SECTION I : L'ÉTAT DES LIEUX DE LA GESTION DES
FORÊTS DU BASSIN DU
CONGO
Le bassin du Congo c'est d'abord et avant tout une immense
forêt tropicale continue sur plusieurs États. Son rôle dans
la séquestration du carbone au niveau planétaire n'est plus
à démontrer. Bien que des reformes légales et politiques
dans la gestion des revenus issus de sa gestion fassent encore l'objet de
revendications locales. En effet, les politiques de gouvernance des
forêts et de la conservation de la biodiversité au niveau national
sont étroitement liées aux politiques internationales. Les enjeux
et jeux d'acteurs liés à la conservation de sa diversité
biologique nécessitent une vue globale et systémique. Ces
politiques, ces acteurs et leurs effets directs et indirects voir
stratégiques ont des impacts induits conséquents.
79NicolasNamba « S'unir pour la sauvegarde de la
faune sauvage »,Ejournal USA, Département d'État
des États-Unis, volume 17/Numéro 2, Avant-propos, 2012, p. 13.
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Dans cette section, nous ferons premièrement un
état commenté des politiques de gestion des forêts du
bassin du Congo (Paragraphe I) et par la suite nous mettrons en lumière
l'une des conséquences du mode de gestion actuel : les conflits HH et
HGS (Paragraphe II).
PARAGRAPHE I : LES POLITIQUES DE GESTION DES
FORÊTS DU BASSIN DU CONGO
D'après Ongolo et Badoux. « Dans les
arènes internationales de gouvernance environnementale, la quête
du « bon » usage des forêts tropicales oscille entre
exploitation raisonnée de ces ressources naturelles et
préservation de portions plus ou moins importantes de ces espaces.
» 80
Dans ce paragraphe nous observerons la politique
socio-environnementale du bassin du Congo (A) et sa gestion complexe en tant
que « bien commun » (B).
A. LA POLITIQUE SOCIO-ENVIRONNEMENTALE DU BASSIN DU
CONGO 1. Le partenariat pour les forêts du bassin du Congo
(PFBC)
Les forêts du bassin du Congo offrent des moyens de
subsistance à 60 millions de personnes qui vivent ou résident
à proximité (nourriture, pharmacopée, combustibles,
fibres, produits forestiers non ligneux). Elles remplissent aussi des fonctions
sociales et culturelles. Ces forêts contribuent plus indirectement
à alimenter les 40 millions de personnes qui vivent dans les centres
urbains proches de ces domaines forestiers81. L'état de cette
forêt affecte le bien être de millions de personnes, influe sur le
climat régional et mondial et sur la biodiversité. Ces
rôles essentiels sont pris en compte par les accords multilatéraux
sur l'environnement tels que la convention - cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques (CCNUCC). Les politiques de réduction des
émissions de GES dues à la déforestation et la
dégradation des forêts (REDD+) qui reconnaissent le rôle des
forêts dans le cycle du carbone. Pour la convention sur la
diversité biologique (CDB), la perte d'habitats forestiers est une cause
majeure de la baisse de la diversité biologique. Ces
problématiques sont transférées par la suite aux
institutions sous régionaux tels que le partenariat pour les
forêts du bassin du Congo (PFBC).
Le partenariat pour les forêts du bassin du Congo
(PFBC) a été institué dans le but de conserver cette riche
biodiversité d'Afrique centrale dans une perspective de
développement durable. Il s'agit d'un partenariat non contraignant ayant
pour objectif de promouvoir une bonne gouvernance de ces forêts. La
protection des forêts du bassin du Congo a été ainsi
placée au coeur, non seulement des politiques nationales, mais aussi des
travaux du sommet de Johannesburg en 2002 en marge duquel le partenariat pour
les forêts du bassin du Congo a été signé.
Pour la sous-région, le PFBC devrait anticiper sur les
politiques et le cadre juridique de conservation des forêts du bassin du
Congo. Sur le plan politique et géostratégique ces
80Symphorien Ongolo et Miriam Badoux, «
Gouverner par la ruse : l'État camerounais face aux exigences
internationales de conservation de la biodiversité », in
Daniel et al., Les politiques de biodiversité, Paris,
Presses de science Po, 2017, p. 4.
81CarlosWasseige, J., Flynn,Louppe, D., HiolHiol,
F., P., Mayaux, Les forêts du bassin du Congo - État des
forêts, Weyrich. Belgique, 2013, p. 21.
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forêts sont au coeur des enjeux majeurs non seulement
pour les pays de la sous-région, mais aussi pour ceux du
monde82. Compte tenu de leur importance au regard des grands
problèmes environnementaux contemporains, les enjeux sociaux,
économiques, scientifiques, politiques, juridiques, autour du bassin du
Congo sont au coeur des débats.
Toutefois, la diversité des acteurs impliqués
qui est une des caractéristiques de ce complexe forestier suscite des
interrogations sur le mécanisme juridique accompagnant tous leurs
efforts, dans la mesure où l'association de ces partenaires aux statuts
juridiques différents nécessiterait préalablement un cadre
juridique qui détermine les droits et obligations de chaque
associé83. En effet, nous avons à ce jour 52 membres
que sont les gouvernements, des organisations internationales, des ONG et
groupes de recherches ou relevant du secteur privé ; qui doivent
conjuguer des efforts afin d'arriver aux objectifs assignés au
partenariat. Par conséquent « Ce partenariat devrait disposer de
personnel permanent et ne pas juste servir de courroie de transmission entre
les bailleurs de fonds et organismes d'exécutions ou de forum de
dialogue entre partenaires ».84
Remettre en question le rôle politique et
stratégique de certains partenaires techniques dans la vision globale de
la conservation de la biodiversité du bassin du Congo ne devrait pas
être perçu comme une sortie de ligne pour un pays comme le
Cameroun. En effet, le Cameroun occupe une place centrale dans les jeux de
pouvoir de la sous-région et devrait pouvoir contribuer à
infléchir l'autoritarisme occidental observé dans cet immense
réservoir de ressources naturelles. Par exemple, le Cameroun par sa
position géographique et politique dans la sous-région devrait
s'orienter vers une coopération scientifique sous régionale pour
répondre aux problèmes rencontrés dans la gouvernance des
forêts.
2. Le modèle participatif du PNL
Le parc national de Lobéké (PNL) à
l'extrême Sud-est du Cameroun, à la frontière avec le Congo
Brazzaville et la RCA offre un bon exemple d'intégration des politiques
de conservation endogénéisées. Les modèles de
gestion communautaire des revenus de l'exploitation forestière dans le
TNS (Tri National de la Sangha) avec les populations locales et autochtones
comme les pygmées Baka sont aujourd'hui largement valorisés dans
d'autres aires protégées en Afrique centrale. Avec l'appui de
nombreux partenaires techniques et financiers comme le WWF et la GIZ,
l'État du Cameroun fait preuve de réalisme en créant un
environnement institutionnel favorable à une gestion des conflits
sous-jacents à la gestion des revenus tout en valorisant les savoirs
locaux. Toutefois, il est important d'accentuer la communication sur ces
modèles qui portent déjà des fruits.
En effet, à cause de la faible fertilité des
sols pour l'agriculture et la faible productivité dans certaines zones,
des changements climatiques, la croissance démographique et des
complications foncières ; les populations de la grande partie du Bassin
du Congo pénètrent consciemment dans les aires
protégées. Leur attachement culturel et économique
à la forêt fait qu'elles continuent à l'utiliser, dans
leurs usages quotidiens et pour leur subsistance, les
82Jean Paul Segihobe Bigira, Partenariat pour les
forêts du bassin du Congo et développement durable : à
l'épreuve des enjeux, Academia-l'harmattan, 2012, p. 12.
83Ibid., p. 23.
84Idem.
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produits forestiers ligneux et non ligneux parmi lesquels le
bois, les fibres, les feuilles, les cordes et ficelles, le fourrage, les
produits de décoration, les gommes, les résines et latex, la
viande de brousse, les épices, les champignons, le miel, les fruits ,
les noix, les légumes, etc. Toutes ces ressources font l'objet de
convoitise de la part des pays voisins mais aussi de la planète
entière.
B. Le bassin du Congo : Un « bien commun »
à gestion complexe 1. La notion de « bien commun »
Pour le jeune spécialiste des relations
internationales, la tâche est rude quand il s'agit d'aborder les enjeux
de la forêt du bassin du Congo. Depuis trente ans, il est de bon ton dans
le courant dominant de la discipline de montrer que, là où surgit
une question d'intérêt mondial, là se crée un «
régime » : « ensemble de règles, de principes, de
procédures, de mécanismes de prise de décision autour
desquels convergent les attentes des acteurs », selon la formule
canonique85. Le modèle d'analyse étant celui de
l'action collective et l'idéologie celle du choix rationnel. Mais que se
passe-t-il lorsque les États refusent de s'engager à
coopérer dans un texte obligatoire ? Lorsque sur le terrain, la
corruption, l'abattage illégal, la fraude et le braconnage dominent ?
Lorsque, du point de vue scientifique et technique, l'information n'est pas
sûre ou manipulée. Les experts ne sont pas d'accord. Aucune
communauté de savoir ne s'impose sur la réelle démarche
à suivre.
Privé de ses repères familiers,
l'internationaliste du courant dominant est démuni. Il se réfugie
dans la glose et tourne en rond. Il n'est d'ailleurs pas le seul. Les bilans
dressés par les grandes organisations internationales sur les politiques
forestières sont une longue suite de lamentations sur le sort incertain
des forêts et de mea culpa pour les stratégies
erronées.
Ici, ce sont les systèmes d'interaction construis
à tous les niveaux autour des multiples fonctions de la forêt
qu'il convient de décortiquer en préalable à toute action
politique pour que se révèlent les mécanismes
d'échange et négociation, les liens de dépendance
coloniale, les stratégies économiques et scientifiques
contribuant à l'exploitation abusive de ces ressources.86 En
clair, depuis la fin des années quatre-vingt, la notion de
commons a tout envahi87.
Lorsque la notion de « Bien commun » a
été introduite dans la discussion internationale sur les
forêts et sur la biodiversité en préparation de la
conférence de Rio (1992), elle avait déjà des implications
différentes selon les thèmes et selon les acteurs. Pour les
organisations de défense de l'environnement des pays du Nord, il
s'agissait de faire connaitre les forêts tropicales humides, principal
réservoir de richesse biologique, comme des sites relevant d'un
patrimoine commun à tous. Un régime supranational de protection
de l'environnement se serait superposé à la souveraineté
territoriale. Les pays tropicaux seraient devenus des gardiens de leurs propres
forêts, responsables passifs d'une ressource appartenant à
l'humanité. L'idée de bien commun était clairement au
service d'un objectif de préservation pour le bien commun. Comme on
pouvait s'y attendre, les grand pays de forêt tropicale
85Marie ClaudeSmouts, « Un monde sans bois
ni lois. La déforestation des pays tropicaux », In: Critique
internationale, vol. 9, Politiques de la biosphère. 2000, p.
3.
86 Ibid., p. 3.
87 Ibid., p. 4.
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dénoncèrent vigoureusement ce nouvel
impérialisme écologique bien mal masqué et
s'opposèrent à toute introduction de la notion de bien commun
dans les textes relatifs aux forêts.
De leur côté, les pays industrialisés
s'intéressaient, eux, à la dimension « libre accès
» de la notion de bien commun. Au nom de la préservation de la
biodiversité, patrimoine commun de l'humanité, il s'agissait pour
eux d'assurer à leurs groupes pharmaceutiques et à leurs
laboratoires de recherche un accès continu aux richesses biologiques et
ressources génétiques se trouvant dans les pays
tropicaux88. À Rio, les pays du Sud réussirent
à faire reconnaitre leur souveraineté sur leurs ressources. Le
paradoxe de tout ceci est que la notion de bien commun a favorisé de
facto le pillage des savoirs locaux, notamment dans le domaine de la
pharmacopée traditionnelle89, la musique, la sculpture, ainsi
que la privatisation accélérée de la biodiversité
mondiale par le biais des brevets et droits de propriété
intellectuelle sur les ressources génétiques ; terrain sur lequel
s'est rapidement déplacé l'essentiel de la discussion
internationale.
Dans le domaine de la forêt et de la conservation de la
biodiversité, l'invocation du bien commun sert avant tout à
légitimer l'intervention extérieure au nom des
intérêts supérieurs de l'humanité dans les domaines
relevant de la souveraineté territoriale des États. Exactement
comme l'obligation de protéger les droits de l'homme a permis l'invasion
de la Lybie en 2011. Si les pays du Sud s'opposent le plus souvent à son
usage, ils y recourent parfois aussi pour souligner qu'il n'y a pas de raison
de traiter à part les forêts tropicales et que, si organisation et
conventions mondiales il doit y avoir, celles-ci doivent appliquer les
mêmes exigences et les mêmes contrôles à tous les
types de forêts, notamment celles du Canada et des États-Unis.
Pratiquement, la notion de Commons n'a pas de pertinence pour la
protection des forêts. Juridiquement, elle n'est pas
nécessaire.90Ce que les forêts offrent de « Commun
» à l'échelle planétaire, ce sont les
externalités, positives ou négatives, dont la
responsabilité incombe entièrement à l'État
territoriale et donc aux populations locales. Sur ce point, la
déclaration de Stockholm (1972) et celle de Rio (1992) sont identiques
et très claires :
« Conformément à la charte des nations
unies et aux principes du droit international, les États ont le droit
souverain d'exploiter leurs ressources propres selon leur politique
d'environnement et de développement, et ils ont le devoir de faire en
sorte que les activités exercées dans les limites de leur
juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à
l'environnement dans d'autres États ou dans des zones ne relevant
d'aucune juridiction nationale ».91
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