L'union européenne et le kosovopar Eloïse GUILLERON Université Rennes 1 - Ecole Normale Supérieure de Rennes - Master 2 Droit de l'Union européenne, Droit de l'Organisation Mondiale du Commerce 2016 |
Section 2 : une visibilité et une efficacité croissante de l'Union européenne au KosovoSlobodan Milosevic devient président de la République de Serbie au sein de la République fédérale de Yougoslavie en mai 1989. Promouvant un nationalisme agressif il met rapidement « le problème kosovar » au coeur de sa politique. Le 28 juin 1989, à l'occasion d'un discours pour le 600éme anniversaire de la Bataille dite du Champ des Merles20, il procède à une réécriture historique, début d'une campagne de propagande à destination de l'ensemble de la Yougoslavie proclamant la supériorité d'un nationalisme serbe, passant notamment par la volonté d'une réunification des serbes au sein d'une Grande Serbie. Coeur historique de la Serbie, la province du Kosovo devient un enjeu sensible, d'autant que Milosevic affirme que les serbes du Kosovo feraient l'objet de maltraitances de la part des albanais du Kosovo. Le 28 mars 1989, Milosevic décrète la perte d'autonomie des provinces de la Voïvodine et du Kosovo. A l'image des autres pays de la fédération yougoslave, le Kosovo cherche à se détacher de la République de Yougoslavie par l'organisation d'un référendum clandestin en septembre 1991, à l'issu duquel l'indépendance du Kosovo est proclamée, mais non suivie d'effet sur le plan international. Dans les mois qui suivent interviennent les premiers affrontements armés, qui débouchent sur une invasion du Kosovo par la RFY en 1996. Si dans un premier temps, l'Union européenne va jouer un rôle politique modeste pendant la guerre du Kosovo (I), elle va se révéler être une actrice fondamentale et irremplaçable dans la reconstruction de cette province indépendantiste de la Serbie (II). 18 https://www.letemps.ch/index.php/monde/2017/05/19/moscou-utilise-touristes-russes-arme-retorsion 19 « Is the power of the Kosovo myth fading ? », Bosnia Daily, june 30, 2017 20 Bataille opposant en 1389 des princes chrétiens des Balkans à l'Empire ottoman. Elle débouche sur une victoire ottomane qui va par la suite occuper le territoire de l'actuel Kosovo. 15 I) Un rôle politique modeste de l'UE pendant la guerre au Kosovo La Communauté européenne entend parler pour la première fois du Kosovo en 1989, alors que le gouvernement yougoslave proclame l'état de siège de cette province indépendante et qu'une procédure de révision constitutionnelle est entamée, ayant pour conséquence un amoindrissement substantiel de l'autonomie de la province kosovare. La suppression formelle du statut d'autonomie institué en 1974 est consacrée en avril 1992 par l'adoption d'une nouvelle Constitution pour la République fédérale de Yougoslavie, n'évoquant plus l'existence de provinces autonomes. Par la suite, les observateurs européens assistent à un durcissement progressif de la politique de Belgrade à l'égard des populations d'origine albanaise, allant de licenciements massifs à une répression brutale de tout mouvement de contestations. Après une longue période de résistance pacifique, l'année 1997 est marquée par la naissance de « L'armée de libération du Kosovo » (ALK ou UCK). Les premiers mois de l'année 1998 sont témoins des débuts d'une guerre civile meur-trière21. Les institutions internationales ne sont pas restées sans se prononcer sur la question, et au fil des recommandations du Parlement européen, on voir grandir l'inquiétude et l'impuissance de l'Union à arrêter ce conflit à ses portes22. Au vu de la gravité des combats, plusieurs tentatives de règlements diplomatiques par les institutions internationales ont lieues. L'Union européenne est alors l'acteur qui avait été pressentie au début de la guerre en Yougoslavie pour être l'acteur légitime de résolution et de pacification du conflit, du fait de sa proximité géographique, d'une expérience historique et de relations de longue date avec la Yougoslavie mais qui avait dû attendre 1995 pour que la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) apparaisse avec le Traité d'Amsterdam et lui permette d'agir. Dès lors, après l'impuissance ressentie lors du conflit en 21 Guerre au Kosovo : 5 mars 1998- 11 juin 1999. 22 Le Kosovo apparait comme une province troublée depuis le début des années 1990. Des 1989 le Parlement européen s'alarme des troubles persistants entre serbes et albanais et demande la constitution d'une commission d'enquête. La déclaration d'indépendance du 2 juillet 1990 et les violations des droits de l'Homme par les serbes sont constatées par le Parlement européen dans une résolution sur les droits de l'Homme au Kosovo du Parlement européen du 12 juillet 1990, 31 et dans une résolution sur les droits de l'Homme au Kosovo du Parlement du 11 octobre 1990. Le Parlement constate également lorsque les tensions se sont muées en crises (avec toujours une absence d'intervention de la Communauté européenne) dans une résolution sur la crise du Kosovo du 29/02/1996. Le Parlement européen demande alors une intervention du Conseil de l'UE pour user de pression auprès du Président Milosevic (Recommandation du Parlement européenne sur la nécessité de régler rapidement le litige relatif à l'avenir du Kosovo du 29/02/1996). 16 Bosnie-Herzégovine, l'Union s'implique au Kosovo, même si elle privilégie dans un premier temps une diplomatie préventive. A la suite des pressions de l'OTAN23 et du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) un cessez le feu est obtenu le 15 novembre 1998. A la reprise du conflit au bout de quelques semaines, les conférences de Paris et Rambouillet débouchent sur une impasse, le gouvernement de Milose-vic refusant d'accepter le plan de paix préparé par les Occidentaux. Du 24 mars au 12 juin 1999, les États membres de l'OTAN lancent des opérations militaires contre la Yougoslavie. L'OTAN est alors la plus grande armée du monde et rassemblent 19 pays sous commandement américain. Entre-temps, on dénombre des centaines de milliers de personnes d'origine albanaise déportées par les autorités yougoslaves, des milliers de victimes d'assassinats ou d'exactions et des dégâts matériels, environnementaux et humains causés par les bombardements estimés à plusieurs milliards de dollars. A partir du 12 juin 1999, jour de fin de la guerre, l'administration de la province du Kosovo est confiée à l'ONU. Malgré l'existence de l'outil PESC, pendant la guerre au Kosovo de 1998 à 1999, c'est donc une nouvelle fois l'OTAN qui prend l'initiative d'une intervention pour recourir à la force armée après l'échec des négociations de Rambouillet (et donc des tentatives de règlement diplomatique du différend) en mars 1999. L'UE s'implique donc dans les combats au Kosovo, mais par le prisme de ses Etats membres qui fournissent du contingent, placé sous commandement de l'OTAN. Néanmoins, avant même la fin du conflit, l'UE est très impliquée dans l'aide apportée aux populations déplacées. Ainsi, une des actions européennes remarquables pendant la guerre au Kosovo concerne la protection des réfugiés kosovars en exil dans les pays voisins. Le 6 avril 1999, on dénombrait 280 000 réfugiés kosovars en Albanie, 136 000 en ARYM, 60 700 au Monténégro et 260 000 déplacés à l'intérieur du Kosovo. Le 8 avril 1999, le Conseil Affaires générales se dit très préoccupé par le sort des réfugiés et décide d'aider l'État albanais, monténégrins et macédoniens. La Commission européenne propose alors l'octroi d'aides non remboursables jusqu'à concurrence de 100 millions d'Euros aux gouvernements des pays concernés pour couvrir les coûts liés à la présence des déplacés24. De plus, l'UE s'est projetée très tôt dans l'après-guerre en aidant à la prise en charge des personnes déplacées (et donc a cherché à éviter de nouveaux troubles dans les 23 Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Crée par le Traité de l'Atlantique Nord en 1949, l'OTAN est une alliance militaire. Elle compte aujourd'hui 28 pays, dont 22 membres de l'UE. 24 La proposition a été suivie d'effet en avril 1999. 17 Balkans occidentaux) et a après les combats, endossé un rôle de premier plan dans la reconstruction du Kosovo. (II) I) L'UE, actrice de premier plan dans la reconstruction du Kosovo En juin 1999 la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations Unies recommande d'autori-ser le déploiement d'une force de sécurité en vue de garantir une non reprise des hostilités entre les belligérants et de permettre le retour des réfugiés. La Résolution demande également au Secrétaire Général des Nations Unies de permettre l'établissement d'une force civile internationale au Kosovo. La Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), est rapidement déployée par la suite et a pour objectif d'assurer une administration intérimaire dans le cadre de laquelle la population du Kosovo aura la possibilité de disposer d'une autonomie et d'une auto administration substantielle. Le mandat de la MINUK et sa complexité organique sont sans précédent. En effet, la MINUK est structurée en plusieurs composantes gérée par divers acteurs internationaux en coopération. Dans le cadre de cette architecture, les thématiques liées à la reconstruction du Kosovo sont confiées à l'Union européenne, sous le titre de « Reconstruction et développement économique ». Ainsi, bien qu'ayant eu un rôle politique modeste durant la guerre au Kosovo, l'Union européenne s'est rapidement imposé comme l'acteur de premier plan dans la reconstruction du Kosovo et son engagement est allée croissant. D'une part, et en dehors du strict cadre de la reconstruction, il faut noter que l'Union participe aux opérations de la « Kosovo Force » (KFOR), déployée par l'OTAN après le cessez-le-feu et qui a pour objectif de s'assurer du retrait des forces serbes du Kosovo, de déployer une « présence internationale civile et de sécurité » et surtout, l'établissement d'une administration intérimaire au Kosovo sous la surveillance des Nations Unies (MINUK) . Au sein de la KFOR, le contingent européen représente ainsi 2/3 de l'effectif total de la force. Cet engagement fort de l'UE au Kosovo, avec la recherche d'une pérennisation d'une présence européenne peut se constater en mai 1999, lorsque Romano Prodi, alors Président de la Commission européenne constate qu'il est indispensable de commencer immédiatement à élaborer une stratégie d'après-guerre pour les Balkans. Cet volonté se concrétise lors du Conseil européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999 qui confirme la volonté de l'UE de jouer un rôle de premier plan dans la reconstruction du Kosovo et de permettre le retour des réfugiés. En effet, à la fin de la guerre au Kosovo, l'UE s'est vue charger par la Communauté internationale de la reconstruction 18 de la province du Kosovo25. Concrètement, l'Agence européenne pour la reconstruction26 (AER) a pris le relai d'une task force de la Commission européenne, qui depuis 1999 qui assurait les premières missions de reconstruction. C'est ainsi qu'immédiatement après la fin du conflit, la Commission européenne a délivré au Kosovo une aide humanitaire d'urgence de 378 millions d'euros. De plus, l'Union européenne s'engage auprès des institutions de gouvernement provisoire kosovar en apportant une contribution financière exceptionnelle de 65 millions d'euros au budget consolidé du Kosovo . L'AER a donc pour but de fournir à l'UE le moyen d'être la plus efficace possible dans son assistance au Kosovo. Elle met ainsi en oeuvre des programmes de reconstruction et de retour des réfugiés, recueille, analyse et communique à la Commission européenne les informations intéressant à la reconstruction du Kosovo, le rapatriement des réfugiés, les besoins urgents des communautés concernés, les secteurs prioritaires qui requièrent l'aide urgente de la Communauté internationale. Cela se fait notamment par la mise sur pied de projets et programmes orientés vers la reconstruction du Kosovo et le rapatriement des réfugiés. Les projets sont ensuite soumis à la Commission européenne pour adoption. L'UE agit tant pour la reconstruction des Balkans, et notamment pour celle du Kosovo, que certains observateurs comparent son action sur place à celle d'une Agence pour le développement27. Après la guerre, l'investissement de l'UE au Kosovo continue de croître. Elle assure ainsi une part substantielle de la contribution aux dépenses de la MINUK28. Cela va de pair avec le retrait progressif des États-Unis dans les Balkans après les attentats du 11 septembre 2001, leurs troupes étant engagées sur les fronts d'Irak et d'Afghanistan. 25 Les affaires humanitaires sont de leurs côtés, laissés au Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) et l'administration civile intérimaire à l'ONU, et à la création d'institutions à l'Organisation pour la sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). 26 Création d'une agence européenne pour la reconstruction du Kosovo dans le cadre de l'aide communautaire. Règlement du 15/11/1999. 27 FAGAN A, : « From the perspective of the Western Balkans in 2009, the EU looks and acts like a multilateral development agency : it fund road-building, railways and hospitals ; it trains police officers, civil servants and doctors ; supports community developement, NGOs and subsitutes for the absence of state and market provision in the realms of welfare and education » in », Europe's Balkan Dilemma: Paths to Civil Society or State-Building?, Library of European Studies, 2010 28 Communication « Un avenir européen pour le Kosovo », COM(2005) 156 final, 20/04/2005 19 Enfin, l'Union européenne s'est engagée auprès des administrations provisoires d'auto administration du Kosovo en leur fournissant, en plus d'une aide financière une expertise et une aide technique. Ainsi, la Commission européenne a fourni de l'aide visant à « appuyer la préparation par le gouvernement d'un plan de développement approfondi du Kosovo et l'établissement d'un cadre budgétaire viable » afin d'aider les autorités kosovares à établir une programmation budgétaire, en partenariat avec le FMI et la Banque Mondiale. La Commission a également aidé le Kosovo à libéraliser son secteur économique, notamment car le Kosovo s'est « engagé à respecter les principes de la Chartre européenne des petites entreprises » en matière d'établissement de relations commerciales, d'environnement, d'Energie, etc.. A la fois actrice et architecte de la reconstruction du Kosovo, l'UE ne l'a jamais quitté. Son monitoring et son expertise ont été cruciaux pour le développement de l'État kosovar, qui bénéficie de la perspective européenne, au même titre que les autres États des Balkans occidentaux29. Néanmoins, la déclaration unilatérale d'indépendance (DUI) de février 2008 a créé une scission dans l'unité européenne, entre les États membres reconnaissant le Kosovo et les États membres ne le reconnaissant pas. Dès lors, l'UE s'est retrouvée dans l'incapacité de parler d'une seule voix afin de se prononcer sur la souveraineté de l'État kosovar et d'entretenir, a priori, avec le Kosovo les mêmes liens qu'avec les autres pays des Balkans Occidentaux. Dans ce contexte, à la fois marqué par l'atypicité de l'acteur kosovar et par la nécessité pour l'UE de rester fortement impliquée dans ce nouvel État qu'elle a aidé à construire, on peut s'interroger sur le contenu de la relation entre ces deux acteurs. En d'autres termes, quelles relations entretiennent l'UE et le Kosovo et comment celles-ci sont t'elles impactées par le problème statutaire kosovar ? On verra que les spécificités du Kosovo et l'engagement de l'UE dans le pays ont des conséquences très concrètes sur la relation UE-Kosovo (Partie 1). Cette relation ambitieuse entraine le Kosovo vers une intégration matérielle au sein de l'Union européenne. Néanmoins, la question de la finalité réelle de ce processus demeure ouverte (Partie 2). 29 Depuis l'engagement pris au Conseil européen de Thessalonique des 19 & 20 juin 2003 20 Partie 1 : Les spécificités du Kosovo et leurs implications sur la relation UE-Kosovo Le Kosovo est un état atypique. Indépendant depuis moins de 10 ans, il n'est pas reconnu par 35 Etats de la planète dont la Chine et la Russie et n'est pas membre d'organisations internationales comme l'ONU ou l'OMC. D'une superficie d'environ 10 887 km2 30 pour 1 million 820 000 habitants, il suscite les passions et place l'Union européenne dans une situation sans précédent : à la suite de la DUI de 2008, 5 Etats membres de l'Union ont choisi de ne pas reconnaitre l'ancienne province serbe. Cette configuration inédite, due aux spécificités de l'Etat kosovar a de nombreuses implications sur la relation UE-Kosovo. On constate ainsi que si l'Union doit au quotidien composer avec la nature juridique ambigüe du Kosovo (Chapitre 1), son action est avant tout pragmatique et soucieuse de ménager ses Etats membres. Pourtant, son souci de mener à bien une action stabilisatrice efficace au Kosovo, et plus largement dans les Balkans occidentaux en renforce incidemment la nature étatique (Chapitre 2). |
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