La protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Camerounpar André Junior BEDJOKO BEDJOKO Université Catholique d’Afrique Centrale - Master en Droit Public 2023 |
INTRODUCTION GÉNÉRALEL'expression « Il n'y a ni justice ni liberté possible lorsque l'argent est toujours roi » du célèbre philosophe français Albert Camus élargit son sens dans les matières relatives aux cessions des propriétés privées à l'Etat. Ce dernier est doté de prérogatives exorbitantes en matière administrative en général et en matière foncière de façon plus particulière. Ceci se dégage par les dispositions du Code Civil de 1804 qui établit inter alia que « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n'est pour cause d'utilité publique »1. Alors, pour des besoins d'intérêt général, toute personne peut être appelée à céder une partie ou la totalité de sa propriété immobilière à l'Etat. Cette procédure a été développée au Cameroun lors de la période coloniale. Elle fut introduite par les colons allemands par un arrêté daté du 27 mars 1888, pris par le gouverneur allemand de l'époque. Cet Arrêté avait pour objet de poser les jalons de l'acquisition, la perte et la limitation des droits fonciers au Kamerun allemand. À partir de là, les populations devinrent au parfum des différentes procédures qui leurs permettraient de devenir légalement des propriétaires terriens et jusqu'où elles peuvent jouir de ces terres. Elles peuvent en jouir justement jusqu'à ce que l'Etat décide d'intervenir dans leurs domaines Cette intervention se manifeste beaucoup plus en matière d'expropriation avec pour motif de promouvoir l'utilisation collective de cette propriété terrienne. Ceci est établi dans le classique de FOUDA MBALLA Maurice c/ Etat du Cameroun Oriental, suivant l'arrêt no 160/CFJ/CAY du 08 juin 1971 où le requérant FOUDA s'est vu retiré son bien immeuble pour des besoins d'intérêt général. La règle est que pour toute expropriation pour cause d'utilité publique, une indemnisation équitable doit s'en suivre. Il faudrait noter que cette indemnisation préalable n'est pas toujours évidente pour un Etat qui fait face à des réalités budgétaires. Ceci se fait donc généralement de façon réductionniste au détriment des victimes expropriées. Plusieurs hypothèses peuvent alors naître de cette aberration. L'on suppose tout d'abord un niveau inapproprié de laxisme juridique ou encore une faible instauration organique de mécanismes de garantie du respect des procédures mises sur pied en matière d'indemnisation dans le cadre de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Il est alors nécessaire de relever les lacunes juridiques et institutionnelles que font face ces procédures et établir des méthodes pour les combler et répondre aux attentes des populations. 1 Article 545 du Code Civil français de 1804. 2 I - CONTEXTE DE L'ETUDE Le caractère inattaquable, intangible et définitif du titre foncier2 au Cameroun devient de plus en plus sujet de controverses au fil du temps. Ceci est dû à l'expropriation abusive des propriétés immobilières privées par l'Etat aux fins d'utilité publique. Il est certes indéniable que les expropriations sont consacrées, mais elles sont tenues de suivre une certaine procédure et de respecter un certain nombre de règles. Le Cameroun a pour objectif de devenir un pays émergent à l'horizon 2035. Pour cette raison, celui-ci oeuvre de toutes les manières possibles afin de multiplier ses offres d'infrastructures nécessaires à sa population dans leurs différents domaines d'activités. Dans les zones urbaines, il n'est pas surprenant que les expropriations pour cause d'utilité publique se multiplient pour construire des infrastructures de base nécessaires au développement. La population qui est au parfum de cet objectif d'émergence visé par le gouvernement a néanmoins tendance à être susceptible à de telles procédures d'expropriations, quand elle est directement concernée. Ceci n'est pas essentiellement dû à des motivations égocentriques et individuelles mais à des violations graves aux procédures d'expropriation. Les populations au Cameroun sont dans certains cas lésées lors des procédures d'expropriation. Elles ne sont pas très souvent indemnisées à la juste valeur de leurs propriétés expropriées. Le motif d'utilité publique n'est pas fondé lors de ces procédures. Les délais ne sont pas respectés lors de ces procédures. Pour des raisons d'analphabétisme et de manque de moyens en règle générale, ces victimes ne mènent aucune action pour que justice leur soit rendue. Tout ceci fait en sorte que tous les efforts consentis par l'Etat camerounais pour garantir une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique juste et équitable soient remis en question. C'est sur ces différents motifs que cette étude visant à garantir une protection beaucoup plus appuyée des droits des victimes de ces expropriations est menée. II - DÉLIMITATION DE L'ÉTUDE La présente étude a été faite selon une délimitation des faits bien précise. Tout d'abord selon une délimitation spatiale (A). Ensuite, selon une délimitation temporelle (B) et finalement selon une délimitation matérielle (C) 2 Article premier du décret n° 76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d'obtention du titre foncier, modifié et complété par le décret n° 2005/481 du 16 décembre 2005. 3 A - DÉLIMITATION SPATIALE Le cadre de recherche du présent travail est observé dès la lecture du thème retenu. En d'autres termes, l'étude a été menée dans un cadre strictement national, c'est-à-dire, sur l'étendue du territoire camerounais. Ceci est dû au fait que l'objectif du présent travail est de reconnaître les failles internes en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, pour y apporter des solutions conjoncturelles, voire même structurelle. Ainsi, cela ne nécessite logiquement pas une extension Internationale de recherche en la matière. Aussi, l'étude menée au Cameroun ne s'est pas faite dans une zone précise mais en fonction des différents cas d'expropriation recensés par les juridictions compétentes. Toutefois, la plupart des données retenues dans ce travail sont celles récoltées à partir des travaux menés dans les régions du Centre et du Littoral. Le cadre loci3 de cette étude s'est accompagné par une délimitation temporelle bien précise. B - DÉLIMITATION TEMPORELLE Les terrains existent depuis aussi longtemps que la terre existe. Les litiges relatifs à ces précédents existent néanmoins depuis qu'un accaparement individualiste de ceux-ci a débuté. Ainsi, il serait assez fastidieux de mener cette étude depuis cette période. Les travaux menés pour le compte de ce travail se sont attardés sur la période post indépendance du Cameroun4. C'est à partir de cette période que les premiers jalons régissant les domaines fonciers et domaniaux ont été posés. Il était donc indispensable pour cette étude de débuter à cette période jusqu'à date. La présente étude s'est aussi limitée sur un champ matériel bien précis. C - DÉLIMITATION MATÉRIELLE L'expropriation pour cause d'utilité publique tire son origine du domaine foncier et du domaine domaniale. L'on constate que ces deux (02) domaines sont issus d'un régime assez hybride5 dû à des traces du régime public et du régime privé en la matière. Ainsi, le présent travail est fondé à la fois sur le Droit public interne et le Droit privé interne. Cela n'exclut pas que référence soit parfois faite à des textes externes dont le champ d'application s'étend sur le 3 Latin pour « géographique ». 4 A compter du 1er janvier 1960. 5 Droit Public et Droit Privé. 4 territoire camerounais, à l'instar du Code Civil français de 1804 et des textes internationaux relatifs à la protection des individus en matière foncière et domaniale par l'Etat camerounais6. Parmi les différents textes utilisés dans ce travail, l'on dégage principalement : La Constitution du 18 janvier 1996 révisée en 2008, la loi n° 85/009 du 04 juillet 1985 relative à la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation, le décret n° 76/165 de 1976 organisant les procédures d'obtention du titre foncier, L'ordonnance n° 74-1 du 06 juillet 1974 fixant le régime foncier, l'ordonnance n° 74-2 du 06 juillet 1974 fixant le régime domanial, l'ordonnance n° 74-3 du 06 juillet 1974 relative à la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation. III - DÉFINITION DES CONCEPTS Le thème du présent travail comprend un certain nombre de termes qu'il faudrait éclaircir avant d'envisager une quelconque analyse de fond. Une précision sur les termes Protection (A), Expropriations (B) et Cause d'Utilité Publique (C) sera donc apportée dans le développement ci-après. A - PROTECTION Le Dictionnaire Larousse définit la notion de protection comme l'action de défendre un quelconque fait, une personne, une idéologie7. Elle peut aussi être comprise comme la chose qui protège et assure contre le risque, un danger ou encore un mal. La protection renvoie aussi à l'ensemble des mesures destinées à protéger certaines personnes et organismes chargés de l'application de telles mesures. Une définition un peu plus avancée est donnée par Gérard CORNU. Il définit cette notion comme « une précaution qui, répondant au besoin de celui ou de celle qu'elle couvre, et répondant en général à un devoir pour celui qui l'assure, consiste à prémunir une personne, un bien contre un risque, à garantir sa sécurité et son intégrité, etc..., par des moyens juridiques ou matériels. Elle désigne aussi bien l'action de protéger que le système de protection établi (mesure, régime, dispositif) »8. L'idée de la protection que voudrait faire ressortir CORNU ici est celle d'une prévention contre un quelconque risque qui pourrait 6 Notamment la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. 7 Dictionnaire Larousse, édition 2022. 8 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Quadrige/PUF, 1987, Paris p.618. Cité dans le mémoire de Pythagore NONO KAMGAING, « la protection des droits de la personnalité par le juge Camerounais », UCAC-Master Droits de l'homme, 2009. www.memoireonline.com, (Consulté le 05/07/2023). 5 frapper un individu, à un moment donné. François BRUGNION pour sa part essaye plutôt de démontrer le caractère essentiellement pratique de la notion de protection. Il précise que « le concept de protection possède une dimension essentiellement pratique : protéger n'est ni dire ni écrire, c'est aussi essentiellement intervenir, agir. » 9 Ainsi, pour que la notion de protection prenne tout son sens, elle devrait se détacher d'une simple théorie et embrasser un cadre beaucoup plus pratique. Selon le Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (UNOCHA), la protection est un terme général lié aux activités visant à obtenir le plein respect des droits de l'individu, conformément au droit international, dont le droit humanitaire international, les droits de l'homme et les droits des réfugiés, quel que soit son âge, genre ou origine sociale, ethnique, nationale, religieuse et autre10. Ce Bureau étant un organe des Nations Unies s'est appesanti sur le Droit International, ce qui est tout à fait justifiable. Cependant, il ne serait en aucun cas fallacieux si une telle définition prenait comme source le Droit Interne d'un pays. Ainsi, la protection comprend aussi les activités liées au respect des droits des individus, conformément à la législation interne d'un pays. Aussi, dans l'affaire SERAC et Autres c. Nigeria, une définition plus intéressante est donnée par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. Celle-ci s'est basée sur l'institution de Banjul qui précise que la notion de protection est une obligation à la charge de l'Etat en vertu de ses obligations en matière de droits de l'homme. Selon la Commission, l'Etat est tenu de protéger les détenteurs de droits contre d'autres individus, par la législation et la mise à disposition de recours effectifs. Cette obligation selon elle, requiert de l'Etat de prendre des mesures pour protéger les bénéficiaires des droits protégés contre les ingérences politiques, économiques et sociales. La protection conclut-elle, exige généralement la création et le maintien d'un climat ou d'un cadre par une interaction effective des Lois et Règlements, de manière à ce que les individus puissent exercer librement leurs droits et libertés.11 La définition proposée par La Commission Africaine des Droits de l'Homme parait la plus appropriée dans le cadre du présent travail. Ceci est dû à la clarté et le vide d'ambiguïté que 9 François BRUGNION, « Le Comité International de la Croix-Rouge et la protection des victimes de guerre », in Revue Internationale de la Croix-Rouge, no 775, janvier-février 2005, p 11. Cité dans le mémoire de Pythagore NONO KAMGAING, « la protection des droits de la personnalité par le juge Camerounais », UCAC-Master Droits de l'homme, 2009. www.memoireonline.com, (Consulté le 05/07/2023). 10 Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires, OCHA d'une seule voix : la protection, Juin 2010. 11 Social and Economic Right Action Centre c. Nigeria RADH 2001 63, p. 45. Cité dans le mémoire de Pythagore NONO KAMGAING, « la protection des droits de la personnalité par le juge Camerounais », UCAC-Master Droits de l'homme, 2009. www.memoireonline.com, (Consulté le 05/07/2023). 6 présente ladite définition. Dès lors, en considérant les éléments compris dans la définition de la Commission dans le présent travail, la protection est perçue comme toute action prise par le gouvernement camerounais pour protéger et prendre la défense des personnes qui sont frappées d'expropriation pour cause d'utilité publique sur son territoire. B - EXPROPRIATIONS L'utilisation du terme expropriation se fait le plus souvent dans un contexte concernant des biens immeubles. C'est pour cette raison que la majorité des définitions vont dans ce sens. La définition proposée par l'administration française par exemple dispose que l'expropriation est une procédure qui permet à une personne publique (État, collectivités territoriales...) de contraindre un particulier ou une personne morale (entreprise) à céder la propriété de son bien, moyennant le paiement d'une indemnité. Cette procédure contribue notamment à la réalisation d'ouvrages publics (équipements sociaux, réseaux d'assainissement...)12. Selon Joseph OWONA, l'Etat peut acquérir des biens mobiliers ou immobiliers par voie contractuelle. Il fait alors recourt à des mécanismes qui peuvent être : des procédés de contrat administratif ; ou des procédés de contrainte ou de cession forcée. L'expropriation constitue un de ces procédés de cession forcée13. La définition proposée par OWONA est intransigeante sur le fait que les expropriations sont ipso facto des procédures de cession forcée de biens immeubles. Aussi, l'expropriation peut être définie comme la possibilité pour une personne publique (c'est-à-dire l'État ou une collectivité territoriale) de priver de sa propriété un propriétaire foncier. Il s'agit d'une vraie dérogation au droit de propriété qui affirme que nul ne peut être contraint à céder son bien. La personne publique peut ainsi dépouiller, en totalité ou en partie, une personne privée (un particulier) ou une personne morale (une société) de son immeuble, de son terrain, ou encore d'un usufruit ou d'une servitude (on parle de droit réel immobilier)14. Une définition un peu plus poussée est donnée par le Cabinet Jordan AVOCATS qui précise que l'expropriation est la possibilité pour l'expropriant, qui peut-être une personne publique (l'Etat, une Collectivité Territoriale Décentralisée, un Etablissement Public) et 12 www.service-public.fr (Consulté le 05/07/2023). 13 Joseph OWONA, Domanialité Publique et expropriation pour cause d'utilité publique au Cameroun, 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris, le Harmattan, 2012, p 49. 14 www.justice.ooreka.fr (Consulté le 05/07/2023). 7 parfois une personne privée d'acquérir un bien alors que son propriétaire n'en est pas vendeur15. A la lecture de ces différentes définitions, l'on retient qu'elles peuvent toutes être assimilées dans la présente étude. Ainsi, l'expropriation peut être comprise ici comme la cession forcée d'un bien immobilier à une personne morale de Droit Public pour des motifs d'intérêt général. C - CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE La notion d'utilité publique a été au fil du temps un sujet de controverse. En effet, il a toujours été difficile de cerner exactement à quoi revoit cette notion, en quoi consiste réellement une cause d'utilité publique. Alexia RIVET dégagera même qu'il n'existe pas de définition stricte de l'utilité publique. Celle-ci doit se définir en fonction de l'opération et l'environnement qui la caractérisent. Aussi, la notion d'utilité publique a été forgée à l'origine pour justifier l'expropriation. L'expropriation se définit comme un transfert forcé de la propriété de tout ou partie d'un bien immobilier au nom de l'utilité publique. En d'autres termes, procédure parmi les plus coercitives, elle permet de contraindre une personne, publique ou privée, à céder son bien moyennant une juste et préalable indemnité. L'on observe qu'il est relativement difficile de définir la notion d'utilité publique sans celle de l'expropriation. Néanmoins, une définition assez révélatrice a été adoptée par Choné & Associés NOTAIRES, qui établit qu'elle renvoie à une déclaration officielle de l'autorité publique dont est investie une institution d'intérêt général (association reconnue d'utilité publique, fondation) ou une opération (expropriation) en considération de l'intérêt général qui s'attache à celle-ci et qui entraîne l'application d'un régime juridique dérogatoire à celui du droit commun.16 A l'analyse de cette définition, il faudrait noter que l'utilité publique entretient une relation très intime avec la satisfaction de l'intérêt général. Dès lors, il convient de noter que la définition de l'utilité publique à retenir dans ce travail est celle de Choné & Associés NOTAIRES. En l'espèce. Elle apparaît comme la satisfaction de l'intérêt général comme priorité des expropriations au Cameroun. 15 www.jordan-avocats.com (Consulté le 05/07/2023). 16 www.chone.notaires.fr (Consulté le 05/07/2023). 8 IV - INTÉRÊT DE L'ETUDE Le présent travail revêt d'un double intérêt, qui est à la fois scientifique et social. Pour des raisons de présentation, avant de présenter l'intérêt social du traitement de ce thème(B), il sera présenté l'intérêt scientifique (A) de cette même recherche. A - INTÉRÊT SCIENTIFIQUE Les populations ont le droit de jouir de leurs propriétés immobilières sans discrimination quelconque. D'ailleurs, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) voudrait que chaque individu ait droit à un logement décent. Elle précise explicitement que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. »17 On constate néanmoins qu'au Cameroun, ce droit au logement est bafoué lors de la plupart des procédures d'expropriation pour cause d'utilité publique. Ceci est dû au fait que les droits des victimes de ces expropriations ne sont pas toujours respectés. La suite de cela est le recours à des logements indécents par ces mêmes victimes. C'est pour cette raison que la présente étude est menée afin de renforcer la protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Cette protection qui est garantie à travers un certain nombre de textes et de mécanismes, demeure relativement souple dans la pratique. Ainsi, la présente étude s'attardera à démontrer pourquoi malgré les efforts consentis par le gouvernement camerounais, la protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique demeure aussi fragile dans la pratique. B - INTÉRÊT SOCIAL En protégeant les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique, les droits de l'Homme consacrés par les textes internationaux le sont également18. Ces droits qui sont également consacrés par la Constitution en vertu de l'appartenance intégrale du préambule à la Constitution, sont ainsi protégés par ce canal. Ainsi, la présente étude qui est 17 Article 25 alinéa 1 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme 18 Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, Pacte International relatif aux droits économiques sociaux et culturels de 1966 pour ne citer que ceux-ci 9 au demeurant un reflet de la société actuelle, aidera la population à être au parfum des différents droits qui leur sont dévolus en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique au Cameroun. Les acteurs de la société civile qui ne cessent de s'interroger sur les stratégies qu'ils pourraient engager pour limiter les violations de ces droits, pourraient s'inspirer des travaux de la présente étude. Dans une certaine mesure, les administrations étatiques pourraient aussi adopter des politiques sur la base des recommandations précisées dans cette étude. Si cela est fait, les bienfaits que la mise en oeuvre de ces politiques pourrait générer, auront la possibilité d'être affectés dans d'autres secteurs. Ainsi, la vision d'émergence qu'a le gouvernement camerounais à l'horizon 2035 sera atteint en toute fluidité. V - REVUE DE LA LITTÉRATURE Une série d'auteurs camerounais s'est intéressée aux expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Néanmoins, leurs travaux ne se sont pas directement questionnés sur l'effectivité du respect des droits des personnes victimes de telles procédures. L'on peut s'appesantir sur certains, qui pour nous, ont donné des opinions importantes sur le nécessité de protéger les victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Dans l'étude menée par Joseph OWONA19, sur la domanialité publique et les expropriations pour cause d'utilité publique nous fait comprendre dans un premier temps comment les terres de l'Etat sont organisées20 et dans un second temps, la méthode par excellence utilisée par l'Etat pour contraindre un particulier à lui céder sa propriété immobilière21. C'est la deuxième partie de ce travail qui nous est intéressante ici. L'auteur fait une présentation succincte de cette procédure en passant par son bien-fondé jusqu'à son corolaire direct qu'est l'indemnisation compensatrice. Selon lui, et en se basant sur la disposition de la Constitution du 18 janvier 1996, « L'indemnisation est donc un droit en cas d'expropriation. Elle ne peut être supprimée ni par un texte ayant valeur de loi ni par un quelconque acte administratif »22. L'auteur rappelle donc au gouvernement Camerounais qu'une indemnisation à la suite d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique n'est pas facultative mais obligatoire. On peut comprendre qu'il milite en la faveur d'une 19 Joseph OWONA, Domanialité Publique et expropriation pour cause d'utilité publique au Cameroun, 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris, l'Harmattan, 2012 20 Ibid, pp. 11-45 21 Ibid, pp. 49-97. 22 Ibid, p. 88 10 protection sans faille du droit à l'indemnisation dévolu aux victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Joseph OWONA voudrait donc que l'Etat camerounais mette tous les moyens nécessaires en place, afin de protéger les droits des victimes de ces expropriations. Les différentes étapes pour procéder aux expropriations pour cause d'utilité publique ne sont pas consacrées pour des raisons fantaisistes. Elles le sont pour garantir une sécurité juridique optimale des victimes, ce qui contribue à faire du Cameroun un Etat de Droit stricto sensu. Le même point de vue est partagé par Samuel-Béni ELLA ELLA, Fidélie MENDOUGA et Pierre NKOU ABINA23 quand ils procèdent à une étude empirique des indemnisations qui ont été versées dans les expropriations pour cause d'utilité publique occasionnées à Lom Pangar, Mekin et Kribi. Pour ceux-ci, les indemnisations suite à ce type d'expropriation sont versées afin de préserver la paix et éviter les conflits. En leurs termes « pour éviter les conflits et préserver la paix, la législation camerounaise a-t-elle prévu des indemnisations dans le cadre des expropriations pour cause d'utilité publique »24. L'on observe ainsi la volonté du gouvernement camerounais à faire de la nation un réel Etat unitaire et décentralisé, à la lumière des dispositions de la Constitution de 199625. Ce qui est aussi intéressant avec les travaux de ces auteurs, est la reconnaissance qu'ils font des politiques camerounaises en matière d'indemnisation, qui sont essentiellement basées sur l'ordonnance de 197426 et la loi de 198527 créant un cadre juridique bien structuré en matière d'indemnisation pour cause d'exploitations de cette nature28. L'objectif visé par ces travaux est clair, l'indispensable nature des indemnisations qu'il faudrait toujours reverser aux victimes des expropriations de cette nature. Dans leurs travaux ils énoncent même certains maux qui fragilisent la protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Ils relèvent par exemple l'anachronisme des textes en la matière et les actes de corruption au cours de ces procédures. Dès lors, Samuel-Béni ELLA ELLA, Fidélie MENDOUGA et Pierre NKOU ABINA voudraient que la protection de ces 23 Samuel-Béni ELLA ELLA, Fidélie MENDOUGA et Pierre NKOU ABINA, Sociologie critique des indemnisations au Cameroun, Cas de Lom Pangar, Mekin et Kribi, 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris, le Harmattan, 2021 24 Ibid. pp. 24-25 25 Article 1 alinéa 2. 26 Ordonnance n° 74-3 du 06 juillet 1974 relative aux expropriations pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation 27 Loi qui est venue abroger l'ordonnance de 1974 relative aux expropriations et aux modalités d'indemnisation 28 Samuel-Béni ELLA ELLA, Fidélie MENDOUGA et Pierre NKOU ABINA, Sociologie critique des indemnisations au Cameroun, Cas de Lom Pangar, Mekin et Kribi, 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris, l'Harmattan, 2021, pp. 35-70 (Consulté le 05/07/2023). 11 victimes soit renforcée. Pour ce faire, les vices qu'ils ont présentés dans leur travail, devront être éradiqués sur le long terme. Selon un article publié sur les médias numériques par Samuel NGUIFFO29, les procédures d'expropriation doivent être aussi améliorées que les mécanismes d'indemnisation. Selon l'auteur, les procédures d'expropriation doivent être menées avec la plus grande délicatesse possible. Les terres sont tellement vastes qu'il serait facile pour l'Etat de commettre des erreurs non seulement sur la superficie à exproprier, mais aussi sur les personnes directement concernées par la procédure. Samuel NGUIFFO s'est appuyé sur les Directives de l'organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) qui établissent inter alia que ; « Les États devraient veiller à ce que les expropriations soient planifiées et réalisées dans la transparence et de façon participative. Toute personne susceptible d'être touchée devrait être identifiée, et correctement informée et consultée à toutes les étapes du processus. Des consultations conformes aux principes énoncés dans les présentes Directives devraient permettre de donner des informations sur d'autres approches envisageables pour la réalisation des objectifs publics et de prendre en compte des stratégies permettant de réduire au maximum la perturbation des moyens de subsistance. Les États devraient être attentifs lorsque l'expropriation vise des zones ayant une importance culturelle, religieuse ou environnementale particulière ou lorsque les terres, pêches ou forêts visées sont particulièrement importantes pour les moyens de subsistance de personnes pauvres ou vulnérables » 30 . A l'analyse, l'on observe qu'il y'a une nécessité pour les procédures d'expropriation de débuter par une identification précise des personnes pouvant être affectées de près ou de loin par celles-ci. Ces personnes doivent être mises au parfum des différentes étapes qui vont s'en suivre et des garanties qui leur incombent eu égard à l'expropriation dont ils sont victimes.. Le même auteur voudrait aussi que les droits des victimes prévus par la législation en vigueur soient respectés à la lettre. L'on distingue le décret N°87/1872 du 16 décembre 1987 portant application de la loi N°85/9 du 4 juillet 1985 relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation qui précise que l'indemnisation n'est pas facultative et doit se faire avant d'engager la procédure 29 Samuel NGUIFFO, Améliorer le système d'expropriation et de compensation dans un contexte de pluralisme juridique : leçons du Cameroun,
https://archive.uneca.org/sites/default/files/uploaded- 30 Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, Directives volontaires pour une Gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts Dans le contexte De la sécurité alimentaire nationale, Rome, 2012, p. 28. 12 d'expropriation. Ce même décret précise aussi qu'un préavis de trois (03) à six (06) mois doit être servi aux victimes pour qu'ils puissent avoir le temps de déguerpir. Samuel NGUIFFO interpelle donc les acteurs des expropriations pour cause d'utilité publique à faire preuve d'une méticulosité sans pareil au cours de ces procédures. Cela aura pour conséquence d'observer comme il se doit les droits reconnus à ces victimes. KOUAYEP Prosper, pour sa part s'est directement mis à énumérer les failles majeures des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun31. En ses termes ; « mettre en exergue les problèmes liés à l'expropriation pour cause d'utilité publique et aux indemnisations, consécutivement à la mise en oeuvre des projets d'envergure. A ce propos, il s'agit, entre autres, de la mauvaise évaluation ou sous-évaluation des biens, la mauvaise qualification juridique des biens à indemniser, le non-paiement de certaines victimes, le versement des indemnisations aux personnes fictives, le barème dérisoire des indemnisations ». Tout comme NGUIFFO, l'on observe dans son travail la persistance des problèmes liés à l'évaluation des biens à exproprier. Ainsi, la volonté d'une protection optimale démontrée par KOUAYEP Prosper ne pourra être atteinte que si ces différents fléaux sont abolis. L'auteur porte donc à la connaissance de l'Etat camerounais ce différents maux, qu'ils devraient supprimer sans plus tarder. A la lecture de ces différents travaux, le constat est fait que la protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun est perceptible mais reste et demeure perfectible. Ces différents auteurs voudraient faire retentir l'alarme sur la nécessité de protéger au maximum les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. VI - PROBLÉMATIQUE La législation camerounaise répond de jure32 aux problèmes liés à la protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique. Sur le plan pratique, l'on note un certain nombre d'incohérences. L'on s'interroge alors sur plusieurs questions, notamment celle de l'effectivité de ces modalités de protection des droits des victimes de telles expropriations. La question est en quelque sorte paradoxale, parce que nous ne pouvons 31 KOUAYEP Prosper, Expropriation pour cause d'utilité publique et indemnisations, entre Loi et pratique au Cameroun : le Projet LandCam échange avec les journalistes sur les thématiques, https://www.relufa.org/fr/wp-content/uploads/2017/03/Article-sur-lExpropriation-pour-cause-dutilit%C3%A9-publique-et-indemnisations-entre-Loi-et-pratique-au-Cameroun-finale.pdf 32 De fait 13 parler d'une effectivité remarquable mais nous ne pouvons non plus parler de dispositions exclusivement statutaires, aux vues des efforts consentis par les autorités nationales en charge de cette procédure d'expropriation au Cameroun. Toutefois, la question qui nous amène à beaucoup plus gamberger est celle de savoir : Comment les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique sont-ils protégés au Cameroun ? VII - HYPOTHESE La protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique est perceptible au Cameroun à travers l'existence de divers instruments juridiques et d'une variété de mécanismes pratiques en la matière. Néanmoins, cette protection demeure lacunaire, dû à l'existence de divers vices qui fragilisent celle-ci, d'où la nécessité de prendre en compte un certain nombre de suggestions. VIII - CADRE MÉTHODOLOGIQUE DE L'ETUDE « La méthode dicte surtout de façon concrète la manière d'envisager ou d'organiser la recherche »33. Pour cela, il faudrait une méthode bien structurée pour mener au bien ce travail. Celle utilisée dans ce travail est donc duale, avec d'une part des méthodes et techniques d'analyse (A) et d'autre part, des techniques de recherches (B). A - LES MÉTHODES D'ANALYSE Dans le cadre de ce travail, deux méthodes d'analyse ont été utilisées : la méthode juridique et l'approche stratégique. Dans un premier temps, la méthode juridique nécessite une méticulosité sans pareil. Selon Charles EINSENMANN, cette méthode comprend deux (02) composantes : la dogmatique et la casuistique34 La dogmatique consiste selon lui à analyser des textes et évaluer leurs conditions d'édition. Il s'agit là d'étudier les différents textes juridiques qui régissent un domaine particulier et de mesurer son niveau d'application dans la réalité. Dans le cas de la présente étude, il sera donc question de scruter en profondeur les lois, décrets et autres textes législatifs et réglementaires qui ont été établis afin de protéger convenablement les droits des victimes 33 Madeleine GRAWITZ 34 EINSENMANN Charles, Cours de Droit administratif, cité par NACH MBACK Charles, Démocratisation et décentralisation, « genèse et dynamiques comparées des processus de décentralisation en Afrique subsaharienne », Paris, Karthala-PDM, 2003, p.45 14 des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Cela nous permettra de voir si dans la pratique les dispositions de ces différents textes sont respectées et par ricochet donc, évaluer leur portée réelle. Afin que ce travail de recherche « échappe au danger de la spéculation abstraite »35, il faudrait une interférence entre des cas réels et les dispositions textuelles. Ceci est la quintessence même de la casuistique préconisée par EINSENMANN. Pour ce faire, ce travail évoquera des différents cas d'expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun, afin d'avoir un avis objectif sur la question de savoir si le respect des droits des victimes concernées est réel ou juste utopique. Dans un second temps, l'analyse stratégique est une théorie sociologique des organisations issue des travaux de Michel CROZIER et d'Erhard FRIEDBERG. Elle s'intéresse aux relations de pouvoir entre les acteurs de l'organisation et aux règles implicites qui gouvernent leurs interactions (désignées sous le terme de « jeux »). Plus précisément, les auteurs cherchent à comprendre la nature des relations qui se créent entre des acteurs interdépendants, dont les intérêts peuvent être divergents ou contradictoires.36 Ainsi, dans le cadre de ce travail, nous procéderons à une analyse des acteurs directement concernés par les expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. L'analyse de ces différents acteurs nous permettra de déterminer dans quel contexte les droits des victimes de ces expropriations a été établi. B - LES TECHNIQUES DE RECHERCHES Concrètement, ces techniques de recherches sont conçues comme des moyens et procédés qui permettent de rassembler le maximum de données possible sur un sujet bien précis. Pour ce travail, deux (02) principales techniques ont été utilisées, à savoir l'enquête et la recherche documentaire. L'enquête est un outil qui est utilisé pour les travaux de recherche et qui est organisé par la méthode. Cette technique implique des étapes différentes qui comprennent des opérations pratiques, nécessaires pour l'élaboration du travail de recherche. Pour ce travail, l'enquête s'est faite à travers la recherche d'informations relatives aux expropriations pour cause d'utilité publique dans les différentes régions du Cameroun. 35 BATTIFOL Henri, Aspects philosophiques du Droit International privé, Paris, Dalloz, 2002, p. 6. 36 www.cairn.info (Consulté le 06/07/2023) 15 La recherche documentaire quant à elle comprend la fouille systématique de tout document relatif de près ou de loin à une question de recherche donnée. Le type de document ici importe peu dans la mesure où l'objectif est d'obtenir une information relative à un sujet donné ou non et pas d'exploiter un document d'une nature précise. Ainsi, dans ce travail, il nous a été donné d'exploiter des documents tels que des ouvrages, des articles, des rapports, des mémoires, des jurisprudences, des grosses et des textes juridiques. Ces documents provenaient de différents lieux, notamment de la bibliothèque de l'UCAC, des librairies dans les zones urbaines, des tribunaux de droit commun et des plateformes numériques. IX - ARTICULATION ET JUSTIFICATION DU PLAN Afin de répondre à la problématique retenue dans le présent travail, il serait intéressant de reconnaître dans un premier temps les efforts consentis par le gouvernement camerounais pour garantir un cadre favorable de protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. En faisant cela, l'on reconnaitrait en quelque sorte une protection avérée des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun (Première Partie). Malgré ces efforts, il va falloir avouer que dans la pratique, certains vices existent qui gangrènent énormément cette protection et nécessite donc des réformes pour peaufiner la protection des droits des victimes de telles expropriations au Cameroun. Cela voudrait ainsi dire que cette protection reste toutefois perfectible dans la pratique (Deuxièmement Partie). Tout ceci permettra de faire de l'expropriation pour cause d'utilité publique au Cameroun une procédure qui protège les droits de ses victimes et ce, de manière optimale. 16 PREMIÈRE PARTIE : LA PROTECTION PERCEPTIBLE DES
DROITS DES CAMEROUN 17 Parler d'une protection avérée des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun, voudrait sous-entendre une perception indiscutable de cette protection. Bien que le gouvernement Camerounais ait mis en place une législation bien précise en la matière, il a voulu concrétiser cela avec des mécanismes réels dans la pratique. Dès lors, la certitude de cette protection se dégage aussi bien par une consécration juridique bien structurée (Chapitre I), que par une opérationnalisation (Chapitre II), de la protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. 18 CHAPITRE I : LA CONSÉCRATION JURIDIQUE DE LA PROTECTION DES DROITS DES VICTIMES DES EXPROPRIATIONS POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE AU CAMEROUN La consécration juridique dont il est question ici renvoie aux sources positives du Droit Objectif 37 d'une part qui donne une force légale aux droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. D'autre part, cette consécration juridique voudrait aussi mettre en exergue les institutions aménagées dans le cadre des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. En d'autres termes, c'est à travers ces sources que les différentes victimes des expropriations pour cause d'utilité publique peuvent se prévaloir d'être investies de différents droits en la matière. Le fait pour le Cameroun de consacrer juridiquement ces droits, témoigne à quel point il milite pour protéger les différentes victimes des expropriations pour causes d'utilité publique au Cameroun. Cette consécration revêt de deux ordres. Le premier avec une consécration normative (Section I). La deuxième avec une consécration institutionnelle (Section II). SECTION I : LA CONSÉCRATION NORMATIVE DES DROITS DES VICTIMES DES EXPROPRIATIONS POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE AU CAMEROUN Le cadre normatif qui aménage les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun correspond aux différents textes légaux en la matière. Selon, la pyramide Kelsenienne, la Constitution est au sommet des textes légaux en Droit. Dans le cadre de ce travail, il existe des textes supra-législatifs qui consacrent les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun (Paragraphe I). Bien que ceux-ci aménagent convenablement ces droits, le cadre normatif en la matière est renforcé par de différents textes législatifs et infra-législatifs (Paragraphe II). PARAGRAPHE I : LES FONDEMENTS SUPRA-LEGISLATIFS DES DROITS DES VICTIMES DES EXPROPRIATIONS POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE AU CAMEROUN A l'analyse de la hiérarchie des normes établies par Hans KELSEN, l'on observe qu'il n'existe que deux (02) types de textes qui sont supérieurs aux lois votées par le parlement d'un Etat donné. Dans le cas des droits des victimes d'expropriations d'une telle nature au 37 Hans KELSEN, auteur de la Constitution autrichienne de 1920, établit une série de textes qui sont considérés comme les sources positives du Droit Objectif. Il les place dans une pyramide appelée la pyramide Kelsenienne. Celle-ci, est une hiérarchie des Sources du Droit Objectif, organisée en fonction de la portée des différents textes, leurs auteurs et bien d'autres facteurs encore. 19 Cameroun, l'on constate que ces mêmes textes consacrent les droits en la matière. Dès lors, il s'agit de présenter ici d'une part les fondements constitutionnels des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun (A). D'autre part, il s'agirait aussi d'évoquer les fondements internationaux des droits des victimes des expropriations de la même nature (B) A - Les fondements constitutionnels des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun La Constitution du Cameroun est organisée en deux parties. A l'analyse, l'on observe que ces deux parties, soit, le préambule et le dispositif consacrent toutes les deux les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité au Cameroun. D'abord, La Constitution est placée au sommet de la hiérarchie des normes élaborée par KELSEN. Pour cela, elle est considérée comme la norme suprême dans un Etat, sur laquelle tous les autres textes internes doivent se conformer. Elle organise de manière générale le fonctionnement de l'Etat et les droits dévolus à sa population. Au fil du temps, de nombreuses interrogations sont nées sur l'appartenance du préambule à la Constitution du Cameroun. Toutefois, certaines jurisprudences sont venues clarifier cela en affirmant son appartenance à la Constitution 38 . Avec la révision Constitutionnelle de 1996, plus de précisions ont été apportées sur l'appartenance du préambule à la Constitution. Elle dispose que : « Le préambule fait partie intégrante de la Constitution »39. Cette disposition est donc venue lever l'équivoque qui gravitait autour de l'appartenance du préambule à la Constitution camerounaise. Dans le présent travail, nous pouvons donc dire avec convictions que les dispositions du préambule de la Constitution camerounaise en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, consacrent légalement les droits des victimes concernées. Une appréciation objective à la lecture de ce préambule nous a permis de relever deux instances où les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique sont consacrés. La première est relativement implicite, tandis que la deuxième est beaucoup plus explicite. Implicitement, le préambule relève que « L'Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones ». C'est la deuxième partie de cette assertion qui est assez révélatrice en la matière. La préservation des droits des populations autochtones 38 CFJ/CAY, Arrêt n°178 du 29 mars 1972, Eitel MOUELLE KOULA et Arrêt n°194 du 25 mai 1972, Daniel Roger NANA TCHANA 39 Article 65 de la Constitution de 1996 20 implique la protection des populations enclavées, et donc, leurs droits en matière d'expropriations pour cause d'utilité publique. Par la présente, l'Etat se porte garant pour toujours assurer le respect des droits dévolus au peuple camerounais. Dans la pratique, on peut observer que la plupart des personnes expropriées sont des propriétaires terriens qui ont hérité d'une propriété coutumière leur permettant de jouir du bien immeuble concerné. Ces personnes qui ont toujours grandi sur ces terres, entrent normalement dans le groupe de personnes appelées « autochtones » par le préambule de la Constitution de 1996. Le peuple autochtone qui se fait déguerpir à la suite d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique possède donc des droits dont l'Etat camerounais est tenu d'assurer la protection. Cette consécration est faite de manière un peu plus explicite dans ce même préambule lorsqu'il dispose que « la propriété individuelle est le droit d'user, de jouir et de disposer de bien garantis à chacun par la loi. Nul ne saurait en être privé si ce n'est pour cause d'utilité publique et sous la condition d'une indemnisation dont les modalités sont fixées par la loi. » Pour Samuel-Béni ELLA ELLA, Fidélie MENDOUGA et Pierre NKOU ABINA, « l'Etat reconnaît à tout camerounais le droit de posséder une propriété et d'en jouir en toute quiétude » 40 . Pour Joseph OWONA, « l'indemnisation est donc un droit en cas d'expropriation. Elle ne peut être ni supprimée ni par un texte ayant valeur de loi, ni par un quelconque acte administratif. C'est une obligation constitutionnelle pour les pouvoirs publics. »41 Ces analyses faites par ces auteurs sur cette disposition migrent toutes vers une conclusion identique qu'est la reconnaissance constitutionnelle des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Nonobstant, une analyse un peu plus poussée nous a été donnée d'effectuer. A partir de cette disposition, l'on constate que trois (03) différents droits sont consacrés aux victimes des expropriations pour cause d'utilité publique à partir de là. Chronologiquement, l'on relève d'abord le droit à la jouissance de l'utilité publique, ensuite, l'on relève surtout le droit à une indemnisation compensatrice et finalement, l'on relève le droit au respect des procédures. Le droit à la jouissance de l'utilité publique est tiré de l'extrait «...Nul ne saurait en être privé si ce n'est pour cause d'utilité publique... ». Le principal motif de ce type d'expropriation doit toujours être la satisfaction de l'intérêt général qui a pour corolaire, 40 Samuel-Béni ELLA ELLA, Fidélie MENDOUGA et Pierre NKOU ABINA, Sociologie critique des indemnisations au Cameroun, Cas de Lom Pangar, Mekin et Kribi, 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris, l'Harmattan, 2021. p. 39. 41 Joseph OWONA, Domanialité Publique et expropriation pour cause d'utilité publique au Cameroun, 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris, l'Harmattan, 2012. p. 88. 21 l'utilisation collective du bien exproprié. Dès lors, les victimes des expropriations pour cause d'utilité publique doivent toujours se reconnaître parmi ceux qui pourront jouir collectivement du bien exproprié. L'on a pu observer cela récemment, le 25 mai 2023, quand le Tribunal Administratif du Littoral a déclaré caduque la Déclaration d'Utilité Publique (DUP) d'un terrain exproprié à Douala-Bali, pour la Construction d'un Hôtel 5 étoiles par un opérateur étranger42. Dans le cas d'espèce, les populations n'ont pas vu en quoi un tel Hôtel leur servirait, eu égard à leurs conditions de vies et leurs projets respectifs. Le droit à une indemnisation compensatrice est sans doute le droit le plus important en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. Il est tiré de l'extrait « ...et sous la condition d'une indemnisation... ». L'indemnisation peut être sujet de controverses, ce qui a conduit plusieurs auteurs à gamberger à ce sujet. Dans l'ouvrage « Domanialité publique et expropriations pour causes d'utilité publique au Cameroun » de Joseph OWONA, plusieurs thèses sont évoquées relatives aux indemnisations. Il dispose dans cet ouvrage la thèse de l'indemnité juste, la thèse de l'indemnité préalable, l'indemnité par une compensation à naitre, le montant de l'indemnité d'expropriation et la contestation de l'indemnité d'expropriation43. Si une indemnisation ne répond pas aux critères d'un ou plusieurs de ces critères, ce droit dévolu aux victimes des expropriations pour cause d'utilité publique est considéré comme n'ayant pas été respecté. Le droit au respect des procédures est tiré de l'extrait «...la condition d'une indemnisation dont les conditions sont fixées par la loi... ». Le respect des procédures est sacro-saint en droit administratif processuel, sous peine de voir un acte déclaré « nul et de nul effet »44. Pour cette raison, le législateur a voulu préciser dans l'espèce que les procédures d'expropriations et d'indemnisation sont faites en suivant des procédures bien précises prévues par la réglementation en vigueur. Cela a pour conséquence de garantir une sécurité juridique certaine aux victimes des expropriations pour cause d'utilité publique. Ces dernières pourront saisir les juridictions compétentes pour que justice leur soit rendue, dans l'espèce où lesdites procédures ne sont pas respectées ad litteram. 42 Annulation de la Déclaration d'Utilité Publique n°000033/MINDCAF/A10 du 14 mars 2019 sur DIKOLO-BALI. 43 Pages 90-95. 44 Maurice KAMTO, « Droit administratif processuel du Cameroun », Yaoundé, Presses Universitaires du Cameroun, 1990. 22 Le préambule de la Constitution est donc incontournable quand il s'agit de préciser les sources des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Il en est de même pour le dispositif de la Constitution. Ensuite, comme établi plus haut, le dispositif de la Constitution est considéré comme le corps même de la Constitution. C'est là que les dispositions principales qui régissent l'Etat sont établies. On y retrouve aussi la pierre angulaire sur laquelle repose les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. La consécration des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique par le préambule de la Constitution est beaucoup plus implicite qu'explicite. Il établit de manière générale les régimes sous lesquels de telles procédures sont menées et pose les jalons donc des activités foncières et domaniales qui sont régies par la législation nationale. L'on observe par exemple que « ...sont du domaine de la loi...le régime de la propriété mobilière et immobilière... »45. A travers cette disposition, les bases régissant les biens des personnes morales de Droit Public et de Droit Privé sont établies. L'Etat dispose d'un patrimoine catégorisé sous trois (03) angles : le Domaine Public de l'Etat, le Domaine Privé de l'Etat et le Domaine National. Il existe plusieurs textes qui régissent ces différents domaines, qui tirent tous leurs fondements de cet article46. Les biens qui sont acquis par l'Etat à la suite des procédures d'expropriation pour cause d'utilité publique, entrent directement dans le domaine privé de l'Etat. Un fait qui n'aurait jamais eu lieu sans les dispositions de cet article. 45 Loi 2008/001 du 14 avril 2008 portant révision de la Constitution du 18 janvier 1996, article 26 alinéa 1(b) 46 Joseph OWONA fait un distinguo assez cristallin entre ces trois différents domaines appartenant à l'Etat. Le domaine national de l'Etat est selon lui composé de deux (02) catégories de terres qui n'appartiennent ni au domaine public, ni au domaine privé de l'Etat. L'Etat joue beaucoup plus un rôle de gérant sur ces terres en permettant quelques exploitations privatives, à titre exceptionnel. Pour qu'une terre soit considérée comme appartenant au domaine national, elle peut ne pas être classée directement dans ke domaine public, privé ou celui d'une personne morale de Droit Public. Aussi, les terres qui n'ont pas fait l'objet d'une mutation de titre de propriété en titre foncier dans les délais impartis à compter du 06 juillet 1974. Enfin, toutes les terres faisant l'objet d'une exploitation privative par un particulier (Pages 39-40). Le domaine public de l'Etat par contre comprend des biens affectés à l'usage direct du public et aux services publics. Les biens du domaine public sont classés soit sous les biens du domaine public naturel ou sous les biens du domaine public artificiel (Pages 13-18). Le domaine privé finalement est régi par les règles de droit commun de la propriété privée. Six (06) catégories de bien explicites font partie de ce domaine au Cameroun : les biens meubles et immeubles acquis par l'Etat à titre gratuit lu onéreux selon les règles du droit commun constituant le domaine privé mobilier et le domaine privé immobilier ; les terrains qui supportent les édifices, constructions ouvrages et aménagements réalisés et entretenus par l'Etat ; les immeubles dévolus à l'Etat en vertu de l'article 120 du traité de Versailles de 1919, la législation sur les séquestres de guerre, un acte de classement, un acte de déclassement du domaine public, l'expropriation pour cause d'utilité publique ; les concessions rurales ou urbaines frappées de déchéance ou de droit de reprise ainsi que les biens des associations dissoutes pour faits de subversion, atteintes à la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat ; les prélèvements décidés par l'Etat sur le domaine national par application des dispositions de l'article 18 de l'ordonnance fixant le régime foncier ; les propriétés des zones rurales qui, depuis 10 ans au moins, n'ont fait l'objet d'aucune régénération (Pages 33-34). 23 Dans la même veine, le dispositif précise aussi que « sont du domaine de la loi...le régime domanial, foncier et minier »47. Une analyse succincte de cette disposition nous permet d'observer qu'elle a la même orientation que la précédente. Elle établit de manière générale les bases sur lesquelles reposent tous les textes de lois en matières domaniales et foncières. Ces différents textes ont à leur tour une incidence particulière sur les expropriations pour cause d'utilité publique et les droits reconnus à leurs victimes. Il est clair que les textes législatifs de la république du Cameroun tirent leurs fondements de la Constitution. Grâce à cela dès lors, un cadre bien précis en matière foncière et domaniale encadre les populations et leurs dirigeants à ce jour. Bien que la Constitution du Cameroun encadre comme il se doit les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun, d'autres textes, notamment internationaux viennent l'accompagner dans cette dynamique. B - Les fondements internationaux des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun Il est important de rappeler ici que seuls les textes internationaux dûment ratifiés par l'Etat du Cameroun peuvent être applicables sur l'étendue du territoire camerounais. Déjà parce que dans la pyramide Kelsenienne, on constate une certaine inféodation des textes internationaux à la Constitution du territoire. Ensuite, la Constitution elle-même prévoit cette inféodation en précisant plusieurs dispositions relatives à leur entrée en vigueur. Elle précise inter alia que « le Président de la République négocie et ratifie les traités et accords internationaux. Les traités et accords internationaux qui concernent le domaine de la loi, défini à l'article 26 ci-dessus, sont soumis, avant ratification, à l'approbation en forme législative par le Parlement. »48 Ainsi, on constate une double validation avant entrée en vigueur de ces textes au Cameroun. Ensuite la Constitution précise aussi que « les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie »49 Cette disposition place ces traités et accords internationaux directement au-dessus des lois nationales et en dessous de la Constitution. Dès lors, leur application dans l'espace camerounais ne pourrait faire l'objet de contestation, eu égard à ces différentes dispositions. Dans le cas des droits des victimes des expropriations pour cause 47 Article 26 alinéa 1(d) de la Constitution de 2008. 48 Article 43 Ibid 49 Article 45 Ibid. 24 d'utilité publique, l'on observe que ce sont principalement les Déclarations internationales et les Chartes internationales ratifiées par le Cameroun, qui les consacrent. En ce qui concerne les Déclarations Internationales, l'on retient deux (02) principaux textes, dont l'un d'entre eux a également été retenu par Samuel-Béni ELLA ELLA, Fidélie MENDOUGA et Pierre NKOU ABINA dans leur ouvrage. Il s'agit là de la Déclaration Universelle des droits de l'homme50 qui est applicable dans tous les pays l'ayant ratifiée. La Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) a été ratifiée par l'Etat du Cameroun dès son intégration à l'Organisation des Nations Unies (ONU) le 20 septembre 1960 51 . L'on y relève principalement une disposition qui protège les victimes des expropriations pour cause d'utilité publique. Cette disposition précise que « toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété. » 52. A l'analyse, le terme le plus important ici est « arbitrairement ». L'utilisation de celui-ci dans cette disposition laisse sous-entendre que les particuliers peuvent être privés de leurs propriétés à la condition que cela ne soit pas fait de façon arbitraire. L'arbitraire est appréhendé comme un acte illégal allant à l'encontre des règles de forme et/ou de fond. Dans ce cas d'espèce, peut être considéré comme un acte arbitraire, la cession d'un bien privé à l'Etat sans respecter les procédures en vigueur. L'Etat doit donc en tout temps respecter les procédures et s'assurer qu'il a rempli toutes les conditions pour pouvoir procéder aux expropriations pour cause d'utilité publique. Éventuellement, l'intérêt des victimes de ce type d'expropriation est sauvegardé en leur accordant une sécurité juridique considérable. La DUDH a permis l'élaboration d'autres déclarations dans des domaines beaucoup plus précis, ce qui élargit en quelque sorte son application matérielle. Par exemple, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones53. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est la deuxième des rares déclarations qui protègent les victimes des expropriations pour cause d'utilité publique dans le monde en général et au Cameroun en particulier. Les populations autochtones sont protégées par la DUDH et les Nations Unies ont voulu accroître cette protection avec un texte particulier en la matière. Raison pour laquelle, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a été adoptée. Au demeurant, elle précise 50 Texte adopté le 10 décembre 1948 et entré en vigueur le 13 décembre 1951. 51 Samuel-Béni ELLA ELLA, Fidélie MENDOUGA et Pierre NKOU ABINA, Sociologie critique des indemnisations au Cameroun, Cas de Lom Pangar, Mekin et Kribi, 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris, l'Harmattan, 2021. p. 40. 52 Article 17 de la DUDH de 1948. 53 Déclaration adoptée le 13 septembre 2007 25 que les peuples autochtones ont le droit de jouir des droits qui leurs sont reconnus par la DUDH54. On y retrouve des dispositions garantissant la propriété individuelle des autochtones et leur droit d'en user et d'en jouir librement. Précisément, cette déclaration dispose que « les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu'ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu'ils ont utilisés ou acquis. Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d'utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leur appartiennent ou qu'ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu'ils ont acquis. Les États accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés »55. Plusieurs différentes parties de cette disposition protègent les victimes des expropriations pour cause d'utilité publique. Il conviendrait alors de disséquer cette disposition afin de mieux l'appréhender. Le début de cette disposition qui établit que « les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu'ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu'ils ont utilisés ou acquis » voudrait porter à l'attention des Etat que les populations autochtones peuvent jouir d'un droit de propriété sur les terres comme tout autre individu normal. A ce titre, peu importe les mécanismes utilisés pour obtenir un titre de propriété, leurs droits sur ces terres doivent être impérativement protégés. L'on comprend indirectement alors qu'ils ne peuvent pas être dépossédés de leurs terres comme des malpropres, mais en conformité avec la législation qui encadre ces dépossessions des biens immobiliers des personnes privées. La deuxième partie de cette disposition qui précise que « les peuples autochtones ont le droit de posséder, d'utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leur appartiennent ou qu'ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu'ils ont acquis », embrasse un peu le premier pan de cette disposition. Ceci dans la mesure où, l'ONU ne voudrait pas que les peuples autochtones soient vus comme des sous personnes, surtout en matière d'exploitation terrestre. La dernière partie de cette disposition vient un peu confirmer l'analyse sus évoquée. Elle stipule que « cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et 54 « Les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif ou individuel, de jouir pleinement de l'ensemble des droits de l'homme et des libertés fondamentales re- connus par la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme et le droit international relatif aux droits de l'homme. » Article premier de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. 55 Article 26 Ibid. 26 régimes fonciers des peuples autochtones concernés ». En d'autres termes, les Etats ne doivent pas se limiter à reconnaître statutairement les droits des peuples autochtones sur leurs terres. Ils doivent également se conformer au régime foncier qui leur sont applicable, pour garantir cette reconnaissance. Au Cameroun, les autochtones sont assujettis au régime général en matière foncière et domaniale. Dès lors, ceux-ci sont protégés comme il se doit dans l'utilisation et l'exploitation de leurs terres. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne s'arrête pas là. En effet, elle précise aussi que « les États mettront en place et appliqueront, en concertation avec les peuples autochtones concernés, un processus équitable, indépendant, impartial, ouvert et transparent prenant dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes fonciers des peuples autochtones, afin de reconnaître les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources, y compris ceux qui les possèdent, occupent ou utilisent traditionnellement, et de statuer sur ces droits. Les peuples autochtones auront le droit de participer à ce processus » 56 . Ici, les Etats sont priés d'appliquer le principe d'intégration surtout pour la prise d'initiative relative aux exploitations privées des terres. Les populations autochtones sont vraiment considérées comme des citoyens normaux et sont donc approchées afin d'avoir leur opinion sur comment ils pourraient d'avantage jouir de leurs terres. Nonobstant les dispositions susmentionnées, la Déclaration fait preuve d'un peu plus de pragmatisme en matière de protection des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique. Cela se dégage de l'article 28 de la même Déclaration qui stipule que « Les peuples autochtones ont droit à réparation, par le biais, notamment, de la restitution ou, lorsque cela n'est pas possible, d'une indemnisation juste, correcte et équitable pour les terres, territoires et ressources qu'ils possédaient traditionnellement ou occupaient ou utilisaient et qui ont été confisqués, pris, occupés, exploités ou dégradés sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Sauf si les peuples concernés en décident librement d'une autre façon, l'indemnisation se fait sous forme de terres, de territoires et de ressources équivalents par leur qualité, leur étendue et leur régime juridique, ou d'une indemnité pécuniaire ou de toute autre réparation appropriée. » Cette disposition présente l'indemnisation comme un dédommagement sacro-saint en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. Non seulement elle précise les critères que l'indemnisation doit 56 Article 27 Ibid. 27 observer57, mais elle établit aussi les différentes formes que l'indemnisation peut prendre. Selon l'ONU, l'indemnisation peut être sous forme de terres, de territoires, de ressources équivalentes en qualité ou encore sous forme d'indemnité pécuniaire. Il est vrai qu'au Cameroun, la forme d'indemnisation la plus résurgente est l'indemnisation pécuniaire. L'on doit une reconnaissance considérable dès lors aux déclarations internationales pour le rôle qu'elles jouent dans la protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Cette même reconnaissance est due aux chartes internationales qui les protègent tout autant. Pour les Chartes Internationales, la différence entre une charte et une déclaration qu'il faudrait relever ici est que la première est un accord par lequel plusieurs États s'engagent sur un domaine précis, tandis qu'une déclaration est une simple manifestation de la volonté d'un Etat ou d'une organisation internationale. Ainsi, les États qui ratifient une Charte internationale témoignent l'intérêt qu'ils ont à faire respecter un certain nombre de normes dans leurs espaces nationaux. La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP)58 en l'occurrence a été adoptée à la suite d'un intérêt commun visé par les États africains, signataires de ladite Charte. Ce qui nous intéresse dans ce travail est l'intérêt que visait les Etats africains à protéger les victimes des expropriations pour cause d'utilité publique dans leurs Etats respectifs. Cette Charte a été ratifiée par le Cameroun le 20 juin 1989, la rendant ainsi applicable sur l'étendue du territoire national59. Cette Charte protège les victimes d'expropriations d'une telle nature en deux temps. D'abord, la Charte précise que « le droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte que par nécessité publique ou dans l'intérêt général de la collectivité, ce, conformément aux dispositions des lois appropriées »60. À travers cela, les Etats africains signataires en général et le Cameroun en particulier reconnaissent que le droit de propriété est garanti aux propriétaires terriens, ce qui leur permet d'en jouir librement. En outre, ils ne peuvent être contraints à céder leurs propriétés qu'en cas de nécessité d'utilité publique, qui voudrait une satisfaction de l'intérêt général. Dès lors, le droit de jouir de l'utilité publique est garanti aux victimes des expropriations de cette nature. Comme il a été mentionné plus tôt 57 Quand elle précise que « ... indemnisation juste, correcte et équitable pour les terres... » 58 Charte adoptée le 28 juin 1981 à Nairobi au Kenya par l'Assemblée générale de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) 59 Samuel-Béni ELLA ELLA, Fidélie MENDOUGA et Pierre NKOU ABINA, Sociologie critique des indemnisations au Cameroun, Cas de Lom Pangar, Mekin et Kribi, 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris, l'Harmattan, 2021. p. 41. 60 Article 14 de la CADHP de 1981. 28 dans ce travail, ces victimes doivent se reconnaître dans l'utilisation collective du bien exproprié, afin que la procédure soit légale et puisse être menée sans désagrément quelconque. Aussi, la même disposition précise que « ...ce, conformément aux dispositions des lois appropriées ». Cela laisse sous-entendre que ces procédures d'expropriation doivent respecter les prescriptions du législateur en la matière. En d'autres termes, les différentes étapes relatives aux expropriations doivent être respectées, ce qui fera en sorte que le droit au respect des procédures soit garanti aux victimes des expropriations pour cause d'utilité publique. L'OUA s'est sans doute rendue compte que s'arrêter là sans parler du droit principal en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique serait une aberration. Pour cette raison, elle établit que « en cas de spoliation, le peuple spolié a droit à la légitime récupération de ses biens ainsi qu'à une indemnisation adéquate »61. Le terme « spoliation » utilisé dans la Charte ici renvoie à l'action de déposséder quelqu'un d'un bien ou d'une chose62. La dépossession forcée du bien d'un individu pour le compte de l'Etat implique donc une indemnisation compensatrice juste et équitable. Les expropriations pour cause d'utilité publique font justement partie des différents types de dépossession forcée des biens privés pour le compte de l'Etat. A la lumière donc de cette charte, les citoyens camerounais sont en théorie, dans une certaine sécurité juridique quand il s'agit des expropriations pour cause d'utilité publique. Malgré ces textes internationaux, l'Etat camerounais a voulu renforcer la protection dévolue aux victimes des expropriations pour cause d'utilité publique. Pour cette raison, il a procédé à l'élaboration de divers textes internes en la matière. PARAGRAPHE II : LES AMÉNAGEMENTS LÉGISLATIFS ET REGLEMENTAIRES DES DROITS DES VICTIMES DES EXPROPRIATIONS POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE AU CAMEROUN En interne, plusieurs textes ont été élaborés par les autorités compétentes en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. Ici encore, l'orientation est la même, c'est-à-dire, la recherche d'un cadre favorable de protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique. L'on observe d'une part, le rôle joué par les législateurs, en établissant plusieurs textes législatifs en la matière (A). D'autre part, les autorités administratives de l'Etat ont aussi dû apporter plus de précisions à ces textes en 61 Article 21 Ibid. 62 Dictionnaire Le Robert, édition 2023 29 établissant de divers textes réglementaires avec pour motif la garantie des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun (B). A - L'aménagement législatif des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun La Constitution camerounaise révisée le 14 avril 2008 précise que « Dans les matières énumérées à l'Article 26 alinéa 2 ci-dessus, le Parlement peut autoriser le Président de la République, pendant un délai limité et sur des objets déterminés, à prendre des ordonnances. Ces ordonnances entrent en vigueur dès leur publication. Elles sont déposées sur le Bureau de l'Assemblée Nationale et sur celui du Sénat aux fins de ratification dans le délai fixé par la loi d'habilitation. Elles ont un caractère réglementaire tant qu'elles n'ont pas été ratifiées. Elles demeurent en vigueur tant que le Parlement n'a pas refusé de les ratifier »63. L'analyse de cette disposition nous fait comprendre que le Président de la République peut lui aussi légiférer à travers des ordonnances. Quand elles sont ratifiées par le parlement, elles ont une valeur législative64. Quand elles ne le sont pas, elles ont une valeur réglementaire et donc infra-législative. Cette précision nous fait donc comprendre qu'il existe deux (02) types de textes législatifs au Cameroun, à l'instar des Lois parlementaires et les Ordonnances ratifiées par ce même parlement. En matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, ces deux types de textes législatifs aménagent les droits des victimes concernées. Ainsi, dans un premier temps, les lois parlementaires qui protègent les victimes d'expropriation pour cause d'utilité publique au Cameroun seront présentées. Dans un second temps, les ordonnances ratifiées avec le même intérêt le seront davantage. Premièrement, plusieurs lois existent aux Cameroun qui aménagent les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique. Toutefois, les plus pertinentes ont été retenues dans le cadre du présent travail de recherche. Tout d'abord, nous avons la Loi n° 85/009 du 04 juillet 1985 relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation. Cette loi est venue régler les problèmes qu'une Ordonnance antérieure n'arrivait pas à résoudre 65 . Cette Ordonnance aménageait elle aussi la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique et les 63 Article 28 de la Constitution camerounaise. 64 Elles sont placées au même niveau que les lois votées par le parlement. 65 Samuel-Béni ELLA ELLA, Fidélie MENDOUGA et Pierre NKOU ABINA, Sociologie critique des indemnisations au Cameroun, Cas de Lom Pangar, Mekin et Kribi, 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris, l'Harmattan, 2021. p. 41-42. 30 modalités d'indemnisation66. La loi en question est perçue comme le texte de référence quand il s'agit de cette procédure. Elle établit les raisons pour lesquelles l'Etat pourrait recourir à ce type d'indemnisation, mais précise surtout les droits dévolus aux victimes de telles procédures. Ce texte dispose d'ailleurs de toute un chapitre qui consacre les indemnisations suites aux expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun67. Aussi, une précision est portée sur la personne sur qui le paiement des indemnités repose. En ses termes : « les indemnités dues pour expropriation sont à la charge de la personne morale bénéficiaire de cette mesure. »68 . Cela voudrait tout simplement dire que la personne morale à l'origine d'une expropriation et pour qui la procédure est avantageuse, est tenue de payer les indemnités redevables aux victimes. Par exemple, si une Collectivité Territoriale Décentralisée (CTD) est à l'origine d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, alors c'est le budget de cette même collectivité qui doit être utilisé pour indemniser les victimes, et non pas le budget général de l'Etat. Une précision est également apportée sur la nature de l'indemnisation quand le législateur dispose que « (1) l'indemnité est pécuniaire ; toutefois, en ce qui concerne les terrains, la personne morale bénéficiaire peut substituer une compensation de même nature et de même valeur à l'indemnité pécuniaire. (2) En cas de compensation en nature, le terrain attribué doit, autant que faire se peut, être situé dans la même commune que le terrain frappé d'expropriation. (3) Si la valeur du terrain alloué en compensation est supérieure à celle du terrain frappé d'expropriation, la soulte est payée par le bénéficiaire de l'indemnité. Si elle est inférieure, le bénéficiaire de l'expropriation alloue une indemnité pécuniaire correspondant à la soulte »69. L'on observe deux types principaux d'indemnisation ici ; en nature et pécuniaire. Le législateur a voulu que pour les indemnisations en nature, le terrain soit à la portée géographique de la victime, ceci dans l'optique de faciliter l'exploitation de cette nouvelle propriété, comme si la victime était toujours sur la précédente. Toujours dans le cadre des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun, on retient la Loi n° 80/21 du 14 juillet 1980 modifiant et complétant certaines dispositions de l'Ordonnance n° 74/1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier. Cette Loi a été établie principalement avec pour objectif d'autoriser les personnes étrangères à 66 Ordonnance n° 74-3 du 06 juillet 1974 67 Chapitre II 68 Article 6 de la loi n° 85/009 du 04 juillet 1985 relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation 69 Article 8 Ibid. 31 procéder à l'acquisition des biens immobiliers. En ses termes ; « Les personnes physiques ou morales de nationalité étrangère désirant investir au Cameroun ainsi que les missions diplomatiques et consulaires et les organisations internationales peuvent conclure des baux ou acquérir des propriétés immobilières, sauf dans les zones frontalières. » 70 . Ici les personnes étrangères sont investies du même droit de propriété que les nationaux. Ainsi, ils sont régis par la même réglementation et jouissent donc des mêmes droits que les victimes des expropriations pour cause d'utilité publique, le cas échéant. L'on observe que le cadre législatif en ce qui concerne les lois parlementaires, est bien achalandé en ce qui concerne les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Un cadre précis de ces droits est également prévu par les Ordonnances ratifiées. Deuxièmement, les ordonnances ratifiées en la matière ici sont principalement de trois (03) ordres : l'Ordonnance fixant le régime foncier, celle fixant le régime domanial et celle relative aux expropriations pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation. Pour ce qui est de l'Ordonnance fixant le régime foncier au Cameroun 71, une disposition dont une attention particulière est requise, est établie. Il s'agit de l'article premier de cette Ordonnance qui établit que « L'Etat garantit à toutes les personnes physiques ou morales possédant des terrains en propriétés, le droit d'en jouir et d'en disposer librement. L'Etat est le gardien de toutes les terres. Il peut, à ce titre, intervenir en vue d'en assurer un usage rationnel ou pour tenir compte des impératifs de la défense ou des options économiques de la nation. Les conditions de cette intervention seront fixées par décret. ». Le constat immédiat qui est fait est celui de la suprématie de l'Etat sur les terres nationales quand il est précisé que « ...l'Etat est le gardien de toutes les terres... ». Le fait que l'Etat soit le gardien de toutes les terres implique qu'il assure son intégrité et veille à sa préservation. En outre, elle peut intervenir sur toutes les terres sur l'étendue du territoire national en respectant les règles prévues par la réglementation en vigueur. C'est cette même ordonnance qui pose les jalons d'une propriété terrienne légale au Cameroun. Il est connu de tous, sinon, par une bonne majorité que le titre foncier est le document officiel faisant foi de propriété terrienne au Cameroun. Tout va de cette ordonnance qui établit inter alia que « (Ordonnance 77-1 du 10 janvier 1977). Les titulaires de jugements 70 Article 10 (nouveau) de la loi n° 80/21 du 14 juillet 1980 modifiant et complétant certaines dispositions de l'Ordonnance n° 74/1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier. 71 Ordonnance n° 74-1 du 06 juillet 1974 32 définitifs constitutifs ou translatifs des droits sur terrains en milieu urbain doivent également sous peine de déchéance, en saisir le service des domaines compétent dans un délai de dix ans à compter du 15 août 1974, date de publication de l'ordonnance n°1 du 6 juillet 1974, en vue d'obtenir leur transformation en titres fonciers ; ledit délai est porté à 15 ans pour les terrains en milieu rural. Toutefois, lorsque ces jugements portent sur des immeubles habités par des occupants de bonne foi, ceux-ci jouissent en cas de vente desdits immeubles d'un droit de préférence qui n'exerce dans le cadre de l'aménagement de la zone concernée. Tous les litiges fonciers pendants devant les juridictions et introduits en dehors de la procédure de l'immatriculation sont de la compétence des commissions prévues à l'article 16 ci-dessous. Les dossiers y relatifs sont transférés à ces commissions dès l'entrée en vigueur de la présente ordonnance. »72. Cette disposition assez explicite voudrait que les titres de propriété terrienne antérieure à l'entrée en vigueur de l'Ordonnance du 06 juillet 1974 soit transformés en titres fonciers. Aujourd'hui, ce titre foncier peut être annulé pour expropriation pour cause d'utilité publique à cause de cette Ordonnance. Aussi, grâce à ce titre foncier, les personnes expropriées pourront être indemnisées comme il se doit pour leurs pertes. Dans la même mesure, l'ordonnance sur le régime foncier consacre directement les expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Elle précise que « Pour la réalisation des objectifs d'intérêt général, l'Etat peut recourir à la procédure d'expropriation. Cette procédure est engagée soit directement lorsqu'elle vise à réaliser des opérations d'intérêt public, économique ou social, soit indirectement à la demande des communes, des établissements publics ou des concessionnaires de service public, lorsque les tentatives de règlement à l'amiable entre ces organismes et les propriétaires se sont révélées infructueuses. La procédure d'expropriation et les modalités d'indemnisation sont fixées par un texte particulier. »73. A la lecture de cet article, on constate que le législateur est pour une expropriation légitime et fondée. Elle doit se conformer aux règles que des textes postérieurs viendront établir. Une bonne nouvelle pour les populations déguerpies, qui peuvent se baser sur cette disposition afin de faire respecter la procédure d'expropriation dont ils sont victimes. L'Ordonnance fixant le régime domanial au Cameroun74 consacre aussi une protection certaine des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. L'on 72 Article 5 Ibid 73 Article 12 Ibid. 74 Ordonnance n° 74-2 du 06 juillet 1974. 33 retient particulièrement que « font partie du domaine privé de l'Etat...les immeubles dévolus à l'Etat en vertu...de l'expropriation pour cause d'utilité publique »75. Ici, il est beaucoup plus question d'une reconnaissance de ce type de procédure par l'Etat. Ce dernier peut recourir à ce type de procédure en affectant le bien directement dans le domaine privé de l'Etat. Avant d'en arriver là toutefois, l'Etat doit respecter et suivre les dispositions prévues par la réglementation en vigueur. Enfin, l'Ordonnance relative aux expropriations pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation76 était le texte de base relative aux expropriations de cette nature, avant l'entrée en vigueur de la loi de 1985. Celle-ci précise les différentes procédures à respecter en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique au Cameroun. Elle précise que « L'expropriation pour cause d'utilité publique est prononcée par décret au terme de la procédure définie par la présente ordonnance. Ce Décret entraîne immédiatement transfert de propriété et permet de muter les titres existants ou d'immatriculer d'office les terrains libres au nom de l'Etat. Il entraine envoi en possession dans un délai de six mois pour compter de sa signature. Toutefois ce délai est ramené à trois mois lorsque l'urgence est déclarée. »77 Les procédures d'expropriation doivent dès lors se conformer aux étapes prévues par la réglementation, sous peine d'être frappées de caducité. Le droit de jouissance de l'utilité publique est aussi consacré par cette Ordonnance qui précise que c'est le Ministre en charge des domaines qui prend un arrêt déclarant l'utilité publique des travaux à entreprendre sur l'immeuble exproprié. Précisément, l'Ordonnance précise que « le Ministre chargé des Domaines prend un arrêté déclarant d'utilité publique les travaux projetés et prescrit une enquête préalable qui est conduite par le Préfet du Département où est situé l'immeuble à exproprier. » 78 Sans cette déclaration d'utilité publique, aucune procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique ne peut avoir lieu. Pour cette raison, le Ministre en Charge des domaines doit veiller à ce que le projet pour lequel les particuliers sont expropriés revêt d'un objectif d'intérêt général. Le droit à l'information est aussi consacré par cette Ordonnance qui voudrait que les potentielles victimes soient informées bien avant l'engagement de quelconque procédure d'expropriation. L'Ordonnance établit que « Les populations concernées, préalablement informées par le Préfet de l'objet de l'expropriation, au moins quinze jours à l'avance, 75 Article 10 alinéa 3. 76 Ordonnance n° 74-3 du 06 juillet 1974. 77 Article premier Ibid. 78 Article 4 Ibid. 34 doivent être invitées à participer à toutes les phases de l'enquête. »79 Cette mesure est prise pour renforcer la transparence des expropriations pour cause d'utilité publique. Cela permet aux victimes de voir comment leurs biens sont évalués avant l'engagement des procédures d'expropriation. L'Ordonnance consacre aussi l'indemnisation des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique80. Ici, l'indemnisation est perçue une fois de plus comme un élément sensible en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique qu'il faudrait reverser aux victimes avec le plus grand soin possible. Dès lors, il apparaît que le cadre législatif des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun est bien précis et concis. C'est dans cette même mesure que le cadre réglementaire en la même matière est établi. B - L'aménagement réglementaire des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun Les actes réglementaires sont pris par les autorités administratives dans l'exercice de leurs fonctions. Initialement le pouvoir réglementaire originaire (PRO) est prévu par la Constitution du Cameroun81. Ce pouvoir est considéré comme originaire parce qu'il est directement consacré par le constituant camerounais, ce, pour juste deux (02) autorités, le Président de la République et le Premier Ministre, Chef du Gouvernement. Toutefois, les autres membres du gouvernement sont investis du Pouvoir réglementaire dérivé (PRD), qui leur permet de prendre des actes administratifs unilatéraux (AAU) dans l'exercice de leurs fonctions. En matière d'expropriation pour cause d'utilité publique des actes protégeant les 79 Article 5 Ibid. 80 Article 7 Ibid qui établit que « L'expropriation ouvre droit à l'indemnisation pécuniaire selon les conditions définies par l'article 9 ci-dessous. Toutefois, l'autorité bénéficiaire de l'expropriation peut substituer à l'indemnisation pécuniaire des terrains, une compensation en nature de même valeur. » Dans le même sillage, l'article 9 du même texte précise que « Sous réserve des dispositions de l'alinéa 2 de l ' article 13 de l'ordonnance fixant le régime foncier, l'indemnité d'expropriation comporte les éléments suivants : - la valeur des cultures détruites déterminée conformément aux barèmes en vigueur ; - la valeur des constructions et autres aménagements déterminée par la commission d'évaluation visée à l'article 4 ; - la valeur du terrain nu calculée sur les bases ci-après : a) lorsqu'il s'agit de terrain urbain résultant d'une attribution domaniale à titre onéreux, l'indemnité ne peut dépasser le prix officiel des terrains domaniaux du Centre considéré ; b) lorsqu'il s'agit de terrain résultant d'une transaction normale de droit commun, l'indemnité est le prix d'achat majoré des frais divers d'acquisition et de conservation ; c) lorsqu'il s'agit de terrain résultant d'une détention coutumière ayant donné lieu à l'obtention d'un titre foncier, l'indemnité ne peut dépasser le montant des frais engagés pour l'obtention du titre foncier. » 81 Article 12 alinéa 3 qui établit que « Le Premier Ministre exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils, sous réserve des prérogatives reconnues au Président de la République dans ces domaines. », l'article 8 alinéa 8 qui précise aussi que le Président de la République exerce le pouvoir réglementaire et enfin l'article 27 qui énonce que « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ressortissent au pouvoir réglementaire. » 35 victimes concernées sont pris en conformité soit avec le Pouvoir réglementaire originaire ou alors avec le Pouvoir réglementaire dérivé. De nombreux textes émanant du PRO garantissent une
protection considérable des droits des victimes des expropriations pour
cause d'utilité publique au Cameroun. Premièrement, le
Décret n° 87/1872 du 16 décembre 1987 portant application de
la loi n° 85/009 du 15 juillet 1985 relative à la procédure
d'expropriation pour cause d'utilité publique et aux modalités
d'indemnisation. L'on remarque tout de suite que ce décret est le texte
d'application de la loi de 1985 mentionnée plus tôt dans ce
travail. Ce Décret précise davantage les étapes à
suivre en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique. Selon ce
Décret, le Ministre chargé des Domaines joue un rôle
prépondérant lors de ces procédures. On observe que «
tout département ministériel désireux d'entreprendre
une opération d'utilité publique saisit le Ministre chargé
des Domaines d'un dossier préliminaire en deux exemplaires comprenant
. c) la date approximative de démarrage des travaux
, 82 Article 2 du Décret de 1987 83 Article 3 Ibid. 84 Articles 17-19 Ibid 36 Un autre décret en la matière qu'il conviendrait d'évoquer ici est le Décret n° 76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d'obtention du titre foncier85. Selon ce texte, le titre foncier est inattaquable, intangible et définitif. Les indemnisations liées aux expropriations pour cause d'utilité publique viennent donc compenser la violation de ces différentes caractéristiques occasionnée par ces procédures. Bien d'autres textes émanant du PRO consacrent les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Il s'agit du : Décret n° 76-166 du 27 avril 1976 fixant les modalités de gestion du domaine national ; Décret n° 76-167 du 27 avril 1976 fixant les modalités de gestion du domaine privé de l'Etat ; Décret n° 2003/418/PM du 25 février 2003 fixant les tarifs des indemnités à allouer au propriétaire victime de destruction pour cause d'utilité publique de cultures et d'arbres cultivés ; Décret n° 2005/178 du 27 mai 2005 portant organisation du Ministère des Domaines et des Affaires foncières ; Décret n° 77-193 du 23 juin 1977 portant création de la Mission d'aménagement et d'équipement des terrains urbains et ruraux (MAETUR) ; Décret n° 0001 du 22 mars 1994 portant Prix minima de vente des terrains domaniaux ; Décret n° 2005/118 du 15 avril 2005 portant Organisation du Ministère de l'Agriculture et du Développement rural (MINADER) ; Décret n°2006/3023 du 26 décembre 2006 fixant Les modalités d'évaluation administrative des immeubles en matière fiscale ; Décret n° 2016/1430 du 27 mai 2016 fixant Les modalités d'organisation et de fonctionnement de la commission consultative en matière foncière et domaniale. Ces différents Décrets forment une base solide sur laquelle repose les droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Dans leur application, ils sont accompagnés par des textes émanant du pouvoir réglementaire dérivé. En ce qui concerne les textes émanant le PRD, ils sont compris comme des Actes Administratifs Unilatéraux (AAU) pris par les membres du gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions. En matière de droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun, l'on retient l'Arrêté qui fixe les modes de calcul des indemnisations dues aux victimes des expropriations de cette nature. En effet, l'Arrêté n° 00332/Y.15.1/MINUH/D C00 du 20 novembre 1987 fixant les bases de calcul de la valeur vénale des constructions frappées d'expropriation pour cause d'utilité publique. Cet arrêté précise que les montants des indemnités sont calculés par la commission de constat et d'évaluation. Précisément, il dispose que « Conformément aux dispositions de l'Article 10 de la loi n°85/09 du 04 juillet 1985 susvisée, la valeur des 85 Texte modifié et complété par le décret n° 2005/481 du 16 décembre 2005 37 constructions en vue du calcul des indemnités d'exploitation pour cause d'utilité publique est déterminée par la commission de constat et d'évaluation. Dans l'exercice des prérogatives ainsi dévolues, les commissaires devront s'appuyer sur les règles définies par le présent arrêté. »86 Ainsi, l'Arrêté précise les critères sur lesquels la commission devra se baser pour calculer le montant d'indemnisation dû. Le Ministre précisa alors que « La valeur des constructions visées à l'Article 1 er ci-dessus est calculée sur la base d'un taux forfaitaire au mètre carré variant suivant leur qualité. A cet effet, les constructions sont classées en 06 catégories conformément à l'Annexe I du présent Arrêté. Les taux de calcul sont fixés conformément à l'Annexe II »87 La commission de constat et d'évaluation devra donc se baser sur le type de construction entrant dans l'une des catégories énumérées par l'Arrêté. Toutes ces mesures sont prises afin de sauvegarder les droits des victimes des expropriations en leur accordant une indemnisation compensatrice digne de ce nom. A ce stade, on peut dire sans risque de se tromper que le cadre juridique régissant les expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun consacre comme il se doit les droits des victimes de telles expropriations. Il se pose à présent la question de la matérialisation de ces textes dans la pratique. SECTION II : LA CONSÉCRATION INSTITUTIONNELLE DES DROITS DES VICTIMES DES EXPROPRIATIONS POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE AU CAMEROUN Le gouvernement camerounais, ayant pour objectif l'atteinte de l'émergence à l'horizon 2035 et parallèlement la protection des droits de ses citoyens, se retrouve souvent dans une certaine difficulté dans la préservation d'une adéquation entre ces deux objectifs. En matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, il ne bat pas en retrait et cherche toujours à appliquer les dispositions prévues par le législateur. Pour cette raison, des mécanismes de sauvegarde des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique sont mis en exergue dans la pratique. Ces mécanismes passent parfois par les tribunaux où se trouvent les juges ayant pour rôle de protéger les intérêts des citoyens camerounais. Avant d'en arriver là, les autorités administratives en place et les institutions en la matière sont aussi tenues de faire respecter les textes juridiques. Dès lors, il conviendrait de 86 Article premier de l'Arrêté de 1987 87 Article 2 Ibid. 38 présenter les mécanismes juridictionnels (Paragraphe I) et Non-juridictionnels (Paragraphe II) de protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. PARAGRAPHE I : LES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES DE PROTECTION DES DROITS DES VICTIMES DES EXPROPRIATIONS POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE AU CAMEROUN Le domaine foncier est un domaine assez transversal qui touche plusieurs secteurs d'activité dans le monde. Ces différents secteurs d'activités qui sont encadrés par des juridictions de différents régimes interviennent tout aussi en matière foncière. Précisément, pour les expropriations pour cause d'utilité publique, plusieurs instances juridictionnelles interviennent afin de préserver les droits des populations expropriées. Les juges de droit commun en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (A) jouent un rôle aussi important que les juges exceptionnels en la matière (B). A - Les juges de droit communLe juge de droit commun du contentieux administratif au Cameroun est le juge administratif88. Toutefois, l'on retrouve l'intervention des autres juges dans le domaine administratif, ce qui lui permet de réduire sa masse de travail. En ce qui concerne les expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun, les juges de droit commun sont naturellement le juge administratif et le juge judiciaire. Selon Bertrand- Raymond GUIMDO DONGMO, l'expropriation pour cause d'utilité publique constitue une emprise irrégulière qu'il définit comme « une dépossession irrégulière d'une propriété immobilière par l'administration »89. Le contentieux de l'emprise irrégulière commence par une constatation des faits. Selon la Loi de 2006 régissant les tribunaux administratifs au Cameroun, c'est le juge administratif qui constate les expropriations pour cause d'utilité publique. Selon les termes de ladite loi, « ...Toutefois, il est statué par la Chambre Administrative de la Cour Suprême sur 88 Article 14 alinéa 1 de la Loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 qui stipule que « Les tribunaux administratifs sont, sauf dispositions contraires de la loi, juges de droit commun du contentieux administratif en premier ressort » 89 Bertrand-Raymond GUIMDO DONGMO, Cours de Contentieux Administratif, Janvier 2021, p. 32. 39 l'exception préjudicielle soulevée en matière de voie de fait administrative et d'emprise. »90 On constate que le juge administratif joue un rôle secondaire dans les procédures arbitraires d'expropriation pour cause d'utilité publique. L'Etat est tenu de se conformer aux procédures préétablies afin de procéder aux expropriations pour cause d'utilité publique. Si une victime estime que ces procédures ont été violées et donc que l'expropriation pour cause d'utilité publique a été faite de manière illégale, elle peut saisir le juge administratif qui devra constater l'illégalité de l'expropriation. Le juge administratif ne fera que constater l'expropriation sans pour autant instruire le dédommagement de la victime concernée. C'est pour cette raison qu'on observe le rôle secondaire que joue le juge administratif dans le contentieux des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Dans un article numérique publié le 7 décembre 202091, l'on observe que la procédure des expropriations pour cause d'utilité publique peut être scindée en deux (02) phases : une phase administrative et une phase judiciaire. C'est lors de la phase administrative que le juge administratif intervient. Le respect des étapes administratives doit être à l'ordre du jour dans cette phase, sous peine de constat d'une procédure illégale par le juge administratif. Aussi, le juge administratif intervient en cas de contestation de la Déclaration d'Utilité Publique (DUP). Cette déclaration est un arrêté pris par le Ministre en charge des domaines déclarant l'utilité publique des projets de travaux sur un espace à exproprier92. Cet arrêté est un acte administratif unilatéral comme tous les autres et peut donc faire l'objet de contestation par les personnes affectées par cet acte. Un AAU est défini comme un « acte juridique unilatéral pris par une autorité administrative pris dans l'exercice de ses pouvoirs administratifs, qui crée des droits et/ou des obligations à l'égard des particuliers »93. L'on constate que l'Arrêté portant déclaration d'utilité publique peut être rattaché à cette définition. La loi de 2006 qui régit les tribunaux administratifs au Cameroun stipule que « Le contentieux administratif comprend : a) les recours en annulation pour excès de pouvoir et, en matière non répressive, les recours incidents en appréciation de légalité. Est constitutif d'excès de pouvoir au sens du présent article : - le vice de forme ; - l'incompétence ; - la 90 Article 3 alinéa 2 de la loi de 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l'organisation et le fonctionnement des tribunaux 91 Répartition des compétences entre le juge de l'expropriation et juge administratif pour connaître des actions en responsabilité en cas d'expropriation irrégulière, décembre 2020. https://www.adden-leblog.com/repartition-des-competences-entre-juge-de-lexpropriation-et-juge-administratif-pour-connaitre-des-actions-en-responsabilite-en-cas-dexpropriation-irreguliere/ 92 Article 3 du décret n° 87/1872 du 16 décembre 1987 93 Définition donnée dans l'affaire AP/CFJ, arrêt n° 20 du 20 mars 1968, NGONGANG NJANKE Martin c/ État du Cameroun 40 violation d'une disposition légale ou réglementaire ; - le détournement de pouvoir ».94 Il s'agit là du Contentieux de l'annulation avec qui le juge administratif est très familier. Ce contentieux comprend de différentes caractéristiques et peut être ouvert pour les motifs mentionnés dans le précédent article, qui sont repris par Joseph OWONA dans son ouvrage, « Le contentieux administratif de la république du Cameroun », 2011. Pour lui, si une ou plusieurs de ces irrégularités sont constatées, l'AAU doit simplement et purement être déclaré caduc et ce, ab initio95. Dès lors, si l'arrêté qui déclare l'utilité publique comprend des irrégularités, soit sur la forme, son auteur, son bien-fondé ou l'objectif qu'il vise, le juge administratif peut l'annuler en la faveur de la victime expropriée. Le juge administratif joue alors un rôle très important dans la protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Il a été dit plus haut que le juge administratif joue toutefois un rôle secondaire en la matière. Cela est dû au rôle prépondérant que joue le juge judiciaire dans la protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. Le juge judiciaire est considéré comme le juge de l'expropriation pour cause d'utilité publique au Cameroun. Ceci est dû au fait que la loi de 2006 lui consacre les pouvoirs pour trancher sur les litiges relatifs aux emprises et aux voies de fait administratives96. Après l'expropriation irrégulière constatée par le juge administratif, les deux dernières étapes de ce contentieux sont finalisées par le juge judiciaire. Il s'agit là de la réparation et de l'extinction. Ainsi, le juge judiciaire répare l'emprise immobilière et y met fin97. Dans l'étape de la réparation, le juge administratif ayant constaté l'expropriation illégale effectuée par l'administration, saisit le tribunal judiciaire compétent pour qu'une réparation juste et équitable soit reversée à la victime. Le tribunal judiciaire qui est saisi ici est le Tribunal de Grande instance (TGI) du lieu d'implantation du terrain pour les montants excédants dix millions et le Tribunal de Première instance (TPI) pour les montants inférieurs à dix millions98. Le juge judiciaire ici va se baser sur les textes en vigueur pour déterminer quel 94 Article 2 alinéa 3(a) 95 Dès son entrée en application. Cela fera en sorte que le texte sera comme s'il n'avait jamais existé 96 Article 3 alinéa 2 de la loi de 2006 régissant les tribunaux administratifs au Cameroun 97 Bertrand-Raymond GUIMDO DONGMO, Cours de Contentieux Administratif, Janvier 2021, p. 32. 98 Joseph OWONA, Domanialité Publique et expropriation pour cause d'utilité publique au Cameroun, 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique, 75005 Paris, l'Harmattan, 2012. p. 94 41 montant allouer à la victime. Ces décisions sont données en vertu de la procédure de droit commun et peuvent donc faire l'objet de voies de recours de droit commun également99. Dans l'étape de l'extinction, le juge judiciaire met fin à la procédure illégale d'expropriation en allouant une indemnité à être reversée à la victime expropriée. Cela a pour conséquence la rétrocession du bien exproprié à la victime. Dès lors, ce sera comme si la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique n'avait jamais existé. Le juge judiciaire intervient aussi dans le contentieux de l'indemnisation relative aux expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun100. Quand le Décret portant expropriation pour cause d'utilité publique et indemnisation des populations expropriées est arrêté, il appartient aux personnes concernées qui ne sont pas satisfaites du montant d'indemnisation, de saisir le tribunal compétent101 afin que justice leur soit rendue. Il faudrait noter que le juge judiciaire en la matière ici est nul autre que le juge civil. C'est le juge de droit commun pour le paiement des indemnités, à l'opposé de son homologue, le juge répressif dit juge pénal. Les actions devant les tribunaux de droit commun garantissent une certaine sécurité juridique aux personnes victimes des expropriations pour cause d'utilité publique. Elles savent qu'il existe des juridictions habilitées à les entendre pour servir et valoir ce que de droit. Il faudrait néanmoins reconnaître le rôle d'autres juges, qui jouent un rôle beaucoup plus complémentaire mais toutefois important dans la protection des droits des victimes des expropriations pour cause d'utilité publique au Cameroun. |
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