L'action des ong internationales dans les camps de refugies de Gore au Tchadpar Auriol DJEKODOUM NADJI Institut des relations internationales du Cameroun/Université de Padoue - Master II en Relations Internationales Option« Coopération Internationale et Action Humanitaire 2019 |
B- La redynamisation du cadre institutionnel et fonctionnelAméliorer la coordination de l'action humanitaire au Tchad du point de vue des structures étatiques, c'est allier à la fois l'organisation de l'accueil des réfugiés et le pilotage des opérations humanitaires. Ceci peut se faire à travers le renforcement des capacités et la mise à disposition des moyens de fonctionnement aux organes existants, notamment la Commission Nationale d'Accueil, de Réinsertion des Réfugiés et des Rapatriés (CNARR) et la Direction Nationale des ONG et des Affaires Humanitaires (DONGAH). Mais pour plus de pragmatisme et d'efficacité, nous recommandons la création d'un organe supplémentaire spécifiquement chargé d'observer l'impact de l'accueil des réfugiés et de l'action des ONG internationales sur le processus de développement socio-économique du pays. En réalité, la coordination de l'action humanitaire pour un pays ne saurait seulement être le fait de s'assurer du bon déroulement des opérations humanitaires et la sécurité des acteurs comme cela semble être le cas actuellement, mais c'est aussi collecter et traiter les données et informations utiles à la prise de décision. Et c'est précisément ces données et informations collectées et traitées qui permettront par exemple d'apprécier l'impact des réfugiés sur le développement socio-économique du pays d'accueil, de formuler des pistes de capitalisation de la présence des réfugiés. Dans le contexte du Tchad où les crises se sont pérennisées, il devient de plus en plus difficile de distinguer les actions de l'aide humanitaire et celles de l'aide au développement. Inversement, les organisations de développement se retrouvent parfois à gérer des situations d'exception et les organisations humanitaires se retrouvent à gérer des actions relevant du domaine de développement. Dans ce contexte, les limites entre les deux secteurs sont d'autant plus difficilement perceptibles que fondamentalement, le développement touche à deux aspects fondamentaux de l'action humanitaire, à savoir la prévention des conflits et la reconstruction. L'idée ici est de conférer une cohérence dans l'action, laquelle donnerait aux agences d'aide humanitaire et de développement et aux donateurs, des éléments susceptibles de mieux orienter leurs interventions. 108 Paragraphe II : L'intégration effective des
facteurs socio-économiques et Traiter du renforcement des dimensions socio-économique (A) et environnementale dans les programmes d'aide humanitaire au Tchad (B), revient en réalité à s'appesantir sur la question du renforcement des liens humanitaires et développement. A- Intégration de la dimension socio-économique dans les programmes d'action des ONG internationales à Goré Au Tchad, les besoins humanitaires découlent de nombreux défis, principalement de la rareté des ressources naturelles, des crises sociopolitiques et des multiples conflits armés qui caractérisent la vie du pays et celle de la majorité de ses voisins. Cette situation expose les populations à des crises humanitaires récurrentes, exacerbant ainsi leurs vulnérabilités et affectant leur capacité de résilience. L'extrême pauvreté et les inégalités, l'accès limité aux services de base, la dégradation de l'environnement, le changement climatique et la croissance démographique plus rapide que la croissance économique et le progrès agricole, auxquels se rajoutent les chocs venus des pays voisins, expliquent en partie la persistance des situations humanitaires dans le pays. Dans ce contexte de pauvreté chronique et de faible développement socio-économique, l'action humanitaire, ne peut être efficace sans une programmation intégrée humanitaire développement. L'analyse des besoins humanitaires au Tchad, essentiellement basée sur les trois crises majeures à savoir, l'insécurité alimentaire et la malnutrition, les mouvements de populations et les urgences sanitaires, a permis de mettre en évidence les causes profondes génératrices des besoins humanitaires multisectoriels qui exposent les populations à une vulnérabilité aigüe ou chronique. Dans l'optique d'apporter une réponse à la problématique de l'autonomie des réfugiés, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a développé une approche alliant l'assistance aux réfugiés et l'aide au développement, connue sous la terminologie de la stratégie de l'aide aux réfugiés et du développement. Cette approche connue sous le nom de l'aide durable, marque un point d'honneur sur la nécessité pour les secours d'être orientés d'emblée vers le développement. L'objectif étant de faire passer les réfugiés à l'autosuffisance et à la mise en oeuvre d'une solution durable à leur situation. Reymond Philippe, Margot Jonas et Margot Antoine disent de l'aide humanitaire durable qu'elle « est une aide dont les effets s'inscrivent dans le long terme. Il ne s'agit pas d'une aide qui dure, mais plutôt d'une aide qui sait évoluer et donner aux populations les conditions nécessaires pour retrouver leur autonomie. Elle doit permettre aux 109 populations une cohabitation sans confrontation, prévenant ainsi l'apparition de nouveaux conflits »119.Une telle approche éviterait aux réfugiés et aux populations locales d'être dépendants de l'aide humanitaire. Sachant que la limitation de la dépendance ou l'autonomisation impacte positivement sur le développement socio-économique du pays d'accueil, l'approche aide durable ne sera que avantageuse pour le Tchad. Si les acteurs humanitaires internationaux n'interviennent pas de manière satisfaisante en matière d'autonomisation des bénéficiaires, il revient à l'Etat du Tchad de s'investir pour rendre cela possible, parce qu'il y va avant tout de son intérêt. Dans la perspective d'apporter de réponses efficaces à ces problématiques, la communauté humanitaire s'est dotée d'un cadre de réponse pluriannuel couvrant la période de2019-2020 aligné à l'UNDAF 2017-2021 (United Nations Development Assistance Framework ou Plan cadre des Nations Unies pour le Développement), lui-même ancré sur le Plan National de Développement du Tchad (PND 2016-2020). Ledit cadre permettra d'engager des actions humanitaires et d'impliquer davantage les acteurs de développement et le gouvernement dans des programmes de réduction progressive des vulnérabilités identifiées au sein des populations réfugiés et locales, grâce à un diagnostic partagé des problèmes de développement et leurs effets sur la persistance des crises humanitaires. S'il est vrai que ce cadre de réponse pluriannuel se trouve en adéquation avec le Plan de Développement National du Tchad, pour ce qui est précisément de la gestion des réfugiés, la démarche aurait pu gagner davantage en efficacité s'il existait un plan stratégique national d'action humanitaire, en plus du Plan National de Développement. Pour le comprendre davantage, il faut dire que le Plan de Développement National fixe en réalité les grandes orientations du développement, mais il revient à chaque secteur d'élaborer des instruments de planification spécifique. Au Tchad, il reviendra par exemple à la Commission Nationale d'Accueil, de Réinsertion des Réfugiés et des Rapatriés, ou à un autre organe dédié et le ministère de tutelle, d'élaborer le plan stratégique national d'action humanitaire. L'approche constitue donc un acquis, mais c'est sa matérialisation dans le contexte tchadien qui pose problème, et ce, en raison de l'insuffisance des instruments d'orientation et de planification stratégique du développement local dans les localités hôtes et du plan d'action stratégique de gestion des réfugiés. A ceci, l'on peut aussi ajouter l'insuffisance de la ressource humaine. S'agissant du renforcement de l'approche de l'intégration des services humains, les acteurs 119R., PHILIPPE, J., MARGOT ET A. MARGOT, Les limites de l'aide humanitaire, SHS Développement Durable et Développement Nord-Sud, Ecole polytechnique de Lausanne, 2006-2007, p. 50.Pour eux, l'aide humanitaire durable s'articule donc autour de cinq piliers : coordination des actions pendant la crise ; approche participative ; aide à la réhabilitation socio-économique ; maintien des traditions locales ;prévention. 110 humanitaires opérant au Tchad doivent pouvoir davantage tenir compte des difficultés des populations hôtes et intégrer ces derniers dans leurs actions d'assistance. Ceci parce qu'en réalité, la présence des réfugiés complexifie leurs conditions de vie. Et pour ce faire, des mesures doivent aussi être prises pour davantage tenir compte de leurs conditions de vie. A ce niveau, il sera concrètement question de mettre sur pieds des mécanismes visant à développer la résilience des populations hôtes face aux difficultés nées de la présence des réfugiés dans leurs villages, mais aussi à développer la résilience des réfugiés pour une autonomisation ou du moins, pour préparer leur intégration ou leur réinstallation. Les mesures visant à renforcer la dimension socio-économique dans l'action humanitaire doivent pouvoir être aussi bien le fait des acteurs humanitaires nationaux que des acteurs humanitaires internationaux. B- Intégration de la dimension environnementale dans les programmes d'action des ONG internationales à Goré D'après l'UNHCR Standing Committee, « Il n'est pas toujours possible de contrôler les modifications des écosystèmes. Si l'on modifie un ou plusieurs facteurs avec un but spécifique tel que le défrichage pour la culture ou le nivellement aux fins d'irrigation, et que cette modification se fonde sur une planification saine, tenant compte de l'impact sur les conditions écologiques, l'écosystème nouvellement établi n'est pas nécessairement inférieur à l'ancien. Le développement d'un nouveau système peut dans ce cas être qualifié de développement contrôlé. Mais si un changement soudain et non planifié survient, il peut conduire à un déséquilibre grave et incontrôlé ayant une incidence sur l'écosystème tout entier, tant dans la région directement touchée qu'au-delà. Le mouvement massif de réfugiés constitue un exemple d'une situation où l'impact sur l'écologie n'est pas totalement contrôlé car le caractère d'urgence du mouvement ne permet pas généralement une planification précoce et adéquate du nouvel habitat »120affirme le Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. De cette affirmation, l'on retient que l'entreprise de préservation de l'environnement dans un contexte d'accueil massif des réfugiés n'est pas chose aisée. Elle peut l'être dans le cas où les activités susceptibles de porter atteinte à l'environnement ont fait l'objet d'une conception et d'une planification stratégique en amont. L'accueil des réfugiés au Tchad est en réalité chose spontanée et ne relève pas d'unetelle démarche, et c'est ce qui explique la dégradation de l'écosystème dans les régions où sont installés les réfugiés. Puisque l'environnement est déjà 120UNHCR Standing Committee : « Impact social et économique d'importantes populations réfugiées sur les pays hôtes en développement », 1997. Source : http://www.unhcr.org/fr 111 considérablement dégradé et que le départ des réfugiés n'est pas pour demain, des mesures méritent d'être prises à l'effet de réduire l'impact sur l'écosystème. S'il est vrai qu'il revient à une instance internationale, en l'occurrence le Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés de coordonner l'action des différents acteurs devant permettre la gestion efficace des réfugiés et la restauration de l'écosystème138,il y a lieu de relever que c'est d'abord l'Etat du Tchad qui est interpellé en premier chef. Il devra donc faire preuve d'une démarche diplomatique efficace pour mobiliser les acteurs internationaux autour de la question de restauration de l'écosystème dans les régions dont les écosystèmes ont été affectés par la présence des réfugiés. En plus de la mobilisation des acteurs internationaux, l'Etat tchadien devra en interne, prendre aussi des mesures de protection ou de restauration de l'environnement. Les actions des organisations humanitaires internationales et celle du Tchad, devront donc conduire à la mobilisation des compétences et des ressources financières nécessaires à la restauration de l'environnement des zones d'implantation des camps de réfugiés. La grande détresse que provoquent les crises humanitaires pousse les organisations humanitaires à intervenir. Mais comment peuvent-elles intervenir afin d'alléger les souffrances des personnes sans alimenter les conflits, sans entraver les efforts locaux et sans induire des effets pervers de dépendance ? Un élément de réponse est apporté aujourd'hui au travers des programmes de soutien à la résilience. Un programme qui oeuvre au renforcement des capacités à résister et à absorber les chocs lors de la crise. La mise en oeuvre de ce programme permettrait de diminuer le degré de vulnérabilité de la population et d'éviter la dégradation de la situation humanitaire. Cette stratégie doit être envisagée à plusieurs niveaux socio-économiques. Il s'agira notamment de la : Résilience des individus : permettre aux personnes de faire face aux chocs épidémiologiques et climatiques, ainsi qu'aux stress dus au manque de nourriture et de sécurité. Pour ce faire, il faut mettre en place des programmes qui, tout en comblant leurs besoins vitaux, ne les mettent pas dans une position de dépendance, par exemple dans le en développant un programme d'aide combinant aide alimentaire limitée - soutien à la relance agricole. De fait, cela consistera en la limitation et/ou réduction de l'aide alimentaire directe et un investissement massif dans le développement de l'agriculture. Mais pour réussir, il est fondamental d'être d'abord à l'écoute, de cerner les besoins réels et de voir ce qui est encore à disposition. Un exemple concret de réussite en matière de relance de l'agriculture qui pourrait inspirer est celui du Malawi amplement détaillé par Mathilde Douillet de Fondation pour l'Agriculture et la Ruralité dans le Monde (FARM)121. 121M., Douillet, La relance de la production agricole au Malawi : succès et limites, FARM, mars 2011 p. 3. Dans 112 |
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