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Les enjeux de la conservation de la biodiversité pour les pays du bassin du Congo: cas du parc national de Lobéké au Cameroun


par Jean Marie Bakeleki Bohin
Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) - Master en Relations Internationales 2023
  

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SECTION I : L'ÉTAT DES LIEUX DE LA GESTION DES FORÊTS DU BASSIN DU

CONGO

Le bassin du Congo c'est d'abord et avant tout une immense forêt tropicale continue sur plusieurs États. Son rôle dans la séquestration du carbone au niveau planétaire n'est plus à démontrer. Bien que des reformes légales et politiques dans la gestion des revenus issus de sa gestion fassent encore l'objet de revendications locales. En effet, les politiques de gouvernance des forêts et de la conservation de la biodiversité au niveau national sont étroitement liées aux politiques internationales. Les enjeux et jeux d'acteurs liés à la conservation de sa diversité biologique nécessitent une vue globale et systémique. Ces politiques, ces acteurs et leurs effets directs et indirects voir stratégiques ont des impacts induits conséquents.

79NicolasNamba « S'unir pour la sauvegarde de la faune sauvage »,Ejournal USA, Département d'État des États-Unis, volume 17/Numéro 2, Avant-propos, 2012, p. 13.

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Dans cette section, nous ferons premièrement un état commenté des politiques de gestion des forêts du bassin du Congo (Paragraphe I) et par la suite nous mettrons en lumière l'une des conséquences du mode de gestion actuel : les conflits HH et HGS (Paragraphe II).

PARAGRAPHE I : LES POLITIQUES DE GESTION DES FORÊTS DU BASSIN DU CONGO

D'après Ongolo et Badoux. « Dans les arènes internationales de gouvernance environnementale, la quête du « bon » usage des forêts tropicales oscille entre exploitation raisonnée de ces ressources naturelles et préservation de portions plus ou moins importantes de ces espaces. » 80

Dans ce paragraphe nous observerons la politique socio-environnementale du bassin du Congo (A) et sa gestion complexe en tant que « bien commun » (B).

A. LA POLITIQUE SOCIO-ENVIRONNEMENTALE DU BASSIN DU CONGO 1. Le partenariat pour les forêts du bassin du Congo (PFBC)

Les forêts du bassin du Congo offrent des moyens de subsistance à 60 millions de personnes qui vivent ou résident à proximité (nourriture, pharmacopée, combustibles, fibres, produits forestiers non ligneux). Elles remplissent aussi des fonctions sociales et culturelles. Ces forêts contribuent plus indirectement à alimenter les 40 millions de personnes qui vivent dans les centres urbains proches de ces domaines forestiers81. L'état de cette forêt affecte le bien être de millions de personnes, influe sur le climat régional et mondial et sur la biodiversité. Ces rôles essentiels sont pris en compte par les accords multilatéraux sur l'environnement tels que la convention - cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Les politiques de réduction des émissions de GES dues à la déforestation et la dégradation des forêts (REDD+) qui reconnaissent le rôle des forêts dans le cycle du carbone. Pour la convention sur la diversité biologique (CDB), la perte d'habitats forestiers est une cause majeure de la baisse de la diversité biologique. Ces problématiques sont transférées par la suite aux institutions sous régionaux tels que le partenariat pour les forêts du bassin du Congo (PFBC).

Le partenariat pour les forêts du bassin du Congo (PFBC) a été institué dans le but de conserver cette riche biodiversité d'Afrique centrale dans une perspective de développement durable. Il s'agit d'un partenariat non contraignant ayant pour objectif de promouvoir une bonne gouvernance de ces forêts. La protection des forêts du bassin du Congo a été ainsi placée au coeur, non seulement des politiques nationales, mais aussi des travaux du sommet de Johannesburg en 2002 en marge duquel le partenariat pour les forêts du bassin du Congo a été signé.

Pour la sous-région, le PFBC devrait anticiper sur les politiques et le cadre juridique de conservation des forêts du bassin du Congo. Sur le plan politique et géostratégique ces

80Symphorien Ongolo et Miriam Badoux, « Gouverner par la ruse : l'État camerounais face aux exigences internationales de conservation de la biodiversité », in Daniel et al., Les politiques de biodiversité, Paris, Presses de science Po, 2017, p. 4.

81CarlosWasseige, J., Flynn,Louppe, D., HiolHiol, F., P., Mayaux, Les forêts du bassin du Congo - État des forêts, Weyrich. Belgique, 2013, p. 21.

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forêts sont au coeur des enjeux majeurs non seulement pour les pays de la sous-région, mais aussi pour ceux du monde82. Compte tenu de leur importance au regard des grands problèmes environnementaux contemporains, les enjeux sociaux, économiques, scientifiques, politiques, juridiques, autour du bassin du Congo sont au coeur des débats.

Toutefois, la diversité des acteurs impliqués qui est une des caractéristiques de ce complexe forestier suscite des interrogations sur le mécanisme juridique accompagnant tous leurs efforts, dans la mesure où l'association de ces partenaires aux statuts juridiques différents nécessiterait préalablement un cadre juridique qui détermine les droits et obligations de chaque associé83. En effet, nous avons à ce jour 52 membres que sont les gouvernements, des organisations internationales, des ONG et groupes de recherches ou relevant du secteur privé ; qui doivent conjuguer des efforts afin d'arriver aux objectifs assignés au partenariat. Par conséquent « Ce partenariat devrait disposer de personnel permanent et ne pas juste servir de courroie de transmission entre les bailleurs de fonds et organismes d'exécutions ou de forum de dialogue entre partenaires ».84

Remettre en question le rôle politique et stratégique de certains partenaires techniques dans la vision globale de la conservation de la biodiversité du bassin du Congo ne devrait pas être perçu comme une sortie de ligne pour un pays comme le Cameroun. En effet, le Cameroun occupe une place centrale dans les jeux de pouvoir de la sous-région et devrait pouvoir contribuer à infléchir l'autoritarisme occidental observé dans cet immense réservoir de ressources naturelles. Par exemple, le Cameroun par sa position géographique et politique dans la sous-région devrait s'orienter vers une coopération scientifique sous régionale pour répondre aux problèmes rencontrés dans la gouvernance des forêts.

2. Le modèle participatif du PNL

Le parc national de Lobéké (PNL) à l'extrême Sud-est du Cameroun, à la frontière avec le Congo Brazzaville et la RCA offre un bon exemple d'intégration des politiques de conservation endogénéisées. Les modèles de gestion communautaire des revenus de l'exploitation forestière dans le TNS (Tri National de la Sangha) avec les populations locales et autochtones comme les pygmées Baka sont aujourd'hui largement valorisés dans d'autres aires protégées en Afrique centrale. Avec l'appui de nombreux partenaires techniques et financiers comme le WWF et la GIZ, l'État du Cameroun fait preuve de réalisme en créant un environnement institutionnel favorable à une gestion des conflits sous-jacents à la gestion des revenus tout en valorisant les savoirs locaux. Toutefois, il est important d'accentuer la communication sur ces modèles qui portent déjà des fruits.

En effet, à cause de la faible fertilité des sols pour l'agriculture et la faible productivité dans certaines zones, des changements climatiques, la croissance démographique et des complications foncières ; les populations de la grande partie du Bassin du Congo pénètrent consciemment dans les aires protégées. Leur attachement culturel et économique à la forêt fait qu'elles continuent à l'utiliser, dans leurs usages quotidiens et pour leur subsistance, les

82Jean Paul Segihobe Bigira, Partenariat pour les forêts du bassin du Congo et développement durable : à l'épreuve des enjeux, Academia-l'harmattan, 2012, p. 12.

83Ibid., p. 23.

84Idem.

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produits forestiers ligneux et non ligneux parmi lesquels le bois, les fibres, les feuilles, les cordes et ficelles, le fourrage, les produits de décoration, les gommes, les résines et latex, la viande de brousse, les épices, les champignons, le miel, les fruits , les noix, les légumes, etc. Toutes ces ressources font l'objet de convoitise de la part des pays voisins mais aussi de la planète entière.

B. Le bassin du Congo : Un « bien commun » à gestion complexe 1. La notion de « bien commun »

Pour le jeune spécialiste des relations internationales, la tâche est rude quand il s'agit d'aborder les enjeux de la forêt du bassin du Congo. Depuis trente ans, il est de bon ton dans le courant dominant de la discipline de montrer que, là où surgit une question d'intérêt mondial, là se crée un « régime » : « ensemble de règles, de principes, de procédures, de mécanismes de prise de décision autour desquels convergent les attentes des acteurs », selon la formule canonique85. Le modèle d'analyse étant celui de l'action collective et l'idéologie celle du choix rationnel. Mais que se passe-t-il lorsque les États refusent de s'engager à coopérer dans un texte obligatoire ? Lorsque sur le terrain, la corruption, l'abattage illégal, la fraude et le braconnage dominent ? Lorsque, du point de vue scientifique et technique, l'information n'est pas sûre ou manipulée. Les experts ne sont pas d'accord. Aucune communauté de savoir ne s'impose sur la réelle démarche à suivre.

Privé de ses repères familiers, l'internationaliste du courant dominant est démuni. Il se réfugie dans la glose et tourne en rond. Il n'est d'ailleurs pas le seul. Les bilans dressés par les grandes organisations internationales sur les politiques forestières sont une longue suite de lamentations sur le sort incertain des forêts et de mea culpa pour les stratégies erronées.

Ici, ce sont les systèmes d'interaction construis à tous les niveaux autour des multiples fonctions de la forêt qu'il convient de décortiquer en préalable à toute action politique pour que se révèlent les mécanismes d'échange et négociation, les liens de dépendance coloniale, les stratégies économiques et scientifiques contribuant à l'exploitation abusive de ces ressources.86 En clair, depuis la fin des années quatre-vingt, la notion de commons a tout envahi87.

Lorsque la notion de « Bien commun » a été introduite dans la discussion internationale sur les forêts et sur la biodiversité en préparation de la conférence de Rio (1992), elle avait déjà des implications différentes selon les thèmes et selon les acteurs. Pour les organisations de défense de l'environnement des pays du Nord, il s'agissait de faire connaitre les forêts tropicales humides, principal réservoir de richesse biologique, comme des sites relevant d'un patrimoine commun à tous. Un régime supranational de protection de l'environnement se serait superposé à la souveraineté territoriale. Les pays tropicaux seraient devenus des gardiens de leurs propres forêts, responsables passifs d'une ressource appartenant à l'humanité. L'idée de bien commun était clairement au service d'un objectif de préservation pour le bien commun. Comme on pouvait s'y attendre, les grand pays de forêt tropicale

85Marie ClaudeSmouts, « Un monde sans bois ni lois. La déforestation des pays tropicaux », In: Critique internationale, vol. 9, Politiques de la biosphère. 2000, p. 3.

86 Ibid., p. 3.

87 Ibid., p. 4.

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dénoncèrent vigoureusement ce nouvel impérialisme écologique bien mal masqué et s'opposèrent à toute introduction de la notion de bien commun dans les textes relatifs aux forêts.

De leur côté, les pays industrialisés s'intéressaient, eux, à la dimension « libre accès » de la notion de bien commun. Au nom de la préservation de la biodiversité, patrimoine commun de l'humanité, il s'agissait pour eux d'assurer à leurs groupes pharmaceutiques et à leurs laboratoires de recherche un accès continu aux richesses biologiques et ressources génétiques se trouvant dans les pays tropicaux88. À Rio, les pays du Sud réussirent à faire reconnaitre leur souveraineté sur leurs ressources. Le paradoxe de tout ceci est que la notion de bien commun a favorisé de facto le pillage des savoirs locaux, notamment dans le domaine de la pharmacopée traditionnelle89, la musique, la sculpture, ainsi que la privatisation accélérée de la biodiversité mondiale par le biais des brevets et droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques ; terrain sur lequel s'est rapidement déplacé l'essentiel de la discussion internationale.

Dans le domaine de la forêt et de la conservation de la biodiversité, l'invocation du bien commun sert avant tout à légitimer l'intervention extérieure au nom des intérêts supérieurs de l'humanité dans les domaines relevant de la souveraineté territoriale des États. Exactement comme l'obligation de protéger les droits de l'homme a permis l'invasion de la Lybie en 2011. Si les pays du Sud s'opposent le plus souvent à son usage, ils y recourent parfois aussi pour souligner qu'il n'y a pas de raison de traiter à part les forêts tropicales et que, si organisation et conventions mondiales il doit y avoir, celles-ci doivent appliquer les mêmes exigences et les mêmes contrôles à tous les types de forêts, notamment celles du Canada et des États-Unis. Pratiquement, la notion de Commons n'a pas de pertinence pour la protection des forêts. Juridiquement, elle n'est pas nécessaire.90Ce que les forêts offrent de « Commun » à l'échelle planétaire, ce sont les externalités, positives ou négatives, dont la responsabilité incombe entièrement à l'État territoriale et donc aux populations locales. Sur ce point, la déclaration de Stockholm (1972) et celle de Rio (1992) sont identiques et très claires :

« Conformément à la charte des nations unies et aux principes du droit international, les États ont le droit souverain d'exploiter leurs ressources propres selon leur politique d'environnement et de développement, et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l'environnement dans d'autres États ou dans des zones ne relevant d'aucune juridiction nationale ».91

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