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Une réponse anticapitaliste et antipatriarcale à la crise du livre


par Léa Haurie-Hontas
Université Paris 13 - Sorbonne Paris Nord - Master 2 Politiques éditoriales 2020
  

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III. Quelques outils pour devenir une éditrice anticapitaliste et féministe

« La quatrième vague féministe, celle que nous vivons depuis #MeToo, est une révolution de mceurs90 >>. Ce que la journaliste Chloé Delaume appelle la quatrième vague des mouvements féministes, a touché les éditrices françaises comme toutes les femmes. Dans leurs programmes éditoriaux, elles s'attellent de plus en plus à proposer des ouvrages qui militent ouvertement pour l'égalité des sexes, contre le sexisme et le racisme, à la fois par conviction personnelle mais aussi par intérêt marketing. Pour la première fois, ces ouvrages se vendent très bien auprès du grand public, là où ces questions étaient réservées autrefois aux rayons des essais et pour un public d'initiées. Les libraires se dotent aujourd'hui d'un rayon entier intitulé « Féminisme » : le tabou de ce mot aurait-il disparu ? Du moins tant qu'il fait vendre, il ne dérange plus. Réussir à concilier ses convictions féministes ou anticapitalistes avec le quotidien de son métier n'est pas chose facile. Si toutes les éditrices n'ont pas l'opportunité de pouvoir monter leur propre microentreprise, association ou coopérative, toutes peuvent décider de prendre des petites décisions pour mettre leur grain de sable dans les rouages de la machinerie capitaliste. Cet engagement peut prendre différentes formes, comme s'assurer de l'éthique des conditions de travail de toutes les collaboratrices, s'engager dans une justice réparatrice et redistributive, ou se revendiquer ouvertement féministe intersectionnelle.

A. Prendre des engagements éthiques contre des prix compétitifs

Les choix éditoriaux qui perpétuent des dynamiques d'oppression et d'appauvrissement sont tellement ancrés dans les pratiques des maisons d'édition, qu'il paraît impossible de dévier la trajectoire des comptes d'exploitation et de production. Tant pour les matières premières que pour les moyens de communication, de distribution et de diffusion du livre, il est possible de changer les habitudes et contribuer à rendre l'industrie du livre bénéfique à toutes et tous. Parmi le champ des possibles, on retrouve des nouvelles normes de fabrication du papier et de confection des ouvrages

90 DELAUME, Chloé, « Chloé Delaume : "La quatrième vague féministe, celle que nous vivons depuis #MeToo, est une révolution de moeurs" », Causette.fr, 1" novembre 2020.

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qui permettent des impressions plus écologiques, la possibilité de rendre visible le travail non-rémunéré des collaboratrices et enfin, le choix des entreprises de diffusion/distribution qui ne jouent pas le jeu de la surproduction littéraire.

a) Matières premières

Lorsque l'on parle de matières premières de l'industrie du livre, on parle du papier et du carton nécessaires à la confection du livre, et de l'encre pour imprimer le texte et les images. La fabrication d'un livre est un enjeu écologique et politique, dans une société où la question de la préservation de l'environnement est de plus en plus pressante.

Les imprimeries ont davantage intégré dans leur communication la question environnementale et les standards éditoriaux ont opéré un nivellement vers le haut. Aujourd'hui, la plupart des livres indiquent une impression sur du papier issu de forêts gérées durablement. De plus, les sociétés laissent entendre dans leurs outils de communication que l'industrie du livre consomme moins d'arbres que d'autres industries (l'ameublement par exemple), ou que la fabrication du papier n'est pas la cause principale de déforestation, puisque la lignine est extraite à partir de branches élaguées, et non de troncs d'arbres entiers. Enfin, les livres pilonnés seraient tous recyclés. Cependant, qu'advient-il de ce papier recyclé ? Car selon le rapport du WWF sur l'économie circulaire du livre, « â peine plus de 4 500 tonnes de papier recyclé (0,5 % de la consommation française de recyclé) sont utilisées en France pour produire des livres. Le papier recyclé a toujours mauvaise presse chez les éditeurs français. 2 % des livres sont en papier recyclé seulement.91 » Certaines structures de taille moyenne, comme les éditions La Plage, s'engagent à imprimer jusqu'à 20 % de leurs ouvrages sur du papier recyclé. Même les encres qui servent à la coloration du papier se dotent de labels « écologiques ». En remplaçant les huiles minérales pétrochimiques par des huiles végétales (de soja ou de colza), l'impression de livres utilise de plus en plus de ressources renouvelables. Thierry Quinqueton martèle que « le label Imprim'Vert, considéré comme un acquis par les éditeurs, n'a pas encore fait l'unanimité : de l'ordre de 20 % des

91 TAVERNIER, Julien, KING, Lisa, KACPRZAK, Juliette, VALLAURI, Daniel, « Vers une économie plus circulaire dans le livre ? », WWF, 2019.

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imprimeurs de livres ne l'ont pas, bien que la démarche soit peu contraignante et relativement peu

coûteuse.92 »

Beaucoup de progrès ont été réalisés depuis l'industrialisation de la fabrication des livres, mais ces pratiques écologiques doivent être davantage prises en compte dès la genèse des titres, et non comme un bonus ponctuel. De la même manière, les bonnes pratiques concernant les conditions de travail décentes de la main d'oeuvre doivent être renforcées, dans toutes les maisons d'édition.

b) Les petites mains invisibles

Engager de la main d'oeuvre dans des conditions respectant les normes de travail françaises coûte plus cher que celle qui rendra le produit compétitif sur le marché du livre. « La part des livres français réalisés à l'étranger est significative : en moyenne, 30 à 40 %.93 » Dans le cas des livres jeunesse, cette proportion est encore plus large, notamment lorsque la fabrication des ouvrages qui requiert un assemblage à la main, comme les livres à systèmes, « car la fabrication de pop-up reste artisanale : ils ne peuvent être montés que manuellement, nécessitant des heures de pliage et parfois plus de 300 points de colle. Aujourd'hui, c'est donc en Asie que la quasi-totalité de ces livres est imprimée et assemblée.94 » Les livres pop-up ont inondé le marché du livre jeunesse depuis deux décennies. On ne peut aujourd'hui plus ignorer les conditions dans lesquelles les travailleuses asiatiques sont employées : lorsque celles-ci ne sont pas littéralement des enfants, elles sont payées à des tarifs très bas, ne disposent d'aucune sécurité sur leur lieu de travail, vivent dans des lieux insalubres... « La Chine prend des parts de marché sur la fabrication du livre pour enfant quand celle-ci est complexe, pour des raisons liées essentiellement au coût de la main d'ceuvre.95 » C'est donc purement pour des questions d'économies des coûts que ces livres sont imprimés dans des régions du monde qui ne respectent pas les conventions liées au travail des enfants ou à la dignité des travailleuses. Si la fabrication de ces livres devait respecter des conditions décentes de travail, ils ne pourraient pas exister. L'argument éthique n'est presque jamais évoqué dans la présentation d'un projet éditorial qui nécessite une impression en Asie.

92 QUINQUETON, Thierry, « Le livre et l'édition et l'économie sociale et solidaire », Master 2 « Droit et développement de l'économie sociale et solidaire », université de Poitiers, 2017-2018.

93 GRANGERAY, Émilie, « Pop-up, révolution de carton », Le Monde.fr, i décembre 2011.

94 Ibid.

2017-2018.

95 QUINQUETON, Thierry, « Le livre et l'édition et l'économie sociale et solidaire », Master 2 « Droit et développement de l'économie sociale et solidaire », université de Poitiers,

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Le monde de l'édition est peuplé de métiers invisibles, de tout petits maillons pourtant essentiels, qui travaillent dans des conditions parfois difficiles : stagiaires, coursiers, routiers, commerciales... Même si la part invisible du travail sur un livre, c'est encore à fautrice qu'elle revient : certaines maisons demandent à leurs autrices d'ouvrages illustrés de scanner ses pages, les nettoyer, parfois de s'occuper de la maquette, de faire soi-même sa promotion sur les réseaux sociaux... Ce travail non rémunéré mérite pourtant compensation. « Avec un chiffre d'affaires de 326,9 millions d'euros en 2020, le marché de la bande dessinée a très bien résisté à la crise en 2020, avec une croissance de son chiffre d'affaires de 6,3 % par rapport à 2019.96 » Le secteur éditorial est imperméable à la théorie du ruissellement : pendant la pandémie, les chiffres d'affaires du secteur de la bande dessinée ont augmenté par rapport à l'année précédente, sans pour autant offrir d'amélioration des revenus pour toutes les actrices citées précédemment.

L'invisibilisation du travail, notamment celui fourni par des personnes précaires, est un enjeu des luttes anticapitalistes et syndicales. Cela participe au combat pour le rehaussement des salaires, puisque les salariées et les collaboratrices prennent de plus en plus de responsabilités dans leurs fonctions. C'est aussi un combat pour une meilleure répartition du travail, pour lutter contre le chômage de masse. Pour participer à une économie circulaire qui redonne sa place à ces travailleuses, on peut s'intéresser aux entreprises de diffusion et de distribution qui ne s'insèrent pas dans des logiques capitalistes et compétitives.

c) Sortir du monopole des circuits de diffusion/distribution classiques

Sans le travail précieux des commerciales, le catalogue d'une maison d'édition n'aurait que peu de visibilité, peu de potentiel de promotion, et fautrice n'aurait pas la possibilité de rencontrer ses lectrices en librairie. Toutes les maisons d'édition sont obligées d'avoir des commerciales, donc d'être dépendantes des quelques entreprises de diffusion qui existent, et qui appartiennent à de très grands groupes. Comme le montre le planisphère de l'édition Livres Hebdo, et selon Thierry Quinqueton, « dans ce secteur de la chaîne du livre qu'est la diffusion, la tendance depuis de

96 Syndicat National de l'Édition, « Les chiffres de l'édition », Synthèse du rapport statistique du SNE, France et international, 2020-2021, p.7.

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des livres. Au sein des maisons d'édition et dans la composition des catalogues, il est également temps de redistribuer les ressources et redonner leur place aux minorités.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote