Les créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises en difficulté en droit OHADApar Ganiyou BOUSSARI Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master 2 en droit privé et sciences criminelles/Carrières judiciaires 2022 |
PARAGRAPHE 1 : LA MISE EN PLACE DE LA PROCEDURE DE CONCILIATIONBien qu'il a été développé un scepticisme à l'égard de l'utilité que pourrait revêtir la procédure de conciliation62(*), il est important de souligner l'intérêt des créanciers à participer à une telle procédure (A) avant d'aborder le droit des créanciers à résolution de l'accord de conciliation (B). A- L'intérêt des créanciers à participer à la procédure de conciliationTout part de l'idée que l'entreprise frappée d'une procédure collective, suite à des difficultés de trésorerie, est un partenaire d'affaire à sauvegarder. En effet, les créanciers trouvent aussi leur compte dans la sauvegarde de l'entreprise débitrice en difficulté surtout lorsqu'ils sont fournisseurs de cette dernière63(*). Un bon fournisseur cherchera à élargir le marché sur lequel il peut faire couler ses produits. Ainsi, les créanciers n'ont pas intérêt à ce que leur partenaire, l'entreprise débitrice, ici, se retrouve dans une situation de cessation des paiements, laquelle peut conduire celle-ci dans un état irréversible. C'est dans cet esprit que l'AUPC révisé a accordé une place non négligeable aux intérêts des créanciers en matière de la procédure de conciliation, qui n'est pas une procédure collective, mais une procédure préventive64(*). La procédure de conciliation est une procédure préventive, consensuelle et confidentielle, destinée à éviter la cessation des paiements de l'entreprise débitrice, au moyen d'un accord amiable avec ses créanciers ou principaux créanciers et grâce à l'intervention d'un tiers appelé conciliateur65(*). Elle vise, en tout ou en partie, la restructuration financière ou opérationnelle de l'entreprise en vue de sauvegarder66(*) cette dernière. La procédure de conciliation telle que connue en droit OHADA, aujourd'hui, trouve son origine dans la loi française du 26 juillet 2005, qui est le résultat d'une modification de la loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises67(*). Depuis la loi du 26 juillet 2005, la procédure de règlement amiable a étésubstituée par une nouvelle procédure : la procédure de conciliation, dont le régimejuridique a été revu par l'ordonnance du 18 décembre 2008 et l'ordonnance du12 mars 2014 afin de rendre cette procédure de prévention encore plus attractive68(*). L'ouverture de la procédure de conciliation est soumise à des conditions de fond et de forme dont l'énumération revêt peu d'intérêt. Parmi les conditions relatives à la forme, certaines peuvent être analysées comme prenant en compte les intérêts créanciers.En effet, les créanciers ont la possibilité d'intervenir conjointement avec le débiteur dans la saisine de la juridiction compétente en vue de l'ouverture d'une procédure de conciliation.Le président de la juridiction compétente est saisi par une requête du débiteur ou par une requête conjointe de ce dernier avec un ou plusieurs créanciers69(*).Cette implication permet aux créanciers de mieux mesurer les conséquences des engagements qu'ils auraient à prendre dans la restructuration de l'entreprise débitrice. Par-là, ils sont mieux et très tôt informés sur la situation du débiteur. Leur association au débiteur dans l'enclenchement de la procédure de conciliation leur permet également de prendre des mesures personnelles pour faire face à la répercussion que les difficultés de celui-ci pourraient avoir sur le recouvrement de leurs créances et l'exécution de leurs propres obligations à l'égard de leurs propres créanciers. En outre, la durée de la procédure de conciliation est de trois mois prorogeables seulement d'un mois. Passé ce délai, la procédure de conciliation prend fin. Cette règle rend compte de la durée relativement brève de la procédure de conciliation. Elle a pour conséquence d'alléger les entraves aux droits des créanciers qui auront accepté de conclure un accord amiable avec le débiteur. Ainsi, l'interdiction ou la suspension des poursuites individuelles qui peuvent éventuellement être faites aux créanciers s'inscrit dans un temps raisonnable. En principe, l'ouverture d'une procédure de conciliation n'a pas pour effet d'interdire ou de suspendre les poursuites individuelles contre le débiteur70(*). Les créanciers ont toujours la possibilité d'exercer des actions en recouvrement de créances contre le débiteur objet d'une procédure de conciliation. Ce principe de la non-suspension des poursuites individuelles est une règle salutaire pour les créanciers qui échappent ainsi aux conséquences des jugements déclaratifs des procédures collectives.La suspension des poursuites individuelles a été jugée peu utile car son admission remettrait en cause le caractère confidentiel de la procédure de conciliation71(*). Toutefois et exceptionnellement, cette mesure peut être prise72(*) à l'encontre d'un créancier dont les actions pourraient paralyser la mission du conciliateur73(*).Pour ce qui concerne la prorogation d'un mois, il ne semble pas nécessaire de prévoir des conditions particulières pour la justifier, en raison de la brièveté du délai de la procédure de conciliation74(*). Même en cas d'augmentation d'un mois, la durée de la procédure reste brève, compte tenu du fait que l'ouverture de la conciliation fait obstacle à l'ouverture d'un redressement judiciaire ou de liquidation des biens.75(*) Le statut du conciliateur est aussi une garantie pour les créanciers car il les protège contre des fraudes ou des abus éventuels,le conciliateur pouvant en complicité avec le débiteur, détourner la conciliation de son objectif premier. Le conciliateur est un tiers qui facilite la conclusion d'un accord amiable entre le débiteur en difficultés financières avérées ou prévisibles et ses principaux créanciers en vue de restructurer la situation et éviter la cessation des paiements de celui-ci. Intervenant ès qualité dans la procédure de conciliation, cet acteur n'a pas été ignoré par le législateur. Tirant des leçons des dérives constatées76(*), sous l'empire de l'Acte uniforme du 10 avril 1998, chez les experts en règlement préventif et les syndics dans le cadre du redressement judiciaire et de la liquidation des biens, il fallait mettre des garde-fous dans la désignation et l'exercice de la mission de conciliateur. C'est ainsi que l'article 5-4 alinéa 2 AUPC révisé exige un certain nombre de conditions pour accéder à la fonction de conciliateur. En effet, le conciliateur doit justifier des compétences professionnelles, être d'une bonne moralité certaine, ne pas avoir une réputation entachée et demeurer indépendant et impartial vis-à-vis des parties concernées par la conciliation77(*). Toutefois, il peut être reproché au législateur OHADA de n'avoir pas expressément prévu des sanctions à l'encontre du conciliateur qui ne respecte pas ses obligations. Dans le silence du législateur, la responsabilité du conciliateur fautif ne peut être recherchée qu'en recourant au droit commun de la responsabilité civile ou pénale. Il faut relever que la procédure de conciliation est organisée de telle sorte que les créanciers ne subissent pas le dictat du juge. Les créanciers participent volontairement à la conciliation, trouvant leur compte lorsque leur partenaire en difficultés financières arrive à être épargné du pire. Le caractère volontariste de la conciliation est affirmé dans la jurisprudence78(*). Toutefois, la procédure de conciliation,se rapprochant du « concordat amiable », n'a pas emporté la confiance de plusieurs acteurs du monde économique79(*) et certains auteurs sont restés toujours réservés sur l'efficacité de celle-ci. En effet, une doctrine80(*) estime que le débiteur en difficulté ayant perdu du crédit auprès de ces créanciers, il serait difficile pour lui de négocier et que l'accord amiable comporterait des risques pour les créanciers qui l'acceptent. Pour soutenir cette position, elle relève qu'en plus des risques économiques, les créanciers courraient également des risques juridiques en cas d'échec et d'ouverture ultérieure d'une procédure collective81(*). Pour un autre auteur82(*), l'insuccès de la procédure de conciliation est potentiel, compte tenu du fait qu'elle porterait atteinte au principe d'égalité entre les créanciers et le risque de fraude et d'un engagement pris à la légère par le débiteur qui voudra à tout prix obtenir un réaménagement de ses dettes. Cet auteur souligne aussi que « l'exécution d'un concordat amiableest toujours précaire : il ne lie que les seuls créanciers signataires et n'interdit pas aux autres créanciers du débiteur de réclamer leur dû et d'entraîner ainsi la cessation des paiements que le concordat cherchait précisément à juguler ». En outre, la judiciarisation de la procédure de conciliation peut être un frein à la prévention des cessations de paiement. En effet, l'intervention du juge dans la procédure de conciliation remet en cause la philosophie contractuelle et la simplicité qui semblait animer le législateur dans la révision de l'AUPC de 1998. Par ailleurs, la possibilité pour les parties de recourir à la médiation conventionnelle est un moyen de rendre plus simple le système de la prévention des cessations de paiements83(*). A notre avis, il semble que malgré les réserves portées sur l'efficacité de la procédure de conciliation, on ne peut nier son utilité dans le sauvetage de l'entreprise du fait qu'elle profite non seulement au débiteur qui y recourt, mais aussi prend en compte de manière significative les intérêts des créanciers. La procédure de conciliation visant à obtenir un accord amiable avec les créanciers ou les partenaires du débiteur, une fois cet accord conclu, il pourra faire, par la suite, l'objet de résolution sur demande des créanciers, notamment en cas d'inexécution. * 62 SAWADOGO (F.-M.), préc., p. 1113. * 63 PETEL (P.), Procédures collectives, D. 8è éd., 2014, n° 8, p. 5. * 64 COQUELET (M.-L.), Entreprises en difficulté et instruments de paiement et de crédit, D., 6è éd., n° 20, p. 14. * 65 Art. 2 alinéa 1er AUPC révisé. * 66 Idem. * 67 PETEL (P.), préc., n°32, p.16. * 68 COQUELET (M.-L.), préc., n°49, p. 35. * 69 Art. 5-2 alinéa 1er AUPC révisé. * 70TCHOMTE (E.), « Les innovations du nouvel AUPCAP », https://www.legavox.fr/blog/emily-tchomte/innovations-nouvel-aupcap-20134.htm, consulté le 4 février 2022 à 23H45. * 71 V. commentaire sous l'article 5-7 AUPC révisé. * 72 Art. 5-7 AUPC révisé. * 73 TCHOMTE (E.), préc. * 74 GALLE (P. R.), Réforme du droit des entreprises en difficulté par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, Litec, 2005, n° 120, p. 76 et ss. * 75Ibid. * 76 Selon TCHOMTE (E.), jusqu'à la réforme de 2015, les missions dévolues au mandataire judiciaire étaient exercées dans un certain flou, compromettant gravement l'avenir des entreprises qui pouvaient même être sauvées ou redressées. * 77 Pour garantir l'indépendance et l'impartialité du conciliateur, l'article 5-4 alinéa 2 dispose que « il ne doit pas avoir reçu, à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, une rémunération ou un paiement de la part du débiteur intéressé, de tout créancier du débiteur ou d'une personne qui en détient le contrôle ou est contrôlée par lui, au cours des vingt-quatre (24) mois précédent la décision d'ouverture. Aucun parent ou allié du débiteur, jusqu'au quatrième degré inclusivement, ne peut être désigné en qualité de conciliateur. Il en va de même pour tout magistrat en fonction ou ayant quitté ses fonctions depuis moins de cinq (05) ans. ». * 78 Cass. Com. Fr. 22 septembre 2015 : Rev. Sociétés 2015. 761, obs. Ph. Roussel-Galle. * 79 SAWADOGO (F. M.), préc., p.1113 : « Les Etats de l'espace Ohada et hors de cet espace n'étaient pas favorables à cette conciliation pour son apparente inefficacité ». * 80 PETEL (P.), préc., n° 32, p. 15. * 81 Art. 5-14 AUPC révisé : « L'ouverture d'une procédure de règlement préventif, de redressement judiciaire ou de liquidation des biens met fin de plein droit à la conciliation et, le cas échéant, à l'accord. Dans ce cas, les créanciers recouvrent l'intégralité de leurs créances, déduction faite des sommes perçues ». * 82 COQUELET (M.-L.), préc., n° 48, p. 35. * 83 V. art. 1-2 al. 1er AUPC révisé et art 1er al. 2 AUM. |
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