La protection internationale des déplacés environnementauxpar Aimé OUEDRAOGO Université privée de Ouagadougou - Master 2 2022 |
Section 2 : Une protection fondée sur les considérations juridiquesIl y a des considérations juridiques qui traduisent le bien-fondé de la protection des déplacés environnementaux. Selon ces considérations, la protection des déplacés environnementaux dénote d'une nécessité de combler un vide juridique du droit international (Paragraphe 1), et de garantir les droits des déplacés environnementaux (Paragraphe 2). 198 (M.) NOBLET, « Les réfugiés environnementaux : les actions possibles », Document d'orientation, juin 2008, p. 45. 199 Care International, « In search of Shelter. Mapping the effects of climate change on human migration and displacement», UNHCR, Colombia University, 10 juin 2009, p. 7. 52 Paragraphe 1 : La nécessité de combler un vide juridique du droit internationalLa nécessité de combler le vide juridique que constitue l'absence de protection des déplacés environnementaux traduit l'intérêt qu'a le droit international de s'adapter (A) aux réels besoins du temps. Une telle adaptation fonde la force juridique de la protection des déplacés environnementaux en droit international (B). A- La nécessité de prendre en compte la protection des déplacés environnementaux dans le droit international Selon Alain PELLET, à la conférence inaugurale de la session de droit international public en 2007200, le droit international doit s'adapter aux besoins changeants de la société internationale. Face à la question de la protection des déplacés environnementaux, une adaptation du droit international permet d'ériger une protection juridique internationale pour le compte des déplacés environnementaux. Cette adaptation permet de combler un vide juridique en droit international. Deux raisons expliquent cela. Premièrement, le vide juridique dans lequel baignent les déplacés environnementaux montre les lacunes du droit international actuel201. Il témoigne de l'inefficacité du droit international et aussi, de son ineffectivité face aux besoins juridiques contemporains. Pendant ce temps, les changements environnementaux pourraient être vus comme une menace à la paix et à la sécurité internationale202, dans la mesure où les conséquences déplorables que constituent, en premier lieu, les déplacements environnementaux, dépassent le seuil minimum des situations nationales et entravent le processus du développement durable203. Deuxièmement, la protection internationale des déplacés environnementaux est une nécessité pour la société internationale et il appartient au droit international de pourvoir à ce besoin, à travers des instruments internationaux. Il importe d'établir des relations 200 (A.) PELLET, « L'adaptation du droit international aux besoins changeants de la société internationale », in Recueil du cours de l'Académie de droit international de la Haye, (Volume 329), 2007, p. 14. Disponible en ligne à travers le lien http://www.dx.doi.org/, Consulté le 17 mars 2022 à 14 h 32 mins. 201 Idem, 202 Voir Article 1 alinéa 2 de la charte des Nations Unies. 203 ONU, « Rapport du sommet mondial sur l'environnement », Johannesburg, 26 août au 04 septembre 2002, p.1. 53 internationales adéquates afin de résoudre ce problème pour le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales des personnes concernées204. Pour ce faire, selon l'agenda 21, les Etats doivent développer des mécanismes locaux de protections des déplacés environnementaux dans l'optique de répondre à ce besoin international crucial205. En somme, il convient de dire que le droit international doit trouver des moyens juridiques lui permettant de faire face aux réalités du moment. L'ordre juridique international doit pouvoir prendre en compte la protection juridique des déplacés environnementaux. B- La force juridique de la protection des déplacés environnementaux en droit international L'harmonisation du droit international, aux fins de prendre en compte la question de la protection des déplacés environnementaux présente pour ces derniers, une sécurité juridique normative et institutionnelle, quant à leur protection par le droit international. Quelques raisons expliquent cela. Premièrement, les conventions internationales régies par le droit international ont une force contraignante. Selon le principe pacta sunt servanda, tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi206. Cette force contraignante tirée de l'adhésion de l'Etat ou du sujet du droit international à la convention fonde la sécurité juridique quant à l'exécution par chacune des parties de ses obligations conventionnelles. La protection par le droit international placera les déplacés environnementaux à l'abri des incompréhensions autour de la terminologie. Également, ils seront juridiquement considérés comme une catégorie de personnes par le droit international et protégés en tant que tel. Les parties s'obligent, de par leur adhésion, à respecter les dispositions du traité, à aménager leur droit interne afin de ne pas manquer à leurs obligations207. Selon le Pr Vivianny KELLY GALVAO, « La primauté du droit international sur le droit national résulte de la force obligatoire des normes créées par les sujets du DIP dans la société internationale208». Cette 204 ONU, « Rapport du sommet mondial sur l'environnement », Johannesburg, 26 août au 04 septembre 2002, p.1. 205 L'agenda 21 est un plan d'action pour le XXI siècle adopté par 182 chefs d'Etat au sommet de la Terre à Rio de Janeiro en juin 1992. 206 Voir Article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. 207 Ibid, Article 27. 208 (K.) GALVAO, « Les défis du droit international public contemporain », Braz Law, Panor, n° 8, 2005, p. 61. 54 force obligatoire permettra une protection globale et universelle des déplacés environnementaux. Deuxièmement, la force juridique de la protection des déplacés environnementaux se traduira par l'établissement d'un mécanisme de mise en oeuvre en droit international, à l'instar du HCR, pour le droit international des réfugiés, le PNUE pour le droit international de l'environnement ou encore le CICR qui est une ONG, mais qui accompagne indubitablement la mise en oeuvre du droit international humanitaire. En outre, les moyens de contrôle d l'exécution des instruments du droit international permettent également d'établir leur force juridique. Pour cette raison, il faut souligner qu'il y a le contrôle à priori, qui se traduit généralement par l'élaboration et l'adoption de rapport et le contrôle à postériori qui est marqué par l'oeuvre de la jurisprudence internationale des juridictions internationales. Il en résulte généralement de ces contrôles, des sanctions aux manquements par les parties à leurs obligations internationales209. Il faut noter aussi, les avis et recommandations des institutions internationales qui accompagnent la bonne mise en oeuvre du droit international. En somme, il convient d'admettre que l'intégration des déplacés environnementaux dans l'ordre juridique international, à travers l'harmonisation du droit international, permet de combler les lacunes de ce dernier et de prendre en compte la question de la protection internationale de la nouvelle catégorie de personnes vulnérables que constituent désormais les déplacés environnementaux. Paragraphe 2 : La nécessité de prendre en compte une nouvelle catégorie de personnes dans l'ordre juridique international de protection des personnes Les déplacés environnementaux constituent une nouvelle catégorie de personnes que le droit international devrait désormais, compter nécessairement en son sein. Cette nécessité commande pour le droit international, une intégration effective de la nouvelle catégorie (A) et aussi une garantie des droits à leur profit (B). 209 (C.) COURNIL, « Les défis du droit international pour protéger « les réfugiés climatiques » », in Changements climatiques et défis du droit, Actes de la journée d'études, Bruylant, 2010, p. 27. 55 A- La nécessité d'intégrer effectivement la nouvelle catégorie de personnes dans l'ordre juridique international de protection des personnes L'intégration effective des déplacés environnementaux dans le système de protection du droit international est nécessaire et passe par la catégorisation juridique des déplacés environnementaux. La catégorisation comporte les opérations de définition et de qualification210. L'opération de définition se rapporte plus aux éléments de la notion et permet de décrire le contenu de la catégorie juridique donnée et de mettre en évidence sa singularité vis-à-vis des autres. En l'espèce, la définition des déplacés environnementaux est assurément, un sujet difficile et objet à contestation. Et comme, nous l'avons soulignée dans la partie de l'introduction (voir « partie introduction », les définitions des concepts page 6), les déplacés environnementaux peuvent revêtir une kyrielle de déclinaisons de terminologies211. Quant à la qualification juridique, selon le Professeur CORNU, elle « est l'opération qui fait entrer le fait qualifié dans la catégorie juridique, en reconnaissant dans le fait brut, les éléments caractéristiques de la notion de droit212 ». Il s'agit d'appliquer au phénomène concret de déplacés environnementaux, un terme représentant son équivalent juridique213. Comme le précise le Professeur TERRE, « Le droit se réalise à l'aide de catégories juridiques, c'est-à-dire de cadres dans lesquels prennent place les éléments de la vie juridique, selon leurs natures et leurs ressemblances ; ces éléments sont en si grand nombre qu'il est indispensable de les ordonner en les groupant à partir de leurs affinités communes »214. En somme, la catégorisation juridique des déplacés environnementaux présente un triple intérêt215. D'abord, elle possède un intérêt terminologique en instaurant une nomenclature qui permet d'avoir un langage commun et une connaissance du contenu de la catégorie. Ensuite, elle a un intérêt épistémologique puisqu'elle contribue, en elle-même et du 210 (M.) CUMYN et (F.) GOSSELIN, « Les catégories juridiques et la qualification : une approche cognitive », Revue de droit de McGill, Volume 62, numéro 2, décembre 2016, p. 334. 211 Ont été avancés, les termes : réfugié environnemental (1985), réfugié écologique (1994), migrant environnemental (1996), migrant écologique (1997), personne déplacée par l'environnement (2002), réfugié climatique (2006), déplacé environnemental (2007); Cf ERWAY MORINIERE Lezlie C,"Tracing the footprint of «environmental migrants» through 50 years of literature", Source Publication, n°12, 2009, p. 22-29 212 (G.) CORNU, Linguistiques juridiques, 3è éd, Montchrestien, Domat droit privé, 2005, p. 346. 213 (H.) MOUTULSKY, Principes d'une réalisation méthodique du droit privé, 1ère éd., Sirey, 1948, p.24. 214 (F.) TERRE, Introduction générale au droit, 12e éd., Paris, Montchrestien, 2020, p. 565. 215 (J-J.) SUEUR, Une introduction à la théorie du droit, 9ème éd., Paris, L'Harmattan, 2001, p. 150. 56 fait des études qu'elle induit, à améliorer l'état des connaissances sur les atteintes à l'environnement et les conséquences des ruptures environnementales. En outre, elle présente un intérêt juridique en permettant d'imprimer la marque de l'existence juridique des déplacés environnementaux et de les consacrer en droit international. Selon le Professeur Jean Louis BERGEL, « A travers l'opération de qualification, la catégorisation permet de saisir les règles juridiques qui se rapportent à une situation déterminée216 ». La catégorisation juridique des déplacés environnementaux définit donc, le régime juridique applicable en droit international à l'ensemble des personnes qu'elle couvre. B- La nécessité de garantir les droits de la nouvelle catégorie de personnes dans l'ordre juridique international de protection des personnes En guise de perspectives, la protection des personnes qualifiées de déplacés environnementaux suppose la sécurisation des droits existants ou ceux à créer au profit de cette nouvelle catégorie de personnes. Pour cette raison, il est nécessaire de distinguer les droits qui sont communs à toutes les personnes déplacées de ceux qui sont propres aux déplacés environnementaux. D'abord, au titre des droits communs à toutes les personnes déplacées, il convient de reconnaître que les déplacés environnementaux bénéficient des droits primaires ou droits fondamentaux qui sont consacrés par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) de 1948. Ces droits sont communs à toutes les personnes indistinctement de leur situation. Ils sont au bénéfice des déplacés environnementaux et doivent être inconditionnellement garantis. Ces derniers peuvent également bénéficier des droits contenus dans les deux Pactes de 1966217, à savoir le Pacte international des droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Toutefois, il faut souligner que les droits contenus dans ces instruments de 1966 peuvent faire l'objet de restriction, de suspension ou de privation que la situation de déplacé environnemental ne saurait rétablir forcément. Ensuite, à côté des droits communs à toutes les personnes déplacées, il y a des droits qui sont propres aux conditions des déplacés environnementaux. Et pour cela, il faut rappeler qu'il y a des cas de déplacés environnementaux transfrontaliers et des déplacés 216 (J. L.) BERGEL, Théorie générale du droit, 4è éd., Paris, Dalloz, 2003, p. 209. 217 Les deux Pactes ont été adoptés en 1966 par l'Assemblée Générale de l'ONU. 57 environnementaux internes218. Comme droits propres aux deux types de déplacés environnementaux, on peut citer le droit au non-refoulement tiré du principe de non-refoulement219. Ce droit permet aux déplacés environnementaux qui traversent la frontière d'un pays de ne pas être renvoyés vers leur pays d'origine et dans la zone où la rupture environnementale s'est produite et qui a occasionné leur départ. Pour les déplacés environnementaux internes, le droit de non-refoulement leur permet de ne pas être renvoyés dans la zone de départ, lorsque les conditions de vie n'y sont pas réunies. On peut également citer, le droit à la réinstallation220. Le droit à la réinstallation permet aux déplacés environnementaux de se réinstaller dans une zone convenable ou de retourner dans leur zone et/ou dans leur pays et dans leur zone pour les cas où la rupture environnementale n'est pas définitive (ex : les cyclones). Particulièrement pour les déplacés environnementaux qui ont traversé la frontière d'un Etat, ils doivent bénéficier du droit au travail et du droit à la nationalité221 dans le pays d'accueil. Enfin, il faut prévoir des droits collectifs qui répondent aux besoins de groupes, familles ou populations, dans les cas de déplacements massifs. En somme, la garantie effective des droits des déplacés environnementaux par le droit international pourra se faire à travers des mécanismes de contrôle. Cela est nécessaire pour une protection juridique des déplacés environnementaux qui comble les lacunes du droit international. En guise de conclusion de ce chapitre, nous pouvons dire que la question de la protection des déplacés environnementaux a franchi le cap d'un problème international, au point que les organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales ont commencé à y accorder des considérations humanitaires. Cette dynamique s'accompagne exceptionnellement d'actions d'interpellation des organismes au niveau national, et par la mise en place des mécanismes juridiques de protection des déplacés environnementaux par des Etats222. Tout cela a permis de faire ressortir la nécessité pour le droit international d'offrir une protection aux déplacés environnementaux en prenant en compte la qualification 218 (C.) COURNIL, « Les réfugiés environnementaux : les déplacés en quête de protection », Regard sur le droit étranger, Presse de l'Université de Toulouse 1 Capitole, 2010, p. 152. Disponible en ligne à travers le site http://www.openedition.org/6540 consulté le 20 juin 2020 à 14 h 34 mins. 219 Article 33 de la convention de Genève de 1951 relatif au statut de réfugié 220 (M.) NOBLET, « Les réfugiés environnementaux : les actions possibles », in Document d'orientation, juin 2008, p. 49. 221 Voir http://www.alofatuvalu.tv, pour le cas des déplacés environnementaux pour cause de disparation de leur territoire. Consulté le 16 décembre 2021 à 12 h 34 mins. 222 Pour rappel les actions des organismes privés qui s'investissent au côté des pouvoirs publics ou de par leurs propres engagements dans la lutte pour la protection des déplacés environnementaux. 58 juridique des déplacés environnementaux et la garantie de leurs droits communs et particuliers. Mais, s'il est nécessaire de protéger les déplacés environnementaux, il est tout aussi indispensable d'envisager les modalités de cette protection internationale. 59 CHAPITRE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION INTERNATIONALE
DES Selon Antonio GUTERRES, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, « Il est légitime de se demander si de nouveaux instruments juridiques sont nécessaires pour les mouvements transfrontaliers induits par les changements climatiques »223. A travers ces propos, l'auteur estime que l'encadrement juridique de la question des déplacés environnementaux se fait par un aménagement de l'ordre juridique international. Mais, pour une protection efficace des déplacés environnementaux, deux modalités sont envisageables. Il s'agit soit d'aménager les instruments juridiques existants (Section 1), soit d'élaborer de nouveaux instruments juridiques spécifiques (Section 2). |
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