B - Les juges d'exception
Parler de juges d'exception ici voudrait dire qu'il existe des
autorités juridictionnelles qui ne sont pas directement
concernées par les procédures d'expropriation pour cause
d'utilité publique mais qui affectent néanmoins celles-ci
à cause de leurs activités. Il s'agit globalement du juge
constitutionnel et du juge des comptes.
Au Cameroun, il n'existe pas de Cour Constitutionnelle comme
en France. Les juges constitutionnels au Cameroun sont les membres du Conseil
Constitutionnel (CC), nommé pour un mandat de six (06) ans
éventuellement renouvelable102. Ils sont au nombre de onze
(11), désignés de la manière suivante : « Les
membres du Conseil Constitutionnel sont
99 Ibid, p 95
100 Ibid.
101 TGI pour les montants excédant 10millions et TPI pour
ceux en dessous
102 Article 51 alinéa 1 de la Constitution du 14 avril
2008.
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nommés par le Président de la
République et désignés de la manière suivante : -
trois (03), dont le Président du Conseil, par le Président de la
République , · - trois (03), par le Président de
l'Assemblée Nationale après avis du Bureau ; - trois (03), par le
Président du Sénat après avis du Bureau , · - deux
(02), par le Conseil Supérieur de la Magistrature.
»103.
Le Conseil Constitutionnel a pour rôle principal la
garantie de la Suprématie de la Constitution comme l'a voulu Hans
KELSEN. A ce titre, « Le Conseil Constitutionnel statue souverainement
sur : - La constitutionnalité des lois, des traités et accords
internationaux... »104. Garantir la Suprématie de
la Constitution voudrait dire qu'elle veille à ce que les lois et les
conventions internationales promulguées dans la législation
camerounaise soient conformes à la Constitution. Si une Convention
internationale n'est pas conforme à la Constitution, elle ne pourra
entrer en vigueur dans l'espace camerounais, que si la Constitution est
révisée avant sa promulgation 105 . Ainsi, si une loi
est votée par le parlement et proposée au CC pour
appréciation de la légalité, celui-ci doit faire en sorte
que ses dispositions n'aillent pas à l'encontre des dispositions de la
Constitution.
En ce qui concerne les droits des victimes des expropriations
pour cause d'utilité publique, avant que les textes de loi relatifs
à la matière n'entrent en vigueur, le CC vérifie s'ils
respectent les termes de la Constitution. Si le Conseil constate même
implicitement une violation de la Constitution, le texte ne pourra pas entrer
en vigueur. Il a été précisé plus tôt dans ce
travail que la Constitution aménage les droits des victimes des
expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Alors, le juge
constitutionnel doit veiller à ce que les lois qui entrent dans ce
domaine garantissent tout autant une protection des droits de ces victimes,
comme le veut le Constituant camerounais.
Il faudrait à ce stade lever l'équivoque qui
pourrait naitre en matière d'appréciation de la
légalité des arrêtés portant déclaration
d'utilité publique et les décrets portant expropriation pour
cause d'utilité publique et indemnisation des populations victimes des
expropriations. Ces actes sont des Actes Administratifs Unilatéraux
(AAU) dont l'appréciation de la légalité ne pourrait se
faire par le juge constitutionnel. Il s'agit pour lui d'une question
préjudicielle qui ne peut être appréciée que par le
juge administratif, à la lumière de la loi de 2006
régissant les tribunaux administratifs au Cameroun. Ce texte
prévoit que « Le contentieux administratif
103 Article 51 alinéa 2 Ibid
104 Article 47 alinéa 1 Ibid.
105 Article 44 Ibid stipulant que « Si le Conseil
Constitutionnel a déclaré qu'un traité ou accord
international comporte une clause contraire à la Constitution,
l'approbation en forme législative ou la ratification de ce
traité ou de cet accord ne peut intervenir qu'après la
révision de la Constitution ».
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comprend : a) les recours en annulation pour excès
de pouvoir et, en matière non répressive, les recours incidents
en appréciation de légalité »106. Le
juge Constitutionnel n'est donc en aucun cas compétent pour
apprécier la légalité des textes réglementaires,
mais uniquement les textes législatifs.
A la lecture de l'analyse ci-dessus, on pourrait être
tenté de dire que le juge constitutionnel est le premier
défenseur des droits des victimes des expropriations pour cause
d'utilité publique au Cameroun. Ceci est dû au fait qu'il
intervient bien avant l'entrée en vigueur des textes consacrant leurs
droits comme il a été le cas avec la loi n° 85/009 du 04
juillet 1985 relative à l'expropriation pour cause d'utilité
publique et aux modalités d'indemnisation.
Il est important de relever que le juge des comptes joue un
rôle beaucoup plus auxiliaire que les juges présentés plus
haut. Néanmoins, son activité est relativement importante dans la
protection des droits des victimes des expropriations pour cause
d'utilité publique au Cameroun.
Le juge des comptes au Cameroun est la Chambre des comptes de
la Cour Suprême, consacrée par la Constitution du
Cameroun107 en attendant l'implémentation des tribunaux
régionaux des comptes, voulue par la même
Constitution108 Cette consécration des tribunaux
régionaux des comptes est aussi faite par la loi n° 2006/017 du 29
décembre 2009 qui dispose que « Il est créé un
tribunal régional des comptes par région. Son siège est
fixé au Chef-lieu de ladite région. »109
Le juge des comptes a pour mission de vérifier les
activités des comptes des administrations publiques et des autres
personnes morales de droit publiques. En les termes de la loi de 2006,
« Le Tribunal Régional des Comptes est compétent, sous
réserve des attributions de la Chambre des Comptes, pour contrôler
et statuer sur les comptes publics des collectivités territoriales
décentralisées de son ressort et de leurs établissements
publics. »110
En ce qui concerne les expropriations pour cause
d'utilité publique, c'est à partir du Contrôle des comptes
de ces puissances publiques que les indemnisations peuvent être
reversées aux victimes de ces procédures. Dès lors, le
juge des comptes vérifie la légitimité
106 Article 2 alinéa 3(a) de la loi n° 2006/022 du
29 décembre 2006 fixant l'organisation et le fonctionnement des
tribunaux administratifs au Cameroun.
107 Article 41 de la Constitution de 2008
108 Article 42 Ibid.
109 Article 1 alinéa 2 de la Loi n° 2006/017 du 29
décembre 2006 fixant l'organisation, les attributions et le
fonctionnement des tribunaux régionaux des comptes.
110 Article 9 alinéa 1 Ibid.
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des comptes d'une personne morale de Droit Public voulant
procéder à des travaux d'utilité publique. Quand le
montant total lié aux travaux des expropriations et aux indemnisations
est arrêté, le juge des comptes assure son suivi, afin qu'il serve
l'intérêt pour lequel il a été
déboursé. Grâce à cela, les montants des
indemnisations à reverser aux victimes des expropriations font l'objet
d'un véritable suivi et protège donc convenablement ce droit
dévolu à ces victimes.
Dès lors, il est irréfutable que le juge des
comptes joue un rôle auxiliaire mais toutefois important dans la
protection des droits des victimes des expropriations pour cause
d'utilité publique au Cameroun.
Les instances juridictionnelles sus analysées ne font
qu'une partie du travail de protection des victimes des expropriations pour
cause d'utilité publique au Cameroun. On constate une participation
active d'acteurs non-juridictionnels qui font le reste du travail, selon les
dispositions prévues par la réglementation en vigueur.
PARAGRAPHE II : LES INSTITUTIONS NON-JURIDICTIONNELLES
DE PROTECTION DES DROITS DES VICTIMES DES EXPROPRIATIONS POUR CAUSE
D'UTILITÉ PUBLIQUE AU CAMEROUN
Ces mécanismes sont observés à travers
les activités d'acteurs qui ne sont pas de rôle dans les
institutions juridictionnelles du Cameroun. Il s'agit là des
autorités qui jouent un rôle prépondérant dans la
sauvegarde des intérêts des victimes des expropriations pour cause
d'utilité publique au Cameroun. Il s'agit largement des membres de
l'administration active (A) et des acteurs indépendants
(B).
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