A.2 Un projet de régulation des cryptomonnaies au
Maroc
Au Maroc, Abdellatif JOUAHRI, le gouverneur de Bank Al Maghrib
(BAM), la banque centrale du royaume, a annoncé un projet de
réglementation des cryptomonnaies. Première étape
importante sur la route qui pourrait conduire le pays à les autoriser
officiellement, sous certaines conditions. Cette annonce constitue une rupture
du font constitué par le ministre de l'économie et des Finances,
l'Autorité marocaine de régulation des marchés financiers
et, bien sûr, la BAM. Tous les trois jusqu'alors sur une même
ligne, celle de s'opposer vent debout à des cryptomonnaies non
régulées. Pour Abdellatif JOUAHRI, la situation
particulière du Maroc, augmentation de 120% des cryptomonnaies entre
juillet 2021 et juin 2022, malgré leur interdiction formelle, ne pouvait
perdurer en l'état, celui d'unités de comptes échappant
à tout contrôle des institutions monétaires nationales ou
internationales.
Ce projet, s'il est adopté, permettrait aux
cryptomonnaies d'être tolérées dans un premier temps, mais
aussi de superviser leur bon usage. En ligne de mire, sans doute, la lutte
contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Ce projet
s'inscrit aussi dans une réflexion à plus long terme sur la
monnaie digitale de banque centrale (MDBC).
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L'annonce concomitante, par la BAM, de ce projet et de
création d'un comité étudiant l'opportunité, les
modalités et les conséquences de l'émission d'une MDBC
marocaine, donne force à cette hypothèse. Comme beaucoup de
banquiers centraux africains comme européens, Abdellatif est de ceux qui
pensent que l'on peut interdire les cryptomonnaies, sans condamner les
blockchains, bien au contraire les soutenir, et avec elles réguler de
façon efficace l'usage des monnaies numériques, l'avis que nous
avons toujours partagé.
B. Des initiatives récentes venant de la CEMAC et
de l'UEMOA
Le CEMAC regroupe 6 Etats : Cameroun, Centrafrique, Congo,
Gabon, Guinée équatoriale, Tchad. Deux d'entre eux font partie de
top 10 des pays détenteurs de cryptomonnaies en % de leur population
selon la statistique présentée précédemment. Entre
octobre 2020 et mai 2021, la commission de surveillance du marché
financier de l'Afrique centrale (COSUMAF) s'est exprimée à deux
reprises, de façon contradictoire sur la nature des offres de placement
et d'investissement en lien avec les crypto-actifs.
En affirmant, le 23 octobre 2020, que : « l'exercice
des activités de crypto-actifs ne fait pas l'objet d'encadrement
réglementaire », elle leur signifiait qu'aucun prestataire
d'actifs numériques ne peut proposer de tels services. Ce qui confirmait
le point de vue officiel d'interdiction. Par contre, le 27 mai 2021, en
assimilant les prestations de service sur cryptos-actifs à des
activités en lien avec l'appel public à l'épargne et les
instruments financiers, soumis à l'agrément préalable de
la CONSUMAF, elle revenait quelque peu sur ses affirmations d'octobre 2020,
laissant penser que l'usage des cryptomonnaies, après agrément
était chose possible. Il appartient désormais au
régulateur bancaire de la CEMAC, la Banque des Etats de l'Afrique
centrale (BEAC).
L'UEMOA, Union économique et monétaire
ouest-africaine, regroupe 8 autres pays: Bénin, Burkina Faso, Côte
d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo. Dans
un communiqué du CREPMF (Conseil régional de l'épargne
publique et des marchés financiers) du 18 mars 2021, l'équivalent
de la CONSUMAF, il affirme assimiler les offres de placement et
d'investissement, en lien avec les cryptomonnaies, à des
opérations relevant de l'appel public à l'épargne. Ce qui
revient à banaliser et à accepter, implicitement, l'usage des
cryptomonnaies. Reste comme pour la CEMAC, à avoir l'avis de la Banque
centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), régulateur bancaire
de l'UEMOA, qui se fait attendre.
C. Une CEDEAO divisée
La CEDEAO parait divisée sur la ligne à adopter
concernant l'usage des cryptomonnaies. Composée de 15 États, dont
huit de l'UEMOA et sept autres pays : le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la
Guinée, le Libéria, le Nigeria et la Sierra Leone. Et parmi ces 7
pays, on retrouve deux du top 10 des pays, en % de leur population, regroupant
le plus grand nombre d'usagers des cryptomonnaies : bien sûr le Nigeria
mais aussi le Ghana. Avant dernier dans ce classement, le Cap-Vert. Pour ces 3
Etats la ligne officielle diffère totalement de celle de l'UEMOA.
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Premier pays d'Afrique à proposer, depuis octobre 2022,
une MDBC « le eNaira », version numérique de sa propre
monnaie, le Nigeria mise sur le eNaira pour contrer la menace du bitcoin sur sa
souveraineté monétaire et mettre sa monnaie à l'abri de
l'inflation. Interdites depuis 2011, les cryptomonnaies n'ont cessé
cependant de se développer. Plutôt que de rechercher à les
réguler, comme le Maroc, les autorités nigérianes ont
choisi le recours immédiat à une MDBC pour freiner et ralentir
leur usage, plus particulièrement celui du bitcoin. Même
démarche au Ghana, considéré comme une terre d'innovation
pour les cryptomonnaies, dont la situation économique (crise bancaire,
endettement, inflation), va le conduire à annoncer dès septembre
2021 à sa propre monnaie numérique, « le e-cedi », dont
l'officialisation pourrait ne pas tarder.
Quant au Cap-Vert, où les cryptomonnaies sont
tolérées sans aucune réglementation, il est probable,
à court et moyen termes, que rien ne change, l'usage des cryptomonnaies
dans ce pays ne concernant que 1 % de sa population.
I.2 La réglementation des cryptomonnaies en
Europe
A la suite de la publication d'un rapport le 2 octobre
2020,67 la BCE a indiqué lancer une consultation sur la
création d'un « euro numérique ou e-Euro ». Il
consisterait en (une MDBC ou une MNBC), une monnaie virtuelle «
différente » des cryptomonnaies, celles-ci
considérées comme vouées à être très
volatiles et risquées puisque non adossées à une Banque
centrale.
Les plateformes des cryptomonnaies quant à elles
doivent être enregistrées avec le statut de prestataire de service
sur les actifs numériques auprès de l'Autorité des
Marchés Financiers. La plateforme française Coinhouse a
été la première à obtenir ce statut. Binance a
reçu l'autorisation de l'Autorité des Marchés Financiers
pour exploiter sa plateforme d'échange de cryptomonnaie en France. La
France a été le premier pays européen à prouver le
site68.
Section II. Recommandations pour un usage sain de la
blockchain en République Démocratique du Congo
Pour faire respecter efficacement les restrictions tacites sur
l'utilisation des cryptomonnaies en RDC, quelques mesures pourraient être
envisagées : la sensibilisation et l'éducation de la population
congolaise, précisément « les usagers d'internet » sur
les différents enjeux de l'utilisation de cet outil notamment « les
recours aveugles aux cryptomonnaies et à d'autres tendances similaires
», la mise en place d'un cadre réglementaire adapté à
cette nouvelle tendance technologique, la surveillance et suivie des
utilisateurs et des offreurs de ces genres de produits, le renforcement des
mesures liés à la protection des consommateurs.
67 Banque Centrale Européenne, Rapport,
op.cit.
68 DA SILVA Sigolène, op.cit.
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II.1 Sensibilisation et éducation
Il est important de sensibiliser le grand public, y compris
les utilisateurs potentiels de cryptomonnaies, sur les risques et les
défis associés à leur utilisation. Des campagnes
d'information et d'éducation pourraient être menées pour
fournir des informations objectives sur les avantages et les risques des
cryptomonnaies.
Il est évident que la RDC souffre du problème de
vulgarisation, et c'est dans presque tous les secteurs, à titre
d'exemple : « sur le plan législatif, des lois qui sont
adoptées tous les jours et pourtant plus de 90 % de la population ignore
l'existence, à contrario, soumise au principe nul n'est censé
ignoré la loi ».
La RDC reste avec ce défi à relever sur tous les
plans. A ce titre, nous estimons que des campagnes d'information et
d'éducation pourraient fournir des informations objectives non seulement
sur les avantages et les risques liés à l'utilisation de la
technologie blockchain mais également sur le caractère illicite
de son utilisation.
II.2 Surveillance et suivie
Les autorités devraient renforcer les capacités
de surveillance et de suivi des activités liées aux
cryptomonnaies, notamment en utilisant des outils technologies tels que la
blockchain pour suivre les transactions. Cela permettrait de détecter
les activités illégales telles que le blanchiment d'argent et le
financement du terrorisme. En outre, les autorités pourraient mettre en
place un système de signalement des activités suspectes pour que
les citoyens puissent signaler les activités illégales
liées aux cryptomonnaies.
Enfin, la RDC pourrait également travailler avec des
experts en cybersécurité pour renforcer la sécurité
des échanges sur la technologie blockchain et minimiser les risques de
piratage et de vol de données, si elle l'adoptait.
II.3. Mise en place d'un cadre réglementaire
adapté
Les autorités congolaises pourraient envisager de
mettre en place un cadre réglementaire clair et transparent pour
encadrer l'utilisation des cryptomonnaies. Cela pourrait inclure
l'enregistrement obligatoire des plateformes d'échange de blockchain, la
surveillance des transactions sur internet et la lutte contre le blanchiment
d'argent.
Ce cadre pourrait selon que le pays le veut, pourrait
prévoir des interdictions strictes des échanges de cryptomonnaies
et/ou des autorisations légales de la technologie de Blockchain.
En rapport avec l'interdiction, par exemple la Banque centrale
pourrait ordonner à toutes les plateformes congolaises offrant des
services en cryptomonnaie de fermer et attendre l'autorisation
légale.
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Cette étude a démontré que l'attrait des
cryptomonnaies tient aussi au fait qu'elles sont totalement
décentralisées et non réglementées. Il est clair
qu'en les encadrant, on les rattache implicitement à un système.
En les soumettant à la réglementation, on limite leur
facilité d'utilisation. Ainsi, il serait difficile de constater que les
futurs utilisateurs de cryptomonnaies, rattachées à un
système et soumises aux réglementations, soient aussi nombreux
qu'aujourd'hui.
« Il n'y a rien de pire que le statut quo entre
une interdiction non respectée et une tolérance non
encadrée. S'il y a interdiction, qu'elle soit une interdiction
tolérance zéro, à la chinoise, avec les moyens de la faire
respecter. Et si c'est une tolérance, c'est la tolérance
encadrée juridiquement qu'il faut privilégier ».
Section III Perspectives d'avenir : stratégies
pour capitaliser les avantages liés à la technologie blockchain
en Droit monétaire congolais
III.1 Intérêt porté sur les
cryptomonnaies par le gouvernement
Depuis avril 2022, le site d'information officiel congolais
CIO MAG, a publié que le gouvernement congolais par le truchement du
ministère du numérique a exprimé son intérêt
pour les cryptomonnaies et la blockchain69, l'information
confirmée par le site officiel dudit ministère70.
Selon le ministère du numérique, les discussions
se portent actuellement sur « la règlementation et les conditions
de succès de son expansion au pays ». Mais la question peut tourner
au tour du pourquoi de cet intérêt soudain et des raisons de sa
valeur ajoutée à l'économie congolaise, une autre
thématique à mieux développer dans une étude
prochaine.
III.2 Levier d'intégration
Pour le ministère du numérique, plusieurs
raisons expliquent la démarche de la RDC. Premièrement, elle
s'inscrit dans le cadre « du plan national, horizon 2025 ». Un vaste
programme visant à faire du numérique congolais, un levier
d'intégration, de bonne gouvernance, de croissance économique et
de progrès.
En réaction, Roger CIBALANGA, un expert de la finance,
estime que la démarche du gouvernement congolais dont a rapporté
le ministère du numérique, est biaisée. « C'est
imprudent pour un pays comme la RDC de s'intéresser à cette
technologie alors qu'elle a encore plusieurs défis à relever,
déclare-t-il ». Il illustre son point de vue par la faible
portion de la population congolaise ayant accès au numérique
».
L'autre crainte exprimée, est l'absence d'un cadre
légal en vigueur spécifique aux cryptomonnaies en RDC. La
blockchain, nous rappelons, est une technologie qui échappe au
contrôle des Etats et des structures en charge de la régulation
financière. Il s'est avéré que même les
académiciens restent partagés sur cette question.
69 BULONZA Enock, op.cit.
70 Ministère du numérique, op.cit.
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Cependant, quoi proposer au ministre du numérique qui a
tendu la main aux acteurs du secteur, parmi lesquels la firme de la blockchain
The open network pour la règlementation et les conditions de son
expansion en RDC ? Le point suivant donne de propositions à cette
question.
III.3 Réflexion sur une monnaie virtuelle de la
banque centrale (e-Franc congolais)
Avant d'approfondir cette idée du « e-Franc
congolais », il importe d'appréhender d'abord sa notion.
Différente des plateformes de finance (monnaie mobile)
comme M-Pesa, Orange money, Airtel money, le « e-Franc congolais » ne
fonctionnerait pas de la même manière que les cryptomonnaies. Le
e-Franc congolais serait un type de monnaie numérique au modèle
du e-Naira du Nigéria ou de e-Euro (en projet) qui sont tous des
Monnaies Numériques de la Banque Centrale (MNBC) ou des Monnaie
Digitales de la Banque Centrale (MDBC).
Il s'agira, pour la RDC, essentiellement d'une version
numérique du Franc congolais papier avec la même valeur.
Nous estimons que la RDC devrait plutôt miser sur la
MDBC qui pourrait constituer une véritable innovation numérique
du fait qu'elle :
1. Permettrait toujours d'encourager l'exploration de la
technologie de la blockchain par la création d'une monnaie
numérique de la banque moins risquée ;
2. Constituerait une alternative entre les restrictions
à l'utilisation des cryptomonnaies et la passion des utilisateurs
à la Blockchain ;
3. Constituerait une monnaie sécurisée de la
Banque sur laquelle, celle-ci pourrait exercer tous ces pouvoirs
règlementaires reconnus par la Constitution, la loi organique
n°18/027 du 13 décembre 2018 portant organisation et fonctionnement
de Banque Centrale du Congo et l'Ordonnance-loi n° 67/272 du 23 juin 1967
relative au pouvoir règlementaire de Banque Centrale du Congo ;
4. Fonctionnerait sur la blockchain dont la technologie
avancée rend difficile la falsification et donc, il serait beaucoup plus
difficile de les contrefaire ;
5. Constituerait une solution aux utilisateurs de la
blockchain en leur offrant la garantie et la protection par un produit qui
pourrait faciliter l'inclusion financière, la traçabilité,
la rapidité des échanges et la facilitation des transactions
internationales. Les utilisateurs n'auront pas besoin d'un intermédiaire
comme une bancaire ou une autre société pour effectuer les
transferts d'argent, d'où la réduction du temps et des
coûts.
6. Faciliterait également les paiements
transfrontaliers et ;
7. Eviterait les risques liés à l'utilisation
des cryptomonnaies, entre autre, à des fins criminels car les MDBC
n'offrent pas l'anonymat comme la plupart des crypto-actifs.
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Bien que, comme d'autres MDBC et les crypto-actifs, il
fonctionnera sur le grand livre Blockchain, à la différence des
crypto-actifs, toutes les transactions et tous les enregistrements de la
propriété seront stockés dans une base de données
informatique décentralisée mais que seule la Banque Centrale
pourrait frapper, émettre, distribuer ou détruire. Contrairement
aux monnaies cryptographiques, qui peuvent être créées par
n'importe quel ordinateur, n'importe où dans le monde et sur base d'un
algorithme.
Les MDBC n'aideront pas à résoudre les
problèmes d'inflation car rattachées aux monnaies papier auront
le même taux de change officiel et seront confrontés donc aux
mêmes problèmes du pouvoir d'achat. Puisque l'une des raisons de
la croissance des cryptomonnaies en RDC, évoquée
précédemment est le problème de la dévalorisation
perpétuelle du Franc congolais.
Afin, en Afrique nous rappelons, la Banque centrale du
Nigéria a été la première à lancer avec
succès une Monnaie numérique alimentée par la blockchain.
Le Ghana lui emboite le pas avec le e-Cedi. En Afrique de l'Ouest francophone,
la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest étudie toujours la
question par le biais de son centre ouest-africain d'études et de
formation bancaires. Mais le Maroc s'y est lancé aussi. La RDC
étant l'un des pays avec un nombre important d'utilisateurs de la
Blockchain, devrait également emboiter le pas avec un projet du e-Franc
congolais pour pallier aux différents problèmes que posent le
recours à la Blockchain à travers les cryptomonnaies.
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