SECTION I : LES FONDEMENTS DE L'ACTION DES ONG
INTERNATIONALES
AU TCHAD
Les ONG incarnent l'esprit de solidarité entre les
hommes. Pour aller à leur source, il faut rechercher dans le temps les
traces de la manifestation de cette solidarité. Elles apparaissent dans
le domaine religieux ; elles sont présentes sur les champs de bataille ;
elles viennent de la philosophie, elles s'observent dans le renforcement du
sentiment de coopération observé après les guerres et qui
donne naissance aux organisations internationales gouvernementales. Ensuite,
sociologiquement, face aux malheurs que sont les catastrophes naturelles et les
guerres, l'aide s'exerçait avant tout dans le cadre familial, patriarcal
ou professionnel53. Cette aide primordiale est instituée
dès l'organisation des premières sociétés et a
progressivement évolué vers d'autres formes d'assistance plus
visibles, car plus organisées et
53Gregor STANGHERLIN, « Les organisations non
gouvernementales de coopération au développement », Paris,
Courier hebdomadaire du Centre de recherche et d'information
sociopolitique, 2001, p.5 à 59
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institutionnalisées. Partant de ces
considérations nous parlerons dans le premier paragraphe des fondements
historiques et sociologiques des ONG, puis dans le second des instruments
juridiques et les mécanismes institutionnels régulant l'action
des ONG au Tchad.
Paragraphe I : Les fondements historiques et
sociologiques de l'action des ONG
internationales
Les prémices des ONG sont fondées sur les dogmes
religieux dominants et la philosophie (A), ainsi que les
valeurs morales de nos sociétés à savoir l'obligation
d'assistance aux personnes nécessiteuses (B).
A- Les fondements historiques
Sur le plan historique, si l'on voit les catastrophes
naturelles ou les guerres, l'aide a commencé dans le cadre familial
avant de s'étendre sur une échelle allant de la religion (A)
à la sociologie (B).
1- Bases religieuses
Dans les religions traditionnelles africaines se retrouvent
aussi la notion de partage. C'est donc avec le concept de la charité,
présent sous des appellations différentes mais similaires dans le
principe pour les grandes dénominations religieuses, que les
premières actions humanitaires de développement ont
été créées. En plus d'être une vertu
recommandée aux adeptes des différentes religions, la
charité a été pratiquée par les institutions qui
les gouvernaient. Aussi les églises assumaient la charge de nombreuses
activités telles que l'éducation mais aussi le soin aux malades
dans des dispensaires, les orphelinats. Elles aidaient les nécessiteux,
venaient au secours des victimes des catastrophes. Cependant, les religions
dominantes qui ont contribué aux fondements des ONG sont les trois plus
grandes religions54 à savoir le christianisme, l'islam et le
judaïsme. Le christianisme s'appuie sur le concept de charité ;
l'apôtre Paul en déclame la vertu comme étant le fondement
de l'être : « Si je n'ai pas la charité, je ne suis rien
», alors que l'Islam avec ses préceptes de zakat et sadaqa (une des
cinq obligations religieuses musulmanes) définit le principe du don aux
pauvres. Le judaïsme quant à lui prône la tsedaka à
l'égard du pauvre, de la veuve, de l'orphelin et de
l'étranger.
54Paul POUPARD, Les religions, Paris, PUF,
2007, p.128
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2- L'apport de la philosophie
Pendant la période des Lumières, au
XVIIIe siècle, apparait la notion d'Humanité que
Diderot voit comme étant « un noble et sublime enthousiasme se
tourmente des peines des autres et du besoin de les soulager ; il voudrait
parcourir l'univers pour abolir l'esclavage, la superstition, le vice et le
malheur »55. Cette notion sort cette fois du cadre
religieux pour atteindre une portée philosophique. La réflexion
sur l'action humanitaire est désormais de plus en plus ancrée
dans les mentalités et, en 1755, lors du tremblement de terre de
Lisbonne56, la question de l'action de crise est réellement
abordée. C'est en effet grâce à la gestion de crise
reconnue comme excellente du premier ministre Sebastiaõ DEMELO que les
secours ont pu être administrés rapidement à la population
et que Lisbonne fut entièrement reconstruite en un an. Il faudra
cependant attendre le XIXe siècle pour que l'engagement
associatif prenne un réel essor et abandonne son aspect d'action
individuelle pour devenir collective. C'est au début de ce siècle
que vont apparaître les prémices du lobbying aux
États-Unis. En 1812, la guerre civile d'indépendance entre
Vénézuéliens et Espagnols fait rage à
Caracas57. C'est en plein milieu de ce conflit armé qu'un
tremblement de terre, suivi d'une série de raz de marée, ravagea
la ville, tuant entre 15000 et 20000 personnes. Le lobbying associatif
américain poussa le gouvernement fédéral à
prêter secours aux habitants de Caracas. Face au poids grandissant de ces
mouvements nouveaux, le gouvernement américain céda à ces
pressions humanitaires et envoya des denrées alimentaires sur le lieu de
la crise. Alexander VON HUMBOLDT58 écrira par la suite son
témoignage personnel de l'après crise lors de son voyage à
Caracas : « le congrès, assemblé à Washington,
décréta unanimement l'envoi de cinq navires chargés de
farines aux côtes de Venezuela, pour être distribués aux
habitants les plus indigents ». Cette action humanitaire internationale,
la première notoire, fut accueillie avec une forte reconnaissance et
permit de palier les besoins alimentaires d'un peuple en péril et de
surmonter cette situation de crise. Dès lors, le mouvement associatif
américain et mondial prit une ampleur toute nouvelle, portée par
le concept émergent de lobbying. En 1823, en Grande-Bretagne, est
créée la « British and Foreign Anti-Slavery Society »
qui est ce qu'on pourrait qualifier une ONG de nos jours et qui, comme son nom
l'indique, avait pour vocation de lutter
55Denis DIDEROT, Pensées
philosophiques, paris, princeps, 1746, p.200
56Jean-Paul POIRIER, Le tremblement de terre de
Lisbonne, Odile Jacob, Paris, 2005, p.284
57Dominique Jean LARREY, Mémoires de
chirurgie militaire et campagnes 1786-1840, Paris, Rémanences p.67
tome 5
58 Friedrich Karl, Wilhelm, Heinrich Alexander, baron Von
Humboldt, plus connu sous le nom d'Alexander Von Humboldt ou Alexandre de
Humboldt, est un naturaliste, géographe et explorateur allemand,
né le 14 septembre 1769 à Berlin et mort le 6 mai 1859 à
Potsdam
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contre l'esclavage en Grande-Bretagne. Cet engouement
populaire est une fois de plus couronné de succès car
l'association obtient l'abolition de l'esclavage en 1833, soit seulement 10 ans
après sa création. Dès lors, nous voyons que l'action
humanitaire n'est plus simplement un mouvement isolé, l'action de
quelques hommes qui veulent faire progresser la société de leur
côté. Il s'agit désormais d'un réel élan
mondial dont les démocraties font office de terre fertile. De cette
volonté humaine et individuelle de coupler la charité pour les
plus démunis au soulagement des souffrances des blessés est
née une volonté collective, qui a gagné en puissance,
d'apporter un soutien aux peuples en péril. Ces fondements
philosophiques sont concrétisés par les pratiques militaires. De
ce fait, la pratique de l'action humanitaire urgentiste sur le terrain semble
remonter au médecin militaire de la légion romaine, DIOSCORIDE
D'ANAZARBA59, qui aurait créé une école de
médecine. Là encore, la prise en compte sur le terrain d'une
situation d'urgence (les blessés sur le champ de bataille) a
amené une réponse qu'on pourrait qualifier d'« humanitaire
». En effet, le fait de prodiguer des soins gratuits aux personnes dont
l'intégrité physique est en danger rejoint très clairement
les buts des ONG urgentistes modernes. Au fil des années, philosophie et
religions se mêlèrent afin d'imposer des normes en accord avec ces
préceptes. On remarque notamment de grands progrès en temps de
guerre où les prisonniers et parfois les civils blessés
étaient désormais protégés par des règles de
conduite sur le champ de bataille. On citera notamment l'aboutissement de ces
procédures que représente la convention de Genève
(première en 1864, complétée en 1949 et 1977) qui
édicte les règles fondamentales du droit humanitaire
international. Mais, bien que les prémices de l'activité
humanitaire dite « de développement » soient apparues dans les
premiers siècles de notre ère, il ne s'agit pas pour autant de
l'action telle que nous la connaissons aujourd'hui. Ses apports en termes de
médecine militaire ont permis de soigner de nombreux blessés,
mais surtout d'insuffler une réelle volonté de soutien aux
victimes dans un contexte où les guerres étaient
particulièrement violentes et le soutien aux blessés quasiment
inexistant.
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