Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
Il n'est donc pas étonnant que certains réalisateurs aient été en quelque sorte utilisés par les hommes politiques.A la sortie de La Ligne générale, les consignes que Staline donna à Eisenstein avant son départ pour les Etats-Unis étaient claires : « Puisque vous avez l'intention de vous rendre aux Etats-Unis, étudiez le cinéma sonore en détail. C'est important pour nous. Lorsque nos héros seront dotés de la parole, la force de l'influence des films augmentera considérablement »429(*).Revers inévitable de l'utilisation du cinéma comme média de propagande, la censure a sévi en URSS, comme dans tous les autres pays où les autorités politiques et/ou militaires avaient des arrière-pensées. Selon Max Ferro430(*), « Les lieux de censure et d'autocensure sont multiples en URSS, mais les cinéastes savent les contourner ; ils ne manquent pas non plus au pays de la liberté, dès qu'il s'agit des gestes de l'amour, de l'objection de conscience ou des conflits coloniaux - encore que là, on puisse se demander si l'autocensure ne vient pas surtout des spectateurs... ».En Allemagne, le cinéma a été utilisé comme un outil de propagande, principalement de 1933 à l'effondrement du nazisme et cela comme tous les autres arts. Mais, comme le déclarait Fritz Hippler (Capitaine SS, Directeur de la section cinématographique du Ministère de la propagande de Goebbels ) « comparé aux autres arts, le cinéma par sa faculté d'agir directement sur le sens poétique et l'affectivité (et donc sur tout ce qui n'est pas intellectuel) a, dans le domaine de la psychologie des masses et de la propagande, un effet pénétrant et durable ».431(*) En plus de nombreuses interdictions de diffusion, de réalisation et d'exploitation de films pour des raisons diverses (antisémitisme, anticommunisme, etc.), l'Allemagne nazie a produit des films vantant les valeurs du national-socialisme en vue de construire le troisième Reich pour 1000 ans. Dès 1933, sort le premier film considéré comme national-socialiste, Hitlerjunge Quex (Le jeune hitlérien Quex). Réalisé par Hans Steinhoff qui s'est inspiré d'une histoire vraie d'un jeune écolier assassiné par des communistes en 1932, ce film mettait en exergue l'esprit de sacrifice de la jeunesse et donnait l'occasion à Hitler de rendre hommage aux allemands, y compris les plus miséreux, qui lui avaient permis son accession au pouvoir. Le premier film de fiction antisémite semble être Die Rothschilds de Erich Waschineck (1940) qui relate l'origine de la banque au lendemain de Waterloo, ce qui permet de dénoncer en même temps la communauté juive et la Grande Bretagne, seule en guerre contre l'Allemagne. Toutefois, le film antisémite le plus célèbre est celui de Veit Harlan, Jude Süb (1941), une commande de l'Etat432(*), dans lequel les stéréotypes sont poussés à l'extrême : le rabbin est habillé en noir, fortement typé, constamment courbé, signe de fourberie, etc. autant « de signes connotés négativement afin d'élaborer un type juif, à la fois universel et éternel » (De Voghelear, 2001, p.106) B- La censure morale aux Etats-UnisAux Etats-Unis, la puissance des images fut à la fois crainte et utilisée ce qui explique que le cinéma fut sans doute l'art le plus touché par la censure, que cette dernière soit axée sur la morale, soit à buts idéologiques et politiques, ou utilise des moyens économiques. (Pecha, 2000) Dès 1915, une censure morale se met en place aux Etats-Unis. Dans son arrêt de 1915, « Mutual Film Corporation vs Industrial Commission o f Ohio », la Cour Suprême décide que le cinéma « ne peut pas bénéficier de la protection de la liberté d'expression » et laisse penser de façon implicite que le cinéma peut être capable of evil . En conséquence de quoi, le cinéma doit pouvoir être contrôlé, et cela d'autant plus qu'il attire un grand nombre de personnes et qu'il peut influencer facilement les gens (Lagayette et Sipière, 2002). ²Cette jurisprudence sera maintenue jusqu'en 1952 et eut des effets surprenants sur le sens d'un film : « Un film peut être complètement différent pour un spectateur de New York que pour celui de l'Ohio. (...) Ce qui est plus grave, c'est qu'un film peut perdre complètement son sens quand un sujet est banni d'un Etat. Par exemple, la Pennsylvanie n'accepte pas les références à la grossesse et coupe tout ce qui lui a trait. Ainsi le film de Cecil B. DeMille Kindling (1915) se voit amputé de plusieurs scènes puisqu'il raconte l'histoire d'une femme qui tombe enceinte. Se retrouvant dans le besoin, elle n'a d'autre solution que de voler son employeur. Une fois que ce dernier découvre qu'elle a fait cela pour partir avec sa famille dans un environnement plus sain, il abandonne les poursuites contre elle et finance même son voyage. Le spectateur de Pennsylvanie a dû rester perplexe devant son écran puisque, à aucun moment du film, il n'a pu découvrir que l'héroïne était enceinte ». (Pecha, 2000, p.20-21) En 1921, pour éviter le pire, c'est-à-dire une réglementation stricte pleine d'interdits, les grands studios américains (Paramount, MGM, 20th Century Fox, Warner, RKO, Universal, United Artists et Columbia ) créent la MPPDA433(*), une association de producteurs et de distributeurs de films américains, dont le but était de moraliser l'industrie cinématographique.434(*) En 1927, grâce au travail de la MPPDA, un code de bonne conduite est publié sous le nom de Don't and Be Carefuls (les choses à ne pas faire et les choses auxquelles il faut faire attention). * 429 Liandrat-Guigues et Leutrat (2001, p.34-35) : « Hitler confie la direction et le contrôle du cinéma du Troisième Reich à Goebbels, pour qui « la propagande cesse d'être efficace à l'instant où sa présence devient visible ». (...) « Luis Trenker, Hans Steinhoff, Veit Harlan, Leni Riefenstahl ont été les cinéastes officiels du régime nazi. Le cinéma américain a été l'un des meilleurs propagateurs de l'image positive des Etats-Unis et de l'idée de l'American Way of life était la solution idéale pour le monde entier. Le cinéma a servi à caricaturer l'adversaire et à le rendre haïssable (le Japonais, le bolchevik, l'alien, le juif, l'Allemand, etc.) » * 430 Préface de Bertin-Maghit et Fleury-Vilatte (2001) * 431 in De Voghelaer (2001, p.37) * 432 De Voghelaer (2001, p.117) : « Goebbels, selon Veit Harlan, intervient autant dans le découpage, le tournage que dans le montage du film. Quoiqu'il en soit la patte de Veit Harlan est facilement reconnaissable à travers, par exemple, les scènes de foules avec des figurants innombrables, trouvés pour la plupart dans les ghettos » * 433 Ce nom change en 1945 pour devenir la MPAA * 434 Pecha (2000, p.23-24) : « Ils en proposent la direction à William Hays (ancien ministre des Postes du président Harding). Hays raconte dans ses mémoires qu'il se décide réellement un matin de Noël lorsqu'il voit son fils et ses neveux se disputer pour savoir qui aura le rôle du héros William S. Hart quand ils joueront aux cow-boys : « J'ai réalisé en ce matin de Noël, que les films avaient une aussi forte influence sur nos enfants et sur d'innombrables adultes que la presse. Cela a confirmé mes sentiments et mes peurs que la formidable industrie cinématographique puisse aussi facilement corrompre nos futures générations que leur donner une influence bénéfique. ». (...) Le Hays Office se met alors au travail. » |
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