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Une réponse anticapitaliste et antipatriarcale à la crise du livre


par Léa Haurie-Hontas
Université Paris 13 - Sorbonne Paris Nord - Master 2 Politiques éditoriales 2020
  

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B. Redistribution, réparation

Lorsque l'on parle des industries littéraires, les notions de redistribution et de réparation s'inscrivent, dans des politiques culturelles antiracistes et féministes notamment au vu des oppressions systémiques citées dans la première partie. Pour lutter contre le statu quo et permettre un rééquilibrage en faveur des populations opprimées, il faut pouvoir s'organiser collectivement, dans des syndicats ou d'autres structures de luttes. En ce qui concerne la répartition des ressources, on peut critiquer les gains générés par la vente d'un livre, et sa représentation dans la culture populaire. Enfin, il faudrait produire drastiquement moins de livres, ou produire mieux, afin de pouvoir appliquer les mesures réparatrices et distributives nécessaires.

a) L'union fait la force

Dans les secteurs culturels, et particulièrement depuis la crise du Covid-19, il faut remettre les luttes syndicales au goût du jour. Ce sont les seuls cadres dans lesquels il est possible de lutter contre les problèmes cités dans la première partie de ce travail de recherche, à savoir : la précarité, le sexisme, la misogynie, les abus sexuels, le surmenage, l'exploitation, la baisse des salaires et la détérioration des conditions de travail. Cependant, dans les maisons d'édition, les freins à l'engagement syndical sont nombreux, même lorsque ce n'est seulement qu'au comité social et économique de l'entreprise. Les intimidations de la part du corps dirigeant, envers les élues du CSE, sont violentes, alors même que ces comités sont obligatoires selon le Code du Travail, et qu'ils ne relèvent même pas d'un travail syndical à proprement parler.

Oser demander une augmentation relève d'une réelle épreuve, contre soi-même et contre son responsable. La première barrière est interne, c'est le manque de confiance en soi qui empêche bon nombre d'éditrices d'exiger le salaire qui correspond à leur niveau de qualification et de responsabilités, mêlée à la culpabilité de demander trop : ces réflexions prennent leur source dans la socialisation des femmes tout au long de leur vie, entraînées à la serviabilité et au silence102. Il faut se renseigner sur la santé financière de son entreprise, et des dividendes qui sont versés chaque année

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102 FRAISSE, Geneviève, La Sexuation du inonde, Paris, éditions des Presses de Sciences Po, 2016.

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Université Paris 13 -- Sorbonne Paris Nord 56

« Les éditeurs réunis au sein du Syndicat des Éditeurs Alternatifs (S.E.A), éditent et publient des livres en s'attachant avant tout à la mise en valeur d'une ouvre ; ni stratégies marketing ni exploitation de droits dérivés ne président à leurs choix éditoriaux. Les éditeurs du S.E.A travaillent en étroite collaboration avec les auteurs, en étant toujours attentifs au respect de leurs droits et de leur ouvre. Les éditeurs du S.E.A, en choisissant de proposer aux lecteurs des ouvres tournées vers la création et éloignées du formatage industriel, s'efforcent d'élargir sans cesse le champ littéraire et visuel existant, tout en stimulant l'émergence et la circulation d'idées. » Ce syndicat réunit cinquante maisons d'édition de taille, nature juridique et de production diverses, parmi lesquelles des maisons d'édition évoquées dans ce mémoire comme les éditions Même Pas Mal, les éditions Lapin ou encore les éditions de L'Association.

Le patrimoine et l'héritage syndicaliste en France a toujours permis une amélioration des conditions de travail pour tous et toutes : il n'y a pas de raison que cette histoire s'arrête au Xxieme siècle. Lorsque l'on parle de redistribution des ressources, on peut commencer par disséquer la répartition des gains de la vente d'un livre, aussi appelé « camembert du prix du livre ».

b) Le « camembert » du prix du livre

Le « camembert » du prix de vente d'un livre est le surnom donné à la représentation sous forme de diagramme circulaire de la décomposition, par acteur, du chiffre d'affaires généré par la vente d'un ouvrage. D'après différentes sources, les parts de camembert sont de tailles variables, représentant un gain inégal selon la contributrice, fautrice étant celle qui touche la plus petite part. On peut opposer différentes critiques sur ce diagramme, autant sur la forme que sur le fond.

C'est sur ce diagramme que se fonde la philosophie éditoriale des éditions Exemplaire : « pour une plus grosse part de camembert ». La part de fautrice est en effet la plus petite parmi les 6 maillons de la chaîne du livre : fautrice, la maison d'édition, le diffuseur, le distributeur, l'imprimerie et la librairie. Cependant, les maillons ne sont pas rémunérés de la même manière, et la représentation de ce diagramme induit le lectorat en erreur. Il n'y a que fautrice qui touche un pourcentage sur la vente d'un livre, qui est fixé dans son contrat d'édition. L'autrice ne touche pas sa part à chaque vente, ses droits lui sont versés annuellement une fois l'à-valoir remboursé et elle n'a pas accès aux outils qui lui permettraient de vérifier les informations financières fournies par la maison d'édition. Les entreprises de diffusion/distribution signent des contrats pluriannuels et sont rémunérés sur des prévisions de programme anticipés à l'avance. Les libraires vendent des livres

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achetés à un tarif préférentiel auprès de la maison d'édition, elles doivent compter sur leur fonds de roulement pour calculer et prévoir leurs bénéfices. La répartition des gains sur le livre est donc beaucoup plus inégalitaire que le diagramme, déjà inéquitable, pourrait le faire penser.

De plus, la part du libraire dépend de ses accords économiques avec la maison d'édition : la Fnac et Amazon peuvent se permettre de négocier des tarifs bien plus avantageux que les petites librairies indépendantes. Il subsiste une énorme méconnaissance de l'existence du prix unique du livre la loi Lang : en 2021, « pour rappeler que le prix du livre est partout le même et inciter les lecteurs â réaliser leurs achats en librairie indépendante, le Syndicat de la librairie française et l'agence régionale du livre en Nouvelle-Aquitaine déploient une opération de communication de grande ampleur106

On peut noter que le mode de financement des autrices a subi un changement radical dans les années 2000 : l'abandon du paiement « à la page » pour passer à un système d'à-valoir remboursable grâce aux ventes de ses titres, avant de toucher ses premiers droits d'autrices. Cette décision a été prise d'un commun accord par le SNE, faisant front pour détériorer collectivement les conditions de vie des autrices.

Utile pour rappeler que l'édition est une économie non seulement fragile, mais aussi complètement inéquitable, le camembert du prix du livre mériterait d'être contextualisé : s'agit-il d'un ouvrage de texte, d'un ouvrage illustré, d'une librairie indépendante, d'une chaîne culturelle ? Quoi qu'il en soit, cette répartition du prix du livre ne met pas suffisamment en évidence les problématiques liées à l'obsolescence des projets et de la surproduction littéraire.

c) Produire moins pour produire mieux ?

Au sein de l'édition scolaire, ce sont les professeures qui sont obligées de se mobiliser contre la surproduction, en manifestant également contre leur ministère de tutelle. En 2020, environ 300 enseignantes ont jeté des manuels scolaires périmés pour protester contre le gaspillage. Leur geste a été condamné par le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui n'avait apparemment pas compris ce qu'impliquait concrètement la réforme des programmes : à peine publiés, ces livres sont déjà obsolètes, condamnés à être pilonnés ou donnés à des associations pour

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106 CHARONNAT, Cécile, « Le SLF en campagne pour le prix unique », Livres Hebdo.fr, 30 juin 2021.

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réunir autour de luttes communes et individuelles, pour créer un mouvement d'ampleur. L'apparition du féminisme intersectionnel, en opposition au féminisme universaliste, propose d'éclairer ces différentes oppressions, pour proposer une réponse qui adresse spécifiquement les luttes nécessaires.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote