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Les passerelles entre économie solidaire et économie collaboratve


par Eugenie Lobe
Conservatoire national des arts et métiers  - Master Sciences humaines et sociales 2017
  

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II.2.d : Les enjeux et défis de l'économie collaborative

Après avoir défini le concept d'économie collaborative et la relation qui le lie à celui de propriété, nous concevons les changements que cette configuration, favorisée par la révolution numérique, entraîne dans nos habitudes de production, de consommation et, par extension, dans notre rapport au travail à travers un mode d'organisation plus horizontal.

Il convient également de s'interroger sur la capacité d'innovation sociale, au-delà des innovations technologiques qu'elle draine, de l'économie collaborative : L'économie collaborative est-elle une variable d'ajustement de l'économie de marché, lui permettant de s'adapter à de nouveaux codes économiques en contournant les acteurs traditionnels et en permettant une adéquation demande/offre en temps réel?

Ou est-elle facteur, grâce aux valeurs solidaires qu'elle véhiculerait, d'un projet sociétal autre face à la crise structurelle que nous traversons, et qui pousse la société civile à rechercher les solutions pouvant faire face aux défis qui seront les siens?

? L'économie collaborative en pratique et en chiffres

Le champs de l'économie collaborative est très large et regroupe des initiatives protéiformes, dont certaines prolongent une logique de marché, dont ils partagent les codes. D'autres, en revanche, se rapprochant des valeurs solidaires évoquées plus haut, et s'appuyant sur l'engagement citoyen, visent davantage l'utilité sociale, point cardinal de la loi ESS 201444.

Très largement répandue, l'économie collaborative concerne aujourd'hui selon certaines études 1 Français sur 2, avec des doublements d'échelle spectaculaires d'une année à l'autre, rendus possibles par :

? Les innovations technologiques, permettant la démocratisation de l'usage d'Internet et des terminaux numériques mais aussi le contexte économique critique, ont été propices à l'innovation. L'accès à la propriété, voire même à la location d'un logement ou d'une voiture, est

44 LOI n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire

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de plus en plus difficile pour les bénéficiaires de cette offre de l'économie collaborative, et permet à ceux qui en ont la propriété d'en optimiser la rentabilité :« Il y a déjà 7000 voitures en moins en Belgique grâce au covoiturage, et si chaque conducteur partageait sa voiture une fois par semaine, il y aurait 25% de files en moins sur les routes. »

? Le modèle économique dominant (en volume) repose sur la levée de fonds. Le crowfunding, levée de fonds participatif, a soulevé 2,7 milliards de dollars en 2012, et plus de 5 milliards en 2013. L'économie collaborative, dans son ensemble, représente une trentaine de milliards en 2013 et est estimée, selon le cabinet PriceWhaterHouseCoopers, à 335 milliards de dollars à l'horizon de 2025.

L'économie collaborative s'inscrit, par ailleurs, complètement dans la dynamique d'institutionnalisation de l'ESS qui définit ce secteur comme « mode d'entreprendre» dans la loi ESS 2014.

Cette évolution ou mutation entraîne, selon Nadine Richez Battesti45, des conséquences majeures permettant un rapprochement pertinent entre économie solidaire et économie collaborative. La question reste à savoir dans quel sens se fait l'acculturation.

? Un brouillage et une porosité constante, acculturation en douce

L'économie collaborative, par la médiation de plateformes collaboratives, introduit une nouvelle forme de réorganisation du travail articulant l'individuel et le collectif et brouillant les pistes entre travail et loisir, permettant ainsi aux grandes entreprises de capter la valeur créée par ce consommateur-collaborateur.

Certaines initiatives collaboratives externalisent ainsi la fonction recherche et développement de leurs activités, en s'appuyant sur cette organisation du travail et un processus d'innovation ouverte et participative. C'est le cas d'InnoCentive, plateforme permettant l'intermédiation entre entreprises et organismes privés, et acteurs compétents de la société civile (étudiants, chercheurs, retraités, ingénieurs...)

45 Ibid

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afin de répondre à des défis relatif à des problématiques non-résolues en innovation, recherche et développement, sur un temps de travail bénévole. Ce dernier est ensuite monétisé et formalisé par le biais d'un contrat lorsque la réponse apportée correspond aux attentes de la firme : « La plateforme utilise l'architecture d'Internet (un commun) et des savoirs existants (dont certains sont de l'ordre du bien commun) pour assurer une marchandisation des connaissances et leur privatisation. L'un des traits centraux est ainsi de s'appuyer sur des mécanismes de crowdsourcing (externalisation ouverte faisant appel la foule des internautes) pour alimenter les processus d'innovations des firmes clientes et partenaires de la plateforme. »46

Si le « travail-loisir » fourni par les contributeurs de cette initiative est valorisé d'un point de vue monétaire, ce n'est pas le cas de toutes les structures dont certaines captent la valeur créée par les contributeurs, sans en redistribuer les revenus (Facebook, Google).

Ce brouillage, entremêlant également les sphères privées (entreprises, particuliers) et publiques (espaces publics du numérique), est permis par une horizontalisation qui place, à travers l'organisation et la coordination du travail, les contributeurs sur le même plan, mais également les différentes activités et pans de leur vie. Il existe une porosité entre les sphères privées et publiques dans l'univers digital, qu'on observe également dans le déploiement de certaines initiatives économiques (Uber, Airb'n'b).

Cette porosité entre public et privé prend la forme d'un encastrement entre l'économique et le politique (manifeste d'un art de vivre où le lien social est au coeur des échanges) dans certaines initiatives (AMAP). Elle est également l'opportunité, dans d'autres cas, d'un phénomène d'isomorphisme marchand, avec une part croissante dans les modèles économiques de ressources marchandes d'ordre financier et/ou de ressources organisationnelles visant une rationalisation des coûts (logique managérialiste), au détriment d'une véritable hybridation des ressources.

La forme économique, relevant du modèle marchand, des initiatives de l'économie collaborative limite l'accès aux ressources redistributives. L'hybridation

46 « Le retour des communs », ï. Liotard et V. Revest, chap.7, p 152

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est alors appréhendée comme aménagement d'une logique marchande, par composition, avec une dimension plus réciprocitaire garante de lien social.

? Médiation de plateformes collaboratives

On ne saurait réduire l'économie collaborative à une économie de plateforme. Il existait des formes d'économie collaborative antérieures (SEL).

L'économie de plateforme, consacrée par la révolution numérique, a cependant permis un changement d'échelle sans précédent dans l'économie collaborative. Celle-ci a donné lieu à un modèle basé sur un ensemble de pratiques reposant sur le partage, organisé en réseau horizontal (style « peer to peer ») ou plus vertical, et ayant comme actif immatériel central la notion de confiance.

En cela, les systèmes d'avis et de notation, suivant le modèle consumériste, font office de certifications permettant au consommateur de reprendre sa place d'acteur au sein d'un marché jusqu'ici aux mains d'intermédiaires (agences de location, par exemple) sur le circuit traditionnel.

Cette forme d'économie collaborative se rapproche du supercapitalisme, également désigné par Bauwens comme un système nétarchique47, grâce au monopole des plateformes au détriment de « collaborateurs » dont les ressources sont exploitées sans contrepartie. On est dans le renouvellement des processus de merchandisation dans des relations de face à face. Ce qui conduit, dans certains cas, à une nouvelle forme d'hypercapitalisme : Blablacar, Uber, AirBnB... Et, dans d'autres cas, à un nouveau modèle de société axé sur un mode de gouvernance collectif et démocratique qui véhicule une possible transformation sociétale (Amap, monnaies alternatives, Mooc...).

Pour certaines initiatives, on remarque même une démarchandisation de l'échange social à travers les échanges non monétaires : les règles diffèrent de celles de la concurrence et les critères d'évaluation ne reposent pas exclusivement sur la valeur marchande. C'est à travers ce modèle qu'on trouve les initiatives se

47 BAUWENS Michel, "Sauver le monde : vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer », éd LLL, 2012

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rapprochant le plus des fondements de l'économie solidaire car elles partagent les mêmes finalités de transformation sociétale : les finances collaboratives, les paniers bio des Amap et les chantiers d'agro-écologie en milieu urbain, les monnaies alternatives, les Mooc...

? Réorganisation du travail : vers la fin du salariat

L'économie collaborative déploie deux stratégies différentes face à l'offre conventionnelle :

- Duplication des modèles de consommation classiques (taxi, appartement) mais avec des ajustements (Uber, Airb'n'b).

- Création d'un service nouveau ou complémentaire répondant à de nouveaux besoins (Citiz, Famust, La Ruche qui dit oui).

Plusieurs enjeux accompagnent l'émergence de cette économie, parmi lesquels la redéfinition du travail et des frontières de l'entrepreneuriat et du salariat, suscitant parfois de vives polémiques sociétales. De lourdes questions d'éthique portent notamment sur l'encadrement du travail, la fiscalité et la redistribution des revenus à travers l'impôt. C'est le cas de Uber.

Le concept même de travail est à redéfinir avec l'invisibilisation du digital labor, dont la prise en compte permettrait pourtant de repenser le travail, qui a été touché par le bouleversement des modèles économiques dû à l'essor numérique.

La nature de l'organisation est elle aussi déterminante. Suivant certaines orientations en matière de propriété, les modalités de gouvernance et la verticalité, ou au contraire l'horizontalité de la plateforme, le projet ne sera pas porteur des mêmes enjeux de transformation sociétale. On observe déjà qu'en France, 10% des travailleurs sont « polytravailleurs »48. Ces polytravailleurs ne dépendent pas d'un contrat de travail subordonné à un temps plein, de longue durée. Leur activité professionnelle se décline sous les formes suivantes : partage salariale, auto-

48Article paru dans Alternatives économiques: « Pour en finir avec le travail salarié », de Anne-Laure Desgris (Oxalis), Noémie Grenier (Coopaname), Benoît Lewyllie (Smart).

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entrepreneuriat, intérim, intermittence du spectacle, pige...Dans certains domaines, ces contrats ne font pas l'exception mais la règle (culture, formation professionnelle, animation sportive), ce qui entraîne une nouvelle forme de prolétariat où les diplômés subissent une double peine. Ils se retrouvent ainsi dans une situation aussi précaire que celle d'un travailleur indépendant, tout en étant inféodés comme des salariés à une hiérarchie, mais sans la double protection du droit du travail et du régime de sécurité sociale. C'est là tout l'enjeu de la bataille juridique qui oppose Uber à certains collectifs de chauffeurs indépendants, contestant l'absence de lien de subordination entre la firme et leurs structures, pour la plupart auto-entrepreneuriaux.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault