L'union européenne et le kosovopar Eloïse GUILLERON Université Rennes 1 - Ecole Normale Supérieure de Rennes - Master 2 Droit de l'Union européenne, Droit de l'Organisation Mondiale du Commerce 2016 |
Section 2 : L'UE promotrice d'un state building inédit auprès du KosovoL'état kosovar, à l'image de beaucoup d'états des Balkans occidentaux, est caractérisé par sa jeunesse. Le Kosovo est un des pays les plus jeunes du monde, et ses structures gouvernementales sont encore balbutiantes. En effet, il faut noter que jusqu'à la déclaration unilatérale d'indépendance de 2008, le Kosovo n'avait jamais été indépendant. Le Kosovo est, pour la plus grande partie de son histoire, resté sous l'occupation de l'Empire ottoman. Du temps de l'ex-Yougoslavie, une certaine autonomie a fini par lui être accordé, mais c'était toujours en tant 104 Article 13 ASA UE-Kosovo 48 qu'État partie d'une structure étatique supranationale plus imposante. Dès lors, lorsque l'Union a intégré le Kosovo dans son PSA et lui a par conséquent demandé de reprendre l'acquis européen, elle a indirectement aidé à la mise en place d'institutions qui étaient auparavant inexistante. Cet state building, d'une ampleur inédite, se retrouve aussi bien au niveau étatique (I) qu'au de la société civile (II). I) Le soutien de l'Union pour le renforcement de l'Etat kosovar Pour être un Etat stable, le Kosovo a besoin d'institutions qui fonctionnent. Dans ce contexte, l'UE va mettre à disposition du Kosovo des instruments du PSA, comme l'assistance technique, qui joue un grand rôle dans la stabilisation administrative d'un Etat en construction (A). D'autre part, en mettant en oeuvre les demandes européennes, le Kosovo se rapproche certes de l'Union européenne, mais voit également se développer sa ramification administrative, ce qui renforce considérablement sa légitimité en tant qu'Etat (B). A) L'assistance technique vectrice de stabilisation des institutions kosovares On peut définir l'assistance technique comme « l'apport d'une expertise et de fonds destinés à mettre en oeuvre les programmes liés aux objectifs des politiques. (...) en général, les dépenses doivent contribuer au développement des capacités administratives »105. Le Kosovo bénéficie de deux instruments d'assistances techniques insérés dans les instruments de pré-adhésion IAP I et IAP II : TAIEX et Twinning, qu'on abordera l'un après l'autre. Ces deux instruments sont, comme on l'a vu, non spécifiques au Kosovo seul, mais communs à tous les pays relevant de l'IAP et à certains pays relevant de la PEV. On notera néanmoins, qu'à l'image d'autres instruments de l'Union dont le bénéficie le Kosovo, ceux-ci vont avoir un effet supplémentaire et plus profond que la reprise de l'acquis communautaire seule. En effet, dans le cadre d'un État en construction comme le Kosovo avec des administrations soumises à une forte rotation interne106, l'existence de cet appui constant des institutions européenne participe à la pérennisation des institutions. Nous pourrions même avancer que dans ce cas de figure, l'offre crée la demande et que les autorités kosovares créent, pérennisent et stabilisent des postes afin de répondre à l'offre européenne d'assistance, là où la mise en place d'une conditionnalité de création d'une institution aurait été insuffisante pour assurer sa stabilité. 105Rapport spécial de la Cour des Comptes européenne « Quelle a été la contribution de l'assistance technique dans le domaine de l'agriculture et du développement rural », FR, 2015, 04, p 6 106 Source : Revues de Presse de l'Ambassade de France en Bosnie-Herzégovine. 49 Pour donner un exemple, la création d'un médiateur (ou défenseur des droits) fait partie de la conditionnalité relative à la libéralisation du régime des visas. Cette institution a donc été créée, mais se posait ensuite la question de la mise en oeuvre. Dusan Popovic souligne ainsi que certains États des Balkans occidentaux reprennent l'acquis mais ne le mettent pas en oeuvre car les administrations publiques ne comprennent pas un texte souvent repris mot pour mot dans la législation nationale107. L'instrument TAIEX (Technical Assistance and Information exchange) qui a pour objectif d'apporter aux administrations publiques de l'assistance au regard de la reprise et de la mise en oeuvre de l'acquis communautaire a permis de financer une visite d'étude du médiateur kosovar auprès du Défenseur des Droit français108. Cette visite a permis au médiateur « d'étudier les mécanismes mis en place en France en matière de lutte contre les discriminations, d'égalité des droits et de prévention de la torture ». Grâce à l'instrument TAIEX une coopération a également pu être mise en place entre le Défenseur des Droits français et le médiateur kosovar, ce qui permet indirectement de s'assurer de la pérennité de l'institution (il est plus difficile de supprimer ou de couper tout le budget d'une institution si celle-ci est engagée dans des coopérations). L'assistance technique mis en place par l'instrument TAIEX se veut au plus près des besoins des administrations locales et se décline en trois composantes : la mise en place de workshops où des pans du droits de l'Union européenne sont présentés par des experts des États membres à des fonctionnaires, des juges, des membres des forces de l'ordre etc.. afin de s'assurer une meilleure mise en oeuvre de l'acquis repris109 ; des missions d'experts, où des experts d'États membres sont envoyés dans des administrations pour dispenser des conseils techniques et pratiques ; et enfin des visites d'étude, où un groupe de fonctionnaire d'une administration vont effectuer une visite d'étude dans l'administration d'un État membre afin de s'inspirer de leurs bonnes pratiques. La limite de cet instrument TAIEX au Kosovo est que la demande d'assistance doit être faite par l'État, ce qui implique une formulation en amont des besoins de l'administration concernée. Or, il apparait que le Ministre de l'Intégration européenne au Kosovo, qui a le rôle de coordinateur 107 POPOVIC D, « L'harmonisation du Droit privé des pays des Balkans occidentaux avec le droit communautaire », Revue du marché commun et de l'Union européenne, n°536, mars 2010. 108 « Visite d'étude en France du Défenseur des Droits, Mr Hilmi Jashari », 04/06/2016, https://kosovo.ambafrance.org consulté le 12/08/2017. 109 A titre d'exemple, des séminaires portant sur la lutte contre le trafic des biens culturels sont en train d'être organisés dans tous les pays des Balkans Occidentaux. Source : Service de Coopération et d'Action Culturelle Ambassade de France en Bosnie-Herzégovine. 50 national pour l'IAP I et II (NIPAC) a des difficultés à assumer son rôle et à constituer un relai efficace110. Le deuxième instrument « Twinning » est l'instrument européen pour la coopération institutionnelle entre les administrations publiques des États membres et des pays partenaires, dont le Kosovo fait partie. Il a pour objectif de construire et renforcer les capacités administratives de l'administration publique du pays, via l'octroi d'expertise, de conseils, de partage de bonnes pratiques et l'aide à la réorganisation de l'administration. L'instrument Twinning est ainsi particulièrement représentatif du double bénéfice lié à la mise en oeuvre des demandes européennes : en se rapprochant de l'Union le Kosovo crée aussi des structures nouvelles qui renforcent sa souveraineté interne (B). B) Le double bénéfice lié à la mise en oeuvre des demandes européennes : rapprochement de l'Union et création de structures nouvelles Dans le cadre du processus de stabilisation et d'association, les États des Balkans occidentaux reprennent petit à petit l'acquis communautaire et se mettent en conformité avec les exigences européennes. En procédant à cette reprise de l'acquis, le pays se rapproche de l'Union européenne et se voit accorder des récompenses sous la forme d'une intégration matérielle de plus en plus importante à l'espace européen (étude de faisabilité, ASA, ouverture de la participation aux programmes de l'Union, accord sur les visas, obtention du statut de pays candidat, adhésion à l'Union européenne). Pour le Kosovo nous pouvons avancer que ce premier effet et doublé d'un effet structurant, en lien avec la première fonction de l'UE au sein de la MINUK : la reconstruction. Pour être plus précis, dans les pays relevant du PSA, la mise en conformité avec les exigences européennes passe par une mutation législative et organisationnelle. Néanmoins, dans des secteurs relativement récents dans les pays d'ex-Yougoslavie comme la propriété intellectuelle, la reprise de l'acquis de créé un nouveau pan de Droit et parfois même de nouvelles institutions111. Dès lors, dans un État en construction comme le Kosovo, la mise en oeuvre des demandes européennes va permettre, en plus de rapprocher le pays de l'UE, de créer de nouvelles ramifications étatiques et donc d'asseoir un peu plus le Kosovo comme un État souverain et fonctionnel. On peut également ajouter que ces nouveaux organes créés ne se feront pas ex nihilo, mais en fonction et au regard des pratiques 110 IPA II Monitoring, Reporting and Performance Framework, Specific Contract n° 2014/351-964, Final Report 25 janvier 2016, p 112. 111POPOVIC D, « L'harmonisation du Droit privé des pays des Balkans occidentaux avec le droit communautaire », Revue du marché commun et de l'Union européenne, n°536, mars 2010. 51 et exigences communautaires. Ainsi, en juin 2004, alors que le Kosovo n'avait pas encore déclaré unilatéralement son indépendance, l'Union européenne avait adopté un « Partenariat européen » pour la province kosovare. Ce partenariat constituait en fait davantage en un monitoring très poussé qu'en un simple partenariat. En effet, l'Union européenne y énonçait des actions à mettre en oeuvre, tandis que les autorités provisoires du Kosovo avaient répondu par l'adoption d'un plan d'action définissant les mesures envisagées pour répondre aux demandes de l'Union européenne, évaluaient leurs coûts et surtout, évaluait l'aide nécessaire pour mettre en oeuvre ce programme112. Ce plan était également doublé d'un dispositif de suivi du processus de stabilisation et d'association (STM) chargé d'examiner les progrès réalisés dans la mise en oeuvre de ce partenariat européen113. Plus récemment et en termes d'administration publique on peut ainsi relever l'adoption en 2016 d'une loi sur les procédures administratives114. Une telle loi est indispensable au fonctionnement d'un État, en ce qu'elle permet de régler les rapports entre les administrations et les usagers, contribuant ainsi à renforcer la souveraineté et la légitimité kosovare en tant qu'organe de référence. Pour illustrer au mieux notre propos, nous nous intéresserons à quelques exemples de structures nouvelles qu'a dû créer le Kosovo dans le cadre de sa mise en conformité avec les exigences de l'UE pour la mise en place d'un accord sur les visas. En effet, les réformes introduites, qui ont directement trait à la capacité d'un État à contrôler qui entre et sort de ses frontières souveraines, participent à la structuration du Kosovo dans ces domaines. On pourra par exemple citer la création d'une base de données relative à l'état civil, avec l'attribution d'un numéro d'identité à chaque ressortissant kosovar115. Le Kosovo a également mis en place tout un cadre juridique relatif à la réadmission et au retour de ses nationaux, avec notamment la mise en place d'un fond de gestion destiné à l'aide des personnes rapatriées. Cette initiative, mise en place au cours de l'année 2015 à la demande de l'Union européenne, s'est peu à peu muée en véritable service d'aide au retour pour les personnes rentrant au Kosovo, sans égard à la date de leur départ du pays. Plus précisément, le 9 mars 2016, le Kosovo a adopté une réglementation relative à la réinsertion qui ouvre l'accès à une aide à l'emploi indépendant116 et à la création d'une entreprise pour toutes les 112 Communication « Un avenir européen pour le Kosovo », COM(2005) 156 final, 20/04/2005 113 Communication « Un avenir européen pour le Kosovo », COM(2005) 156 final, 20/04/2005 114Communication de 2016 sur la politique d'élargissement de l'UE. COM(2016) 715 final. 115Troisième rapport concernant les progrès accomplis par le Kosovo* pour satisfaire aux exigences de la feuille de route sur l'assouplissement du régime des visas, COM(2015) 906 final. 116La mise en place d'un service de ce type est particulièrement cruciale dans les Balkans occidentaux où le taux de chômage reste très élevé. Dans un contexte où les salariés des quelques grandes entreprises ne perçoivent pas leur 52 personnes faisant l'objet d'une mesure de retour. Au premier trimestre 2016, 704 personnes soumises à une procédure de retour ont pu bénéficier de services de réinsertion durable. Ce chiffre est en hausse constante par rapport à 2014 et 2015 (336 et 628)117. Un bureau de conseil spécialisé dans l'aide à la création d'entreprise a également été créé. Cette mise en place d'un « pont » entre les personnes rapatriées et l'Etat kosovar, qui va les aider dans leur réinstallation renforce le lien existant entre l'Etat et sa population, et participe donc à la création d'une véritable société civile (II). II) Le soutien de l'UE à la création d'une véritable société civile kosovare Selon l'Union européenne, « la société civile regroupe notamment les organisations syndicales et patronales (les "partenaires sociaux"), les organisations non gouvernementales (ONG), les associations professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution spécifique des églises et communautés religieuses »118. Elle a pour objectif de représenter, sur une base volontaire, les membres de la Société dont elle est issue. Dès lors, que pour qu'une société civile s'incarne, le sentiment d'appartenir à un même ensemble est nécessaire, ainsi que la poursuite d'intérêts en commun. Concrètement, la formalisation d'une société civile kosovare, signifierait que les citoyens du Kosovo se sentent kosovars, plus qu'albanais ou serbe. La société civile est dès lors un bon indicateur de l'existence d'une « population » telle que réclamée par le Droit international comme composante d'un Etat. Or, l'UE dans les instruments qu'elle déploie au Kosovo, apporte un réel soutien à la création d'une véritable société civile kosovare, par son processus d'allocation des aides d'une part (A), mais aussi par les bonnes pratiques que les nationaux du Kosovo peuvent tirer de leur participation aux programmes de l'Union (B). salaire à temps, ou pas du tout, l'autoentrepreneuriat est avancé comme une solution pour relancer le tissu économique local. Dans ce cadre, les initiatives à destination des nationaux pour mettre en place des formations à l'entrepreneuriat se multiplie, souvent pour pallier à la carence étatique en la matière. Ces « écoles d'entrepreneurs » sont souvent alimentées par des appels à projets et des fonds privés internationaux et/ou de l'UE. Par exemple, dans le cadre de son appel à projet « Appel à la Société civile 2017 », l'Ambassade de France en Bosnie-Herzégovine a reçu plus d'une trentaine de projets ayant pour objectif de monter des écoles d'entrepreneurs et notamment un appel d'une Université qui souhaitait créer une filière dédiée à l'entrepreneuriat et qui cherchait des fonds. Dès lors la création d'un fond de ce genre au Kosovo répond à un véritable besoin. 117Quatrième rapport concernant les progrès accomplis par le Kosovo* pour satisfaire aux exigences de la feuille de route sur l'assouplissement du régime des visas COM(2016) 276 final. 118 Livre blanc sur la gouvernance européenne COM(2001) 428 final du 25/07/2001 53 A) Le processus d'allocation des aides de l'Union favorisant la pérennisation d'acteurs de la société civile Lors du dernier recensement de 2013, la population du Kosovo a été estimée à 1, 803 million d'habitants. Cette population est hétérogène, avec une majorité de kosovar-albanais (environ 90%) et une forte présence des minorités, avec plus de 120 000 serbes et 40 000 représentants d'autres minorités, roms, ashkalis, égyptiens, turcs, goranis, croates, bosniaques et monténégrins119. L'État kosovar est un État récent et sa société civile est encore en pleine construction. Au-delà des communautés, l'ambition est maintenant de créer au sein du Kosovo une société civile qui se projette un avenir au sein du Kosovo et qui se réfère aux institutions kosovares120. Dans ce cadre, le processus d'allocation des aides de l'Union européenne au Kosovo renforce cette société civile en l'aidant à se structurer et en encourageant l'établissement de dialogues entre différentes organisations de la société civiles (OSC). Depuis la conférence « Civil Society Developement in South-East Europe : Building Europe together », qui s'est tenue à Bruxelles les 17 et 18 avril 2008, la Commission européenne a décidé de mettre en place un dialogue permanent entre la Commission européenne (sous la forme des Délégations de l'UE) et les OSC des pays partenaires sur le chemin de l'adhésion121. Ce dialogue a pour objectif de favoriser l'échange de bonnes pratiques, la recherche de partenaires et le développement de projets spécifiques. Dans la lignée de cette conférence, l'Organe de liaison de l'UE au Kosovo, qui est l'équivalent de la Délégation de l'UE au Kosovo, a engagé un dialogue régulier avec les OSC kosovares dans le cadre de la rédaction du rapport de progrès publié chaque année. Invitées à contribuer à ce rapport annuel, les OSC peuvent également débattre des conclusions de celui-ci. De plus, en amont des réunions liées à la rédaction du rapport de progrès, les OSC sont également invitées à contribuer lors des réunions sectorielles du Comité de Stabilisation et d'Association mis en place dans le cadre de l'ASA UE-Kosovo. Dès lors, même les petites OSC disposent d'opportunité pour faire entendre leur voix et peuvent être mises en relations avec d'autres OSC exerçant une activité similaire. Cet effet de mise en réseau a plusieurs avantages. Il peut permettre à des OSC de mettre en communs certaines de leurs connaissances et de leurs moyens et par exemple proposer un projet de plus grande envergure tout en évitant les doublons. Ce processus leur permet de devenir des actrices plus crédibles en démontrant qu'elles 119 Source : www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/kosovo/presentation-du-kosovo/ , consulté le 15/08/2017 120 La même problématique se retrouve en Bosnie-Herzégovine où la Délégation de l'Union européenne oeuvre en faveur d'un rapprochement entre les communautés et favorise les projets intercommunautaires. 121 Conclusions du Conseil « The roots of Democracy and sustainable development : Europe's engagement with civil Society in external relations », 3191th Foreign Affairs Developpement council meetings, Luxembourg, 15/10/2012. 54 disposent d'une capacité à entretenir un réseau et qu'elles ont une appréhension des enjeux globaux et non pas seulement locaux. Cette approche globale est d'ailleurs particulièrement appréciée dans un état multiethnique comme le Kosovo où les bailleurs de fonds internationaux auront toujours tendance à privilégier les projets profitants à la société civile kosovare plutôt qu'à une communauté particulière. Lors du 3191ème Conseil Affaires étrangères et développement qui s'est tenu le 15 octobre 2012 à Luxembourg, a été lancé une nouvelle politique ambitieuse à destination des OSC, rappelant que le financement constitue un élément important du soutien à un environnement propice pour la Société civile. L'UE constitue d'ailleurs le principal bailleur de fonds de la plupart des OSC au Kosovo122. L'aide fournie passe alors par le biais de l'IAP, de l'Instrument européen pour la démocratie et les droits humains (EIDHR) sous la forme notamment d'appels à projets. Cette ventilation des fonds par le biais d'appels à projet est particulièrement intéressante pour la pérennisation de la société civile au Kosovo. En effet, il entraine une mobilisation d'OSC autour de thèmes importants pour le Kosovo, et pousse à l'engagement la base citoyenne, d'autant plus lorsque la structure gouvernementale connait des défaillances123. Dans certains pays partenaires de l'UE des OSC critiquent le fait que dans le cadre des appels à projets, les fonds sont assez rarement alloués aux plus petites structures. Nous considérons ce choix justifié par la nécessité de s'assurer de la bonne utilisation des fonds alloués. C'est cet impératif qui justifie que soit favorisé les OSC disposant d'une certaine capacité administrative et dont on est certains qu'elles pourront mener à bien le projet pour lesquelles elles ont bénéficié d'un financement. Ce faisant, l'UE pousse indirectement les OSC locales à se professionnaliser et à professionnaliser leurs actions124. De plus, les critères de sélection des projets (communiqués en avance au public sous la forme de « feuille de route » annuelle) mettent une emphase particulière sur la pérennité des projets et la coopération entre OSC. Néanmoins, afin de se rapprocher au plus près des OSC les plus petites, l'Organe de liaison de l'UE au Kosovo pratique également les financements de projets en cascades : les fonds sont 122 Commission Staff working document Kosovo* 2016 Report- Accompanying the document 2016 Communication on EU Elargment Policy. 123 A titre d'exemple, la Bosnie-Herzégovine pullule littéralement d'OSC dans tous les domaines, et plus particulièrement dans les domaines où l'État est absent (culture, services sociaux, protection des femmes, formation à l'entreprenariat, etc...) 124 Au cours de notre stage à l'Ambassade de France en Bosnie-Herzégovine nous avons été chargés de la première sélection des projets et de la communication avec les OSC pour un appel à projet. Dans ce cadre il nous est arrivé de devoir expliquer par mail à la présidente d'une association comment envoyer des pièces jointes dans un mail. Certaines OSC envoyaient des lettres sans remplir les formulaires demandés. D'autres encore, envoyait des brochures d'une cinquantaine de pages ... au sein desquelles le projet de l'association n'était même pas développé. 55 attribués à une OSC de taille moyenne disposant d'un réseau à qui elle redistribuera des fonds pour des projets de moindre envergures, ce qui permet aux plus petites OSC de bénéficier des fonds européens et également de s'acculturer à la culture administrative européenne, ce qui pourra leur permettre à terme de porter des projets de plus grande ampleur directement auprès de l'Organe de liaison. Enfin, une OSC acculturée au fonctionnement des aides européennes aura plus de chances de remporter de nouveaux appels à projets. C'est la même logique de reprise des bonnes pratiques qui gouverne la participation d'acteurs kosovars aux programmes de l'Union (B). B) La participation aux programmes de l'Union, vectrice indirecte de bonnes pratiques Dans sa thèse sur « les partenariats entre l'Union européenne et les Etats tiers européens », Cécile Rapoport étudie l'apport de la participation aux programmes de l'Union des Etats tiers européens, notamment en termes de transfert normatif et écrit que « En participant à la mise en oeuvre de certaines politiques de l'Union, les États partenaires bénéficient d'un certain nombre d'actions destinées initialement aux États membres ou conduites par eux ou la Communauté en direction d'États tiers. En fonction de la politique visée, les États tiers européens peuvent être tour à tour, co-acteur d'une politique aux cotés des institutions ou co-destinataires de celle-ci aux cotés des États membres. Le clivage entre États membres et États non membres de l'Union tend ainsi à s'atténuer à mesure que le partenariat se renforce »125. Cela étant dit, qu'est-ce qu'un programme de l'Union ? Un programme de l'Union est un projet, financé entièrement par le budget de l'Union européenne ou bien cofinancé par les Etats membres ou d'autres partenaires, comme des Etats tiers. Il relève des compétences du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne et sert à mettre en oeuvre ou combler un besoin dégagé dans le cadre des politiques européennes. En d'autres termes, si la politique européenne formule un besoin d'action (améliorer la compétitivité pour la croissance et pour l'emploi), le programme de l'Union sera le moyen d'action pour achever cette ambition (Horizon 2020126). Dans le cadre de sa politique extérieure, l'Union fait régulièrement participer des Etats tiers à ses programmes. C'est par exemple le cas de l'emblématique Programme Erasmus +, auxquels participent les pays du PSA. 125 RAPOPORT C, « Les partenariats entre l'Union européenne et les États tiers européens », Bruylant, pp.838, 2011, Collection droit de l'union européenne - thèses 126 Garantir la compétitivité de l'Europe à l'échelle mondiale, ainsi que de renforcer sa position dans le domaine scientifique et son avance dans l'innovation industrielle en investissant massivement dans les technologies essentielles, l'accès aux capitaux et l'aide aux PME. 56 La question de la participation du Kosovo aux programmes de l'Union s'est assez rapidement posée après la déclaration unilatérale d'indépendance de 2008. Dans sa Communication de 2009 « Kosovo* - vers la concrétisation de la perspective européenne »127, la Commission note que le Conseil l'a encouragé à permettre au Kosovo de participer aux programmes de l'Union. Le 5 décembre 2011, le Conseil a confirmé qu'il était déterminé à parvenir à un accord sur cette participation, sans préjudice de la position des Etats membres sur le statut. Les négociations ont débuté en octobre 2012 et l'accord-cadre entre l'Union européenne et le Kosovo sur la participation du Kosovo aux programmes de l'Union, a été signé le 8 novembre 2016128. Grâce à cet accord le Kosovo est autorisé à participer à certains programmes de l'UE, plus particulièrement ceux énumérés dans l'annexe de l'accord-cadre, les programmes qui suivront à compter de la date d'entrée en vigueur de l'accord cadre prévoyant une clause d'ouverture permettant la participation du Kosovo. Les programmes ouverts au Kosovo au titre de l'accord cadre sont nombreux, et couvrent un grand nombre de secteurs : « Fiscalis 2020 », « Douane 2020 », « Hercule III », « Justice Programme « Droits et égalités citoyennes » », « l'Europe pour les citoyens », « Mécanisme de protection civile », « Solution d'interopérabilité pour les administrations publiques, les entreprises et les particuliers en Europe », « COSME », « Programme pour l'emploi et l'innovation sociale », « Erasmus + », « Europe Créative », « Horizon 2020 », « La santé en faveur de la croissance », « Programme consommateur », et « Copernicus ». Qu'apporte cette participation aux programmes de l'Union au Kosovo ? A première vue, et au regard de l'accord-cadre qui pose que « Le Kosovo pourra participer aux programmes de l'Union conformément à ses engagements et à adopter et appliquer des normes liées aux programmes concernés et en fonction des progrès réalisés à cet égard »129 ; cette participation est un vecteur de transfert normatif, renforcé par la possibilité offerte aux représentants du Kosovo invités à participer en tant qu'observateur aux comités de gestions. Cette dimension quasi éducative se retrouve d'ailleurs dans l'article 8 de l'accord cadre, qui prévoit un réexamen des dispositions de l'accord-cadre avant une période de 3 ans, puis tous les 3 ans, « en tenant compte de l'expérience acquise dans le cadre de la participation du Kosovo à un ou plusieurs programmes de l'Union »130. 127 Communication « Kosovo* - vers la concrétisation de la perspective européenne » COM (2009) 534 final du 14/10/2009 128 Accord-cadre entre l'Union européenne et le Kosovo* établissant les principes généraux de la participation du Kosovo aux programmes de l'Union, L195/3, 27/07/2017 129Article 1 de l'accord-cadre entre l'Union européenne et le Kosovo* établissant les principes généraux de la participation du Kosovo aux programmes de l'Union, L195/3, 27/07/2017 130Article 8 de l'accord-cadre entre l'Union européenne et le Kosovo* établissant les principes généraux de la participation du Kosovo aux programmes de l'Union, L195/3, 27/07/2017 57 Maintenant, si l'on envisage le caractère nouveau de l'état kosovar, au-delà d'une simple reprise des normes européennes, on peut envisager cette participation comme vectrice de bonnes pratiques, et surtout comme un moyen pour le nouvel Etat de renforcer sa souveraineté interne. En effet, en participant à ces programmes, le Kosovo est contraint de devenir un acteur dans les domaines des dits programmes. La participation à ces programmes a un autre double avantage : si cela lui permet d'une part d'anticiper sur la reprise de l'acquis communautaire, cela lui permet d'autre part, ne pas avoir à totalement innover dans la formulation et la mise en oeuvre de certaines politiques131. De plus, cette participation aux programmes de l'Union lui permet d'asseoir sa souveraineté externe en devant un partenaire dans le cadre de relations internationales. Enfin, après la signature de l'ASA UE-Kosovo, la participation aux programmes de l'Union peut servir d'appui aux politiques de coopérations mise en place. Par exemple, l'article 107 de l'ASA pose que « les programmes et instruments de l'UE existant dans ce domaine contribuent à l'amélioration des structures et activités se rapportant à l'éducation, à la formation, à la recherche et à l'innovation au Kosovo ». Si l'UE a été longtemps impactée dans son action par l'ambiguïté du statut kosovar, on a vu que son obligation d'agir l'avait poussé au pragmatisme et que sa volonté de stabiliser le Kosovo allait même dans le sens d'un renforcement de la souveraineté du Kosovo. Une question néanmoins demeure : dans le cadre du PSA, le Kosovo se voit de plus en plus intégré à l'ordre juridique de l'Union. Néanmoins, en l'absence d'un règlement du problème statutaire, un questionnement demeure sur la finalité de cette intégration (Partie 2). 131 En effet, dans le cas contraire, le Kosovo aurait été contraint « d'inventer » sa conception de la dite politique. Or cela ne va pas dans le sens de la stratégie actuelle du Kosovo qui consiste à souvent reprendre des textes de l'Union ou d'autres acteurs internationaux pour aller parfois jusqu'à les transposer en l'état dans sa législation. Dusan Popovic qualifie ce phénomène de « transfert juridique ». POPOVIC D, « L'harmonisation du Droit privé des pays des Balkans occidentaux avec le droit communautaire », Revue du marché commun et de l'Union européenne, n°536, mars 2010. 58 Partie 2 : Une intégration matérielle avancée du Kosovo mais un questionnement persistant sur la finalité de cette intégration En signant en ASA avec l'Union européenne, le Kosovo a vu changer le caractère de sa relation avec son partenaire. Au-delà de l'assistance technique et de la reprise des normes de l'UE par soucis d'efficacité, devient un processus obligatoire dont le non-respect est susceptible d'entrainer une détérioration de la relation. La reprise de l'acquis devient l'outil d'une intégration matérielle de plus en plus poussée du Kosovo au système juridique de l'Union (Chapitre 1). Néanmoins un questionnement persiste sur la forme que prendra cette intégration (Chapitre 2). |
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