B- Les insuffisances institutionnelles et
fonctionnelles
Pour un Etat, quelque soit le secteur d'activité,
l'existence d'institutions dédiées et d'une coordination entre
les différents acteurs est un gage supplémentaire de
succès. L'accueil des réfugiés au Tchad et l'encadrement
de l'action des ONG sont quelque peu caractérisés par une
insuffisance institutionnelle au niveau étatique et une faible
coordination entre les organes étatiques existants d'une part et les
Organisations Internationales d'autre part. Globalement, le niveau
d'implication de l'Etat du Tchad dans l'organisation de l'accueil des
réfugiés et la gestion de l'aide humanitaire reste très
insuffisant. Du point de vue institutionnel étatique, il existe
principalement trois structures qui interviennent directement dans ce secteur.
Il s'agit notamment de la Commission Nationale d'Accueil, de Réinsertion
des Réfugiés et des Rapatriés (CNARR) chargée de
mettre en application les instruments juridiques internationaux et les lois
nationales relatives aux réfugiés et aux demandeurs d'asile et
d'autres fonctions ci-dessus citées, du Détachement
Intégré de Sécurité (DIS), chargé d'assurer
la sécurité des réfugiés, des personnes civiles et
des travailleurs humanitaires et de la Direction Nationale des ONG et des
Affaires Humanitaires (DONGAH) qui s'occupe des aspects administratifs ayant
trait au fonctionnement des ONG et techniques relatifs au contenus des
programmes exécutés
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parles acteurs humanitaires. Mais dans les faits, à
l'exception de la CNARR et du DIS qui sont effectivement présents sur le
terrain, la DONGAH traine les pieds pour assurer son implication réelle
dans la mise en oeuvre effective des programmes humanitaires portés par
les différents acteurs. La faiblesse de la DONGAH peut, dans une
certaine mesure, résulter de l'absence de textes juridiques l'instituant
et définissant des attributions mais au-delà de ce
problème, on relève aussi le manque de moyen financier
conséquent attribuer à cette structure qui a un rôle
crucial à jouer dans l'encadrement des actions des ONG. Elle
dépend majoritairement des allocations et dons faits par les ONG, ceci
affecte son efficacité et son objectivité notamment dans
l'accomplissement de ses missions de suivi-évaluation des actions des
ONG. De façon générale, tous ces organes de l'Etat ne
disposent pas suffisamment de moyens matériels, financiers et techniques
pouvant garantir l'autonomie et l'efficacité de leurs actions. Ils sont
largement dépendants des appuis multiformes des partenaires
internationaux. Pour ce qui est de la CNARR et du DIS, étant
donné qu'ils ont des rôles très importants, voire
indispensables pour les opérations humanitaires, des moyens
conséquents sont mis à leur disposition par les acteurs
internationaux. Par contre la Direction Nationale des ONG (DONG) dont le
rôle reste le plus important pour l'Etat du Tchad. L'importance du
rôle de la DONG pour l'Etat tchadien tient en ce qu'il est chargé
du contrôle de l'action des ONG sur le plan administratif et sur le plan
de la qualité des programmes qu'elles mettent en oeuvre. L'insuffisance,
voire l'absence des moyens mis à la disposition de cette structure de
contrôle fait que l'Etat n'a pas la possibilité d'avoir un regard
effectif sur les opérations des ces organisations. Ce qui peut permettre
un certain nombre de pratiques répréhensibles de la part de
certains de ces acteurs. Car, même si la majorité des
organisations humanitaires présentes au Tchad ont des actions
très objectives, effectivement altruistes et recherchant essentiellement
la satisfaction des besoins vitaux des populations vulnérables,
certaines ont des visées inavouées et se versent parfois dans des
pratiques affairistes. D'où l'importance pour l'Etat du Tchad de mettre
en place des structures ou de renforcer les compétences de celles qui
existent et de les doter des moyens conséquents pour leur permettre de
se déployer proprement. Cela aura l'avantage de permettre au pays
d'avoir une vue générale sur les opérations humanitaires
sur son territoire. En l'état actuel des choses, l'Etat du Tchad semble
déléguer la gestion des opérations humanitaires aux
agences des Nations Unies et aux Organisations Non-Gouvernementales
organisées autour de Coordination Humanitaire. La Coordination
Humanitaire est constituée des Représentants des Agences chefs de
File des Clusters, des représentants des agences humanitaires y compris
le PNUD.
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Au delà de la non-prise en compte réelle des
intérêts stratégiques du pays dans les décisions
opérationnelles, l'on remarque également que la non-implication
réelle du Tchad dans le système de coordination humanitaire se
traduit également par la non-prise en compte des réalités
socio-économiques et culturelles des populations
bénéficiaires des programmes et l'implémentation des
projets ou la délivrance d'aide humanitaire non-adaptés. Pierre
MICHELETTI, président de Médecins du Monde, affirme à cet
effet que « Les projets en cours qui visent à standardiser ou
à quantifier les interventions humanitaires sont inquiétants, car
ils font courir le risque d'une approche normative de la solidarité
internationale. Moins que jamais, la complexité des terrains ne peut se
satisfaire de telles modalités. Si ces recherches de nationalité
sont louables, la démarche comporte cependant le risque de
réduire l'aide humanitaire à une mise à disposition d'une
logistique, négligeant l'étude des mécanismes sociaux et
politiques du contexte d'intervention et niant toute collaboration des
populations et des professionnels locaux à la définition
même des besoins »113. De cette affirmation, il
apparait clairement que Pierre MICHELETTI, éprouve de la réserve
quant à la quantification des opérations humanitaires. L'on peut
donc être conduit à relever que, pour un Etat qui entend inscrire
son action humanitaire dans une planification stratégique nationale
à l'effet de mettre en adéquation l'accueil des
réfugiés avec ses capacités ou ses possibilités
d'accueil, la démarche de quantification n'est pas sans importance. Et
parce que le mécanisme devant permettre au Tchad d'avoir une
lisibilité réelle sur les opérations humanitaires est
insuffisant, il est indiqué qu'il entreprenne des études
appropriées dont les résultats lui permettraient d'orienter sa
politique de gestion des réfugiés et de l'action humanitaire afin
de mieux l'aligner à sa stratégie nationale de
développement. Aux insuffisances relatives aux cadres institutionnels
(structures étatiques de coordination) et de coordination (instruments
de gestions des réfugiés), vient s'ajouter la faiblesse de prise
en compte de la dimension socio-économique et environnementale dans la
définition des programmes de l'aide humanitaire au Tchad.
Paragraphe II : Insuffisance de la dimension
socioéconomique et environnementale dans la définition des
programmes d'action à Coré
La question de l'environnement est aujourd'hui un
problème sensible qui mobilise l'attention des tous. Cependant, les ONG
internationales dans leurs actions à Goré ne lui accorde qu'une
place marginale. De ce fait, il serait adéquat d'étudier les
limites de cette prise
113Pierre MICHELETTI, Humanitaire : s'adapter ou
renoncer, Paris, Hachette Marabout, 2008, p. 124
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en compte. Néanmoins, nous procéderons
préalablement à l'élucidation des insuffisances
socioéconomiques.
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