B- Les fondements sociologiques de l'action des ONG
internationales
En effet, dès l'antiquité la première
assistance « étatique » est instaurée par l'empire
romain. Au moyen âge, dans les villes, émergea une
sociabilité professionnelle basée sur le
59Pedanius DIOSCORIDE, est né entre les
années 20 et 40 ap. J.-C., à Anazarbe en Cilicie et mort vers 90
ap. J.-C. C'est un médecin, pharmacologue et botaniste grec dont
l'oeuvre a été une source de connaissances majeures en
matière de remèdes de nature végétale, animale ou
minérale, durant les 1 500 ans que couvrent les époques de
l'Empire romain, de l'Empire byzantin, de la période arabe classique et
du Moyen Âge au début de l'époque moderne en Europe.
32
principe d'entraide entre les membres d'un corps de
métier. Progressivement cette sociabilité s'est étendue
au-delà du cadre familial ou professionnel pour s'intéresser aux
membres de famille des collègues, puis aux pauvres de la cité.
Bien qu'exceptionnel, ce lien entre assistance mutuelle et statut professionnel
fut le support essentiel de l'actuel système de solidarité
sociale.
Les philosophes des Lumières, qui fondent leur
réflexion sur la raison plus que sur la religion, disent qu'il est du
devoir de l'homme de combattre les inégalités sociales et de
défendre la solidarité et le progrès60. Il ne
s'agit plus alors de soulager les souffrances des démunis, mais de
contester l'ordre établi. Ainsi, l'obligation d'assister les pauvres n'a
plus de fondement exclusivement religieux, mais puise également son
origine dans l'humanisme et la philanthropie. Au XVIIIe
siècle, la pauvreté n'est désormais plus perçue
comme un vice individuel, mais comme une faille du « contrat social »
rousseauiste61. Fort de cette nouvelle orientation, durant le
XIXe siècle, des mouvements mutualistes instituèrent
la solidarité et la prévoyance avec pour principes, de distribuer
une aide aux plus démunis et d'apprendre à la population à
prévoir les catastrophes.
D'autre part, alors que l'industrialisation et l'urbanisation
s'accélèrent en Occident, convaincue de la
supériorité de sa civilisation, l'Europe du XIXe
siècle chercha à exporter les bienfaits de l'éducation, du
progrès technologique et la science, mettant en place des grands
programmes de développement dans les pays pauvres notamment en Afrique.
C'est ainsi que l'opinion publique occidentale construite par le «
fardeau de l'homme blanc » du poète et écrivain
britannique Rudyard KIPLING62, a contribué à
l'émergence de l'intervention des ONG internationales dans les camps de
réfugiés au Tchad.
Par ailleurs, à cause de sa complexité,
l'histoire de l'humanité n'est rectiligne. D'autres facteurs ont
contribué au cours des diverses périodes à une
modification de la structure internationale. Le mouvement de
décolonisation des années 1960 a soumis l'ordre international
à une nouvelle structuration, due à l'accès à
l'indépendance de nouveaux acteurs étatiques, dont les pays en
voie de développement et parmi lesquels le Tchad. Ces nouveaux sujets de
droit international intègrent la collectivité des nations
souveraines et au vu difficultés rencontrées, ils
réclament une participation de la société internationale
à leur processus de développement. Les
60Jean Jacques ROUSSEAU, Du contrat social et
Principes du droit politique, version numérique
rédigée par Jean-Marie TREMBLAY, Les classiques des sciences
sociales, l'Université de Québec, Chicoutimi, canada, 2002.
61ibid
62Rudyard KIPLING, « The white man's burden :
the United States and the Philippine Islands », in McClure's
Magazine, vol. 12, n 4, Février 1899, p. 290.
33
organismes des Nations Unies furent progressivement
créés à cet effet. L'expression d'Organisation Non
Gouvernementale (ONG) apparait alors dans le vocabulaire international
à l'article 71 de la charte des Nations Unies63, qui
reconnait au Conseil Economique et Social le pouvoir de consulter les
Organisation Non Gouvernementales qui s'occupent des questions
relevant de sa compétence.
Les organisations de la société civile des pays
du Nord expriment aussi un élan de solidarité à l'endroit
des populations de ces jeunes Etats. Les premières d'entre elles
s'installent au Tchad au cours des années 1960. Leur émergence
témoigne tout d'abord de la compassion de ces acteurs non
gouvernementaux, mais aussi du faible niveau de développement du jeune
Etat. Leurs actions couvrent des domaines variés et ont pour but commun
avoué, le développement. Depuis les indépendances des pays
africains parmi lesquels le Tchad, ont aussi contribué d'une
manière significative à l'émergence des ONG et à
leur déploiement au-delà des frontières de leurs pays
d'origine. L'action des ONG internationales dans les camps de
réfugiés de Goré au Tchad trouve en ces deux faits
socio-historiques ses fondements.
1- La conception occidentale de la
solidarité
Recommandation formelle à l'homme blanc, le devoir de
« civiliser » de venir en aide et d'administrer les populations
colonisées, une démonstration de la mentalité progressiste
des occidentaux d'alors, qui se considèrent être porteurs d'un
devoir de civilisation du reste du monde. Symbole de l'eurocentrisme de
l'époque précoloniale, le « Fardeau de l'homme
»64 n'a pas eu raison que la justification de la colonisation
en tant que mission civilisatrice. L'oeuvre de R. KIPLING est au centre de la
construction mentale de la supériorité de la race blanche par
rapport aux autres, car, plusieurs décennies après les
colonisations, animées par le même complexe de
supériorité, les occidentaux continuent de porter sur eux la
« croix » de l'humanité. Pour mieux illustrer cette
affirmation, le langage de Charles CONDAMINES en est le reflet : il faut en
finir avec la faim et la misère qui accablent des centaines de millions
d'habitants de notre petite planète. Il faut que ça change
!65
Au moment où l'occident accentuait son boum industriel
et urbain, convaincu de la supériorité de sa civilisation,
l'Europe du XIXe siècle chercha à exporter les
bienfaits de
63 Charte des Nations Unies.
64Rudyard KIPLING, « The White Man's
Burden: The United States and the Philippine Islands », McClure's
Magazine, vol. 12, no 4, 1899, p. 290.
65 Charles CONDAMINES, « L'aide humanitaire entre la
politique et les affaires », Paris, L'Harmattan, 1989, p.161
34
l'éducation, du progrès technologique et de la
science. L'action humanitaire des colonisateurs, si elle aboutit à une
soumission politique et culturelle, se prévalut d'un réel
progrès des maladies, de vaccination et de soins.
Le discours du président Truman lors de son investiture
au Congrès américain le 20 janvier 1949 va dans la même
logique. Il reconnait que l'hémisphère sud de la planète
est sous-développé et incapable d'améliorer la production.
Le président Truman affirma en effet qu'il était temps de lancer
un nouveau et audacieux programme mondial pour exploiter les avantages du
progrès technologique américain dans le but d'éliminer les
souffrances de nombreux peuples qualifiés de
sous-développés. Ce discours marqua également le
début de l'ère de la coopération internationale au
développement66.
Dans le souci de comprendre ce que pensent les occidentaux au
sujet de l'aide au développement, des relations Nord-Sud, des pays en
voie de développement et de la faim dans le monde, des sondages ont
été réalisés. Il en ressort un certain nombre
d'indications chiffrées à base desquelles l'on peut constater que
deux tiers d'européens pensent que dans dix ans, la faim et la
pauvreté n'auront pas reculé dans le Tiers-monde et que le
fossé entre les pays riches et les pays pauvres se sera
élargi67.
L'ambition de la prise en charge du sort de l'humanité
par les occidentaux est donc une évidence. Mais cette prise en charge
est davantage envisagée dans une nouvelle approche, celle qui consiste
à financer les « petits » projets de développement dans
les pays pauvres à travers les ONG internationales. Cette approche
semble mieux garantir l'atteinte de l'aide octroyée aux populations
pauvres des pays en développement. Grâce aux multiples critiques
et pressions des observateurs de l'aide au développement, il apparait
clairement dans l'opinion publique occidentale qu'il faille rompre avec la
forme d'aide qui conduit aux grands projets n'ayant que peu d'impact direct sur
le sort des plus démunis. Le manque de participation des
bénéficiaires de l'aide constituant un obstacle important
à la réussite des projets de développement qui se privent
ainsi d'apports multiples, il s'avère plus qu'impératif
d'impliquer des acteurs non gouvernementaux, c'est-à-dire les ONG
internationales, dans la définition et la mise en oeuvre
66 ELAME ESOH, « Histoire et fondements du concept de
développement durable » : Unité 6 Développement et
interculturalité : concepts et outils, Master Course «
Coopération internationale, Action humanitaire et Développement
Durable » Centro Interateneo per la Ricerca Didattica e la Formazione
Avanzata, Universita Cà Foscari di Venezia, 2011, p.4.
67 Sondage réalisé dans le CEE par European
Cooperation and Solidarity en 1983 et 1987. Dans chacun des pays membres de la
CEE, des questions identiques ont été posées à des
échantillons représentatifs de la population âgée de
plus de 15 ans
35
des politiques de développement. C'est ainsi que
l'opinion publique occidentale a contribué à l'émergence
des ONG internationales et leur déploiement en Afrique en
général et au Tchad en particulier, notamment à
Goré. Cependant, si l'opinion publique occidentale est un facteur
déterminant de l'oeuvre des ONG internationales dans cette
région, il y'a lieu de noter qu'elle n'est pas une exclusivité.
Il importe d'évoquer également le rôle «
communauté internationale » dans cette évolution.
2- De la conception occidentale à la carence des
politiques locales de développement depuis les indépendances en
Afrique
Après la période coloniale, l'ordre
international a été soumis à une nouvelle structuration.
Celle-ci est due à l'accès à l'indépendance de
nouveaux acteurs étatiques, dont plusieurs pays africains. Ces nouveaux
sujets de droit international intègrent la collectivité des
nations souveraines, mais pas sans difficultés. Par exemple, au vu des
multiples embuches qui jalonnent le processus de développement de ces
jeunes Etats, et de l'écart qui les distingue de la métropole, il
leur est successivement attribué des appellations de : « pays
du tiers-monde », « pays sous-développés », «
pays en voie de développement », ou même « pays pauvres
très endetté (PPTE) »68.
Dès leurs indépendances, les jeunes Etats ont
adopté des vastes projets dans les domaines de l'industrie et des
infrastructures, sur le modèle ultra-capitaliste occidental. Ayant
heurté de front les exigences socioculturelles locales, ces grands
investissements qui n'avaient pour but que la mise en oeuvre des politiques de
développement calquées sur le modèle des pays occidentaux,
les organismes internationaux et les programmes d'aide bilatéraux
Nord-Sud. Au profit des projets dont les pays occidentaux tiraient avantage et
qu'ils étaient les seuls à s'offrir, le développement
local a été négligé69. Quand il avait
même été démontré que les populations locales
étaient bénéficiaires d'une action, celle-ci avait
été réalisée soit en marge de leur participation ou
alors à travers une implication forcée, au mépris de la
dignité humaine. L'on peut prendre l'exemple du Cameroun voisin pour
signaler la construction du chemin de
68Le 20 janvier 1949, le président des
États-Unis Harry S. Truman prononce le discours d'investiture de son
deuxième mandat à la Maison Blanche. À cette occasion, il
désigne du doigt la grande pauvreté qui affecte la moitié
de l'humanité. C'est la première fois qu'est employée
l'expression « sous-développé » à
propos des pays qui n'ont pas encore atteint le stade industriel. Elle fait
florès de même que l'expression « tiers monde »
inventée peu après, en 1952, par le démographe Alfred
Sauvy.
69 Alexander KING et Bertrand SCHNEIDER, « Questions de
survie, la révolution mondiale a commencé »,
Calmann-Levy, 1991, p.147
36
fer par la REGIFERCAM en 196970. Ainsi que la
construction de l'oléoduc du projet Pipeline
Tchad-Cameroun71. Les conséquences directes de ces politiques
de développement ont été et ont encore aujourd'hui :
l'endettement de nombreux pays africains, l'importation des produits de
première nécessité, la crise alimentaire et le rejet des
projets par les populations locales pour ne citer que celles-là.
Ces projets que M.C. GUENEAU désigne sous le vocable
« non-sens économique »72 se sont
attiré beaucoup de critiques, car l''on peut dresser un catalogue des
désastres tels que les expropriations ou la destruction de
l'environnement local et dont les leçons semblent n'avoir pas
été apprises. Face à cette situation, les pays occidentaux
ont dû revoir leur politique d'aide au développement. Il semble
plus qu'impératif d'impliquer dans le processus de développement,
une nouvelle catégorie d'acteurs, parmi lesquels les ONG. Celles-ci se
positionnent comme des véritables accompagnateurs des populations,
qu'elles ont le mandat d'aider à s'organiser et à se poser en
interlocuteur des acteurs en place.
Conscientes de ce que facteur primordial de la réussite
d'un projet, de développement est la participation effective et la
responsabilisation des bénéficiaires à toutes les phases
de sa mise en oeuvre, les ONG trouvent en la promotion de cet idéal, un
fondement à leur oeuvre dans les pays en voie de développement.
La nouvelle conception de la solidarité humaine qui s'est construite
à travers l'opinion publique occidentale et renforcée par
l'insuffisance des politiques de développement semble universaliser et
légitimer toute action visant à soulager les souffrances et
lutter contre la pauvreté. Il convient à cet effet de nous
pencher sur les bases juridico-institutionnelles de l'action de ces
dernières au Tchad précisément à Goré dans
les camps de réfugiés.
Paragraphe II : Les instruments juridiques et les
mécanismes institutionnels de l'action des ONG internationales au
Tchad
Les ONG internationales sont des organisations dont le
siège et situé en dehors du pays dans lequel elles interviennent.
Autrement appelées « association étrangère »,
elles accompagnent l'Etat dans la conception et la mise en oeuvre des
politiques de développement
70 Bernard NKUISSI, « Nkongsamba, les années
obscures de la fondation », mémoire DES en histoire,
université de Lille, 1977, p.47.
71 Jean Hermann WAYA, « Analyse de la gestion
environnementale du projet Pipeline Tchad-Cameroun dans la localité de
Bélabo », monographie de DCJA en Sciences Techniques d'Animation,
INJS de Yaoundé, 2010, p.22. 72Marie-Christine GUENEAU,
« Les petits projets de développement sont-ils efficaces ? »,
Paris, L'Harmattan, 1986. P.25
37
conformément aux dispositions légales. Au vu de
leur tâche importante, l'on a besoin de mettre sur pied des structures et
mécanismes pouvant réguler leur fonctionnement d'où la
nécessité d'étudier les instruments pouvant encadrer ces
ONG (A) ainsi que les instances compétentes pour
veiller à l'observation de ces instruments
juridiques(B).
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