La protection internationale des déplacés environnementauxpar Aimé OUEDRAOGO Université privée de Ouagadougou - Master 2 2022 |
RESUMELes personnes déplacées à la suite d'une dégradation environnementale sont de plus en plus nombreuses. Il s'agit des déplacés environnementaux. Au plan juridique, leur protection au niveau international, est un défi pour le droit international, car elle se heurte à de nombreuses difficultés telles que la souveraineté des Etats qui s'oppose à l'obligation de protéger. Cela interpelle la communauté internationale sur son devoir d'assistance qui sonne comme la règle d'or. L'examen des instruments juridiques du droit international actuel, notamment du droit international général et du droit international spécial, démontre clairement que la question de la protection des déplacés environnementaux n'est pas résolue. Ainsi, à moins de réformer les instruments internationaux de protection qui existent, il convient d'élaborer des instruments nouveaux en droit international, pour la protection des déplacés environnementaux. Mots-clés : Défis - Droit international - Protection - Déplacés environnementaux VIII ABSTRACTPeople displaced by environmental degradation are on the rise. These are environmentally displaced persons. .at the legal level, their protection at the international level is a challenge for international law, because it comes up against many difficulties such as the sovereignty of States which opposes the obligation to protect. This challenges the international community on its duty to assist which sounds like the golden rule. The examination of the legal instruments of current international law, in particular general international law and special international law, clearly demonstrates that the question of the protection of environmentally displaced persons is not resolved. Thus, at the limit of reforming the existing international instruments of protection, it is necessary to develop new instruments in international law, for the protection of environmentally displaced persons. Keywords: challenges - law-international - protection - environmentally displaced IX EPIGRAPHE « Enseignez à vos enfants ce que nous avons
enseigné aux nôtres, que la terre est notre mère. Propos du Chef des tribus Duwamish et Suquamish, Seattle, 1854.
Disponible en ligne à 1 INTRODUCTION GÉNÉRALEDe nos jours, les conflits armés ne sont plus la seule grande cause des déplacements de populations. Il y a aussi les dégradations de l'environnement. Les dégradations de l'environnement entraînent des déplacements de populations et se manifestent sous diverses formes. Par exemple, A Shishmaref, une île située en Alaska, aux Etats-Unis, les habitants sont obligés de quitter l'île à cause du réchauffement climatique qui entraîne la fonte du sol de leur village1. A Kivalina, toujours en Alaska, l'érosion due à la montée du niveau de la mer entraîne le déplacement de ses habitants2. A Tuvalu, un archipel situé dans le sud-ouest de l'océan pacifique, la montée incessante du niveau de la mer entraine la disparition progressive de son territoire et le départ sans retour de ses habitants. En Afrique Subsaharienne, les habitants au bord du lac Tchad, frappé par la sécheresse, sont contraints de quitter la zone. De même, l'avancée du désert dans le Sahel provoque le déplacement des habitants de cette zone vers le Sud. Tous ces exemples montrent que la dégradation de l'environnement provoque une modification irréversible du milieu de vie des populations et les amène à se déplacer. Selon Norman MEYERS, ces manifestations constituent l'une des causes majeures de déplacements de populations dans le monde, au cours de ce XXIème siècle3. Cependant, il convient de reconnaître que le phénomène de déplacements de population, dû à la dégradation de l'environnement n'est pas nouveau. En effet, lors d'une de ses journées d'études organisées en 2014, le Groupe d'Information et de Soutien des Travailleurs Immigrés (GISTI)4 a fait un bref rappel de l'historique du phénomène en ces termes : « Le lien entre immigration et environnement est un phénomène très ancien. A l'époque de la préhistoire, ce lien conditionnait l'organisation des premières sociétés humaines, puisqu'on sait que les hommes préhistoriques nomades se déplaçaient lorsqu'ils avaient épuisé les ressources dans un environnement donné [...]. Plus 1 Le village de Shishmaref s'enfonce un peu plus chaque année, dans la mer. En effet, avec le réchauffement climatique, le sol fond, les morceaux de glaces se disloquent, les vagues de la mer fragilisent le sol, les tempêtes arrachent les bouts entiers de l'île et le village tout entier se voit engloutir impuissamment. 2 Sur cette île-village de l'Alaska rongée par l'érosion, les 450 habitants de la petite communauté Inupiak pourraient être les premiers réfugiés climatiques américains, disponible en ligne sur le site https://www.geographie-lechat.fr/Shishmaref, consultée le 7 Juin 2022 à 6 h 30 mins. 3 (N.) MEYERS, «uses conservative assumptions and calculates that climate change could lead to as many as 150- 200 million environmental refugees by the middle of the centuary (2% of projected population)», Stern Review, The economics of climate change Chapitre III, 2006, p. 77. 4 Le Groupe d'Information et de Soutien des Travailleurs Immigrés (GISTI) est une association de droit français à but non lucratif de défense et d'aide juridique des étrangers. Il a été créé en 1972. 2 près de nous, des documents relatifs au tremblement de terre de Lisbonne en 1755 mentionnent des flux de réfugiés, comme le rapporte Voltaire dans Candide [...] »5. De nos jours plus que dans le passé, les déplacements de personnes dus à la dégradation de l'environnement sont fréquents. En 2005, aux Etats-Unis d'Amérique, le passage de l'ouragan Katrina a contraint plus de deux millions des habitants de la Nouvelle-Orléans à se déplacer, soit 80% de la population selon le Federal Emergency Management Agency (FEMA)6. En Afrique, au Sahel, Roméo KOIBE nous montre qu'en raison d'une baisse de la pluviométrie, de la sécheresse et d'une mauvaise gestion de ses eaux, le lac Tchad connaît un rétrécissement inquiétant, obligeant ainsi des milliers de personnes à migrer dans l'espace du bassin conventionnel du lac tchad partagé entre le Nigéria, le Niger, le Cameroun et le Tchad7. Les déplacements de populations dans ces cadres de ruptures environnementales sont internes et parfois transfrontaliers. Les chiffres sont alarmants et les statistiques parlantes. Selon le Groupe d'Experts Inter gouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC), il y aura environ un huitième de milliard de personnes déplacées dans le monde d'ici à 20508, et un milliard selon l'Organisation Non Gouvernementale (ONG) britannique Christian Aid9. Il s'agit des mouvements mal encadrés qui sont source de tensions et d'insécurité. Cependant, en l'absence de protection internationale, les « déplacés environnementaux » risquent d'être lésés dans leurs droits fondamentaux10. La question de leur protection se présente alors comme un défi nouveau pour le droit international qui est le moyen de coopération par excellence entre les Etats. Cette situation nous conduit, dans le cadre de la présente étude, à choisir de réfléchir sur le thème : « La protection internationale des déplacés environnementaux ». Le choix de ce thème est justifié par la nécessité de réfléchir sur la protection internationale des déplacés environnementaux. Pour traiter convenablement le sujet, il convient de définir au préalable les mots-clés ci-après : « défis contemporains », « droit international », « protection », « déplacés environnementaux ». 5 GISTI, « quel statut pour le réfugié environnemental ? », Journée d'études, 14 décembre 2007, p. 7. 6 (F.) MANCEBO, « Les déplacés du cyclone Katrina : de l'exode à la migration », in Espaces et sociétés, N. 139/2009, p. 143. 7 (R. K.) MADJILEM, Protections juridiques des réfugiés et des déplacés climatiques à assurer par les organisations régionales : rôle de l'Union africaine, thèse de doctorat, Université Paris Nanterre, octobre 2017, p. 12. 8 GIEC, Bilan des changements climatiques, Quatrième rapport, Genève, 2007, p. 103. 9 Rapport publié par le journal Le Monde dans son numéro du 14 Mai 2007 disponible sur le site https://www.lemonde.fr/ consulté le 7 août 2021 à 15 h 39 mins. 10 (R. K.) MADJILEM, Op.cit, p. 14. 3 L'expression « défis contemporains » est composée des mots « défis » et « contemporains ». Le terme « défis » désigne, selon le dictionnaire français le Larousse, l'action de défier. Dans le cadre de ce travail, il peut s'entendre comme un problème à résoudre en urgence. Le mot « contemporain » désigne, selon le Larousse français, ce qui existe dans le même temps que quelqu'un ou quelque chose ; qui concerne le temps présent, de l'époque actuelle. « Contemporains » dans le cadre de la présente étude veut dire, ce qui se passe de nos jours. Les défis contemporains désignent donc les problèmes urgents que le droit international doit résoudre. Le « droit international » désigne, selon le dictionnaire du droit international public, « l'ensemble des règles de droit qui régissent les relations entre les sujets du droit international »11. La notion de « protection » désigne selon le dictionnaire du droit international public, « l'action de prendre soin des intérêts d'une personne ou d'une institution. Cette protection adopte des formes et revêt des aspects distincts selon la personne ou l'objet protégé, ainsi que selon les modes de protection »12. Dans le cadre de notre travail, la protection désigne le cadre juridique en droit international qui offre des garanties normatives et institutionnelles aux « déplacés environnementaux ». La notion de « déplacés environnementaux » est définie pour la première fois dans le projet de la convention relative au statut international des déplacés environnementaux13. Elle désigne « Les personnes physiques, les familles et les populations confrontées à un bouleversement brutal ou insidieux de leur environnement portant inéluctablement atteinte à leurs conditions de vie et les forçant à quitter, dans l'urgence ou dans la durée, leurs lieux habituels de vie »14. La notion de « déplacés environnementaux » se distingue des notions voisines telles que « migrants environnementaux », « réfugiés environnementaux », « réfugiés climatiques » qu'il convient de définir. 11 (J.) SALMON, Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Brulant, 2001, p.245. 12 Ibid, p.899. 13 Il s'agit d'un projet de convention élaboré au cours du deuxième semestre de l'année 2008, par le Centre de recherche interdisciplinaire en droit de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme (CRIDEAU), le Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne (CREDP), l'Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques (OMIJ), la Faculté de droit et des sciences économiques de l'Université de Limoges, ainsi que le Centre international de droit comparé et de l'environnement (CIDCE). Ce sont des centres de recherches établis en France. Le texte du projet de convention est disponible sur : www.cidce.org/ 14 (M.) PRIEUR, et autres, « Projet de convention relative au statut international des déplacés environnementaux », REDE n° 4/2008, p. 383. 4 La notion de « réfugiés environnementaux », désigne « Ceux qui sont forcés de quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente, à cause d'une rupture environnementale d'origine naturelle ou humaine qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté leurs conditions de vie »15. Cette définition est imprécise sur le lieu d'établissement des personnes déplacées qui est soit dans leur propre pays, soit hors de leur pays. Elle prête à confusion à la notion de « réfugié » retenue par la convention de Genève relative au statut de réfugié. La notion de « réfugiés climatiques » désigne « Les personnes qui ont quitté immédiatement ou sont sur le point de quitter, dans un futur proche, leur lieu de vie en raison d'une soudaine ou graduelle altération du milieu naturel causée par l'un des trois impacts dus aux changements climatiques suivants : conséquence de l'augmentation du niveau de la mer, évènement climatique extrême (cyclone, tempêtes), sécheresse, raréfaction de l'eau »16. Cette définition est partielle, par rapport à celle des déplacés environnementaux, car elle prend en compte une partie des victimes des dégradations environnementales notamment celles touchées par les effets du changement climatique. On peut dire que les « réfugiés climatiques » sont une sous-catégorie des « déplacés environnementaux », tout comme les changements climatiques le sont des ruptures environnementales17. Le concept de « migrants environnementaux » quant à lui, a été proposé par l'Organisation Internationale pour la Migration (OIM)18. Celle-ci le définit comme « les personnes et groupe de personnes qui, pour des raisons impérieuses liées au changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie, sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui de ce fait, se déplacent à l'intérieur ou à l'extérieur de leur pays ou en sortent »19. Cette définition semble approcher plus toutes les victimes de la dégradation de l'environnement. Mais pour des raisons de terminologies, nous avons retenu la notion de déplacés environnementaux. C'est un concept clair, qui prend en compte la diversité des 15 (EL-H.) ESSAM, « Environmental refugees », Nairobi, United Nations Environmental Programme, 1985, p.41, disponible en ligne à travers le lien www.unep.org/ consulter le 9 juin 2020 à 7 h 34 mins. 16 (I.) BIERMANN et (F.) BOAS, «Preparing
for a Warmer World, Towards a Global Governance system to 17 (B.) MAYER, « Pour en finir avec la notion de « réfugiés environnementaux », Critique d'une approche individualiste et universaliste des déplacements causés par des changements environnementaux, Revue Internationale de droit politique du développement durable de McGill, Vol. 7, n° 1 (2011), pp. 37 et Ss. 18 Organisation Mondiale pour l'Immigration, fondée en 1951. Elle est la principale organisation intergouvernementale qui vient en aide aux migrants dans le monde entier. 19 OIM, Document de travail : migration et environnement, 94e session, MC/INF/288, 2007, p. 1-2. 5 situations des déplacements environnementaux20. En plus, le concept de « déplacés environnementaux » est original, suffisamment claire et ne prête à aucune confusion à des concepts existant comme celui de réfugié21. Dans la délimitation temporelle, notre travail va concerner la période allant de la conférence des Nations unies sur l'environnement humain de Stockholm de 1972 à nos jours. Cette période correspond au moment où la communauté internationale a commencé à s'investir dans la protection de l'environnement, d'une part, et à s'intéresser aux conséquences des ruptures environnementales dont fait partie le phénomène de déplacés environnementaux, d'autre part. Dans l'espace, notre étude va s'intéresser au cadre international qui regroupe l'ensemble des sujets du droit international22. Du point de vue matériel, nous allons aborder la question de la protection des déplacés environnementaux dans le cadre du droit international, tout en nous appuyant, quelques fois, sur des exemples et modèles de droits nationaux et communautaires. La délimitation du sujet nous permet donc d'envisager son encadrement juridique. La question de la protection internationale des déplacés environnementaux se pose dans le cadre du droit international général, et aussi celui du droit international spécial, à travers les branches spécialisées du droit international, telles que le droit international de l'environnement, le droit international des droits de l'homme, le droit international humanitaire, le droit international des réfugiés. En ce qui concerne la doctrine, elle n'est pas assez développée sur le sujet, mais des auteurs ont publié des ouvrages et des articles remarquables sur la protection des déplacés environnementaux. Des grands défenseurs des déplacés environnementaux comme Normen MEYERS, Christel COURNIL, Pierre MAZZEDA, Melinda NOBLET ou encore Jodi JACOBSON ont défendu la thématique avec rigueur23. Selon Norman MEYERS, la protection internationale des déplacés environnementaux est une nécessité pour l'humanité24. 20 (H.) ZEGHBIB, « les réfugiés environnementaux », Hommes et migrations n°1300/2012, p. 7. 21 Voir Convention relative au statut des réfugiés, Genève, 28 Juillet 1951. 22 (J.) VERHOEVEN, Droit international public, Bruxelles, Larcier, 2000, p. 47. 23 (C.) COURNIL et (P.) MAZZEDA, « Réflexions prospectives pour une protection des réfugiés écologique », in Revue européenne des migrations internationale. Volume 23, n°1/2007, pp.7-34. 24 (N.) MYERS, «Environmental refugees: an emergent security issue»,13th Economic Forum, Prague, May 2005, p. 24. 6 Contrairement à ces auteurs, d'autres auteurs comme Richard BLACK25, François GEMMENE26 et Halvard BUHAURD n'ont pas manqué de décrier même la notion de déplacés environnementaux27. Selon Richard BLACK, considérer la dégradation de l'environnement comme un facteur isolé de déplacement des populations est un mythe et ne repose sur aucune base scientifique28. François GEMENNE quant à lui, se fonde sur les enquêtes menées dans les îles de Tuvalu29. Il estime que « les facteurs environnementaux se mêlent dans la décision migratoire aux facteurs économiques, politiques, culturels, traditionnels, sociologiques et il est donc très difficile, voire vain, d'isoler un facteur en particulier »30. Selon Halvard BUHAUD, au bout du compte, l'origine des mouvements forcés de population est moins à chercher du côté de l'environnement que de celui des conditions sociales et politiques31. Ces thèses opposées ont conduit F. GUEMENNE à conclure que la recherche sur les déplacés environnementaux est « partagée entre ceux qui adoptent une vision alarmiste et ceux que l'on pourrait qualifier de sceptiques et reflète l'écart disciplinaire qui sépare les sciences naturelles et les sciences sociales »32. Cependant, force est de reconnaître que le problème des déplacés environnementaux ne saurait être réduit à des questions de conditions économiques, politiques ou sociales, ce qui sera de la négligence de la question, car il y a le droit à la vie des personnes concernées qui est tout le temps menacé par chaque cas de rupture environnementale. Cette situation appelle à se pencher sur la problématique du sujet. Dans la plupart des cas de dégradation environnementale, les populations se déplacent à l'intérieur du territoire national. Par conséquent, c'est à l'Etat concerné d'assurer la 25 (R.) BLACK, «Environmental Refugees: myth or reality?» New issues in refugee research, working paper n°34, 2001, p. 43. 26 (F.) GUEMENNE, « Tuvalu, un laboratoire du changement climatique ? Une critique empirique de la rhétorique des « canaris dans la mine » », in Revues Tiers Monde n°204, octobre-décembre 2010, p. 97. 27 (B.) MAYER, « Pour en finir avec la notion de « réfugiés environnementaux » : Critique d'une approche individualiste et universaliste des déplacements causés par des changements environnementaux », in Revue de droit du développement durable de l'Université McGill 33, vol 7-1, 2011, p. 5. Disponible en ligne travers le lien https://canlii.ca/t/2m76. Consulter le 17 juin 2021 à 21 h 19 mins. 28 Idem, p. 6. 29 Tuvalu est un micro-Etat de l'océan Pacifique sud, situé entre l'Australie et Hawaï. C'est un archipel de neuf îles habitées par 10 00 habitants et d'une superficie de 26 kilomètres carrés. 30 GISTI (Groupe d'Informations et de Soutien des Immigrés), « Quel statut pour les réfugiés environnementaux ? », Actes de la journée d'études du 14 décembre 2007, p. 8. 31 (H.) BUHAUD, « Climate not to blame for African Civil Wars », Oslo, Turner B.L., Arizona State University, August 2010, p. 52. 32 (F.) GUEMENNE, « How they became the human face of climate change. Research and policy interaction in the birth of `'environmental migration concept» », in Migration and Climate Change, Cambridge University Press, Cambridge, 2011, p. 227. 7 protection des déplacés environnementaux. Mais cette protection nationale n'est pas toujours suffisante. En cas de nécessité, selon Pierre MAZEDA et Christel COURNIL, l'Etat ou les Etats concernés peuvent faire appel à la solidarité internationale pour les aider à protéger au mieux leurs déplacés environnementaux33. Cependant, selon Veronica MAGNINI, dans certains cas, les déplacés environnementaux traversent les frontières de leurs propres pays puis se retrouvent dans un autre pays sans protection34. Il convient alors d'envisager une protection internationale des déplacés environnementaux sous les auspices du droit international. Ainsi, partant du constat que la protection des déplacés environnementaux constitue un réel défi pour le droit international, nous pouvons nous poser la question principale suivante : Dans quelle mesure le droit international relève-t-il le défi de la protection des déplacés environnementaux ? Pour répondre à cette question principale, nous pouvons nous poser deux questions secondaires que sont : d'abord, le droit international contemporain offre-t-il une protection spécifique aux déplacés environnementaux ? Ensuite, est-il nécessaire d'organiser une protection spécifique des déplacés environnementaux dans le droit international contemporain ? Ce sont là, les préoccupations que nous devons résoudre dans le cadre de ce travail. Cette étude présente un intérêt qui peut être appréhendé sur les plans théorique et pratique. D'un point de vue théorique, l'étude va nous permettre de réfléchir sur la protection internationale des déplacés environnementaux dans un contexte international marqué par de nombreuses ruptures environnementales entrainant les déplacements de populations. On constate un encadrement juridique insuffisant et de mesures de protection insuffisantes des déplacés environnementaux. Sur le plan pratique, l'étude porte sur une préoccupation grandissante de certains Etats confrontés à des catastrophes environnementales régulières entrainant des déplacements massifs de populations. On constate que la protection internationale des déplacés environnementaux se heurte à d'énormes difficultés35. L'objectif de notre étude est de contribuer à la problématique de la protection internationale des déplacés environnementaux. Pour traiter cette problématique et atteindre cet objectif, notre méthodologie de recherche s'est fondée essentiellement sur la recherche 33 (C.) COURNIL et (P.) MAZEDA, « Réflexions prospectives sur une protection juridique des réfugiés écologiques », Revue européenne des migrations internationales, n°1, 2007, p. 9. 34 Ibid, p. 25. 35 (F.) RENAUD et autres, « Control, Adapt or Flee. How to face Environmental Migration? ». Publication Séries of UNU-EHS, n°5, 2007. p. 44. Disponible en ligne à travers le lien http://collections.unu.edu/view/UNU:1859. Consulter le 11 novembre 2021 à 23 h 52 mins. 8 documentaire qui a permis de collecter et d'analyser les instruments internationaux et régionaux relatifs au droit international de l'environnement, au DIDH, au DIH et au droit international des réfugiés ainsi que des ouvrages généraux et spécialisés et des articles de doctrines consacrés à la question de la protection des déplacés environnementaux. Cette recherche documentaire a été complétée par des entretiens avec des personnes ressources comme les animateurs dans les représentations des internationales au Burkina Faso, les enseignants d'université et chercheurs qui disposent d'acquis scientifiques en rapport avec notre thème. Ces recherches ont permis de parvenir aux deux conclusions ci-après : la première, qui sera traitée dans la première partie, porte sur l'absence d'une protection internationale spécifique des déplacés environnementaux (TITRE I). Tandis que la deuxième partie porte sur la nécessité d'adopter une protection internationale spécifique des déplacés environnementaux (TITRE II). TITRE I : L'ABSENCE D'UNE PROTECTION INTERNATIONALE
SPECIFIQUE DES 9 Le droit international a pour objet de répondre aux besoins normatifs et institutionnels de la société internationale36. Il apporte des solutions aux problèmes qui se présentent au plan international. Mais tous les problèmes à caractère international ne sont pas résolus en droit international. Face au problème des déplacés environnementaux, le droit international positif n'offre pas une protection spécifique aux déplacés environnementaux. Ceux-ci se retrouvent être des victimes d'un mal qu'ils n'ont pas choisi de vivre sans une protection déterminée37. Cette absence de protection internationale spécifique aux déplacés environnementaux se manifeste d'abord par l'inexistence d'un statut juridique international des déplacés environnementaux (CHAPITRE I) et par l'insuffisance du droit international actuel à offrir une protection aux déplacés environnementaux (CHAPITRE II). 36 (J.) COMBACAU et (S.) SUR, Droit international public, 13e éd., LGDJ, 2019, p. 14 et Ss. 37 (M.) MOREL et (N.) MORE, « Migrations climatiques : quel rôle pour le droit international ? », Cultures & Conflits n°88, hiver 2012, pp. 61-84 ; mis en ligne le 15 mars 2014, Disponible à travers le lien http://journals.openeditions.org/conflits/18580, consulter le 12 octobre 2021 à 14 h 32 mins. 10 CHAPITRE I : L'INEXISTENCE D'UN STATUT JURIDIQUE INTERNATIONAL
DES Dans son état actuel, le droit international ne reconnait pas de statut particulier aux déplacés environnementaux. De par ses sources38, le droit international se subdivise en deux grandes parties, à savoir le droit international général et le droit international spécial39. Le statut juridique international des déplacés environnementaux, s'il existait, résulterait donc soit des éléments qui constituent le droit international général (Section 1), soit des éléments constitutifs du droit international spécial (Section 2). Section 1 : Le silence du droit international généralL'inexistence d'un statut juridique des déplacés environnementaux dans le droit international général peut être démontrée à travers l'analyse des éléments du droit international général. Le droit international général est composé des instruments conventionnels généraux, de la coutume internationale, et des principes généraux du droit40. Ces éléments se regroupent en deux parties pour constituer du droit conventionnel général (Paragraphe 1), et du droit international non conventionnel général (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : L'inexistence d'un statut de déplacés environnementaux dans le droit conventionnel général Dans le droit conventionnel général, l'inexistence d'un statut juridique des déplacés environnementaux se traduit par la carence du contenu du droit conventionnel général (B) qui s'explique avant tout, par la nouveauté de la notion de déplacés environnementaux dans le droit international (A). A- La nouveauté de la notion de déplacés environnementauxLes déplacés environnementaux sont une nouvelle catégorie, non encore reconnue dans la sphère du droit international conventionnel41. L'émergence de la question de leur protection est donc très récente. Elle date de Juin 2005 avec l'Appel de Limoges lancé par les participants au colloque international sur les réfugiés écologiques en vue d'une 38 Voir article 38 du statut de la Cour Internationale de Justice. 39 (J.) VERROHEVEN, Droit International Public,7ème Ed., Bruxelles, Larcier, 2000, p. 315. 40 Idem, p. 317. 41 (A.) LOPEZ, « The protection of environmentally-displaced persons in international Law », Environmental Law, Lewis and Clark Law school, Vol. 37, n°2, Printemps 2007, p. 354. 11 reconnaissance d'un statut juridique international des réfugiés écologiques42. Mais, cet Appel n'a pas abouti à la reconnaissance d'un statut particulier des déplacés environnementaux et n'a pas non plus débouché sur l'établissement de normes internationales conventionnelles sur les déplacements environnementaux. Il n'a donc pas pu introduire ériger un mécanisme juridique de reconnaissance du statut des déplacés environnementaux, et le concept dans la sphère juridique du droit conventionnel général qui jusque-là demeure un concept doctrinal43. A l'émergence récente du concept, il faut ajouter l'étendue des facteurs déclencheurs et leur caractère complexe. Etant donné que le déplacement de populations pour cause de l'environnement suppose une dégradation ou une rupture de celui-ci, on note plusieurs types de dégradations qui peuvent entrainer des déplacements de populations. Aurèlie LOPEZ a retenu quatre types de dégradation de l'environnement44que sont premièrement, la dégradation de l'environnement en long terme telle que le réchauffement climatique, l'érosion ou encore la désertification avec l'exemple de l'asséchement progressif du lac Tchad45. Deuxièmement, les catastrophes environnementales, telles que les tremblements de terre, les ouragans, les tempêtes, les éruptions volcaniques, les cyclones46. Troisièmement, les accidents industriels et techniques qui sont des cas d'explosion d'usines de production chimique ou de centrales nucléaires comme les catastrophes nucléaires de Tchernobyl47 et de Fukushima48. Enfin, l'environnement utilisé comme arme de guerre, avec l'exemple le plus connu de l'utilisation par les Etats-Unis, de l'agent orange pendant la guerre du Vietnam dont l'objectif était d'empêcher les Vietnamiens de se cacher dans les maquis et de vider les campagnes pour obliger les populations à migrer vers les villes49. 42 Voir appel de Limoges sur les réfugiés écologiques et environnementaux, Revue Européenne de Droit de l'Environnement, N°4, 2006, p. 454. 43 (M.) MOREL et (N.) MOORE, « Migration climatique : quel rôle pour le droit international ? », Revue cultures et conflits, N°88, hiver 2012, p. 61. 44 (A.) LOPEZ, Op. cit, p. 360. 45 La superficie du lac Tchad se situe à moins de 2000 km2 à ce jour, contre 25 000 km2 avant 1973 à cause des changements climatiques combinés au prélèvement d'eau. 46 Rapport sur les catastrophes dans le monde 2012, Fédération Internationale des Sociétés de la Croix rouge et du Croissant rouge, disponible sur le site www.ifrc.org. Consulter le 14 juin 2021 à 14 h 51 mins. 47 Le 26 avril 1986, l'explosion à la centrale nucléaire de Tchernobyl provoque un drame terrible, connu pour être la pire catastrophe causée par une erreur humaine faisant plus de 25 000 morts de milliers de déplacés, disponible sur le site wwx.estrepublicain.fr/les-plus-graves-accidents-nucléaires-dans-le-monde. Consulter le 14 juin à 16 h 34 mins. 48 L'accident nucléaire de Fukushima, aussi appelé catastrophe nucléaire de Fukushima, est un accident industriel majeur survenu au Japon après le tsunami du 11 mars 2011 qui a provoqué le déplacement d'environ 110 000 personnes. 49 (M.) CHEMILLIER-GENDREAU et (F.) GENDREAU, « La guerre du Vietnam et l'agent orange », in REDE, 2006, cité par J. J. POUMO LEUMBE, les déplacés environnementaux : problématique de la recherche d'un statut juridique en droit international, thèse de doctorat, Université de Limoges,2015, p.14 et Ss 12 L'étendue des facteurs déclencheurs des déplacements environnementaux traduit la difficulté qui entoure l'idée d'appréhender la question dans son ensemble. Cela empêche d'avoir une conception univoque des déplacés environnementaux et rend difficile la reconnaissance du statut des déplacés environnementaux dans le droit conventionnel général50. Pourtant, la maîtrise de l'étendue de la notion est nécessaire à l'intégration les déplacés environnementaux dans le droit conventionnel général. |
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