal COHET qui déclare : « Il suffit pourtant de prendre l'exemple du site Je-boycotte-Danone. L'hébergeur avait déconnecté le site après la réaction de Danone. Mais quand le juge est intervenu, plus tard, il a estimé que le seul problème posé par le site était le détournement de logo. Autrement dit : il suffit de laisser le juge faire son travail correctement. L'intermédiaire n'en n'ayant pas les compétences. Il ne peut prendre que des décisions brutales »239(*). Le Projet LEN, de nombreuse fois amendé, plaçait au début Internet sous l'autorité du Conseil Supérieur de l'Audiovisuelle (CSA) et énonçait qu'il était un sous ensemble de la communication audiovisuelle240(*). Or, la dernière version du Projet LEN, tel que présenté devant le Sénat en deuxième lecture, décide que seules la radio et la télévision rentreraient dans la sphère de compétence du CSA. Ce revirement s'inscrit dans l'idée du député Jean DIONIS DU SÉJOUR, qui considère qu'« il est impossible de permettre au CSA de réguler les contenus et la contrefaçon sur l'Internet. Le seul régulateur acceptable doit être le juge, saisi par les internautes »241(*). Il confirme ainsi le principe selon lequel les intermédiaires techniques ne sont pas soumis à l'obligation générale de surveillance du contenu242(*). Ce projet de loi a donc connu des débuts difficiles qui continuent encore aujourd'hui. Les débats ne cessent pas et les professionnels du réseau Internet ont peur de s'ériger en « juge des contenus ». C'est pour cette raison qu'ils continuent d'exercer du lobbying auprès du législateur afin d'obtenir une meilleure sécurité pour leurs activités. Dans son ensemble, le texte s'inscrit dans les perspectives de la Directive sur le commerce électronique, même si de nombreuses associations le dénoncent fortement. Effectivement, les inquiétudes des PSI face à ce texte peuvent sembler justifiées. C'est ce que nous essayerons d'exposer tout au long de notre étude. La législation française a connu des rebondissements importants ainsi que les législations canadienne et québécoise qui ont également élaboré une réglementation pour Internet. * 226 Projet de loi N° 3143 sur la société de l'information (LSI), enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 juin 2001, en ligne sur : Site de l'Assemblée nationale < http://www.assemblee-nat.fr/projets/pl3143.asp> (site visité le 13 mars 2004). * 227 Le Projet LEN (précité, note 17) a été modifié en première lecture par le Sénat, le 26 juin 2003. Il a été ensuite envoyé en deuxième lecture à l'Assemblée nationale où il a été adopté le 8 janvier 2004 (Projet de loi n°235). Il a été, par la suite, renvoyé en deuxième lecture devant le Sénat qui en discutera en Commission mixte paritaire le 27 avril 2004, en ligne sur : Site de l'Assemblée nationale française < http://www.assemblee-nat.fr/12/dossiers/economie_numerique.asp> (site visité le 13 mars 2004). * 228 J-P. RAFFARIN, op. cit., note 1 ; GOUVERNEMENT, Plan RE/SO 2007, en ligne sur : L'action de l'État pour le développement de la société de l'information < http://www.internet.gouv.fr/rubrique.php3?id_rubrique=61> (site visité le 13 mars 2004). * 229 Projet LEN, précité, note 17. * 230 Projet de loi sur les communications électroniques et les services de communication audiovisuelle, en ligne sur : L'action de l'État pour le développement de la société de l'information < http://www.internet.gouv.fr/article.php3?id_article=968> (site visité le 13 mars 2004). * 231 Projet LEN, précité, note 17. * 232 Le nouveau projet de loi abroge le chapitre VI de la Loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (précitée, note 17). Il s'agit du chapitre traitant de la responsabilité des prestataires techniques. * 233 Voir les sites des associations IRIS, La Ligue Odebi, Forum Internet et l'ADIJ. * 234 Directive sur le commerce électronique, précitée, note 176. * 235 Projet LEN, précité, note 17, art. 43-9. * 236 Voir l'article critique de Thibault VERBIEST, « Projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique : analyse critique », Comm. comm. électr. février 2003. comm. n°4, 9 ; Fabien LESORT et Laurent SZUSKIN, Commentaire du projet de Loi sur l'Économie Numérique, 29 janvier 2003, en ligne sur : Droit et Nouvelles Technologies < http://www.droit-technologie.org/1_2.asp?actu_id=714> > (site visité le 13 mars 2004). * 237 Projet LEN, précité, note 17, art. 43-9-1. * 238 Voir article d'Estelle DUMONT, Responsabilité des hébergeurs : la polémique est ravivée, 17 janvier 2003, en ligne sur : < http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,2128916,00.htm> (site visité le13 mars 2004). * 239 Arnaud DEVILLARD, Le monde Internet chahute la loi sur l'économie numérique, 19 février 2003, en ligne sur : < http://www.01net.com/article/201958.html> (site visité le 13 mars 2004). * 240 Projet LEN, précité, note 17, art. 1er III. * 241 Estelle DUMONT, Tutelle du CSA sur Internet : les lobbies culturels plus forts que Nicole Fontaine, 6 mars 2003, en ligne sur : < http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,2131532,00.htm> (site visité le 13 mars 2004). * 242 Projet LEN, précité, note 17, art. 43-11 ; Voir la Guillaume et al., LE FOYER DE COSTIL, Synthèse de la Table ronde : « Projet LEN : avancées et incertitudes », 25 juin 2003, en ligne sur : < http://www.adij.asso.fr/V3/fr/len.htm> (site visité le 13 mars 2004) : La Table ronde avait laissé entendre que le Sénat confirmerait la position de l'Assemblée Nationale sur la dérogation importante apportée au principe de la Directive européenne selon laquelle les prestataires techniques ne pouvaient se voir imposer une obligation générale de surveillance : « Toutefois, les personnes mentionnées au 2 mettent en oeuvre les moyens conformes à l'état de l'art pour empêcher la diffusion de données constitutives des infractions visées aux cinquième et huitième alinéas de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et à l'article 227-23 du code pénal ». Or, la version du Projet LEN tel qu'adopté par le Sénat en première lecture, confirme bien en revanche la suppression de cette dérogation. Toutefois, il semblerait que l'Assemblée Nationale veuille absolument cette dérogation puisqu'elle l'a réinsérée dans la version adoptée en deuxième lecture et présentée une deuxième fois devant le Sénat. |
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