Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
B- Le travellingIl désigne une prise de vues en mouvement : - soit en plaçant la caméra « dans un train en marche, une voiture en déplacement, un téléférique, etc. La caméra reste fixe et se déplace avec le mobile sur lequel elle est située. Ce genre de travelling est aussi vieux que le cinéma lui-même » (Mitry, 2001, p.95), - soit en fixant la caméra sur une plateforme montée sur rails ou sur roues caoutchoutées pour lui éviter les chocs. Certains réalisateurs utilisent pour ce chariotage de la caméra des moyens divers, pour certains très rudimentaires. Eric Rohmer utilise parfois une caméra sur un caddie. Jean Renoir plaçait parfois sa caméra sur un coussin qu'il faisait glisser sur une planche de bois cirée. De nombreux cinéastes ou vidéastes utilisent un fauteuil pour personne handicapée, un caddy de supermarché, une chaise de bureau à roulettes, un triangle à roulettes, etc. Le travelling peut être, en outre, latéral ou avant/arrière selon le déplacement de la caméra. - Le travelling latéral est un déplacement vertical de la caméra (de haut en bas, à l'aide d'un monte-charge, par exemple) ou horizontal (de gauche à droite213(*), dans un train, par exemple), le rayon visuel de la caméra se déplaçant parallèlement à l'objet filmé. L'effet recherché par un travelling latéral peut être d'empêcher la perception du déplacement des éléments dans le cadre, en les suivant à la même vitesse. Il suffit d'accoupler le mouvement de l'appareil à celui du moyen de locomotion, par exemple une diligence, pour obtenir un travelling d'accompagnement parfaitement synchronisé. Selon Odile Bächler (2001, p.240) : « Cet effet suppose un tournage en extérieurs et la mobilité du camion, alors que souvent aussi dans Stagecoach (La Chevauchée fantastique), notamment, la diligence est tout simplement immobile, en studio, et le paysage défilant « derrière » est constitué par une transparence, partielle et non plein cadre. »214(*) - Le travelling avant/arrière permet, en prise de vue continue, de passer d'un type de plan à un autre. Pour le travelling avant, d'un plan général à un gros plan. Pour le travelling arrière, d'un très gros plan à un plan général, par exemple. Le travelling permet, comme le panoramique, soit d'explorer (fonction descriptive), soit d'accompagner un sujet (fonction dramatique). Il a également un rôle esthétique certain. « Par exemple, si vous passez du PM (plan moyen) d'un personnage à son PA (plan américain), puis à son GP (gros plan) sans passer par le truchement d'un TRAV AV (travelling d'arrière en avant) vous n'obtenez rien d'autre qu'un désagréable et inesthétique effet de saut, donc de flash » (Roth, 1999, p.145). Les mouvements de caméra, travelling et panoramique, peuvent être conjugués pour créer un climat psychologique de désorientation, de confusion, de malaise, de vertige, etc. Cependant, l'expérience « artisanale » a montré qu'il existe des limites que le réalisateur ne peut franchir qu'en toute connaissance de causes, qu'en assumant pleinement la transgression à la règle, qu'en espérant bâtir des oeuvres sur l'exception à la règle, qu'en étant convaincu que la force du discours filmique réside aussi dans les sensations physiques provoquées chez le spectateur par les images : - « la trop grande rapidité induit un effet de stroboscopie qui fait mal aux yeux. - Les changements de vitesse, sans justification dramaturgique, à l'intérieur d'un même mouvement rendent sensible la présence de la caméra et brisent le rêve. - De même, à l'intérieur de la même esthétique du coulé insensible, chaque mouvement de caméra doit commencer et finir par un plan fixe » (Opritescu, 1997, p.42). L'usage du travelling ne fait pas l'unanimité chez les réalisateurs ; certains considèrent que c'est un phénomène de mode, une sorte de moyen de reconnaissance professionnelle et que le travelling est de plus en plus utilisé sans véritable intention de sens ; ainsi Jean-Luc Godard déclare que : « Souvent j'en vois qui bougent la caméra et je pense à la phrase de Cocteau : « Pourquoi faire un travelling le long d'un cheval au galop, puisque, du coup, il a l'air immobile ?. J'ai l'impression que les trois quarts des gens qui bougent la caméra aujourd'hui le font parce qu'ils l'ont vue bouger ailleurs. (...) Aujourd'hui, j'ai plutôt l'impression qu'on bouge la caméra pour faire cinéma. Ils ne savent pas très bien pourquoi ils cadrent ou pourquoi ils bougent comme ils font, et ça ne les angoisse pas ». (Godard, in Tirard, 2004, p.217) * 213 Bessière (2000, p.48) : « Il est convenu que l'image filmique se lit de gauche à droite comme l'écrit en Occident et que les mouvements de caméra explorent l'espace avec ou pour les personnages de gauche à droite, les événements, les protagonistes nouveaux survenant à droite, lieu de tous les possibles, point d'ancrage de l'avenir. Cependant les réalisateurs commettent des écarts par rapport à cette « norme » afin de faire sentir un malaise chez les personnages, hantés par leur passé ou en désarroi physique et psychologique ». * 214 Bächler (2001, p.336) : « Mitry le constatait dans le tome 2 « Les formes », 1963 : « un travelling suivant à distance égale et à vitesse égale des personnages (une diligence) en mouvement est une autre forme de plan fixe : c'est le paysage qui a l'air de se déplacer ». Par contre, nous ne l'assimilons pas comme lui à un « faux travelling » que nous appelons « transparence » (voiture et caméra immobile et projection en transparence du paysage et des arbres qui défilent). Le premier plan y est perçu comme fixe et le deuxième plan est clairement dissocié du premier et perçu comme mobile. Dans le travelling accouplé au mobile, sans la transparence, le mouvement apparent du véhicule est annulé, mais son mouvement réel imaginé est perçu comme solidaire du déplacement du paysage. » |
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