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L'action des ong internationales dans les camps de refugies de Gore au Tchad


par Auriol DJEKODOUM NADJI
Institut des relations internationales du Cameroun/Université de Padoue - Master II en Relations Internationales Option« Coopération Internationale et Action Humanitaire  2019
  

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B- Les fondements sociologiques de l'action des ONG internationales

En effet, dès l'antiquité la première assistance « étatique » est instaurée par l'empire romain. Au moyen âge, dans les villes, émergea une sociabilité professionnelle basée sur le

59Pedanius DIOSCORIDE, est né entre les années 20 et 40 ap. J.-C., à Anazarbe en Cilicie et mort vers 90 ap. J.-C. C'est un médecin, pharmacologue et botaniste grec dont l'oeuvre a été une source de connaissances majeures en matière de remèdes de nature végétale, animale ou minérale, durant les 1 500 ans que couvrent les époques de l'Empire romain, de l'Empire byzantin, de la période arabe classique et du Moyen Âge au début de l'époque moderne en Europe.

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principe d'entraide entre les membres d'un corps de métier. Progressivement cette sociabilité s'est étendue au-delà du cadre familial ou professionnel pour s'intéresser aux membres de famille des collègues, puis aux pauvres de la cité. Bien qu'exceptionnel, ce lien entre assistance mutuelle et statut professionnel fut le support essentiel de l'actuel système de solidarité sociale.

Les philosophes des Lumières, qui fondent leur réflexion sur la raison plus que sur la religion, disent qu'il est du devoir de l'homme de combattre les inégalités sociales et de défendre la solidarité et le progrès60. Il ne s'agit plus alors de soulager les souffrances des démunis, mais de contester l'ordre établi. Ainsi, l'obligation d'assister les pauvres n'a plus de fondement exclusivement religieux, mais puise également son origine dans l'humanisme et la philanthropie. Au XVIIIe siècle, la pauvreté n'est désormais plus perçue comme un vice individuel, mais comme une faille du « contrat social » rousseauiste61. Fort de cette nouvelle orientation, durant le XIXe siècle, des mouvements mutualistes instituèrent la solidarité et la prévoyance avec pour principes, de distribuer une aide aux plus démunis et d'apprendre à la population à prévoir les catastrophes.

D'autre part, alors que l'industrialisation et l'urbanisation s'accélèrent en Occident, convaincue de la supériorité de sa civilisation, l'Europe du XIXe siècle chercha à exporter les bienfaits de l'éducation, du progrès technologique et la science, mettant en place des grands programmes de développement dans les pays pauvres notamment en Afrique. C'est ainsi que l'opinion publique occidentale construite par le « fardeau de l'homme blanc » du poète et écrivain britannique Rudyard KIPLING62, a contribué à l'émergence de l'intervention des ONG internationales dans les camps de réfugiés au Tchad.

Par ailleurs, à cause de sa complexité, l'histoire de l'humanité n'est rectiligne. D'autres facteurs ont contribué au cours des diverses périodes à une modification de la structure internationale. Le mouvement de décolonisation des années 1960 a soumis l'ordre international à une nouvelle structuration, due à l'accès à l'indépendance de nouveaux acteurs étatiques, dont les pays en voie de développement et parmi lesquels le Tchad. Ces nouveaux sujets de droit international intègrent la collectivité des nations souveraines et au vu difficultés rencontrées, ils réclament une participation de la société internationale à leur processus de développement. Les

60Jean Jacques ROUSSEAU, Du contrat social et Principes du droit politique, version numérique rédigée par Jean-Marie TREMBLAY, Les classiques des sciences sociales, l'Université de Québec, Chicoutimi, canada, 2002. 61ibid

62Rudyard KIPLING, « The white man's burden : the United States and the Philippine Islands », in McClure's Magazine, vol. 12, n 4, Février 1899, p. 290.

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organismes des Nations Unies furent progressivement créés à cet effet. L'expression d'Organisation Non Gouvernementale (ONG) apparait alors dans le vocabulaire international à l'article 71 de la charte des Nations Unies63, qui reconnait au Conseil Economique et Social le pouvoir de consulter les Organisation Non Gouvernementales qui s'occupent des questions relevant de sa compétence.

Les organisations de la société civile des pays du Nord expriment aussi un élan de solidarité à l'endroit des populations de ces jeunes Etats. Les premières d'entre elles s'installent au Tchad au cours des années 1960. Leur émergence témoigne tout d'abord de la compassion de ces acteurs non gouvernementaux, mais aussi du faible niveau de développement du jeune Etat. Leurs actions couvrent des domaines variés et ont pour but commun avoué, le développement. Depuis les indépendances des pays africains parmi lesquels le Tchad, ont aussi contribué d'une manière significative à l'émergence des ONG et à leur déploiement au-delà des frontières de leurs pays d'origine. L'action des ONG internationales dans les camps de réfugiés de Goré au Tchad trouve en ces deux faits socio-historiques ses fondements.

1- La conception occidentale de la solidarité

Recommandation formelle à l'homme blanc, le devoir de « civiliser » de venir en aide et d'administrer les populations colonisées, une démonstration de la mentalité progressiste des occidentaux d'alors, qui se considèrent être porteurs d'un devoir de civilisation du reste du monde. Symbole de l'eurocentrisme de l'époque précoloniale, le « Fardeau de l'homme »64 n'a pas eu raison que la justification de la colonisation en tant que mission civilisatrice. L'oeuvre de R. KIPLING est au centre de la construction mentale de la supériorité de la race blanche par rapport aux autres, car, plusieurs décennies après les colonisations, animées par le même complexe de supériorité, les occidentaux continuent de porter sur eux la « croix » de l'humanité. Pour mieux illustrer cette affirmation, le langage de Charles CONDAMINES en est le reflet : il faut en finir avec la faim et la misère qui accablent des centaines de millions d'habitants de notre petite planète. Il faut que ça change !65

Au moment où l'occident accentuait son boum industriel et urbain, convaincu de la supériorité de sa civilisation, l'Europe du XIXe siècle chercha à exporter les bienfaits de

63 Charte des Nations Unies.

64Rudyard KIPLING, « The White Man's Burden: The United States and the Philippine Islands », McClure's Magazine, vol. 12, no 4, 1899, p. 290.

65 Charles CONDAMINES, « L'aide humanitaire entre la politique et les affaires », Paris, L'Harmattan, 1989, p.161

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l'éducation, du progrès technologique et de la science. L'action humanitaire des colonisateurs, si elle aboutit à une soumission politique et culturelle, se prévalut d'un réel progrès des maladies, de vaccination et de soins.

Le discours du président Truman lors de son investiture au Congrès américain le 20 janvier 1949 va dans la même logique. Il reconnait que l'hémisphère sud de la planète est sous-développé et incapable d'améliorer la production. Le président Truman affirma en effet qu'il était temps de lancer un nouveau et audacieux programme mondial pour exploiter les avantages du progrès technologique américain dans le but d'éliminer les souffrances de nombreux peuples qualifiés de sous-développés. Ce discours marqua également le début de l'ère de la coopération internationale au développement66.

Dans le souci de comprendre ce que pensent les occidentaux au sujet de l'aide au développement, des relations Nord-Sud, des pays en voie de développement et de la faim dans le monde, des sondages ont été réalisés. Il en ressort un certain nombre d'indications chiffrées à base desquelles l'on peut constater que deux tiers d'européens pensent que dans dix ans, la faim et la pauvreté n'auront pas reculé dans le Tiers-monde et que le fossé entre les pays riches et les pays pauvres se sera élargi67.

L'ambition de la prise en charge du sort de l'humanité par les occidentaux est donc une évidence. Mais cette prise en charge est davantage envisagée dans une nouvelle approche, celle qui consiste à financer les « petits » projets de développement dans les pays pauvres à travers les ONG internationales. Cette approche semble mieux garantir l'atteinte de l'aide octroyée aux populations pauvres des pays en développement. Grâce aux multiples critiques et pressions des observateurs de l'aide au développement, il apparait clairement dans l'opinion publique occidentale qu'il faille rompre avec la forme d'aide qui conduit aux grands projets n'ayant que peu d'impact direct sur le sort des plus démunis. Le manque de participation des bénéficiaires de l'aide constituant un obstacle important à la réussite des projets de développement qui se privent ainsi d'apports multiples, il s'avère plus qu'impératif d'impliquer des acteurs non gouvernementaux, c'est-à-dire les ONG internationales, dans la définition et la mise en oeuvre

66 ELAME ESOH, « Histoire et fondements du concept de développement durable » : Unité 6 Développement et interculturalité : concepts et outils, Master Course « Coopération internationale, Action humanitaire et Développement Durable » Centro Interateneo per la Ricerca Didattica e la Formazione Avanzata, Universita Cà Foscari di Venezia, 2011, p.4.

67 Sondage réalisé dans le CEE par European Cooperation and Solidarity en 1983 et 1987. Dans chacun des pays membres de la CEE, des questions identiques ont été posées à des échantillons représentatifs de la population âgée de plus de 15 ans

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des politiques de développement. C'est ainsi que l'opinion publique occidentale a contribué à l'émergence des ONG internationales et leur déploiement en Afrique en général et au Tchad en particulier, notamment à Goré. Cependant, si l'opinion publique occidentale est un facteur déterminant de l'oeuvre des ONG internationales dans cette région, il y'a lieu de noter qu'elle n'est pas une exclusivité. Il importe d'évoquer également le rôle « communauté internationale » dans cette évolution.

2- De la conception occidentale à la carence des politiques locales de développement depuis les indépendances en Afrique

Après la période coloniale, l'ordre international a été soumis à une nouvelle structuration. Celle-ci est due à l'accès à l'indépendance de nouveaux acteurs étatiques, dont plusieurs pays africains. Ces nouveaux sujets de droit international intègrent la collectivité des nations souveraines, mais pas sans difficultés. Par exemple, au vu des multiples embuches qui jalonnent le processus de développement de ces jeunes Etats, et de l'écart qui les distingue de la métropole, il leur est successivement attribué des appellations de : « pays du tiers-monde », « pays sous-développés », « pays en voie de développement », ou même « pays pauvres très endetté (PPTE) »68.

Dès leurs indépendances, les jeunes Etats ont adopté des vastes projets dans les domaines de l'industrie et des infrastructures, sur le modèle ultra-capitaliste occidental. Ayant heurté de front les exigences socioculturelles locales, ces grands investissements qui n'avaient pour but que la mise en oeuvre des politiques de développement calquées sur le modèle des pays occidentaux, les organismes internationaux et les programmes d'aide bilatéraux Nord-Sud. Au profit des projets dont les pays occidentaux tiraient avantage et qu'ils étaient les seuls à s'offrir, le développement local a été négligé69. Quand il avait même été démontré que les populations locales étaient bénéficiaires d'une action, celle-ci avait été réalisée soit en marge de leur participation ou alors à travers une implication forcée, au mépris de la dignité humaine. L'on peut prendre l'exemple du Cameroun voisin pour signaler la construction du chemin de

68Le 20 janvier 1949, le président des États-Unis Harry S. Truman prononce le discours d'investiture de son deuxième mandat à la Maison Blanche. À cette occasion, il désigne du doigt la grande pauvreté qui affecte la moitié de l'humanité. C'est la première fois qu'est employée l'expression « sous-développé » à propos des pays qui n'ont pas encore atteint le stade industriel. Elle fait florès de même que l'expression « tiers monde » inventée peu après, en 1952, par le démographe Alfred Sauvy.

69 Alexander KING et Bertrand SCHNEIDER, « Questions de survie, la révolution mondiale a commencé », Calmann-Levy, 1991, p.147

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fer par la REGIFERCAM en 196970. Ainsi que la construction de l'oléoduc du projet Pipeline Tchad-Cameroun71. Les conséquences directes de ces politiques de développement ont été et ont encore aujourd'hui : l'endettement de nombreux pays africains, l'importation des produits de première nécessité, la crise alimentaire et le rejet des projets par les populations locales pour ne citer que celles-là.

Ces projets que M.C. GUENEAU désigne sous le vocable « non-sens économique »72 se sont attiré beaucoup de critiques, car l''on peut dresser un catalogue des désastres tels que les expropriations ou la destruction de l'environnement local et dont les leçons semblent n'avoir pas été apprises. Face à cette situation, les pays occidentaux ont dû revoir leur politique d'aide au développement. Il semble plus qu'impératif d'impliquer dans le processus de développement, une nouvelle catégorie d'acteurs, parmi lesquels les ONG. Celles-ci se positionnent comme des véritables accompagnateurs des populations, qu'elles ont le mandat d'aider à s'organiser et à se poser en interlocuteur des acteurs en place.

Conscientes de ce que facteur primordial de la réussite d'un projet, de développement est la participation effective et la responsabilisation des bénéficiaires à toutes les phases de sa mise en oeuvre, les ONG trouvent en la promotion de cet idéal, un fondement à leur oeuvre dans les pays en voie de développement. La nouvelle conception de la solidarité humaine qui s'est construite à travers l'opinion publique occidentale et renforcée par l'insuffisance des politiques de développement semble universaliser et légitimer toute action visant à soulager les souffrances et lutter contre la pauvreté. Il convient à cet effet de nous pencher sur les bases juridico-institutionnelles de l'action de ces dernières au Tchad précisément à Goré dans les camps de réfugiés.

Paragraphe II : Les instruments juridiques et les mécanismes institutionnels de l'action
des ONG internationales au Tchad

Les ONG internationales sont des organisations dont le siège et situé en dehors du pays dans lequel elles interviennent. Autrement appelées « association étrangère », elles accompagnent l'Etat dans la conception et la mise en oeuvre des politiques de développement

70 Bernard NKUISSI, « Nkongsamba, les années obscures de la fondation », mémoire DES en histoire, université de Lille, 1977, p.47.

71 Jean Hermann WAYA, « Analyse de la gestion environnementale du projet Pipeline Tchad-Cameroun dans la localité de Bélabo », monographie de DCJA en Sciences Techniques d'Animation, INJS de Yaoundé, 2010, p.22. 72Marie-Christine GUENEAU, « Les petits projets de développement sont-ils efficaces ? », Paris, L'Harmattan, 1986. P.25

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conformément aux dispositions légales. Au vu de leur tâche importante, l'on a besoin de mettre sur pied des structures et mécanismes pouvant réguler leur fonctionnement d'où la nécessité d'étudier les instruments pouvant encadrer ces ONG (A) ainsi que les instances compétentes pour veiller à l'observation de ces instruments juridiques(B).

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand