CHAPITRE III : SPECIFICITES DU MARCHE INFORMEL DE
MEDICAMENTS
ET METHODOLOGIE D'ETUDE 46
Section I : Spécificités du marché informel
des médicaments 46
Section II : Démarché méthodologique
exploratoire 52
CHAPITRE IV : INCIDENCE DU RESEAU DE DISTRIBUTION
INFORMEL DES MEDICAMENTS SUR LE COMPORTEMENT DES
CONSOMMATEURS 66
Section I : Analyse des données recueillies aux
près des consommateurs de Douala 66
Section II : Adoption ou rejet de la distribution informelle des
médicaments à Douala 79
CONCLUSION GENERALE 87
BIBLIOGRAPHIE 90
LISTE DES ANNEXES 97
TABLE DE MATIERES 100
INTRODUCTION GENERALE
1
Les journées du 27 au 29 Mars 2012, près de 160
tonnes de médicaments ont été confisquées et
incinérées dans 3 villes ; à savoir Yaoundé, Douala
et Bafoussam. Les télévisions et radios nationales et même
internationales diffusent cette action durant environ deux semaines. Au
même moment, au grand marché de Douala et partout ailleurs sont
étalées des tonnes de médicaments d'origine inconnue dans
des locaux mis à disposition du grand public pour consommation. Cette
activité du secteur informel est tenue par des camerounais qui
règlent les taxes aux communes comme tous les autres commerçants
(Tchamdja, 2010 ; Mba et al. 2014).
Fassin (1986) écrit dans l'un de ses articles : «
partout en Afrique se développent des réseaux de vente des
médicaments en dehors des circuits officiels ». La qualité
des médicaments issus de ce circuit reste toujours douteuse.
Après une enquête sur 20 pays réalisée de janvier
1999 à octobre 2000, l'OMS estime que 60% des cas de contrefaçon
concernent les pays pauvres et 40% les pays industrialisés (Barbereau,
2006). Notons que la quasi-totalité des produits contrefaits passent par
les circuits informels de distribution.
Le secteur informel est devenu le principal employeur face au
chômage galopant. « En effet, 328 millions de personnes viendront
grossir les rangs de la force de travail urbaine entre 1990 et 2000 »
(Maldonado, et al. 2004). Le secteur de distribution informelle des
médicaments a également hérité de ce flux
migratoire ou de cet exode rural.
Selon Hamel (2006) ; des perturbations économiques
importantes ont déstabilisée l'ensemble des pays en
développement à partir des années 1980. Les origines de
cet effondrement sont entre autres la baisse des coûts des
matières premières et l'instauration des mesures
d'austérité. La détérioration des termes de
l'échange entre les pays exportateurs de technologies (pays du Nord,
développés) et les pays exportateurs de matières
premières (pays du Sud, en développement) a participé (et
participe toujours) au déficit de la balance des paiements des grands
exportateurs de richesses naturelles (pétrole, minerais, coton, sucre,
caoutchouc, cacao, café, ...). En parallèle, les recommandations
prodiguées par le Fond Monétaire International en termes de
politique d'ajustement structurel pendant les années 1985 se sont
traduites par une réduction brutale des dépenses
budgétaires surtout dans le domaine sanitaire.
2
Dans de nombreux pays africains comme au Cameroun, on observe
des soins médicaux de qualité médiocre ; les
professionnels de santé ont fui des postes pourvus de salaires trop bas
et se sont expatriés. Les dysfonctionnements dans les
établissements de santé se sont accumulés. «3
médecins sur 5 formés au Cameroun s'expatrient les 10
années qui suivent leur sortie de l'école » (Commeyras,
2006).
Le développement du chômage urbain,
conséquence de la crise économique, s'est accompagné de
l'émergence et de l'essor du secteur informel. « Le manque de
confiance des populations envers les formations de santé publique qui
découlent de la crise constitue un véritable tremplin pour les
activités de vente informelle de médicaments » (Mba et al.
2014). La baisse sans cesse du pouvoir d'achat entraine certains travailleurs
du secteur formel à investir dans le secteur informel.
Le Cameroun, pays d'Afrique n'a pas échappé
à cette réalité ; la ville de Douala en particulier.
Suivant les travaux de Mba et al. (2014) les distributeurs, les malades,
l'industrie pharmaceutique et les gouvernements sont tous affectés par
ce fléau. « Le rapport de l'Association des Mandataires
agréés auprès de l'OAPI (Organisation Africaine de la
Propriété Intellectuelle) AMOAPI en 2005 souligne quelques-unes
de ces conséquences : 15 entreprises membres du Groupement
Inter-patronal du Cameroun (GICAM) ont connu des pertes au niveau de leurs
chiffres d'affaires de l'ordre de 62,008 milliards de francs CFA. Par ailleurs,
850 personnes ont perdu leurs emplois, les recettes fiscales et
douanières avaient connus une perte d'environ 5,058 milliards de francs
CFA » (Mba et al. 2014). C'est dans ce contexte que la distribution
informelle des médicaments avance à grand pas.
Plusieurs auteurs ont travaillé sur la distribution
informelle des médicaments dans les pays en voie de développement
(Van Der Geest, 1982, 1983,1987 ; Fassin, 1985 ; Hamel, 2006 ; Ouattara, 2009 ;
Socpa 2011, Mba et al 2014, Sogbossi 2016 etc.). Cependant peu d'entre eux
à notre connaissance se sont intéressés aux effets induits
par ce type de distribution pouvant séduire les consommateurs ; pouvant
justifier l'adoption de ce mode de distribution et les produits qui y sont
issus.
Afin de mieux cerner ou comprendre l'adoption de la
distribution informelle de médicaments à Douala, nous nous sommes
posé la question suivante : les effets induits par le mode
de distribution informel des médicaments expliquent-ils son adoption par
les consommateurs de la ville de Douala ?
Pour répondre à notre question centrale, des
questions secondaires nous seront d'une aide précieuse. Ainsi les
questions qui dérivent de notre question centrale sont les suivantes
:
Ø
3
Quels types d'avantages et de satisfaction offerts par le
circuit de distribution informel des médicaments expliquent
l'adhésion des consommateurs aux médicaments de la rue ?
Ø Les croyances des consommateurs et leurs
comportements de consommation irresponsable expliquent-ils l'adoption de la
distribution informelle des médicaments ?
Ø Les contextes socioéconomiques et
politiques expliquent l'adoption du circuit informel de distribution des
médicaments ?
L'environnement social, politique et culturel (fortes
inégalités de revenus, organisation de la « profession
», fonctionnement aléatoire du secteur public, corruption
importante de l'appareil d'Etat, ...) doivent être pris en compte si l'on
veut comprendre le comportement d'adoption des produits issus du circuit
informel. Ainsi nos efforts auront pour objectifs :
Ø D'étudier l'organisation de la
distribution informelle des médicaments et les « avantages »
qu'elle offre aux consommateurs.
Ø De comprendre le contexte
socio-économiques et culturel qui ont générés et
facilité le développement de la distribution informelle des
médicaments.
Ø De mettre en évidence l'ensemble de
facteurs qui concourent ou qui expliques l'adoption de la distribution
informelle des médicaments dans la ville de Douala. Le
problème important aujourd'hui concerne le contrôle de la
distribution informelle des médicaments et la préservation de
l'intérêt de l'ensemble des parties prenantes (consommateur,
distributeur et les communes qui y prélèvent des taxes).
D'où une étude consacrée sur ce thème semble
être nécessaire et l'intérêt que présente une
telle étude est double :
Ø Sur le plan théorique ou scientifique,
nous espérons mettre en évidence les spécificités
du mode de distribution informel qui ont favorisés l'adoption de ce mode
de distribution ainsi que les médicaments de la rue.
Ø Sur le plan pratique, les résultats de
cette étude pourront susciter la réflexion des consommateurs et
des pouvoirs publics sur l'organisation néo-institutionnel en question
et les offrir des pistes de solutions pérennes face au succès de
cette activité qui semble nocive pour les consommateurs.
Selon Avenier (2012) la question
épistémologique en sciences de gestion s'articule autour de six
paradigmes épistémologiques : le positivisme logique, le post
positivisme incluant le réalisme scientifique et le réalisme
critique, puis le constructivisme radical, l'interprétativisme, et le
constructivisme conceptualisé par Guba et Lincoln. L'objectif de
4
notre étude n'est pas d'expliquer ou vérifier,
ce qui serait une attitude positiviste mais plutôt cherche à
comprendre la réalité, c'est bien une attitude
constructiviste.
« Les méthodes et techniques retenues dans une
recherche donnée doivent être les plus aptes à rendre
compte du sujet étudié et doit amener le chercheur vers les buts
qu'il s'est fixés en termes d'aboutissement de son travail »
(Aktouf, 1987). De ce fait notre travail de recherche s'appuie sur une
démarche qualitative avec étude de cas.
Compte tenu de l'objectif de la recherche qui est de
comprendre un fait social, une pratique, un comportement à la limite
irrationnel1 (comportement ayant des emprunts à la fois,
socioéconomiques et culturels) ; cela justifie l'usage d'une
démarche qualitative (Wogaing, 2010). On doit faire comprendre comment
est née cette pratique, clarifier et déterminer pourquoi ou dans
quelles conditions la distribution informelle des médicaments se
développe au Cameroun en générale et dans la ville de
Douala en particulier.
Egalement la spécificité du terrain
d'étude à savoir la spécificité de secteur informel
au Cameroun en général et à Douala en particulier ; une
étude exploratoire basée sur des cas semble plus
appropriée pour cette recherche. (Miles et Huberman, 2003 ; Badiang et
al. 2013) La capacité pour cette approche de saisir les perceptions, de
comprendre en profondeur une situation sociale, comprendre les systèmes
de valeurs et l'avantage de s'ancrer dans la réalité du
phénomène étudié (Glasser et Strauss, 1967) fait
d'elle la méthode la plus appropriée pour cette étude.
Egalement, « une étude de cas est une investigation empirique qui
examine un phénomène contemporain au sein de son contexte
réel, quand les frontières entre phénomène et
contexte ne sont pas clairement délimités ; et dans laquelle de
multiples sources de données sont utilisées » (Yin, 1994 ;
cité par Etoudi 2004, P.94)
Nous allons nous référer à un cadre qui
recommande trois angles d'analyses concomitants : l'objet de recherche, le
contexte et le processus en oeuvre (Pettigrew, 1990 ; Badiang et al. 2013). Le
cadre contextuel apparaît ici approprié pour comprendre les
pratiques et comportements dans le secteur informel de la distribution des
médicaments et son adoption par le consommateur. Cadre où les
populations ont eu un héritage colossal (pauvreté, traditions,
modernité et culture).
Enfin nous pouvons dire que les méthodes qualitatives
et l'étude de cas présentent des qualités
indéniables : en effectuant des entrevues semi-directives sur des cas
particuliers, on peut "découvrir" et mieux approfondir des
phénomènes insoupçonnés ou difficiles à
mesurer (Gauthier, 2003).
1 Qui n'est pas conforme à la raison
5
Un recueil d'informations auprès des membres d'un
échantillon préalablement sélectionné, Hommes et
femmes, âges compris entre 25 et 60 ans ; appartenant à
différentes catégories socioprofessionnelles, différents
groupes ethniques, différents niveaux d'étude. Les observations
flottantes (Camelis et al. 2013) ; des entretiens semi-structurés
(Capelli et Sabadie, 2013 ; Badiang et al. 2013) nous permettront de recueillir
des données. Ces données ainsi collectées feront l'objet
d'un traitement, d'une analyse et d'une interprétation.
Ce travail a pour mission d'analyser l'organisation de la
distribution informelle des médicaments, le comportement des
consommateurs de produits issus de ce circuit et comprendre quelles sont les
raisons qui conduisent les consommateurs à adopter ce circuit de
distribution et ses produits qui semblent pourtant dangereux. Pour
répondre à cette préoccupation, nous avons choisi un plan
linéaire constitué de deux parties.
La première partie (partie I) aura une perspective
analytique et doit également aborder des aspects théoriques.
Dans la deuxième partie (partie II), nous nous
intéresserons aux pratiques sur le terrain des comportements de
différents intervenants, les spécificités de la
distribution informelle des médicaments.
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